Quelle idée à la con il a eue de ne pas s'équiper correctement pour venir à Nathalia ? Il le savait pourtant, la dernière fois qu'il est venu il a dû jeter son jean que le poison avait complètement bouffé au niveau de ses chemises. Et pourquoi revenir ici, malgré le dégoût que lui inspire cet endroit ? Sûrement un excès de masochisme, ou est-ce le silence de ces lieux qui l'aide à réfléchir. Quand il est ici, il a l'impression de se plonger dans un monde parallèle, dans lequel tout est noir, silencieux, très différent de tout ce qu'il a connu dans les autres zones sauvages. Le fleuve est tranquille, mais bruyant, et ne parlons pas de la forêt ; la présence des abattoirs dans la Lande le perturbe un peu, et puis il y a déjà passé pas mal de temps avec Gaspar la dernière fois. A vrai dire il ne sait pas trop ce qu'il va trouver ici, mais tant pis.

Idéalement, Oliver aurait bien aimé visiter un endroit dans lequel il n'a jamais été. Les Grottes Charbi c'est bien sympa les trente premières fois mais on finit par s'en lasser ; ces endroits paisibles n'ont plus le même charme que quand il était môme et qu'il n'y voyait qu'un endroit rempli de Pokémon à capturer. Maintenant qu'il est un peu plus vieux le jeune homme, il aspire à aller chercher un peu plus loin ; des Pokémon bien spécifiques, capables de s'entraîner dur pour combattre, des créatures qu'il mènera jusqu'aux marches de la ligue. Ses ambitions sont au moins à la hauteur de la lourde tâche qui l'attend pour réussir, mais le jeune homme n'a pas peur ; il n'a plus peur, en tout cas. Maintenant que Gaspar est revenu dans sa vie, il ne craint plus de franchir ces paliers seul, quand bien même cela arriverait-il fatalement.

Quand il était gamin, il en rêvait, de ces voyages là. Des Steppes brûlantes d'Altraz et des Pokémon qui en peuplent les dunes, du Bois Demilune et de tous ses secrets enfouis, gelés. S'il doit trouver un Absol, ce sera très certainement là-bas qu'il devra aller en premier ; il ne peut pas expliquer pourquoi son attrait pour ce Pokémon est aussi grand, peut-être parce qu'il n'avait jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi majestueux. Pourtant, il en a vu beaucoup à la télévision des Pokémon, mais rien à voir avec le regard écarlate de celui-là, plein de sagesse et d'un étrange mélange de peur et de défi, et malgré la position altière de certains dragons qu'il a pu voir à l'oeuvre en combat, il émane d'Absol une aura de danger certaine, qui l'a toujours très étrangement attiré. Peut-être est-ce l'amour du danger.

D'ailleurs ça faisait deux fois danger, mais Oliver n'a jamais vraiment été un poète. Pour se sortir un peu de l'idée d'être actuellement dans l'inverse exacte de l'endroit qu'il se figure pour le bois Demilune, Oliver met ses mains dans ses poches. Il n'ose pas allumer une cigarette, la dernière fois qu'il a voulu faire ça il s'est retrouvé comme un con, à croiser un promeneur qui est tombé sur lui, par chance. Dans le cas contraire, il aurait sûrement fini complètement cramé à cause des poches de gaz toxiques qui s'échappent de sous les pavés branlants ; en comme, pas de quoi passer un bon moment, si tant est qu'on puisse en passer un dans un endroit pareil. Il préfère penser aux arbres frissonnants de gel, aux branches couvertes de neige, à une famille d'Absol réfugiée au creux d'un sous-bois, n'attendant que lui.

Oliver progresse dans les ruelles étroites de la ville morte. Autour de lui, les bâtiments semblent comme animés d'une énergie macabre, silencieuse mais dangereuse ; comme des ombres terrifiantes au-dessus de sa silhouette, ils lui rappellent indéniablement qu'un jour, des gens ont regardé par ces fenêtres crevées par les Pokémon ou par la simple usure, les variations de températures. Que des gens se sont promenés sur ses pavés salis par la crasse et la fange, qu'ils ont mangé aux terrasses de ces restaurants aux devantures branlantes et rongées par l'âge pris un peu trop tôt. Les portes dégondées laissent entrevoir les bouches béantes des entrées des immeubles, comme pour chercher à dévorer toute personne qui oserait s'aventurer un peu plus loin dans les ruines d'un passé perdu, volé. Oliver frissonne, maintenant que ses pensées se sont étiolées pour laisser place au réel. C'est comme si cette concrétisation de l'horreur le frappait, aussi bien par la vue que tous ses autres sens.

