En fait, tout va plutôt bien en ce moment. Si on excepte les multiples questions que l'identité de ce frère disparu génèrent, Oliver n'a pas été aussi serein depuis des années. Auparavant, sa blessure était toujours un excellent prétexte pour justifier son inaction et son manque d'effort, et il ne sait trop par quelle entremise presque miraculeuse Isma a fini par intervenir en lui envoyant la Pokéball de sa petite Mucuscule. S'il aimait profondément les concerts que le groupe donnait un peu partout, il avait toujours cet infâme sentiment d'incomplétude qui venait tâcher les soirées de fête qui jalonnaient leurs voyages. Le pire a sans doute été au moment où ils sont allés à Galar, et où Oliver s'est alors mis en tête d'aller explorer les Terres sauvages ; par quel excès de masochisme à l'époque, il n'en sait absolument rien, mais ça s'est terriblement mal terminé.

Il n'a pas vraiment envie de repenser à cette affreuse journée, où le taxi volant de Galar l'a déposé à l'entrée de la gare pour aller se promener sur les collines. Accompagné d'un Allumette qui n'avait déjà plus la conviction d'aller se balader dehors, sans doute influencé par l'amertume de son dresseur, il n'avait pas réussi à tenir plus de deux heures avant d'appeler les secours, les dents serrées par la douleur. Il peut aujourd'hui constater avec beaucoup de satisfaction qu'il est plus solide qu'avant, et que même si son corps a nettement perdu de ses muscles, il est capable de tenir la cadence beaucoup plus longtemps. Il est paré au pire, ou au moins essaiera-t-il, songe le batteur en souriant quand il entend enfin le grondement désormais familier de la cascade dissimulant l'entrée principale de la Lumiclairière.

Combien de personnes savent ce que dissimule le rideau épais d'eau qui recouvre les rochers protégeant l'entrée de la clairière ? L'odeur de la mousse humide le prend au nez, lui arrache un sourire un peu plus grand. A chaque fois qu'il décide d'entrer ici, il lui semble qu'il perd une vingtaine d'années, qu'il redevient un môme à la recherche d'une cachette secrète aux yeux de tous, dont seul lui détiendrait l'emplacement. Ceux qui auraient l'autorisation de s'y rendre ne pourraient le faire que par un mot de passe ; ces jeux-là, il les a connus, avec Jill et Erèbe puis plus tard, Mallory. Sa main se pose sur la roche trempée, les gouttelettes d'eau froide projetée par la chute d'eau humidifient son blouson de cuir, mais il n'en a pas grand chose à faire, le batteur, quand il s'engouffre dans le passage rocheux.

Il faut quelques minutes pour atteindre le lieu tant attendu, quelques pas un peu hésitants sur la pierre glissante. Il est obligé de bien s'appuyer un peu où il peut le batteur, parce qu'une chute ici ferait sûrement horriblement mal. Sa hanche blessée ne supportera pas beaucoup de chocs, et pas question d'aller encore faire des allers retours à l'hôpital. Mais non, tout se passe bien, car à l'instant où Meleys a pu sentir une légère hésitation de la part de son dresseur, elle s'est appliquée à ajouter, en complément de l'appui que sa canne lui confère, celui de son corps chaud qui se cale contre sa hanche. Reconnaissant et un peu attendri aussi, Oliver la laisse le conduire jusqu'à la lumière qu'il voit briller un peu plus loin, au bout du goulet rocheux ; et quand il finit enfin par retrouver un air un peu plus libre, c'est l'émerveillement.

