« Et Mallory, ça va ? Il n'est pas venu à la maison depuis longtemps. » Ah, Mallory. Le chanteur commence tout doucement à entrer dans une période d'agitation ; il le voit bien Oliver, il est habitué à comprendre et interpréter les signes de son meilleur ami, depuis tout ce temps. D'abord, la susceptibilité, l'impression d'être persécuté. Tout ça avant la crise, bien entendu, et il suppose qu'il n'a aucune envie d'infliger ça à ses parents d'adoption. Alors Oliver hausse les épaules avec bonhomie. « Tu sais bien comment il est quand c'est compliqué. Il viendra vous voir quand ça ira mieux.
– J'espère bien. Ton père voulait le voir pour savoir comment tout ça avait évolué, justement.
– Tu sais que Mallo va l'envoyer chier, si papa essaie encore de le diagnostiquer. » C'est sans doute le seul qui soit en mesure d'élever la voix contre Kyle Porter, d'ailleurs. En tout cas, sans perdre un membre.

« Pourquoi tu voulais un Riolu, au fait ? Ton équipe n'est pas complètement composée ? » Ah, les voilà les questions sur le dressage ; sa mère ne peut visiblement pas s'en empêcher, quand bien même prétendrait-elle que cette vie-là ne lui manque pas. Bien sûr que c'est difficile de l'imaginer en dresseuse sa mère, elle qui semble avoir fusionné avec ses tailleurs chics et son Motismart, et au vu de la manière dont elle s'est sapée pour une simple ballade, elle a un peu de sens de l'excès, sur ce coup. « En fait je n'ai
pas d'équipe de six déterminée. Je vais changer régulièrement pour pouvoir faire front à toutes les arènes.
– Je vois, répond-elle en saisissant son menton. Ce n'est pas bête mais tu vas perdre pas mal de temps que si tu choisissais une bonne équipe équilibrée. Lucario, c'est un assez bon compromis, pour ça. »

« Est-ce que je rêve ou tu as envie de t'improviser coach, tout à coup ? » ironise le batteur avec un petit sourire en coin,
tandis que sa mère lève les yeux au ciel. Oh, non, pas à lui. « Mais non, voyons. Chaque dresseur doit se forger ses propres expériences, je te fais seulement part des miennes. J'avais mon équipe de six et je l'ai gardée jusqu'à ce que je décide d'arrêter les frais pour me marier. » Et quels Pokémon, songe Oliver avec un petit sourire. La plupart des compagnons que Cassandre a entraînés ne sont plus là, mais son vieux Carchakrok est toujours en pension, dit-elle, et l'éleveur s'occupe admirablement bien de lui. Quand il était gosse, il lui faisait peur, mais pas autant que Spirit, le Lugulabre de son père. « Ta petite Salamèche, tu vas la garder pour la Ligue ? » Oliver hoche la tête, en observant Meleys envoyer bouler un énième Pokémon droit dans la rivière.

Le dressage du petit Pokémon chromatique s'avère beaucoup plus compliqué que tout ce qu'il avait pu imaginer, mais ce n'est pas grave ; Oliver sait qu'une fois que Meleys lui obéira, elle sera une arme redoutable face aux autres dresseurs. Quand elle aura atteint son dernier stade, quelque chose lui dit que plus rien ne pourra l'arrêter. « Elle a du potentiel, c'est vrai. Elle est magnifique, tu l'as trouvée dans la Lande ?
– Oui, répond le dresseur en hochant vivement la tête. Je l'ai trouvée avec son mâle près d'un terrier. Je l'ai capturé elle et Ga... enfin la personne avec qui j'étais a pris l'autre, chromatique aussi. » Parler de Gaspar avec sa mère est un sujet un peu glissant ; il ne sait même pas si Cassandre a gardé contact avec le chanteur après leur départ pour Myrtha, alors... sauf que le regard de l'ancienne dresseuse s'illumine, là. « Oh, mais Gaspar aussi a un Salamèche chromatique ! » Merde.

