Maintenant, Oliver hésite entre piquer une terrible colère ou simplement implorer sa mère de lui donner des explications. Cette dernière a l'air de renoncer à la promenade ; avec un soupir triste et désolé, battue par les questions et l'insistance de son fils, la politicienne finit par s'asseoir sur une grosse pierre, près de Meleys qui s'applique à chasser tous les Pokémon sauvages qui passent. Ses pied se tordent pour se trouver l'un face à l'autre et elle se penche en avant, comme prise de nausée, pour saisir son front à deux mains. Oliver, lui, ne bouge pas. Figé au milieu du chemin, il dévisage sa mère sans savoir quoi dire. Parce qu'il est forcément en train de délirer, ça ne peut pas être vrai. « Tu...
– Mes parents estimaient que je mettais trop de temps à trouver un mari, grince-t-elle finalement en relevant le nez, digne. Alors ils m'en ont trouvé un, c'était une alliance de deux grosses familles, c'est long et difficile à expliquer. Jill pourrait peut-être t'en parler mieux que moi. » Dans l'hypothèse où il lui parle encore, et c'est mort.

« Ce n'est pas de Jill dont je veux des explications, gronde un Oliver terriblement choqué, qui claudique jusqu'à sa mère pour lui faire face, les bras croisés. C'est de toi. Comment t'as pu ne rien me dire pendant tout ce temps ?
– Et ça t'aurait apporté quoi, exactement ? répond sa mère dans un soupir. Pourquoi a-t-elle l'air aussi triste ? Rien, rien du tout.
– Mais enfin, ce ce que tu savais de Gaspar et moi...
– Justement ! répond-elle, tendue, les yeux levés vers le ciel. Comment aurais-tu été capable de prendre à seize ans une nouvelle comme celle-là ? Oh au fait chéri, le père du garçon que tu aimes, c'était mon fiancé avant... » D'accord, c'est vrai qu'amené comme ça, il aurait peut-être eu du mal. Mais elle aurait pu le dire d'une autre façon ? Il ne sait pas, ça le dépasse tout ça, tout à coup. Il ne comprend plus rien.

Donc, il va avoir besoin de détails, et dans les plus brefs délais. Parce que tout ça est tordu, bizarre ; et il ne le sait pas encore, mais il n'est absolument pas au bout de ses peines, le jeune homme qui dévisage une mère décomposée, qui n'a pas du tout envie d'avoir cette discussion mais qui l'aura quand même. « Pourquoi ça s'est pas fait ? Parce que tu as rencontré papa ? » Elle hoche doucement la tête. « Oui. J'avais négocié ces fiançailles contre mon voyage Pokémon, et quand je suis partie j'ai rencontré Kyle. C'était un peu compliqué à ce moment-là.
– Maman, s'il te plaît. » Et cette fois, il s'asseoit, lui aussi ; la confronter ne l'aidera pas, elle va se braquer et il n'aura certainement aucune information de plus s'il fait ça. Mais il en a besoin. « S'il te plaît, raconte-moi tout. »

Cette inspiration, longue, ne lui dit absolument rien qui vaille. Que lui cache-t-elle, sa mère ? Qu'est-ce qu'elle ne lui a jamais dit, et pourquoi a-t-il soudainement l'impression que cela le concerne de beaucoup trop près ? « Tu ne vas pas bien le prendre, soupire Cassandre en passant une main sur son visage. Et je ne peux même pas te faire promettre de ne pas... arrêter de me parler après ça, mais j'aimerais.
– Mais qu'est-ce que tu racontes ? » Il écarquille les yeux. Pourquoi refuserait-il de parler à sa mère, c'est quoi cette foutue histoire ? Elle a toujours été heureuse, sa famille. Harmonieuse. Alors pourquoi ça devrait changer ? Qu'est-ce qui pourrait tout briser comme ça ? « Je vais pas arrêter de te parler parce que tu t'es retrouvée fiancée de force, ça a pas de sens....
– Pas de sens, non, je te l'accorde. Mais ça a eu des conséquences. »

