Pourquoi Mallory a-t-il toujours pensé qu'il ne mériterait jamais l'affection d'Ismaël, déjà ? Ah oui, pour ce genre de trucs complètement débiles et sans queue ni tête. La peur d'à peu près tout, en somme, et si l'orage arrive parmi les premiers de la liste, elle est longue, horriblement longue. L'orage, la mer, le noir complet... et il n'a pas du tout envie de faire la suite quand il se sent attiré un peu plus près, réfugié comme un Laporeille terrifié dans les bras du dresseur qui glisse une main dans son dos. Comme il aurait aimé l'avoir, cette place pleine et entière ici, sans rien craindre de ce qui pourrait lui arriver s'il osait simplement lui murmurer quelques phrases affectueuses simplement pour le plaisir de le lui dire. Je t'aime. Comme une phrase lui parait effrayante, alors, après tout ce qu'ils ont vécu tous les deux.

« Tu sais, tout le monde a peur de quelque chose, et y a beaucoup de gens qui ont des paniques incontrôlables comme ça. » D'accord, c'est bien gentil tout ça, mais peu de monde est aussi trouillard que lui. La preuve, il pleure parce qu'il y a des éclairs dehors, et même s'il sait au fond de lui qu'à l'intérieur du hangar il n'y a aucun danger, c'est tout de même terrifiant et il est bien incapable de se contrôler. En essayant de reprendre son souffle, une main accrochée à son t-shirt, Mallory se tait et l'écoute. C'est encore le mieux qu'il puisse faire pour essayer de ne pas penser qu'ils vont mourir sous l'orage. « Je t'avais raconté que j'ai failli prendre de la prison y a quelques temps ? J'ai passé j'sais même plus combien de temps en garde-à-vue et tout. »

Non, il ne lui a jamais raconté cette histoire. Intrigué, il inspire longuement Mallory, tente de reprendre son souffle et ses esprits pour écouter l'histoire de son amant. Ses yeux l'interrogent mais lui ne dit rien ; il est encore trop fébrile, trop tremblant, et ce sont aux mots d'Ismaël qu'il s'accroche pour ne pas perdre complètement pied, puisque Sophie n'est pas là, aujourd'hui. « À la base j'avais pas fait grand chose de très grave, mais osciller pendant plus de vingt-quatre heures entre une cellule, une salle d'interrogatoire et une minuscule cour pour fumer, je te raconte même pas dans quel état j'étais. J'en pouvais tellement plus que j'ai envisagé me barrer par le toit ou attaquer un flic pour pouvoir me tirer. Heureusement qu'on m'a laissé sortir avant, finalement, mais c'était complètement plus fort que moi. » Il avait peur ? Parce qu'il était enfermé ? Les yeux du chanteur brillent au moins autant de peur que de curiosité quand il relève le nez vers le baroudeur pour l'interroger, la voix blanche. « T'étais là bas pourquoi ? » Il avait fait une connerie ? Ou peut être sa sale manie de monter sur les toits de la ville, il n'en sait rien Mallory. Lové contre le jeune homme, il se surprend à penser qu'il a bien l'intention de profiter de cette peur-là pour rester encore un peu comme ça. Il ne se sent pas bien à proprement parler, mais là ça va mieux. Comme ce soir-là, à l'hôpital, bien qu'il n'en garde qu'un souvenir très nébuleux. « C'est parce que t'étais enfermé que t'as pété les plombs ? »

« T'étais là bas pourquoi ? » 
La voix de Mallory est toujours fluette, mais un peu moins tremblante ; sa petite histoire a l'effet escompté, au moins en partie, et ce constat suffit à faire doucement sourire le baroudeur contre la nuque de son amant qui se contorsionne pour l'interroger du regard. Ses yeux brillent dans le noir, à la lueur des sources de lumière éparses entre les nuages de l'extérieur. C'est infime, mais les yeux de Mallory sont si grands que dans la pénombre, tout peut s'y refléter. Le phénomène, amplifié par les larmes qui brillent toujours dans ses prunelles, est un petit peu hypnotisant. 
« J'ai eu la bonne idée d'acheter de la weed à un membre du réseau qui a balancé quelque chose à la police pendant que les flics passaient dans le quartier et... pfff c'est une longue histoire, rigole-t-il doucement. »
De toute façon, c'est pas vraiment pour ces détails-là qu'il a raconté, mais plutôt pour l'exemple de peur totalement irrationnelle qu'il a ressentie à ce moment-là. Si le reste intéresse son amant, il devrait bien trouver le temps de lui raconter en détail, entre deux parties de jambes en l'air et deux séances de sport à l'extérieur. « C'est parce que t'étais enfermé que t'as pété les plombs ? 
– Oui, répond-il franchement, avec une petite grimace. Et la perspective d'être vraiment mis en prison. J'aime déjà pas dormir sous un toit alors t'imagines derrière des barreaux ? »
Non, il ne vaut mieux pas, et d'ailleurs cette simple perspective le fait frissonner désagréablement, alors il enroule son deuxième bras autour de Mallory, instinctivement. « Le petit flic qui s'occupait de moi avait pas de mauvaise intention mais jusqu'à ce qu'il me dise que la suite de la collaboration pour retrouver le dealer impliquait plus que je reste enfermé dans ce putain de commico, j'étais vraiment, vraiment pas tranquille. »
Et c'est peu de le dire ; la deuxième nuit de garde-à-vue, il a bien cru qu'il allait dégommer les murs et d'ailleurs il ne sait pas vraiment où il a trouvé la force de se calmer avant de se blesser tout seul comme un couillon. « Maintenant je passe directement par Shade pour la weed, au moins avec elle, c'est safe. »