Comme à chaque fois, c'est un peu comme une claque en plein visage quand Oliver lève doucement le nez pour poser ses yeux noirs sur les hautes silhouettes des arbres centenaires dominant la crevasse qu'est la Lumiclairière. Autour de lui, la végétation a dévoré le cratère naturel qu'il ne sait quoi a formé pour créer cet endroit enchanteur. Est-ce une météorite ? Une bombe volcanique venue d'un supervolcan maintenant éteint ? Ou l'intervention d'un Pokémon légendaire ? Il n'en sait rien. Le cercle que forme la clairière est dominé par la présence de cet étrange autel en son centre, entouré des statuettes de pierre rongées par le lierre et le petit coin de forêt parsemant l'endroit. Il avance à pas feutrés, comme si le moindre mouvement un peu trop brusque était susceptible de faire fuir les Pokémon qui habitent la clairière, et c'est sans doute vrai, d'ailleurs.

Contrairement à ceux de la Lande ou des Grottes Charbi, les Pokémon qui habitent la Lumiclairière n'ont pas du tout l'habitude des humains. S'ils sont majoritairement pacifiques, certains vont même plus loin et s'enfuient aussitôt qu'ils décèlent une présence étrangère dans leur lieu de vie. C'est le cas du Ponyta de Galar qu'il voit s'enfuir d'un galop souple et rapide en direction du bois dans lequel il va aller se cacher, ou du Tarsal qui pousse un petit cri de surprise en croisant la route de son impressionnante Reptincel qui fronce aussitôt les sourcils en le voyant. Plus calme certes, mais pas plus aimable pour autant ; elle vient d'effrayer un Pokémon pourtant suffisamment rare pour être remarqué. En plus, il ferait sûrement plaisir à Mallory, non ? Le chanteur adore les fées, il aime Gardevoir et Oliver le sait. Il était un peu jaloux d'ailleurs, quand il lui a présenté Calypso.

La batteur est un peu en froid avec son meilleur ami en ce moment, ce serait peut-être pas mal de trouver un subtil moyen de les réconcilier un peu ; ce petit Tarsal est plutôt un bon argument, il est sûr que ça lui fera plaisir. D'un geste du menton, il le désigne à Meleys avait que ce dernier ne disparaisse dans un buisson. Pas question de lui faire encore plus peur. « Reste pas trop près, je vais essayer de le capturer, celui-là. » Un grognement désapprobateur retentit ; et le jeune homme de lever les yeux au ciel. « Pas pour moi, pour Mallo. Sois sage. » Puis il libère Calypso, qui regarde autour d'elle et qui aussitôt bondit de joie ; sa propre Tarsal n'a jamais été extrêmement démonstrative, mais elle a l'air très contente de retourner là où elle est née. Il en sourit, Oliver, avant de s'accroupir, bien que difficilement. « Ramène-moi le petit gars qui s'est planqué, là-bas. »

Par chance, Calypso est au moins aussi gentille que peureuse, et c'est avec curiosité et prudence qu'elle s'avance doucement vers le buisson pour attirer le petit Tarsal qui s'approche timidement d'elle. Est-ce que ces deux-là se connaissent ? Il n'a jamais pensé à ça Oliver, il ne s'est jamais demandé si en capturant égoïstement les Pokémon qu'il voulait emmener avec lui, il les arrachait de ce fait à leur éventuelle famille, par exemple, à des amis, des compagnons. La question a fini par se poser lorsque Meleys est arrivée dans sa vie, puisque sa séparation avec Drogon a été affreusement compliquée à gérer. Le jeune homme fait l'effort de se tenir accroupi malgré la douleur que ce simple geste génère ; il faut que les efforts soient faits des deux côtés, après tout. Laissant doucement Calypso se débrouiller avec son congénère, le batteur regarde autour de lui. Tout est toujours aussi beau.

Et envahi par les Dédenne, à l'evidence, songe Oliver en haussant un sourcil un peu étonné en voyant au moins le troisième Pokémon de cette espèce filer ventre à terre devant lui pour aller se cacher. C'est plutôt mignon, objectivement, mais très peu pour lui ; il laisse ces petites bêtes à ceux que cela intéressera vraiment. Oliver n'a pas envie de devenir un dresseur qui collectionne les Pokémon dans ses boites, il va essayer d'en avoir le moins possibles, bien que souvent la tentation soit un peu trop grande. Il essaie de se réfréner, parce qu'il préfère très largement en avoir moins que les obliger à vivre une vie qui ne leur convient pas. Tout le monde n'est pas aussi bienveillant que Nox en ce qui concerne les difficultés du batteur pour marcher ; les Pokémon ayant le plus besoin de se dépenser sont donc tout bonnement exclus, avec lui.  

