Oliver a toujours le coeur un peu serré quand il repense à tout ça. Pour la plupart des choses c'est sa mère qui le lui a raconté. Le dossier social faisait état d'une famille éclatée par la mort d'un parent, et d'un enfant qui, peut-être en réaction ou simplement parce que la maladie s'est déclarée à ce moment-là par hasard, s'est mis à manifester les mêmes troubles que son père seulement quelques mois après sa mort. Pour sa mère, cela a été insupportable, impossible à affronter. Par peur de ne pas être à la hauteur de la tâche, de perdre son enfant ou par simple lâcheté, elle a emballé ses affaires, quitté ce lieu qui lui rappelait un peu trop son époux qu'elle n'avait pas réussi à sauver, avant de partir à Lathea. Ensuite, et dans l'impossibilité totale de faire abstraction, elle a laissé son petit garçon entre les mains d'une autre famille.

Bien sûr qu'il fait le parallèle Oliver, et il est douloureux. Car si Cassandre n'avait pas d'enfant malade quand elle a décidé de le laisser à d'autres personnes, c'était bien cette même peur qui la rongeait quand elle l'a fait ; sa mère a un coeur et il le sait, c'était sans doute beaucoup trop difficile d'assumer cette naissance en sachant de qui elle le tenait. Toutes deux craignaient de voir le regard du père dans les prunelles du fils, et c'est pour cette raison qu'elles ont préféré laisser la main. La pensée est d'une cruauté sans pareille et pourtant, comme il la comprend, le batteur ; il ne peut que ressentir de la compassion envers sa mère et cette autre là où Mallory n'a jamais été que haine vis à vis de cette femme qui n'a même pas tenté de faire l'effort de le sauver.

Maintenant, reste à se mettre à la place de ce frère qu'il voudrait rencontrer. Que dirait Mallory, si un homme débarquait brutalement dans sa vie avec une information comme celle-là ? Ta mère n'a pas voulu de toi mais moi elle m'a élevé, et elle a fini par avouer après des années qu'elle t'avait abandonné. Une chose est certaine, c'est que Mallory ne pourrait pas réagir convenablement à une telle information. Mais Mallory est malade, il a peur de tout, il hait le monde entier, difficile de coller son caractère biaisé par la maladie à celui d'un jeune homme qu'il ne connait pas et dont il vient tout juste d'entendre parler. Depuis, la curiosité le dévore, l'appréhension aussi, parce que même s'il tente de venir en toute bienveillance, il restera tout de même pour l'inconnu cette drôle d'information à digérer : toute sa vie n'a été qu'un mensonge.

Ou alors Kay est déjà au courant et il n'a jamais tenu à venir à sa rencontre ? Aura-t-il suffisamment de maturité pour comprendre sa démarche au batteur, la simple envie de rencontrer ce frère dont ses parents l'ont privé pendant des années ? Bien sûr que ça lui fait peur, parce qu'il craint d'être rejeté par un homme dont il ne sait rien, ce serait légitime, il n'aurait absolument rien à dire à ce sujet. Il n'a aucun autre argument pour défendre cette démarche que l'envie enfantine de découvrir celui qu'on lui a passivement interdit de rencontrer. Mais peut-être que Kay est un garçon qui vit très bien tout seul, ou qui a été élevé dans une famille qui avait déjà des enfants, peut-être que sa présence ne sera tout simplement pas désirée, il n'en sait rien. Bien sûr que ça lui fait peur. Mais il doit au moins essayer.

Tout à ses pensées, Oliver ne se rend pas compte qu'il s'enfonce doucement dans les ruelles sombres de Nathalia. Peu importe du temps qu'il peut faire dans Lathea, cet endroit est toujours enveloppé d'une brume grasse, épaisse, qui assombrit le ciel au-dessus de la ville. A chaque fois qu'il vient, le batteur se demande comment il est possible de vivre dans un endroit pareil tout en sachant qu'on finira par y mourir, parce que survivre dans un lieu aussi toxique que celui-ci tient du miracle. Y'a-t-il une communauté de gens à Nathalia qui ont su se protéger de ces horribles vapeurs ou acceptent-ils leur sort en sachant que le Système ne fera rien pour les sauver ? Ils ont construit Castlerain en une poignée de mois pour reloger tous ceux qui avaient perdu leurs maisons à Myrtha. Mais pour ceux qui meurent à petits feux, ils ne font absolument rien.