Il était là-bas pour une histoire de weed, alors. Les flics sont vraiment débiles quand ils s'y mettent, songe Mallory sans le dire, pourtant, un peu trop à l'affut du bruit dehors. Les énormes gouttes de pluie martèlent violemment le toit en métal, le bruit est infernal. Cet orage est si violent qu'il en secoue légèrement les murs, sous les rafales de vent qui le font se recroqueviller un peu plus fort contre le corps de son amant, non sans écouter son petit récit. Est-ce que c'est de ça qu'il a eu peur ? De passer vingt quatre heures dans une cellule, enfermé, prisonnier ? « Oui. » Quelque part, Mallory avait déjà la réponse à cette question. Un esprit comme celui du garçon qui le tient ne supportera jamais ni chaînes ni attaches, et c'est exactement pour cette raison qu'ils n'ont jamais rien eu à faire ensemble. Mallory demande trop de choses. Trop d'attention, il ne pourra pas passer toute sa vie à battre la campagne. Un jour, il devra s'arrêter, et il sait que ce ne sera jamais compatible avec le train de vie de cet homme-là. Pourtant, il n'a jamais arrêté d'espérer. « Et la perspective d'être vraiment mis en prison. J'aime déjà pas dormir sous un toit alors t'imagines derrière des barreaux ?
– Non, souffle-t-il doucement en secouant la tête, j'crois que je préfère pas imaginer. » Ismaël n'y survivrait tout simplement pas. Cette peur-là, elle entre en contradiction à ses besoins les plus primaires, rien à voir avec la sienne, en fait. Celle de l'orage n'est qu'une terreur d'enfant, qui prend bien garde à ne jamais avoir un pied en dehors de la couette de peur de se le faire dévorer par le monstre sous son lit.

Le seul problème, c'est que là où les autres imaginaient la bête visqueuse tapie sous leurs lattes, lui le voyait. Souvent.

« Le petit flic qui s'occupait de moi avait pas de mauvaise intention mais jusqu'à ce qu'il me dise que la suite de la collaboration pour retrouver le dealer impliquait plus que je reste enfermé dans ce putain de commico, j'étais vraiment, vraiment pas tranquille. » Combien de temps il est resté ? Vingt quatre heures ? Quarante huit ? Il ne sait plus, Mallory. Il sait simplement qu'il n'a aucun mal à imaginer la peur qu'il a ressentie, Isma, en sentant le fer se refermer autour de ses poignets et de sa liberté. « Maintenant je passe directement par Shade pour la weed, au moins avec elle, c'est safe. » Le champion hoche doucement la tête, avant de la reposer contre une épaule solide, droite. « J'ai toujours trouvé que t'avais l'air d'un oiseau, lâche-t-il sans vraiment réfléchir, tant la peur l'empêche d'être prudent. » Quand il sent l'ébauche d'un petit rire secouer la poitrine du johtien, il lève à peine le nez, là, dans son cou, en essayant de ne plus entendre le martèlement de la pluie. « Pas un vrai, crétin. Mais c'était tout comme. T'as jamais rêvé que tu volais ? »

Il s'est toujours dit qu'Ismaël devait rêver à cela au moins deux fois par nuits. De longues ailes écarlates comme celles d'un Flambusard ou bien cotonneuses comme un Altaria, la seule différence était la force de ses battements, mais pas dans sa signification. « Tu te souviens du conte d'Icare ? demande-t-il en fermant doucement les yeux, bercé par les battements de son coeur. Ça m'est souvent arrivé de t'imaginer avec de grandes ailes. Des grandes plumes de Guériaigle. Ça me faisait penser à toi, quand je le lisais. » Il a une façon si enfantine d'aimer, Mallory. Son coeur qui s'accélère, ces pensées stupides, niaises, et cette adoration profonde qui revient dans ses yeux à chaque fois qu'il le regarde un peu trop longtemps. Son amour d'adolescent n'a jamais été terni par la maladie. Le seul sentiment qu'il ait jamais été capable de conserver intact. « J'ai toujours voulu t'en piquer un peu, de cette liberté-là, je crois bien. Au moins autant que j'espérais que tu la perdes jamais. »

