Mallory a l'air déstabilisé par la question, ce qui surprend Ismaël sans le surprendre ; on ne peut pas dire que cette conversation semblait prendre cette direction mais qui sait, peut-être que la réponse du chanteur l'aidera à y voir plus clair. « Euh, je, je sais pas trop. »
La question est-elle si compliquée que ça, vraiment ? Il aimerait vraiment comprendre ou, à défaut, être en mesure de s'interroger sans que ses réflexions ne soient biaisées par sa propre expérience. Est-ce qu'il aurait considéré que chacun doit être libre de vivre sa vie et d'aller où bon lui semble quand bon lui semble si c'est ce dont il a besoin, si lui-même n'avait pas trouvé son salut dans cette drôle de fuite en avant qui l'a conduit aux quatre coins du monde ? Pourrait-il voir d'autres inconvénients que la rancune laissée derrière-soi si la liberté absolue ne le rendait pas aussi heureux ? 
Alors qu'il se perd dans ses pensées, Mallory semble avoir trouvé ses mots pour reprendre : « J'ai toujours eu un peu de mal à faire la part des choses. D'un côté, je sais qu'elle est partie parce qu'elle souffrait trop et qu'elle avait peur de ce qui nous arriverait si elle décidait de s'occuper de moi, alors elle m'a... confié à des gens capables de gérer. Et j'crois que c'était la bonne décision pour elle. » 
Effectivement. Mais dans le cas d'un enfant abandonné, c'est différent encore. Quelque part, en tombant enceinte, c'est une certaine responsabilité qu'elle a prise et qu'elle n'a finalement pas assumée mais... les circonstances étaient particulières, il faut bien le reconnaître. « D'un autre... c'était ma maman, ajoute le chanteur, plus fébrile soudain. Et c'est pas facile de me dire qu'elle est partie sans se retourner sans imaginer qu'elle en avait rien à foutre de ce que ça pourrait me faire à moi, de perdre mon dernier repère alors que j'avais huit ans et que j'comprenais pas pourquoi je cassais tout quand j'étais en colère. » 
Il aurait fallu quelqu'un pour le contredire à ce sujet quand il était enfant, alors ; est-ce que Cassandre savait ce qu'il imaginait, est-ce qu'elle a fait ce qu'il fallait ? Connaissant la femme Porter, sûrement. Mais le cas de Mallory est particulier ; sa schizophrénie ne l'a probablement pas aidé à ne pas s'imaginer le pire, bien qu'il ne sache pas vraiment comment ça se passe pour le champion, il est difficile d'envisager que ces voix dont il parle parfois aient été bienveillantes à ce moment-là. « Alors si elle revenait...  j'en sais rien. Elle m'a pas vu grandir. Je crois que j'aurais rien à dire à une femme qui a renoncé à moi il y a vingt ans, quand bien même le regretterait-elle chaque jour. J'sais pas. J'ai toujours eu peur de me poser la question parce que je sais qu'elle, elle reviendra jamais. »
Il faut avouer que dans ce genre de cas, s'interroger sur une réaction à une situation qui ne se produira jamais a des intérêts limités, songe le baroudeur en soupirant. Et d'un autre côté, sa famille a sans doute imaginé que lui non-plus ne reviendrait pas, et pourtant. S'arrêter aux conséquences sans envisager les causes ressemble à une connerie mais il est bien souvent difficile d'aller à l'encontre de sentiments aussi redoutables que la trahison qu'un abandon pareil représente, suppose-t-il. « T'en es certain ? demande-t-il doucement, curieux, mais soucieux aussi de ne pas trop s'aventurer sur un sujet qui pourrait être douloureux. T'as aucune idée de ce qu'elle est devenue, après son... départ ? »

Mallory a passé beaucoup de temps à se demander si cette grande femme brune, toute mince et dont le regard hanté semblait hésiter le jour de leur dernière promenade serait capable de revenir sur sa décision, un jour. Si elle finirait par trouver la force de revenir le chercher pour prendre soin de lui ; parce qu'elle l'aimait, ça il le sait, quand il va bien il le sait. Il se souvient de caresses aériennes dans ses cheveux, d'un regard sombre et inquiet braqué sur lui, d'une voix que la cigarette et les années avait fini par rendre rauque, affectueuse tout de même. Cette voix, combien de fois l'a-t-il entendue, dans son sommeil ou non ? Il lui arrive parfois de la distinguer au milieu des autres, et elle ne dit jamais les bonnes choses. T'étais un poids, pour moi. J'aimais plus ton père que toi. Sans lui j'ai pas besoin de toi. Et s'il a toujours écouté Cassandre au sujet de cette femme, pour ne pas lui en vouloir plus que nécessaire, parfois c'est beaucoup trop dur. Alors oui, cette question est difficile, tout comme il est difficile de ne pas comprendre quel genre de rancoeur anime les sentiments comme ceux que l'aînée Esperanza peut ressentir vis à vis de son amant.

