Quand il regarde cet endroit et se souvient de ce qu'il s'y est passé, Oliver ne peut que garder espoir. Et pour cause ; après dix années à vivre dans le silence, meurtri par son absence, il ne peut plus considérer qu'il sera un jour capable de faire sa vie avec quelqu'un d'autre. Il a essayé pourtant, il n'a pas vécu comme un ascète après avoir quitté Lathea ; avec Isma d'abord, et cela aurait peut-être marché si Gaspar n'avait pas été dans sa vie avant. A chaque fois que le batteur y repense, la culpabilité l'écrase. Il a du mal à considérer qu'il a pu faire autant de mal à quelqu'un de façon aussi involontaire. Par pur égoïsme, il s'est accroché pendant quatre ans aux rêves d'un autre sans être capable de voir autre chose que ses propres envies mutilées. Quelque part, il a eu de la chance qu'Ismaël ne soit pas quelqu'un de très rancunier.

Ce qu'on peut être con quand on est adolescent, hein ? C'est la seule chose qu'il peut penser, Oliver, quand il voit le désastre qui a suivi sa première déception amoureuse. Malheureux comme les pierres, enfermé dans sa solitude, il n'a été capable que de vivre et revivre les actes manqués qui l'ont plongé dans la confusion la plus totale. Les explications de sa mère lui ont au moins permis de remettre un certain nombre de choses en perspective ; mais si ? Si Gaspar avait été là au moment de Myrtha, aurait-il été capable de le sortir de l'enfer avant tout le monde, aurait-il su lui dire que cela ne changerait rien à leurs rêves, qu'il suffirait simplement d'attendre un petit peu qu'il se remette avant de partir ? Il a été complètement idiot de croire qu'il ne s'en sortirait jamais. Mais à l'époque, il n'a écouté personne.

Mais si le chanteur avait été à ses côtés ? Ils ont toujours su s'encourager l'un et l'autre, si Gaspar n'était pas revenu dans sa vie il y a une poignée de semaines, Oliver n'aurait jamais caressé l'espoir de faire de ses envies une réalité, bien au contraire. Il aurait simplement regardé de loin les autres dresseurs vivre sa vie à lui par procuration, bien campés sur leurs deux jambes, sans s'apercevoir que réussir ne demandait pas d'être nécessairement dans une santé parfaite. Maintenant qu'il y repense, il se sent idiot. Maintenant qu'il a son premier badge, qu'il a retrouvé l'homme qui n'aurait jamais dû le quitter, il sait qu'il a passé beaucoup trop de temps à être malheureux pour rien. Plus tard, il sera bien incapable d'encaisser le coup de massue qui va lui arriver sur le coin du nez ; mais il n'en est pas encore là. Pour l'instant, il est heureux.

D'ailleurs, il n'a aucune raison de partir tout de suite, alors il s'allonge tranquillement dans l'herbe le batteur, et ferme doucement les yeux. Tout va bien, depuis combien de temps cela ne lui était pas arrivé ? Il reprend même goût aux concerts, ce qui est clairement quelque chose de notable dans son cas. Même la musique commençait à le lasser, il n'a pas composé depuis au moins un an. Maintenant, et même si ses mélodies ne seront jamais au niveau du leader d'Asylum ou de Gaspar, il les sent poindre doucement dans sa tête quand il regarde le ciel, le couvert des quelques arbres de la clairière, qu'il écoute le bruit de la cascade et le coulis doux de l'eau du petit cours près de lui. A ses côtés, Meleys est calme, presque apaisée, elle aussi ; elle regarde autour d'elle, mais n'attaque aucun Pokémon sauvage. Cet endroit est magique.

Ses yeux se ferment doucement, et Oliver est presque convaincu qu'il risque fort de s'endormir, comme ça. Les cheveux devant les yeux, il ne pense à rien ou presque ; seulement à l'avenir radieux qui l'attend malgré sa hanche brisée. Il aurait clairement dû s'en apercevoir plus tôt et le comprendre, mais il n'a pas envie de regretter ces dix ans d'errance pour le moment. La seule chose qui l'intéresse, c'est l'équipe qui va le porter jusqu'à la Ligue. S'il n'est pas certain d'en garder certains, il connait au moins ceux qui l'accompagneront pour chaque arène. Meleys en fait partie bien entendu, Choupette aussi, et Tempête, qui mérite très clairement les lauriers que leur balade dans la forêt leur a permis de récolter. Pour les autres ? Il verra. Il choisira les plus combattifs et les plus obéissants. Ou en tout cas ceux en qui il a une confiance aveugle.

Il manque un certain nombre d'éléments importants à son équipe. Il a toujours rêvé d'avoir un Carchakrok comme sa mère, et un Lugulabre comme son père. C'est sans doute beaucoup plus de la nostalgie que tout autre chose, mais peu importe ; il voudrait un Carapuce, aussi, songe-t-il en ouvrant doucement les yeux, conscient que la nouvelle ne plairait pas du tout à la Reptincel qui regarde paisiblement autour d'elle, suffisamment loin de l'eau pour que sa flamme ne risque rien. Mais tenter la Ligue avec un Tortank, ce serait la classe, non ? De toute manière, il a toujours le même problème que les dresseurs ont ; une équipe de six, ce n'est tout simplement pas suffisant. S'il s'écoutait, il irait partout avec une bonne vingtaine de Pokémon, mais les règles sont les règles ; les combats sont déjà très longs en l'état, alors autant ne pas tenter le diable.

Tant pis, au pire il changera. Il adaptera son équipe pour les arènes, ce que Gaspar ne veut absolument pas faire. Il risque de se casser la gueule, son beau chanteur aux cheveux blonds mais qui sait, une défaite lui permettra peut-être de rebondir plus haut ? C'est en échouant qu'on apprend le plus, de toute manière, et Oliver n'a absolument aucune envie de se battre avec son mec pour une histoire d'équipe qui sera totalement insuffisante face à des dresseurs comme Lazuli ou Angarad. Non pas qu'il soit capable de faire mieux mais il verra bien. Ansiel lui a donné beaucoup de fil à retordre, il appréhende sans doute un peu la suite. Il essaie de ne pas trop penser à ce qu'il se passera quand il sera aux portes du conseil des quatre ; et face au maître, bien sûr, dont l'identité reste pour le moment secrète.

Il fait très beau, aujourd'hui. Une petite brise souffle doucement à travers la clairière, ravivant la flamme sur le bout de la queue de Meleys ; Meleys, qui commence d'ailleurs à s'impatienter, constate-t-il en la voyant remuer, un petit sourire aux lèvres. « Tu veux qu'on continue de marcher ? » demande-t-il, et l'assentiment est vif ; la pause est terminée. Dommage, il aurait bien fumé un petit joint et fait une sieste avant de repartir, lui. Sauf que ce n'est plus lui qui décide pour tout alors il se redresse, aidé par la
grosse tête de sa Reptincel qui lui permet de prendre appui dans son dos pour reprendre sa position assise sans souffrir le martyr. Il étire ses muscles douloureux, songe qu'il devrait vraiment retourner à la salle ; il proposera à Ismaël en rentrant, tiens. C'est pas avec Gasp ou Mallo qu'il va y aller, et la pensée le fait un peu ricaner.