« J'ai toujours trouvé que t'avais l'air d'un oiseau. » 
La réponse de son amant surprend largement Ismaël qui, s'il comprend immédiatement que cette réflexion n'est pas à prendre au sens propre, n'en entend pas moins sa propre réplique résonner dans sa tête : j'ai vraiment l'air d'un Poichigeon ? Quand bien même se mettre à ricaner tout seul à l'entente de ces sons imaginaires serait particulièrement stupide et puéril, il ne peut pas vraiment s'en empêcher et sent aussitôt le visage de Mallory se redresser contre son cou pour protester. « Pas un vrai, crétin. Mais c'était tout comme. T'as jamais rêvé que tu volais ? »
C'est une bonne question, songe le baroudeur en retrouvant son sérieux. Spontanément, il aurait tendance à dire que non, parce qu'il ne se rappelle des images oniriques qui peuplent son sommeil que lorsque celles-ci le réveillent brutalement au milieu de la nuit, le coeur battant à tout rompre et la panique au ventre. Autant dire que voler au-dessus d'un paysage étendu à perte de vue par-delà les nuages, porté par le vent et libre de toute attache ne provoquerait pas exactement ce genre de réaction alors... il ne s'en rappelle pas. Mais quelque part, ça ferait sens ; s'il a rêvé d'un bonheur pareil étant enfant, ça pourrait expliquer son envie de grimper le plus haut possible sur les immeubles de Myrtha. Ce dont il se rappelle, c'est que s'il a fait ça pour la première fois, c'était dans le but de toucher les nuages. C'est en tout cas ce qu'il a dit à sa mère pour se justifier quand il s'est fait engueuler ; ça ne venait sans doute pas de nulle part. « Tu te souviens du conte d'Icare ? lui demande Mallory, lui faisant aussitôt froncer les sourcils. »
Oui, il se rappelle, et il déteste cette histoire. Elle l'horrifiait, quand il était petit. « Ça m'est souvent arrivé de t'imaginer avec de grandes ailes. Des grandes plumes de Guériaigle. Ça me faisait penser à toi, quand je le lisais. » 
Un fin sourire éclaire timidement les lèvres du baroudeur, quand il entend ces mots. La pensée qui les suit, il ne l'explique et ne la note même pas vraiment tant elle est simple et spontanée. Tu as tout compris. « J'ai toujours voulu t'en piquer un peu, de cette liberté-là, je crois bien. Au moins autant que j'espérais que tu la perdes jamais. 
– Icare ne finit pas très bien, dans le conte, dit-il doucement en étirant sa nuque pour poser son nez au creux du cou d'un Mallory toujours recroquevillé dans ses bras. Mais j'ai trouvé un autre moyen de voler en prenant un peu moins de risques que lui. Je te montrerai un jour, je sais que t'en seras capable aussi. »
Un baiser déposé longuement sur la joue du champion avorte toute éventuelle protestation. Il est sûr de lui, et autoriser une contradiction ne ferait que gâcher la surprise. « Ça va mieux ? »

« Icare ne finit pas très bien, dans le conte. » Non, effectivement, mais ça n'a jamais été pour cette raison que l'histoire de cet homme volant au-dessus des nuages lui évoquait le jeune homme qui le serre contre lui, dont le souffle régulier et tranquille se dépose contre la peau fine de sa gorge. C'était pour tout le reste ; deux yeux brillants de curiosité, une étrange volonté de dépasser sa condition de simple humain, devenir plus, autrement. Voler, c'est s'assurer qu'on trouvera toujours un point de fuite, et peu importe l'origine de l'attaque, savoir qu'on pourra toujours aller dans le ciel pour parcourir les kilomètres que de simples jambes rendent trop longs à parcourir. Ismaël avale la terre sous ses semelles au moins autant qu'il aurait envie de dévorer le ciel, et cette simple pensée le détend enfin, en lui arrachant le plus curieux du panel maigrelet de ses sourires. Son corps recroquevillé contre celui, solide et protecteur, du garçon dont il n'osait plus espérer rêver, trouve enfin un refuge dans le filet chaud et simple d'une expiration douce contre son cou. Il se sent bien. Etrangement à sa place, quand bien même sait-il depuis toujours qu'il n'a jamais été en mesure de la revendiquer.