Ah. Et comment elle sait ça exactement ? Les yeux d'Oliver se lèvent vers sa mère, qui n'a pas du tout l'air dérangée par la tournure de la conversation, bien au contraire. Elle s'allume une clope sous son nez, sourit doucement. « Il est passé à la maison pour bruncher il y a quelques jours. Tu te rends compte, Sacha est dans le coma, c'est triste... » Oh oui, elle a l'air vachement triste pour ce connard de Sacha, songe Oliver en haussant un sourcil tandis que sa mère tire tranquillement la première bouffée de sa clope comme si elle était en train de parler du beau temps plutôt que d'un mec qui ne se réveille pas. « Pourquoi tu me dis ça ? » Non parce que, les filouteries de sa mère, Oliver les connaît et il n'aime pas, mais alors pas du tout ça. Surtout quand elle lui sourit avec ce drôle d'air de la femme parfaitement habituée à ce genre de tours de passe-passe.

« Oh, pour rien. Je ne savais pas que tu l'avais revu. » Elle hausse les épaules, et ce petit sourire tranquille, ça ne lui plait pas du tout, au batteur. « Enfin ça ne m'étonne pas, vous avez toujours été très proches, logique que tu veuilles le retrouver en rentrant.
– Maman, ça te regarde absolument pas, grince le dresseur en lui jetant un regard menaçant. » Sauf que les regards menaçants, Cassandre en reçoit environ dix fois par jour de la part de son mari, alors autant dire que cela ne l'atteint même pas quand elle tire de nouveau sur sa clope dans une gestuelle beaucoup trop légère pour être honnête. « Tu sais, l'horloge de la vie tourne, il faudrait que tu penses à te caser à un moment, alors peut-être que si Gaspar décidait de laisser tomber son mari pour...
– Oh non mais vraiment, t'as sérieusement envie que je te fasse ma vie sentimentale par le menu, là ?! »

« Et d'ailleurs, comment ça se fait que tu brunches avec Gaspar, hein ?
– Voyons chéri, je n'ai rien à voir avec vos histoires, moi. Ce qu'il s'est passé avant que tu partes n'a absolument aucun rapport avec moi. » D'accord. Là ça sent le coup fourré, un coup beaucoup plus gros que ce qu'il pensait, d'ailleurs. Les yeux du batteur s'étrécissent, maintenant, quand il dévisage sa mère. « Ça fait combien de temps qu'il vient vous voir, exactement ?
– Bah, il n'a jamais arrêté. »
Le choc lui coupe le souffle. Alors, quand il s'est fait larguer comme une merde par le chanteur, elle n'a même pas essayé de prendre parti ? Visiblement non, et ça ne la fait absolument pas culpabiliser. « Quand vous vous êtes séparés, il est allé à Enoville, et comme il ne savait pas trop quoi faire, il m'a appelée. Je l'ai logé dans mon appartement de fonction.
– Dis-moi que c'est une putain de blague. »

Elle déconne sa mère, hein ? C'est pas du tout drôle, mais elle est forcément en train de faire sa pire blague là, c'est pas possible autrement. Elle n'aurait jamais osé le poignarder dans le dos comme ça, si ? Il attend la chute Oliver, il espère, parce que si elle a le culot de lui dire que ce n'est pas une plaisanterie, il ne répond absolument plus de rien. Les dents serrées, il attend sa réponse, tandis que Cassandre fait mine de ne pas avoir entendu... avant de tourner la tête vers lui, enfin. « Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
– Tu as logé Gaspar quand il m'a plaqué ?
– Oui, je viens de te le dire. Il ne savait pas où aller, il avait besoin d'aide alors je l'ai laissé s'installer chez nous, quand Myrtha a été détruite on a récupéré l'appartement mais il était déjà parti depuis... »

Il rêve, il va se réveiller. Et le pire, c'est qu'elle a l'air de ne pas du tout voir le mal, Cassandre. « Quoi, tu aurais voulu que parce qu'il t'avait quitté je le laisse à la rue ?
– Bien sûr que non ! » Elle est idiote ou elle le fait exprès ? « Tu aurais pu me dire où il était bordel, tu sais très bien comment ça s'est passé alors, il a dû te le raconter ! » Et dire qu'elle lui a dit qu'elle était désolée à l'époque, elle avait l'air sincèrement triste pour lui, hein. Et elle gardait Gaspar enfermé dans un putain de placard, chez eux. Dans leur appartement secondaire, il aurait suffi qu'il y aille, tout aurait pu changer, il est sûr qu'il aurait pu le retenir. « A l'époque Gaspar m'a demandé de ne rien te dire, sa décision avait l'air prise. Je n'avais pas du tout l'intention de me mêler de ça. »

