D'accord, il ne pensait pas que les Pokémon pouvaient etre aussi cons que les dresseurs mais apparemment si, songe-t-il en pinçant doucement les lèvres tandis que sa dragonne l'évite très soigneusement du regard. « Hé, c'est bon je suis pas en train de me moquer de toi » croit-il alors bon de préciser, et pour cause ; vu comme Drogon est timide, il n'a aucun mal à se faire le scénario dans sa petite tête ; quelque chose lui dit que Meleys a passé beaucoup de temps à prendre soin de lui. « Tu le protégeais, Drogon ? » Hochement de tête, grognement. « C'est pour ça que ça t'a énervée qu'on vous capture ? » Nouveau grognement. Visiblement, il était temps d'avoir cette discussion avec son Pokémon, au vu de la façon qu'elle a de le regarder. Elle a l'air un peu déboussolée par la gentillesse de son dresseur, tout de suite.

Elle a dû avoir peur que Drogon se fasse embêter, non ? Il ne sait pas, sûrement, parce que qui aurait pris soin de lui sinon elle ? Il a eu la même façon de défendre Mallory au collège après tout, quand ils étaient dans la même classe et qu'il a fallu le préserver des brimades, des moqueries. Il ne peut que comprendre son approche, à Meleys. « Tu sais, Gaspar est vraiment très gentil. » Même si elle doit le savoir maintenant, au vu du temps qu'ils passent ensemble. Elle voit Drogon très souvent, elle sait qu'il va bien, même s'il a encore un peu de mal à s'intégrer à l'équipe de dragons de son amant. « Il ne laissera personne l'embêter, t'as pas à t'inquiéter. Toi tu peux faire ce que tu veux, avec moi. Ça te plait, de combattre ? » Elle réfléchit, grogne. Oui, ça lui plait.

Meleys a beaucoup de caractère, trop de caractère pourraient songer certains en la voyant agresser absolument tout ce qui bouge. Lui considère qu'elle a juste besoin de se dépenser ; la preuve, tout va beaucoup mieux quand elle sort plus. Et quand elle arrête de s'inquiéter pour son petit compagnon que Gaspar a capturé sous son nez, aussi. « Lui aussi il va apprendre, mais si Gasp voit que ça lui plait pas, il prendra peut-être quelqu'un d'autre à sa place dans son équipe et il lui trouvera autre chose, je suppose. » Parce que son amant n'est pas non plus du genre à les forcer à quoi que ce soit; Heureusement, hein ; après tout il est marié à un putain de Pokélover. La pensée, un peu haineuse, est aussitôt chassée. Pas question de se rendre malade avec ça encore une fois. « Et en attendant, nous on va aller jusqu'à la Ligue, tous les deux. »

Meleys ne quittera pas son équipe, et pas seulement parce qu'elle est chromatique. A terme, il commence à songer que si Nox sera sans doute sa meilleure arme que Mallo, il lui trouvera un autre usage ; mais sa dragonne a l'air tout à fait taillée pour le combat, même s'il lui reste beaucoup de choses à apprendre. Oliver se penche pour remplir sa gourde, quand une grosse tête se pose presque doucement sur son épaule. Presque, parce que c'est Meleys, et que Meleys est tout sauf douce, en fait. « Hé ben ? » Demande-t-il gentiment à sa reptincel qui tend ses bras pour les enrouler autour du ventre de son dresseur. Ses écailles sont brûlantes. « Ça te rend triste ? » Contre lui, elle secoue la tête. Non, ça a même l'air de beaucoup lui plaire, cette perspective. Est-ce que c'est de la reconnaissance qui brille dans ses yeux, quand elle lève la tête ?

« Tu sais, pendant longtemps je me suis demandé si tu avais envie d'avoir un dresseur. » Il a même pensé à la relâcher à un moment, quand elle pétait les plombs dans l'appartement et brûlait la moitié du mobilier. Elle avait sans doute juste besoin d'être rassurée ; elle a grand coeur, sa Meleys, quand bien même il serait difficile de s'en apercevoir de prime abord. C'est bien pour cette raison que c'est lui, son dresseur ; tout doucement, en tâtonnant, il apprend à reconnaître certaines mimiques, les nuances de ses grondements et ce qu'expriment ses yeux à chaque fois qu'elle tente de communiquer avec lui. « Mais ça serait dommage. Moi je pourrais t'emmener partout. Ma jambe me dérange plus autant qu'avant. » Ou en tout cas, il a décidé de ne plus en faire autant de cas que par le passé ; ça lui a bien assez bouffé l'existence.

« T'aimerais bien partir en voyage ? » demande-t-il finalement à sa Reptincel, dont le regard s'éveille à la mention de ce simple mot. « J'ai déjà visité pas mal de régions mais j'aimerais bien retourner en voir certaines. J'ai jamais été à Hoenn, tiens. Hoenn, ça pourrait être pas mal. Il y a un volcan géant là bas, on dit que Groudon y est enfermé. » C'est drôle comme Meleys l'écoute attentivement, maintenant. Forcément, on parle de Pokémon qui par le feu a façonné la terre, ça lui parle, hein ? « Ou alors à Johto ? A Rosalia les gens ont aperçu Sulfura... » Et là c'est encore plus impressionnant pour la Reptincel qui quitte ses bras pour se redresser. Il soupire. « L'histoire est pas très drôle. Mais on pourrait peut-être partir à leur recherche, quand on aura fini la ligue. Tu en penses quoi ? »