« Mais j'ai trouvé un autre moyen de voler en prenant un peu moins de risques que lui. Je te montrerai un jour, je sais que t'en seras capable aussi. » Oh, aucun risque qu'il arrive à quoi que ce soit en fait ; qu'il essaie de lui faire faire du sport s'il en a envie le baroudeur, Mallory connait déjà la finalité de toutes ces tentatives. Il n'a jamais eu la force physique pour faire moins de la moitié de ce que des garçons comme lui ou Oliver faisaient. D'ailleurs il voudrait bien ricaner et le lui dire, mais la douceur du baiser qui se dépose sur sa joue lui fait aussitôt oublier toute phrase qu'il aurait éventuellement pu dire. Rasséréné, presque bercé par la douceur d'une étreinte inespérée, Mallory oublie aussitôt toute idée de se plaindre ou de protester. Seulement à poser doucement les mains sur son t-shirt pour oublier tout le reste, et ne se consacrer qu'à ce qui lui fait plus de bien que toutes les thérapies du monde entier.

« Ça va mieux ? » Lentement, le jeune homme hoche la tête. Oui, et même s'il s'efforce de ne pas écouter le grondement d'un orage qui s'éloigne doucement, il relève le nez, effleure doucement et sans le vouloir celui du johtien qui le tient encore contre lui. « Merci. » Peut-être qu'il les prononce un peu trop ces mots-là, mais tant pis. Il est plus sincère que jamais quand il le regarde et que son front se dépose lentement contre un autre, avec cette précaution habituelle de quelqu'un qui ne connait plus l'emplacement des limites invisibles, et qui tente de les franchir bien malgré lui. « Reste dormir à la maison ce soir, implore-t-il presque alors, quand il se rend compte que ce moment va bien devoir s'arrêter, qu'Ismaël va repartir pour Enoville et qu'il n'a pas la moindre idée de quand ils vont se revoir. » A chaque fois, la peur est un peu comme une torpille en plein ventre, elle le déchire d'angoisse. Et si la prochaine fois il lui écrivait et recevait une réponse au moins aussi sèche que celle qu'il a dû essuyer à Nathalia ? « Je t'embêterai pas, on se couchera tôt et tu te lèveras tôt aussi, mais. » Mais il aimerait être plus. Tellement plus, il se jetterait à plat ventre à ses pieds contre cette garantie. « S'il te plaît. »

En posant la question, Ismaël connaît déjà la réponse. Mallory est si serré contre lui qu'il peut sentir les battements de son coeur suivre le sien, bien plus calmement que tout à l'heure ; son souffle est plus léger et ses muscles relâchés. Ça va mieux, et le hochement de tête du garçon le lui confirme. « Merci. » 
Il n'y a pas de quoi, mais il ne le dit pas ; une fois de plus, il n'a pas envie d'entendre le garçon protester, alors il se contente de le garder contre lui et de sourire doucement au contact d'un front déposé en douceur contre le sien. Le remercier pour ça n'a aucun sens, il n'a rien fait de particulier de toute façon. « Reste dormir à la maison ce soir. » 
Cette fois, la détresse qu'il entend dans la voix du chanteur, il ne l'a absolument pas vue venir et la demande le surprend tant qu'il en cligne plusieurs des yeux comme un Magicarpe stupide. « Je t'embêterai pas, on se couchera tôt et tu te lèveras tôt aussi, mais. » 
Mais pourquoi est-ce qu'il a l'air aussi paniqué tout à coup ? L'orage s'éloigne doucement, alors... c'est la perspective de le voir partir qui le met dans cet état ? « S'il te plaît. »
C'est probablement ça, et Ismaël ne sait pas vraiment quoi faire de ce constat. Il devrait sans doute s'éloigner, le repousser maintenant, lui dire que non, il a prévu de rentrer, il rentre, c'est comme ça, parce que Mallory ne doit pas se faire d'idées, parce que tout ça c'est rien, qu'ils ne sont pas ensemble et qu'ils ne le seront jamais donc que rester une nuit de plus ne serait ni raisonnable pour son boulot, ni bien pour eux. C'est sans doute ce qu'il dirait, d'ailleurs, si ses pensées lui traversaient seulement l'esprit. « Il va falloir m'expliquer comment on installe une alarme sur le Motismart, répond-il simplement, un sourire aux lèvres alors qu'il glisse une main sur la joue de son amant. Et si quelqu'un porte plainte parce que j'arbitre mal un combat demain matin, c'est toi qui iras en prison. »
Voilà, et ce n'est pas négociable, décrète-t-il en relâchant son amant pour qu'ils puissent se relever maintenant que le son de la pluie se dissipe. C'était de l'averse expresse ; à l'évidence, cet orage n'avait vraiment rien de naturel. « À moins que tu veuilles venir avec moi à Enoville ce soir. Comme ça si t'as rien de prévu demain on peut glander l'après-midi, je bosse seulement le matin. »