« Alors, ça va petit gars ? » Demande-t-il finalement quand le Tarsal s'approche timidement de lui, accompagné d'une Calypso très fière de l'avoir convaincu. Il va la laisser se promener un peu elle aussi, tiens. « Comment ça va ? Je veux pas te faire peur, je voudrais juste t'emmener avec moi. Ça te dirait ? » Oui ? Non ? Si le Tarsal n'est pas d'accord, il ne le prendra tout simplement pas. D'abord parce que ce n'est pas bien, et ensuite parce que Mallo a certainement beaucoup mieux à faire que s'occuper d'un énième Pokémon récalcitrant. Apparemment, il galère déjà pas mal avec Rhaegal alors pas la peine d'en rajouter, hein ? « Je vais t'emmener avec moi, mais c'est un autre dresseur qui te prendra. Ça te dit ? » Ah, là il a l'air d'avoir un peu de mal à comprendre.

Bon, tant pis. Le jeune homme décide de s'asseoir, un léger sourire aux lèvres ; après tout, il a tout l'après midi pour le convaincre. « Ton futur dresseur si t'es d'accord, il s'appelle Mallory. Il a pas très bon caractère mais il est super sympa avec ses Pokémon, alors t'as pas de souci à te faire. En plus, il adore les fées. » Le Tarsal l'écoute avec attention mais n'a pas l'air de tout comprendre ; et pour cause, lui, il est de type Psy. « Tu sais si tu évolues en Gardevoir tu prendras le type Fée. T'aimerais bien en devenir un ? » Ouais, à l'évidence, le petit Pokémon saute presque en l'air devant cette perspective. Ça le fait marrer, quand il sort sa Pokéball, qu'il la lui montre. « Alors tu pourrais venir, il t'aidera. Mais t'es pas obligé. »

Et voilà, comme une lettre à la poste. Le Tarsal s'est laissé capturer sans histoires, et c'est le pas tout à fait tranquille qu'Oliver progresse à travers la clairière et décide d'en faire le tour. Lorsqu'il passe devant le ruisseau il s'arrête une minute, la jambe douloureuse ; une petite pause s'impose, le temps de remplir sa gourde, de faire un peu le point, manger un petit truc et repartir. Son sourire dérive jusqu'à Meleys, qui s'installe tranquillement à côté de lui, jusqu'à caler son épaule contre la sienne. « Ça a l'air d'aller un peu mieux entre toi et moi, hm ? » demande-t-il avec un sourire fin. Ce n'était pas du tout gagné pourtant, elle lui en a voulu très longtemps pour sa capture. D'ailleurs, elle grommelle encore un peu en réponse, ça lui arrache un petit ricanement, au jeune homme.

« Quoi, on est bien maintenant, non ? J'aurais sûrement dû te demander l'autorisation, mais bon. » Il l'aurait sans doute fait, s'il n'y avait pas eu un touuut petit détail dans l'équation, songe-t-il en désignant les écailles de sa Reptincel. « Tu sais, t'es exceptionnelle comme Pokémon. Drogon et toi vous êtes chromatiques, aucun autre Salamèche ne vous ressemble, ou ils sont très rares. » Grognement. Est-ce qu'elle le sait ? « D'ailleurs ça se passe comment avec les autres Salamèche ? » Demande-t-il après un petit temps de réflexion, conscient pourtant que sa Reptincel aura un peu de mal à lui expliquer avec des phrases claires de type sujet verbe complément, mais elle hausse les épaules, détourne la tête et grogne de nouveau. « Pas très bien ? Parce que t'es dorée ? » Elle lui jette un regard furieux. Ça veut dire oui.