Un Mimigal passe entre ses jambes et il frissonne un peu d'horreur avant de se reprendre. Que lui a dit Eugène à propos de ces créatures ? Il ne sait plus, ils ont beaucoup trop parlé des insectes, le batteur a dû faire un déni, songe-t-il en haussant les épaules avant de reprendre sa route. Ses pensées s'envolent un peu plus loin, quittent l'endroit où il a amené Meleys qui d'ailleurs se fait un plaisir de défoncer tous les Pokémon qu'ils rencontrent ; un grondement lui indique qu'elle a d'ailleurs très bien repéré le Mimigal et qu'elle a l'intention de continuer sur sa lancée. Tant mieux, elle progresse bien, elle a été tout bonnement exemplaire à l'arène, Oliver ne peut qu'être intensément fier d'elle. Il n'aurait jamais cru obtenir ce badge, jusqu'au bout il a songé qu'il perdrait le match ; comme quoi, il ne faut jamais dire jamais.

Il a bien fait de passer des heures devant sa télévision, en dépit des petites râleries de son amant, à regarder et regarder encore ce maudit match perdu contre Alix. Il ne l'a pas recroisée depuis, mais il sait que la dresseuse progresse très vite ; sa notoriété monte beaucoup plus vite que la sienne, ce qui est incroyable pour une simple bijoutière. Peut-être n'aurait-il pas dû juger un peu trop vite la mine candide de la jeune femme, parce qu'elle l'a tout bonnement et tout simplement éclaté. Il s'est usé les yeux à décrypter chaque attaque, chaque mouvement raté, chaque foutue capacité fichue en l'air par son adversaire. Cela n'a été que lorsqu'il s'est enfin ressaisi qu'il a été capable de tirer un bon parti de ses conneries ; Choupette a été remise au pas, Meleys a eu droit au grand redressement aussi. Maintenant, il en est là.

Ce qu'il y a sans doute eu de plus gratifiant dans toute cette histoire a certainement été la fierté de son chanteur qui s'est jeté dans ses bras à la sortie de Lucinel, suffisamment loin des regards pour qu'aucun photographe ne le surprenne aux côtés de son amant alors que son époux était toujours dans le coma à quelques pas de là. Ce n'était pas très grave, ils sont rentrés ensemble à Enoville ce soir-là, ils ont fait la fête, ils se sont amusés comme des fous et ils n'ont passé qu'une toute petite nuit. En dépit de l'existence même de Sacha et de sa présence dans la vie de son amour de jeunesse, il garde espoir, Oliver ; même si on lui dit qu'il est complètement con de croire que la situation changera, il préfère écouter les douces promesses murmurées par Gaspar au creux d'une chambre ou d'une autre.

En tout cas, c'est beaucoup moins angoissant que de se dire qu'il a pu rater quelque chose à un moment, quelque chose de crucial, quelque chose qui lui aurait au moins permis de se dire qu'il glissait sur une pente dangereuse. Peut-être a-t-il pardonné un peu trop vite la défection du jeune homme, mais la discussion avec Cassandre a au moins permis de voir l'envers du décor ; Gaspar était perdu, apeuré, il n'a pas été capable de faire la part des choses ni de l'écouter, lui, alors qu'il était prêt à se couper en quatre pourvu qu'il voie et comprenne qu'il ne voulait que son bonheur. Maintenant il le sait, et qu'a-t-il à cacher ? Il faut juste que l'autre se réveille, et alors ils pourront envisager de vivre la vie dont ils ont toujours rêvé, tous les deux. Une vie de voyages, de découvertes, une vie que son adolescence a longtemps fantasmé avant Myrtha.