C'est le moment de le repousser, si Ismaël doit le faire. Gentiment ou non peu importe, mais il n'y aura plus le moindre retour en arrière après cette décision ; il le sait au fond de lui, Mallory, qu'il se tient devant un instant charnière gravé dans les yeux bruns de son amant, seul et unique dépositaire de ce qui sera, ensuite, cette relation qui n'en a jamais vraiment été une. Il n'avait jamais été prévu que le baroudeur vienne le voir à l'hôpital, ils n'auraient jamais dû se revoir après Nathalia. C'était ça qui était prévu à la base, et Mallory aurait sûrement commencé son long travail de deuil d'un espoir fané et détruit si le sourire du johtien n'était pas venu éclairer la nuit brumeuse dans laquelle sa détresse avait fini par l'enfermer ce jour-là, le premier où il est venu lui apporter son Pokémon dans sa chambre d'hôpital. Ensuite, il a fallu le revoir avec toutes ces questions empoisonnant un esprit qui n'avait pas besoin de plus d'interrogations et de doutes que ceux qui étaient déjà là ; maintenant, il a peur, Mallory. Il a peur de les perdre, ces étreintes, il a peur de ne plus jamais le revoir.

Ses humeurs changeantes seront difficiles à appréhender pour le baroudeur qui le regarde sans comprendre, d'abord, bien incapable de saisir au finfond de ses yeux d'encre toutes les subtilités de ces choses qui l'effraient, de ces décisions qu'il doit prendre. Sauf qu'il l'aime, Mallory, il aime ce mec à en crever et cette douce ouverture qu'Ismaël lui a laissé ces dernières semaines a enfin ravivé l'espoir fou qu'il entretenait, à quinze ans, quand ce garçon n'avait pas encore la main nouée dans celle de son meilleur ami. Il lui semble que cette décennie n'est pas passée quand il le regarde, que c'est ce qui aurait dû arriver beaucoup plus tôt s'il avait trouvé le courage de lui avouer qu'il aurait été prêt à suivre la marque de ses pas jusque dans les gouffres les plus profonds, ou les sommets les plus hauts. Il n'a jamais pu le faire. Maintenant, et d'un simple regard, il le fait.

« Il va falloir m'expliquer comment on installe une alarme sur le Motismart. » Cet incroyable frisson de soulagement lui donne au moins autant froid que chaud, quand la paume de son amant se dépose sur sa joue et qu'il songe, alors, qu'un éclair pourrait bien le traverser de part en part qu'il n'en aurait plus rien à foutre, maintenant. C'est toi que je veux. Peu importe le temps que ça prendra, c'est toi que j'aurai. « Et si quelqu'un porte plainte parce que j'arbitre mal un combat demain matin, c'est toi qui iras en prison. » Tant pis, il ira. A-t-il seulement idée de ce qu'il serait prêt à faire pour un regard comme celui-là ? « À moins que tu veuilles venir avec moi à Enoville ce soir. Comme ça si t'as rien de prévu demain on peut glander l'après-midi, je bosse seulement le matin. »

Il est complètement idiot, le sourire peut-être un peu trop grand et un peu larmoyant du jeune homme qui peine à croire ce qu'il entend. Isma est là depuis la veille, et demain quand il ouvrira les yeux, ce sera de nouveau dans la chaleur de ses bras ; même dans ses rêves les plus enfouis, il n'a jamais osé le vouloir, Mallory. Alors il hoche la tête, comme un imbécile, comme un ado, résistant pourtant à l'envie de se jeter sur sa bouche pour ne plus le lâcher. Au lieu de cela, il se redresse, maintenant que la pluie s'est arrêtée. « Oui, je peux venir avec toi. » Il va se rouler dans ses draps demain matin, ce sera sûrement le paradis, hein ? Ce paradis dont il a été si violemment chassé la dernière fois. Qu'a-t-il fait pour que ça change ? J'm'en branle. « Je bosse le lendemain mais je peux venir, et, enfin, faut pas que ça te dérange, mais... » Mais rien, il va venir chez lui et il aura le droit de rester. Est-ce que tu vois toujours d'autres personnes ? Il a peur de la réponse, mais c'est trop tard ; la limite est déjà franchie. « Enfin t'avais peut-être d'autres projets pour demain soir, je partirai quand tu me le diras. »