Il règne ici un climat d'incertitude presque palpable, dans lequel s'engouffrent toutes les pensées les plus noires, salies aussi bien par l'environnement qui entoure le batteur que par la présence des Pokémon qui l'habitent. Ses traits se tendent, sans vraiment qu'il s'en aperçoivent, comme étirés par une angoisse silencieuse et inconsciente, celle de voir surgir dans un angle de rue une menace invisible mais bien présente ; Nathalia lui fait peur, soudain, quand il se rend compte qu'il s'est un peu trop éloigné du chemin habituellement emprunté par les dresseurs en quête de captures, ou simplement par des gamins qui chercheraient à se procurer le frisson qu'une vie monotone sous le couvert des arbres de Halosis leur avait privé. Il ne fait partie d'aucune de ces deux catégories. A bien y réfléchir, il n'a pas la moindre idée de la raison pour laquelle il s'est égaré ici ; est-ce ce qui est arrivé à Mallory, quand il a fait la connaissance de Sophie ?

Fera-t-il, lui aussi, la rencontre d'une étrange créature issue au moins autant du réel que du souvenir, comme Sophie aurait un pied entre ces deux mondes ? Si Mallo a été capable de l'accepter, c'était sans doute parce qu'il oscillait lui aussi entre une réalité à laquelle il tentait désespérément de s'accrocher, et un cauchemar dont le sol poisseux emprisonnait ses chevilles, dans un recoin sombre et sale de son esprit. Oliver n'a jamais été de cette tempe. Il faisait partie de ces enfants sages et bien élevés, la tête sur les épaules et l'avenir tout tracé, devenu un adulte aux rêves fanés. Il était rentré dans le moule de ces êtres humains sans fantaisies, qui survivaient de leur passion sans jamais vraiment la vivre. Alors, il aurait sans doute peur d'une apparition du même genre que celle qu'a connu son meilleur ami à l'époque. Lui n'a jamais suffisamment rêvé pour ça.

Peut-être que c'est cette ambiance délitée dans les méandres de ses peurs qui fait naître en lui un sentiment aussi entier de malaise, à Oliver. L'idée même qu'il puisse avoir en lui cette même part sombre que Nathalia laisse entrevoir au-delà des brumes épaisses du sol malade l'effraie. Que la ville soit la représentation des parties les plus noires et les plus dangereuses de l'esprit humain éveille en lui un frisson le long de son échine, hérissant chaque pore de sa peau. Il n'a pas peur à proprement parler, mais les lueurs pâles du jours sous les épais nuages de pollution dans l'atmosphère étouffante de la rue lui rappellent sans mal ses peurs de petit garçon, les peurs de n'importe quel enfant. Celle du noir, du danger invisible, des monstres tapis sous les sommiers, le ventre rempli de sang de gosse collé contre le plancher.

Mais le batteur a toujours été un gosse téméraire, qui a toujours préféré affronter les dangers que s'enfuir en courant devant eux. Il était de ceux qui se levaient en pleine nuit pour ouvrir grand les placards pour tenter de discuter avec le monstre qui vivait à l'intérieur, déçu de n'y découvrir que ses vêtements entassés à l'intérieur. Lorsqu'il a grandi, ces drôles d'espoirs se sont terrés dans un petit coin de sa tête, si bien cachés qu'il a très longtemps cru qu'il les avait tout simplement perdus. Mais les voir ressurgir ainsi au beau milieu de sa promenade lui arrache un étrange sourire, caché entre l'appréhension juvénile et la logique adulte. Peut-être que c'était cela, qui lui a toujours manqué depuis l'effondrement de son existence, dix années auparavant. Que les cauchemars soient effrayants n'en a jamais moins fait des rêves, et c'est à eux qu'il devrait se raccrocher, à présent.

C'est donc tout à fait fort de cette pensée que le jeune homme décide de reprendre sa route. Une main dans la poche, sa canne fermement tenue dans l'autre, il note distraitement autour de lui la présence de Pokémon qui vont et viennent en ignorant sa présence, souvent chassés par l'imposante présence de Meleys, qui d'un simple grondement ou d'un coup de patte bien placé chasse tout curieux qui oserait s'approcher un peu trop près de la zone de confort de son dresseur, et la sienne. La lueur de la flamme au bout de sa queue ressemble à celle d'une torchère, protection invisible face aux fantômes tapis entre les murs fissurés, voire brisés, des ruines d'un endroit dans lequel des gens avaient choisi de vivre en dépit du danger. Elle représente à elle seule la lueur d'une ancienne épée enflammée et à cette pensée, Oliver échappe un rire, léger. Il a bien fait de venir à Nathalia.