« T'en es certain ? » Qu'elle ne reviendra pas ? Oui. Après vingt ans, on finit par se faire une raison, songe Mallory en croisant un regard curieux, très doux aussi, précautionneux. Rien à voir avec ces premiers jours où ça lui était bien égal à Isma, de lui faire du mal. Aujourd'hui, il compte. « T'as aucune idée de ce qu'elle est devenue, après son... départ ?
– Non, je sais pas, répond Mallory en soupirant. Quand j'étais gosse j'ai pas mal demandé à Cassie, mais elle m'a répondu qu'elle était partie ailleurs, sûrement dans une autre région. Elle est peut-être rentrée à Hoenn, pour ce que j'en sais. » Et au bout d'un moment, il a bien fallu arrêter de l'attendre. Et c'est peut-être un peu pour ça, qu'il a peur de retourner là-bas. « Je sais qu'elle reviendra pas, elle serait déjà revenue, sinon. Et même si elle revenait, qu'est-ce que tu crois que j'vais pouvoir dire à quelqu'un qui m'a même pas envoyé une lettre ? » Il hausse les épaules. « Elle m'a effacé de sa vie, je l'ai effacée de la mienne. C'est mieux comme ça. Et si elle revenait, j'sais pas si je l'accepterais, mais j'sais au moins que ça me ferait très mal. »

« Non, je sais pas. Quand j'étais gosse j'ai pas mal demandé à Cassie, mais elle m'a répondu qu'elle était partie ailleurs, sûrement dans une autre région. Elle est peut-être rentrée à Hoenn, pour ce que j'en sais. »
Peut-être que Cassandre en sait plus que ce qu'elle a bien voulu dire à un petit garçon de huit ans qui pleurait parce que sa maman était partie ailleurs sans lui. Si un jour Mallory a envie d'essayer de la retrouver, il faudra essayer de cuisiner la matriarche Porter, mais ça n'a pas l'air d'être au menu pour l'instant. « Je sais qu'elle reviendra pas, elle serait déjà revenue, sinon. Et même si elle revenait, qu'est-ce que tu crois que j'vais pouvoir dire à quelqu'un qui m'a même pas envoyé une lettre ? »
Grimace. Lui non-plus, n'a pas écrit, en dix ans. Et même si la situation n'est pas la même, il ne peut pas vraiment les empêcher, ces parallèles qui ancrent un peu plus solidement la culpabilité au fond de son coeur. « Elle m'a effacé de sa vie, je l'ai effacée de la mienne. C'est mieux comme ça. Et si elle revenait, j'sais pas si je l'accepterais, mais j'sais au moins que ça me ferait très mal.
– Dans ce cas c'est peut-être mieux qu'elle ne revienne simplement pas, effectivement, répond-il du bout des lèvres, la voix un peu rauque. »
Il aurait aimé ajouter quelque chose, mais les réflexions qui suivent ce constat ne lui en donnent pas vraiment l'occasion. À quel point il a eu tort, de redébarquer sans prévenir dans sa vie d'avant, et en ayant le culot de s'imaginer que ça avait une chance de bien se passer ? Il soupire, et secoue la tête en esquivant un Chacripan qui passait à toute vitesse sur le chemin. Ceyx, toujours là, pousse un petit cri probablement injurieux en direction du malotrus, mais Isma l'ignore, perdu dans ses pensées. « C'est sans doute le genre de conversations qu'on aurait dû avoir plus tôt, tous les deux. Au moins on serait pas emmerdés par mes obligations familiales, bougonne-t-il en essayant, sans grand succès, d'alléger son ton. »

« Dans ce cas c'est peut-être mieux qu'elle ne revienne simplement pas, effectivement. » Ouais, Mallory a fini par en arriver à la même conclusion, au final. Pensif et silencieux, le jeune homme ne répond pas tout de suite ; le sujet de sa mère a toujours été épineux et compliqué, il a été difficile pour Mallory d'apprendre à faire la part des choses sans osciller entre le profond chagrin et la colère. Pas une lettre rien, que pouvait-il espérer au final ? Et puis, ce n'était pas vraiment le sujet, quelque part, songe-t-il en jetant un bref coup d'oeil en direction d'un Isma qui n'a pas l'air de très bien comprendre ce qui lui arrive, tout de suite. Ces questions, se les est-il posées quand il a rejoint sa famille ? A-t-il envisagé le cas de figure où il était chassé par sa soeur aînée ? Quand il soupire, Mallory comprend que non, ou en tout cas qu'il a fait un très joli déni de la situation. C'est triste, mais quelque part, peut-être que s'il avait pris ce cas de figure en compte, il n'aurait pas été les voir. Il ne serait peut-être même jamais revenu.