Est-ce que Mallory a envie de revenir chez lui ? Ce serait le plus simple, et à vrai dire ça l'arrangerait mais il ne va pas pinailler ; ça ne le dérange pas de se lever tôt, sauf que dans ce cas il ne faut pas tarder à rentrer. Sauf que le chanteur n'a pas du tout l'intention de dire non, hein ? Il sourit de toutes ses dents, les yeux brillants, et son expression purement et joyeusement ébahie arrache à Ismaël un sourire parfaitement attendri. « Oui, je peux venir avec toi. » 
Super, comme ça ils pourront veiller un peu ce soir et plus profiter de la soirée ; à bien y réfléchir ça l'aurait un peu emmerdé lui-aussi de repartir tout à l'heure sur un au revoir et à un de ces quatre. « Je bosse le lendemain mais je peux venir, et, enfin, faut pas que ça te dérange, mais... » 
Alors qu'il récupère son vélo, Isma tourne un oeil un peu surpris vers son amant ; pourquoi il hésite, tout à coup ? « Enfin t'avais peut-être d'autres projets pour demain soir, je partirai quand tu me le diras. 
– Euh, j'sais pas, j'me demande si Eva m'avait pas fait comprendre que tout le monde était plus ou moins à la maison demain soir, ça doit vouloir dire que si j'veux faire semblant de faire encore partie de la famille ce serait bien que j'y sois aussi, dit-il, le ton un peu plus raide, parce que parler des siens, c'est toujours un peu compliqué. Du coup ce qu'on peut faire c'est rentrer à Castlerain tous les deux demain en soirée et se retrouver après le repas, si t'es partant. »
Non pas qu'il ne pourrait pas dormir chez ses parents ce soir-là mais il admet bien volontiers que la perspective de passer la nuit avec Mallory est bien plus séduisante que sa seconde option. « Et puis si jamais c'est pas ça bah t'auras qu'à rester à Enoville demain soir si tu veux, comme ça on avise en fonction de... des décisions de madame Esperanza. Désolé de t'imposer ça. »

« Euh, j'sais pas, j'me demande si Eva m'avait pas fait comprendre que tout le monde était plus ou moins à la maison demain soir, ça doit vouloir dire que si j'veux faire semblant de faire encore partie de la famille ce serait bien que j'y sois aussi. » C'est vrai que Mallory n'a pas demandé à Ismaël comment s'étaient passées les retrouvailles avec la tribu Esperanza. Il connait Eva Mallory, certes pas aussi bien qu'Oliver, mais il sait que cette fille a un horrible caractère ; pas étonnant, alors, qu'elle ait tourné le dos à son frère quand il est rentré. Mais maintenant, après toutes ces semaines, ça ne s'est toujours pas arrangé ? Si sa présence est requise, c'est que l'aînée de la famille doit considérer qu'elle fait un effort, au moins, songe-t-il en levant le nez vers lui, calmé maintenant que l'orage s'éloigne, et avec lui le danger.

« Du coup ce qu'on peut faire c'est rentrer à Castlerain tous les deux demain en soirée et se retrouver après le repas, si t'es partant. » Oh oui, Mallory est toujours partant pour le voir, Isma. Et ça veut dire qu'ils ne vont pas se laisser pendant au moins deux nuits supplémentaires, ce qui est plus qu'inespéré au vu de la situation actuelle. Mallory hoche la tête, sourit en dépit de la légère tension qu'il sent dans les gestes du jeune homme. Il aurait pu dormir chez sa famille, mais c'est chez lui qu'il va se réfugier, alors. Soit, ça lui va, il sait déjà à peu près comment il va l'accueillir de toute façon. « Et puis si jamais c'est pas ça bah t'auras qu'à rester à Enoville demain soir si tu veux, comme ça on avise en fonction de... des décisions de madame Esperanza. Désolé de t'imposer ça. 
– T'es en train de me dire que je vais rester deux nuits de plus avec toi et tu crois que tu m'imposes quelque chose ? » ronronne le jeune homme en glissant une main affectueuse dans ses cheveux. « Ça me va très bien. On rentrera à Castlerain demain soir et j'attendrai que tu reviennes. » Il pourrait l'attendre une nuit entière s'il le fallait, de toute façon.

Ils quittent finalement le hangar et enfourchent leurs vélos ; décidant de laisser à Isma le choix de la destination, Mallory le suit tranquillement. « Je pensais que ça s'était un peu arrangé avec ta famille, poursuit-il avec prudence, peu désireux d'agacer le baroudeur. Tes frères et soeurs ont toujours du mal à accepter ton retour ? »