Après un soupir, encore un, très long, elle finit par relever courageusement le nez. Ses yeux brillent et Oliver est bien incapable de comprendre pourquoi ; pourtant, en silence, il l'écoute. « Mes parents considéraient que je devais absolument trouver un époux qui corresponde à ma condition, commence-t-elle. Après plusieurs discussions, il a été conclu sans mon consentement que j'allais me marier avec Drakan Neskov. Le type le plus con et le plus insupportable que je connaissais, pour l'avoir déjà rencontré plusieurs fois. J'ai refusé, on s'est disputés avec ma famille, ils parlaient de me déshériter si je ne faisais pas ce qu'ils me disaient, alors... j'ai troqué ce mariage contre un voyage, et je suis partie avec un sac et des Pokéballs. Je savais déjà que j'allais revenir, mais je voulais faire semblant de vivre ma propre vie au moins pour quelques mois. Et c'est là que j'ai rencontré ton père. »

D'accord, jusqu'ici Oliver arrive à suivre ; et si c'est triste, cela n'a rien à voir avec lui pour le moment. Alors que s'est-il passé ensuite ? « On se connaissait depuis quelques mois, quand il a fallu que je rentre au pays. La situation était compliquée, mes parents faisaient pression sur mon mariage et ils ont organisé une rencontre. Ce soir-là... il s'est passé quelque chose avec cet affreux bonhomme, et... et, enfin, c'était une soirée où j'avais beaucoup bu... » Elle avait couché avec ce type ? Qu'elle détestait ? Mais pourquoi ? Il en écarquille doucement les yeux, Oliver. Parce que la suite... non. Non, c'est pas possible. « Je suis repartie quelques jours plus tard en promettant de revenir me marier, mais j'avais besoin d'encore quelques mois et j'ai eu le droit. Sauf que j'étais enceinte, et je ne m'en suis pas du tout rendue compte. »

Enceinte. Oliver nage en plein cauchemar. Maintenant, il est très pâle, presque cadavérique quand il dévisage sa mère au moins aussi mal que lui, parce que ce qu'il comprend, il n'a absolument pas envie de l'assimiler, c'est pas possible. « Si tu me dis que Neskov est mon père... » ça ferait de lui le demi-frère de Gaspar et il couche avec, bordel, c'est pas possible, son coeur bat trop fort, ses mains tremblent sous le choc ; mais sa mère secoue la tête, très vite. « Non, bien sûr que non. Crois bien que je n'aurais pas laissé faire ce qu'il s'est passé avec Gaspar dans le cas contraire. » Encore heureux, parce que là, c'est vraiment dégueulasse, songe-t-il avec un long soupir de soulagement... avant de relever le nez. « Mais alors ce bébé, tu en as fait quoi ? » Parce qu'il ne se souvient pas d'avoir un frère ou une soeur, alors quoi ? Elle l'a perdu ? « Laisse-moi finir de raconter. » Bien.

« Quand je suis revenue à Kanto, ton père m'attendait. Et c'était pour lui que j'étais repartie, en dépit de ce qu'il s'était passé à Lathea. Il n'a rien voulu savoir quand je lui ai dit que ce n'était pas possible, qu'on ne pourrait jamais, que j'avais des obligations... il m'a dit qu'il s'en moquait, et que si je choisissais de venir avec lui, il me protègerait. » Il n'aurait jamais imaginé une déclaration aussi passionnelle de la part d'un homme comme son père, Oliver doit bien l'admettre. Il est étonné, bien entendu, impressionné, et impatient de savoir la suite. « Tu l'aurais vu, il était... enfin, j'ai fini par céder, et c'est là que j'ai appris que j'étais enceinte. Kyle savait ce qu'il s'est passé, et il... oh chéri, c'est vraiment un homme formidable, tu sais. » Il sait. Allez, la suite.

« Kyle voulait le garder, il voulait qu'on s'enfuie avec ce petit, et qu'on s'en aille tous les trois, il était prêt à le reconnaître. » D'accord. C'est très honorable, surtout si cela faisait peu de temps qu'ils étaient ensemble. Mais ce n'est pas ce qu'il s'est passé, alors quoi ? « Moi, je n'ai pas voulu. C'était trop de responsabilités. Le sujet est encore très épineux, alors je veux que tu me promettes de ne pas en parler à ton père. » Parler de quoi ? Elle l'a perdu, alors ? Elle a avorté ? « J'ai mené la grossesse à son terme, puis nous sommes rentrés à Lathea. On a abandonné notre rêve de devenir maître, on a rejoint Myrtha, et j'ai laissé cet enfant à la porte du manoir des Neskov. » Quoi ? Mais quoi ? Mais est-ce qu'il a bien entendu ? Non, c'est une blague. C'est une putain de blague, sa mère, qui s'est occupé d'enfants en détresse toutes ces années, elle n'a pas pu abandonner le sien, pas son premier né.