Ah donc elle ne s'en est pas mêlée ? En le cachant, elle a pris parti, elle aurait dû lui dire et il est tellement en colère qu'il s'arrête en plein milieu du chemin cette fois, le baroudeur. Combien de temps ça a duré, cette mascarade ? « Tu aurais dû me le dire, t'as choisi de te mêler à ça au putain d'instant où tu t'es dit que c'était une putain de bonne idée de le loger sans m'en parler, tu savais très bien dans quel état j'étais et...
– Et tu n'étais pas le seul à en souffrir, contrairement à ce que tu peux prétendre penser, réplique sèchement sa mère en tapotant sur sa cigarette pour laisser tomber la cendre au sol. A ton avis, comment tu crois que le père de Gaspar l'aurait pris s'il avait appris pour vous deux ? Il était complètement perdu et il avait besoin d'aide, comme souvent. »

Oui, il le sait tout ça Oliver. Le père de Gaspar est une ordure, il en a toujours été une, il le sait très bien et il a toujours tout fait pour prendre soin de l'adolescent qu'il était, en dépit de tout ça. Toute cette nuit-là, il l'a passée à lui jurer que cela n'aurait comme seule conséquence que les réunir tous les deux, après des années à se tourner autour sans jamais oser franchir le pas. C'était trop tard, il avait passé le cap, ils étaient ensemble et il lui a promis, cette nuit-là. Je laisserai personne te faire de mal Gasp, j'le laisserai pas te démolir, c'est fini tout ça, maintenant j'vais prendre soin de toi. Parce que c'est de famille, quelque part. Sa mère a toujours beaucoup aimé ramasser les gamins en détresse, elle a toujours eu un don pour prendre le plus grand soin d'eux. Il était convaincu que Gaspar l'avait cru.

Mais Gaspar est parti, ce matin-là, sans lui laisser la moindre occasion de le rassurer et de lui promettre que tout irait bien. Il s'en est allé en laissant un misérable message d'adieu qui n'expliquait rien, qui réduisait à l'état d'erreur de parcours ce que lui considérait en ouvrant les yeux comme la nuit la plus incroyable de sa vie. Si aujourd'hui ils s'appliquent, tous les deux, à rattraper le temps perdu, il est encore très difficile pour Oliver de repenser à cette période. Parce qu'il avait tout misé sur cette nuit-là, parce qu'il avait espéré si connement trouver une place au creux de l'étreinte des bras fragiles de l'adolescent perdu, qu'il aimait comme un fou. Et voilà que sa mère lui balance qu'elle l'a couvé et protégé, là où il attendait désespérément de ses nouvelles ? « T'avais pas à prendre cette décision à ma place. » Et même si c'est du passé, il n'a pas envie de faire comme si ce n'était pas grave. Ça l'est.

« Je n'ai pas de comptes à te rendre à ce sujet, Oliver. Gaspar ne voulait pas te voir, alors je n'ai rien dit, c'est tout.
– Mais bordel, j'aurais pu tout réparer, j'aurais pu lui faire changer d'avis si... » Sauf que cette fois, sa mère lui jette un regard acéré ; le genre de regard qui le faisait systématiquement taire quand il était gosse. Sauf qu'il a vingt neuf ans maintenant, alors il n'est plus question de baisser le nez. « Et j'aurais perdu la confiance d'un gamin que j'ai essayé pendant des années d'arracher aux griffes d'un père complètement fou, tout ça pour faire plaisir à mon fils qui ne comprenait pas que les choses sont parfois bien plus compliquées qu'elles en ont l'air. Alors maintenant, tu arrêtes, Oliver. Qui plus est, la question ne se pose plus, si ? Tu l'as revu, ça veut bien dire que tu as pardonné un certain nombre de choses. »