« T'es en train de me dire que je vais rester deux nuits de plus avec toi et tu crois que tu m'imposes quelque chose ? »
Oh bah, on ne sait jamais, songe le jeune homme en souriant au contact d'une main douce dans ses cheveux ; ça ne lui arrive jamais à Mallory, de ne pas avoir envie de le voir ? En tout cas ça n'a pas l'air. « Ça me va très bien. On rentrera à Castlerain demain soir et j'attendrai que tu reviennes. 
– On fera ça. J'enverrai un message à Eva pour savoir ce qu'il en est. » 
Il soupire un peu, en récupérant son vélo ; bien sûr que ça l'emmerde de n'avoir absolument rien le droit de dire au sujet de ses propres disponibilités ou pas, mais qu'est-ce qu'il peut faire d'autre ? Sa famille lui manque, malgré son retour, et s'il a une chance de la retrouver pour de vrai, alors il est prêt à faire tous les efforts qui lui seront demandés, même si ça implique de marcher sur des œufs pendant des mois.
Enfourchant le deux roues, le baroudeur décide de revenir sur leurs pas ; ils ont eu leur lot d'émotions fortes pour la journée et puis, plus vite ils sont de retour à Enoville, et plus longtemps ils pourront rester tranquillement tous les deux ce soir. « Je pensais que ça s'était un peu arrangé avec ta famille, reprend Mallory, d'une voix un peu incertaine. Tes frères et soeurs ont toujours du mal à accepter ton retour ? 
– Ça dépend lesquels, soupire-t-il en réponse, alors qu'ils passent à nouveau devant les maisons dévastées sur lesquelles Ismaël s'efforce de ne pas poser les yeux. Sans surprise, Lazuli est la moins... fâchée, je dirais. J'imagine que Soan pourrait être content de me revoir si j'étais pas dresseur ; monsieur s'est découvert une vocation Pokélover. Pour ce qui est d'Eva et Isaïah, c'est... compliqué. »
Il n'a toujours pas reparlé à son frère de l'odieux chantage qu'il a fait à Mallory, mais il devrait, sans doute, prendre le temps de régler ça. Une entreprise qui lui semble ô combien périlleuse en considérant que faire un reproche à son cadet est à peu près aussi risqué que de désamorcer une bombe sans matériel et avec les mains attachées dans le dos. « Ils veulent pas entendre que ça me paraissait la seule issue, à l'époque. Ça change pas grand chose au fait que je les ai abandonnés donc je peux pas vraiment leur jeter la pierre. Ça va finir par se tasser. J'espère. »

«  Ça dépend lesquels. » Ouais, et il a une assez bonne idée de qui dans la fratrie a le  plus de mal avec le retour du baroudeur, songe Mallory sans répondre, un peu attristé par l'air soudainement contrit du jeune homme qui décide de prendre  le chemin du retour. Le temps de prendre le taxi jusqu'à Enoville, ils risquent d'arriver plutôt tard en ville. « Sans surprise, Lazuli est la moins... fâchée, je dirais. J'imagine que Soan pourrait être content de me revoir si j'étais pas dresseur ; monsieur s'est découvert une vocation Pokélover. Pour ce qui est d'Eva et Isaïah, c'est... compliqué. » Il ne savait pas, pour Soan. Mallory n'a que très peu fréquenté cette famille, seulement dans les débuts quand il accompagnait Oliver dans l'espoir de passer un moment avec Isma ; ensuite, quand les choses sont devenues plus difficiles par sa faute, il n'est jamais revenu, et il se doute assez bien qu'il ne sera pas le bienvenu. Tant pis, de toute manière ce n'est pas comme s'il avait très envie de parler de la pluie et du beau temps avec ce sale petit con d'Isaïah quant à Eva, il n'a  jamais rien eu de bien intéressant à lui raconter.  

« Ils veulent pas entendre que ça me paraissait la seule issue, à l'époque. Ça change pas grand chose au fait que je les ai abandonnés donc je peux pas vraiment leur jeter la pierre. Ça va finir par se tasser. J'espère.
– J'imagine que c'est un peu compliqué de prendre ce genre de choses en considération quand on a le sentiment de ne plus compter pour la personne qui s'en va, répond le jeune homme sans bien réfléchir, avant de se rattraper aussitôt quand il comprend qu'il ne va pas du tout dans le sens du johtien, là. Enfin, je veux dire. C'est parce que je suis un peu de l'autre côté de la barrière pour ce genre de cas. » Il s'emmêle encore les pinceaux, hein ? Quel con. Il prend quelques secondes, puis enchaîne, le regard un peu fuyant maintenant. « Je sais pas comment je réagirais, si ma mère décidait de revenir maintenant, tu vois ? C'est ça que je veux dire. » Et lui il est malade, donc ce n'est pas un très bon exemple mais passons. « Ça finira bien par se tasser. Si ta soeur veut que tu sois là ça doit être une façon un peu maladroite d'essayer de te réintégrer, enfin, je suppose. » Et Isaïah ? Curieusement, il n'a absolument aucune envie d'en parler.