« Est-ce que. Est-ce que j'ai bien compris ce que je viens d'entendre ?
– Oui. » Et les yeux de sa mère se remplissent de larmes. Jamais il n'a vu cette femme pleurer, elle a la peau trop dure Cassandre et il commence à comprendre pourquoi, au vu de tout ce qu'elle a traversé. Mais là... là elle pleure, parce que si elle doit bien avoir un regret dans sa vie, c'est sans doute celui-là. Celui d'avoir abandonné un enfant. Elle l'a abandonné. Et Oliver devrait se mettre en colère, parce qu'il vient de découvrir qu'il a un frère ou une soeur caché, il ne sait pas, et qu'elle ne le lui a jamais dit. Mais que faire devant autant de détresse ? « Maman, tu...
– Je voulais pas le garder, répond-elle, la voix tremblante. Drakan est un homme horrible, j'avais trop bu, il en a profité, et... et c'était insupportable, j'aurais jamais pu l'aimer ce petit, alors je l'ai laissé, je l'ai même pas reconnu à la naissance. C'était trop dur. »

Un frère. Il a un petit frère. C'est pas possible, hein ? Il va avoir trente ans, il ne peut pas apprendre ça comme ça ? Si, bien sûr que si. Parce que sa mère éclate en sanglots et il ne peut rien faire d'autre qu'écarter les bras pour la serrer contre lui. Durant de longues minutes, ils ne disent rien ; sa mère pleure ce fils abandonné, sans doute pour la première fois de sa vie, et lui encaisse l'information en silence. Qui est-il ? Comment s'appelle-t-il ? Ce n'est pas Gaspar, heureusement, mais alors qu'est-ce que son père a fait de cet enfant ? « Est-ce que les Neskov l'ont gardé ? » demande-t-il enfin, à mi-voix, priant pour qu'elle ait des nouvelles, quelque chose, n'importe quoi. Mais quand sa mère relève la tête pour la secouer, il comprend qu'il va sans doute rester dans le flou le plus absolu.

« Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Mes parents ont arrêté de me parler à l'instant où ils ont compris ce que j'avais fait, et... et ils m'ont effectivement rayée de leur testament. En quelques jours, je... je me suis retrouvée toute seule, avec ton père qui m'en voulait, et moi qui ne pouvais pas... assumer une chose pareille. » Si Drakan avait abusé d'elle, alors il était logique que les choses se soient ensuite passées comme ça. Mais elle aurait dû en parler, elle aurait dû lui dire. « C'est un garçon ? » Elle hoche la tête, doucement. Et lui recule, soupire, passe une main dans ses cheveux. « Gaspar, il est au courant ? » Elle secoue de nouveau la tête. Chaque mot semble plus difficile à articuler. « Non. Il ne m'a jamais parlé d'un demi-frère, et à toi non plus, je crois. » Mais ils en ont bel et bien un en commun. C'est tellement bizarre, bordel.

« Je sais que j'aurais dû t'en parler. » Elle le devance, certainement dans la crainte que sa colère balaye la compassion qu'il éprouve pour elle, tout de suite ; mais Oliver est bien trop choqué pour être énervé, là, tout de suite. Il a beaucoup de mal à encaisser ce que sa mère est en train de lui dire. « Mais ça revenait à donner une réalité à tout ça, et... ce n'est pas pour rien que j'ai recueilli Mallory après ça. Ou Gaspar.
– Tu voulais te racheter une conduite ? » Et elle hoche la tête, sa mère. Oui. La culpabilité l'écrase depuis toutes ces années, alors. « Il n'a pas mérité qu'on l'abandonne, je sais. Mais je... je n'aurais pas pu supporter de l'élever. Je suis désolée, Oliver, je suis vraiment désolée... » Elle semble si fragile, cette politicienne si solide, si forte, en temps normal. Cela lui brise le coeur au moins autant que de savoir qu'il a un frère dont il ne sait absolument rien.