« C'est sans doute le genre de conversations qu'on aurait dû avoir plus tôt, tous les deux. Au moins on serait pas emmerdés par mes obligations familiales. » Vraiment ? Non, il a un peu de mal à croire ça ; parce qu'Isma a eu des rapports avec sa famille que lui n'a jamais vraiment connu. « Dis pas de conneries, répond-il alors avec un petit sourire, songeant que décidément cette promenade est moins épuisante que ce qu'il croyait. Tu tiens plus à ta famille que moi à la mienne, on avait pas le même âge. Y'a des choses qui se ressemblent et pas d'autres, tu serais pas resté à Lathea si tu te disais pas que t'avais un truc à arranger avec eux et que c'était possible, si ? » Qui l'attendait ici ? Oliver ? Non, il ne serait pas resté pour lui. Mallory, lui, n'a jamais eu de place dans ce genre de balance. Pourtant, ça ne l'empêche pas de sourire doucement. « J'aime autant être emmerdé par tes obligations familiales que te voir repartir battre la campagne, tout est question de point de vue. »

« Dis pas de conneries, lui répond Mallory alors qu'il songe que décidément, cette balade est beaucoup plus épuisante que prévu. Tu tiens plus à ta famille que moi à la mienne, on avait pas le même âge. Y'a des choses qui se ressemblent et pas d'autres, tu serais pas rentré à Lathea si tu te disais  pas que t'avais un truc à arranger avec eux et que c'était  possible, si ?
– J'en sais rien, avoue-t-il en soupirant. »
Sauf qu'entre ce qu'il se disait et ce qui est, apparemment il y a un gouffre et pas un petit, mais bon. Peu importe, ce qui est fait est fait, maintenant il n'a plus qu'à se dépatouiller avec le bordel qu'il a foutu en partant, puis en revenant. « J'aime autant être emmerdé par tes obligations familiales que te voir repartir battre la campagne, tout est question de point de vue.
– Bah, on la bat bien la campagne, là, et tu t'en plains pas, répond-il en souriant, retrouvant sa bonne humeur dans l'expression mutine de son amant. Enfin pas encore, demain ce sera pas la même. D'ailleurs on va rentrer, avant que tes muscles ne te donnent envie de m'assassiner demain matin. »
Il rigole, sachant que, de toute façon, il est trop tard, et que son chanteur sera forcément courbaturé comme un fou furieux dès le lendemain, sinon dans la nuit. « Tu couperas pas aux étirements une fois qu'on aura rendu les vélos, d'ailleurs. Et pour ce soir, on prend un bain, et tu bois au moins une bière histoire de limiter la casse. »

« Bah, on la bat bien la campagne, là, et tu t'en plains pas. Enfin pas encore, demain ce sera pas la même. D'ailleurs on va rentrer, avant que tes muscles ne te donnent envie de m'assassiner demain matin. » Bien sûr que non il ne va pas s'en plaindre, ce serait le comble que de râler alors qu'il va passer trois jours avec lui, hein. Ce serait un peu plus problématique si le jeune homme décidait de faire cavalier seul ; s'il décidait de s'en aller, et de laisser derrière lui une nouvelle fois toutes ses maigres attaches, songe Mallory en répondant à son sourire par un autre, d'excellente humeur maintenant. Trois jours, c'était inespéré, et même s'il appréhende déjà par avance le moment où il faudra se quitter, quelque chose lui dit que puisque c'est Isma qui a proposé tout ça, alors il n'a pas trop à s'en faire, hein ? Il verra bien. Mieux vaut rester prudent mais ne pas oublier de profiter de ce qu'il reçoit en échange de ce qu'il est prêt à donner. Et en attendant, autant essayer de ne pas raviver les souvenirs un peu durs, cela vaut mieux pour tout le monde. Quant aux courbatures... ouais, ça aussi il verra au moment venu, de toute façon.

« Tu couperas pas aux étirements une fois qu'on aura rendu les vélos, d'ailleurs. Et pour ce soir, on prend un bain, et tu bois au moins une bière histoire de limiter la casse. » Et voilà, ça y est, il devient relou ; d'ailleurs Mallory lève les yeux au ciel en poussant un long soupir faussement agacé, un petit sourire aux lèvres. « Et voilà, tu commences déjà à parler des trucs chiants. » La bière pourquoi pas mais les étirements ? Il jurerait être revenu à l'école là, ça le gonfle d'avance, songe-t-il en tournant la tête vers le baroudeur qui se fout de sa gueule. « Allez, niqué pour niqué, lance-t-il en préparant ses jambes maigres, déjà prêtes à perdre. On fait la course jusqu'au bout du chemin ? » Dans trente secondes il crache ses poumons et supplie pour que ça s'arrête ; mais il s'élance quand même, curieusement insouciant, heureux tout simplement de terminer cette journée sur une bonne note. L'orage est loin, ils vont rentrer à Enoville ensemble. Il lui semble, alors, que le ciel est plus bleu maintenant que ses rêves d'adolescent prennent une teinte plus réelle, plus concrète, plus possible. Ça aura mis le temps, mais peut-être qu'il mérite ce qu'il est en train de recevoir, au final.