« J'imagine que c'est un peu compliqué de prendre ce genre de choses en considération quand on a le sentiment de ne plus compter pour la personne qui s'en va. »
Isma ne s'attendait absolument pas à cette réponse alors peut-être qu'il se raidit un peu sur son vélo ; peut-être aussi que le regard étonné qu'il jette à Mallory est un peu plus venimeux qu'il ne le voulait. C'est quoi le sous-entendu, là ? « Enfin, je veux dire. C'est parce que je suis un peu de l'autre côté de la barrière pour ce genre de cas. » 
Hein ? Mais de quoi il parle ? Maintenant, le baroudeur n'arrive plus du tout à le suivre, mais l'expression un peu paniquée de Mallory le convainc au moins de ne pas s'exaspérer trop vite : il n'a sûrement pas voulu dire ça ou, en tout cas, pas comme ça. Alors le Johtien prend une discrète inspiration en attendant que son amant s'explique : « Je sais pas comment je réagirais, si ma mère décidait de revenir maintenant, tu vois ? C'est ça que je veux dire. » 
Est-ce que ça lui viendrait à l'esprit de l'envoyer chier, d'être horrible avec elle alors que finalement pendant tout le temps de son absence, il l'a regrettée ? C'est complètement contradictoire comme comportement même si, très vite et sans essayer de considérer le tout en profondeur, ça a l'air assez sensé. Le cerveau humain est vraiment foutu n'importe comment. « Ça finira bien par se tasser. Si ta soeur veut que tu sois là ça doit être une façon un peu maladroite d'essayer de te réintégrer, enfin, je suppose. 
– J'en sais rien, je pense qu'elle essaie surtout d'me faire comprendre que j'ai pas le droit à l'erreur et que si j'escompte récupérer un peu de respect y a certaines choses auxquelles je dois pas couper. J'ai un peu de mal à savoir si ça mène quelque part vu qu'elle m'a dit texto qu'elle savait pas si elle pourrait me pardonner un jour, mais bon... quand on sait ce qu'on veut j'imagine qu'on fait ce qu'il faut pour que ça marche. » 
En tout cas lui il essaie, même si ça cache très probablement la volonté parfaitement égoïste de se préserver de tout éventuel reproche à ce sujet. « Tu pourrais vraiment envoyer chier ta mère si elle revenait ? »

« J'en sais rien, je pense qu'elle essaie surtout d'me faire comprendre que j'ai pas le droit à l'erreur et que si j'escompte récupérer un peu de respect y a certaines choses auxquelles je dois pas couper. J'ai un peu de mal à savoir si ça mène quelque part vu qu'elle m'a dit texto qu'elle savait pas si elle pourrait me pardonner un jour, mais bon... quand on sait ce qu'on veut j'imagine qu'on fait ce qu'il faut pour que ça marche. » Et il veut retrouver sa famille, Ismaël ; c'est tout à son honneur, quand on sait quelle importance ladite famille a eue pour  lui pendant des années. Les Esperanza, c'étaient six enfants qui vivaient sous la houlette d'une grande soeur qui veillait tous sur eux avec affection, et qui savaient prendre soin les uns des autres. Aujourd'hui, et au vu de la manière dont le johtien en parle, il semble à Mallory que cela ressemble bien plus à une tentative affreuse de retour à la normale qu'Eva tente d'instaurer en faisant revenir tout le monde à la maison pour une soirée. C'est un peu triste, sans doute ; mais c'est comme ça. Et Isma n'a pas tort, s'il veut sauver les meubles, il va falloir se plier à cette règle.

« Tu pourrais vraiment envoyer chier ta mère si elle revenait ? » Ah. Il ne s'attendait pas vraiment à ça,  Mallory ; la question le fait un peu frémir, tourner la tête, sursauter quand son vélo prend  une pierre parce qu'il n'a pas regardé devant lui. « Euh, commence-t-il maladroitement avant de retrouver son équilibre. Je, je sais pas trop. » Cela dépend des jours. Des heures. De ses humeurs, beaucoup de facteurs entrent en jeu pour cette question. « J'ai toujours eu un peu de mal à faire la part des choses, explique-t-il, après quelques secondes de silence. D'un côté, je sais qu'elle est partie parce qu'elle souffrait trop et qu'elle avait peur de ce qui nous arriverait si elle décidait de s'occuper de moi, alors elle m'a... confié à des gens capables de gérer. Et j'crois que c'était la bonne décision pour elle. » Objectivement en tout cas, et s'il était suffisamment altruiste, ou pas assez humain, il s'arrêterait là. « D'un autre... c'était ma maman, reprend-il, la voix peut-être un peu piteuse. Et c'est pas facile de me dire qu'elle est partie sans se retourner sans imaginer qu'elle en avait rien à foutre de ce que ça pourrait me faire à moi, de perdre mon dernier repère alors que j'avais huit ans et que j'comprenais pas pourquoi je cassais tout quand j'étais en colère. » Et le mot final dans tout ça ? « Alors si elle revenait...  j'en sais rien. Elle m'a pas vu grandir. Je crois que j'aurais rien à dire à une femme qui a renoncé à moi il y a vingt ans, quand bien même le regretterait-elle chaque jour. J'sais pas. J'ai toujours eu peur de me poser la question parce que je sais qu'elle, elle reviendra jamais. »