Elle a l'air tout à fait d'accord avec cette idée ; sa Reptincel regarde même un peu partout dans la clairière, comme si ledit Sulfura allait soudainement apparaître dans un coin du bois, ou au-dessus du cratère. Sauf que ça ne se passe pas du tout comme ça, mais c'est si attendrissant que la pensée arrache un rire au batteur. « Ah, désolé ma grande mais on a juste vu un Célébi shiny, ici » ajoute-t-il en haussant les épaules, avant de ranger soigneusement sa gourde pleine dans son sac, puis fouiller à l'intérieur à la recherche d'un sandwich et du tupperware de baies qu'il avait préparées pour l'après-midi. Tranquille, il en tend une à son Pokémon, puis entreprend de prendre ce qui sera sans doute son seul repas de midi un peu en retard. Il vit un peu n'importe comment en ce moment, Oliver. Mais il s'en fout.

D'ailleurs, quand il tourne la tête, il se rend tout juste compte de son emplacement ; quelques semaines auparavant, c'est là qu'il s'est retrouvé, avec Gaspar. Pour une raison qui lui échappe, c'est lui qui avait demandé cette seconde rencontre, et si son esprit rationnel lui hurlait de ne pas refaire la même connerie qu'avant, il ne peut pas dire qu'il le regrette, maintenant. Ses yeux noirs observent doucement les environs, de l'emplacement de la toile de tente au feu qu'il avait fini par allumer avec l'aide de leurs Pokémon, en passant par l'herbe toute douce sur laquelle ils s'étaient allongés pour regarder les étoiles. Un endroit aussi romantique devait forcément connaître cette conclusion, hein ? Combien sont-ils, les couples qui sont venus ici pour se promettre des choses éternelles tout en y croyant finalement qu'à moitié ? Il n'en sait rien. Mais il peut comprendre.

Quelque part, c'est peut-être un peu aussi pour se dédouaner de ses conneries qu'il a décidé de penser que c'était cet endroit qui les avait réunis à nouveau. Pourtant, quelque chose en son for intérieur lui hurle que le lieu n'a jamais vraiment eu d'importance, vis à vis de Gaspar ; pour une raison qui lui a toujours échappé, le gamin qu'il était a su sans faillir susciter d'abord sa curiosité, puis sa compassion. Il avait eu du courage, le garçon qui, à l'époque, et du haut de ses quinze ans, était monté sur la petite scène dans un bar de Lucinel pour chanter une chanson. S'il avait encore du chemin à faire avant de devenir la star qu'il est maintenant, il faut dire qu'il avait déjà suffisamment de talent pour attirer l'oeil d'un gamin qui en avait au moins tout autant.

A chaque fois qu'il y a repensé ces dix dernières années, Oliver a souri un peu connement. Et pour cause, la première chose dont il se rappelle concernant Gaspar, ce sont les deux yeux verts qui se sont posés sur la tablée quand Mallory a levé une main vers lui pour lui faire signe de venir. T'es pas mauvais, a ensuite dit le jeune chanteur en devenir, et il ne se souvient absolument pas de la suite. Absorbé par ce regard un peu frondeur, un peu timide, un peu défoncé aussi bien qu'il ne s'en soit pas aperçu à l'époque, il a juste écouté ce garçon se présenter, puis s'installer avec eux pour prendre un petit verre. Gaspar Neskov est, ce jour là, devenu ami avec toute la bande. Lui en particulier, et il ne sait pas très bien comment cela a commencé. Pourquoi c'est vers lui que le chanteur s'est tourné, et non un autre.

Peut-être étais-ce sa propension à l'écouter, ou tout simplement le rêve qu'il a lentement injecté dans l'esprit d'un garçon qui n'en avait plus vraiment. Gaspar était, à l'époque, un adolescent timoré et malheureux, qui vivait sous l'ombre menaçante d'un père trop exigeant avec son fils unique et qui n'a jamais cherché qu'à faire de lui un simple façonnat du futur qu'il lui voyait. Qu'importait, alors, ce que voulait l'enfant ; sa vie était prise en otage par la présence écrasante d'une famille qui lui imposait des codes qu'il refusait d'apprendre, et que sa nature même refoulait. Oliver, au milieu de tout cela, vivait dans le modèle opposé ; c'est lui qui lui a appris à faire ce qu'il voulait. Il pense souvent, peut-être avec une pointe d'orgueil, que Gaspar ne serait pas là où il en est s'il n'avait pas été là.

Il ne pense bien sûr pas comme Mallo, il ne se dit pas que Gaspar lui doit tout ; beaucoup moins orgueilleux que son meilleur ami, il se dit simplement que cet homme qui a décidé de faire preuve de courage maintenant, et après dix ans de silence, a été en grande partie façonnée par la douceur de son affection et sa patience. On est loin du garçon qui, à l'époque, sanglotait entre ses bras, dans le silence de sa chambre d'adolescent ; quand il lui disait que ses tentatives ne mèneraient à rien et qu'il ne pourrait jamais s'en aller avec lui, devenir l'homme dont il a toujours rêvé. Aujourd'hui, Oliver est heureux de voir cette énergie nouvelle émaner du chanteur, qui a enfin décidé de ne plus subir sa vie mais simplement de la vivre, de faire ses choix. Bon, il n'a pas encore divorcé, mais c'est un détail. Pas vrai ?