D'abord, les badges. Une fois qu'ils auront les huit, ils iront gravir les marches de la Ligue au moment venu ; quand il le faudra, quand ils seront prêts, ils affronteront le conseil des quatre et deviendront maîtres, sans doute l'un après l'autre. Oliver n'a pas réfléchi à ce qu'il se passerait à ce moment-là, ni au fait qu'il ne peut y avoir qu'un seul maître de la Ligue. Il suppose qu'il y aura un combat, que l'un d'entre eux gagnera, puis une revanche qui permettra à l'autre de recevoir le même titre, c'est aussi simple que ça. Et ensuite ? Il aimerait partir en voyage, Oliver. Retourner voir les régions, aller explorer, découvrir, capturer, avant de rentrer. C'est peut-être son seul regret, avec Isma, de ne pas l'avoir suivi au bon moment, d'avoir raté le coche. Mais ce n'était pas avec lui qu'il la voulait, cette vie. C'est cruel, mais c'est ainsi.

C'était leur rêve, à Gaspar et à lui. Avant d'apprendre, contraint et forcé, à être plus calme, Oliver ne tenait pas en place. L'adolescent Neskov, lui, était un gamin timide qui devait apprendre à être un homme, et qu'on rabaissait aussitôt qu'on constatait que cela ne marchait pas. Les coups, les gifles, les moqueries, il avait besoin de s'enfuir son petit chanteur, et s'il avait réussi à trouver un refuge sous le toit des Porter, c'était bel et bien avec un Oliver fou amoureux comme pouvait l'être un ado qu'il avait fini par se trouver une voie. Ensemble, allongés sur son lit avec ces fichues étoiles au plafond, ils rêvaient des régions qu'ils allaient explorer, des dresseurs qu'ils allaient affronter. Ils avaient chacun leur idole qu'ils défendaient bec et ongle, nourrissaient les plus grands espoirs. Ce n'est pas étonnant, qu'Oliver soit tombé amoureux de lui.

Ils avaient l'air de se compléter tous les deux, mais ce n'était pas le cas. Comme il a voulu protéger Mallory, Oliver s'est dévoué corps et âme pour sauver celle de l'adolescent qui vivait dans la mauvaise famille. Maintenant qu'il pense à ce que lui a confié sa mère, Oliver ne peut que recevoir avec effroi l'idée que son demi-frère ait été élevé dans la même famille. Gaspar est-il au courant ? Il lui en aurait peut-être parlé, sauf s'il s'agit là d'un énième secret de famille. Oliver n'a pas osé mentionner le sujet, Gaspar est beaucoup trop concentré avec ses Pokémon pour pouvoir s'occuper d'autre chose que d'eux et du batteur avec qui il passe une bonne partie de sa semaine. Mais c'est glaçant, de songer que Kay aurait pu être élevé par sa famille et qu'au lieu de ça, il s'est retrouvé chez les pires connards de Lathea.

Lui en tout cas, il s'est juré de ne jamais élever ses gosses comme ça. Si gosses il y a d'ailleurs, est-ce que Gaspar en voudrait ? Ce n'est pas du tout le bon moment pour le demander de toute façon, ce serait complètement débile d'aller stresser un chanteur déjà très tendu avec ce genre de questions, finalement. Parce qu'aller demander à Gaspar s'il aurait envie de fonder une famille avec lui risquerait de faire exploser une bombe à retardement ; il connait suffisamment bien son amant pour savoir que ce serait du suicide de lancer un tel sujet. Gaspar se mettrait sûrement à paniquer totalement, et puis c'est pas comme s'ils pouvaient en avoir par accident ; mais Oliver, il a toujours eu envie d'avoir des gosses. Il n'y a qu'à voir comment il s'est occupé d'Isaïah quand il est rentré, et comme il aimait les petits jumeaux à l'époque où il était ado.