« Mais... mais je peux pas ? »
Bah pourquoi pas ? « T'as idée de... de la valeur d'un Pokémon pareil ? Tu peux pas me la donner comme ça. »
Bla bla bla. Allez, qu'il arrête son char ; il a promis à cette Bibichut de lui donner la possibilité d'apprendre les bonnes manières à Moon mais il ne voit pas très bien en quoi le fait de la donner à Mallory contredirait ce plan. De toute façon, elle sera mieux avec lui qu'avec Isma : le baroudeur n'est pas assez tranquille pour un Pokémon comme ça, le preuve en est qu'il a fallu beaucoup de temps à Lysaria pour se faire à un rythme de vie pareil. Les mains dans les poches, il rejoint la hauteur de Mallory. « Non, non, garde-la, je peux pas accepter, et puis j'ai déjà Sun alors, enfin. Non, s'il te plaît.
– Lalala, j'entends pas, rigole-t-il en recommençant à avancer, ignorant le bras tendu de Mallory. Et Sophie, si tu veux revoir Lysaria je te conseille d'arrêter ça. »
Oh, c'est drôle comme elle est docile tout à coup l'Ectoplasma, hm ? Isma pourrait même en rire, là, juste pour ça, parce qu'il est content ; ça lui fait vraiment plaisir, cet air halluciné sur le visage du champion, comme s'il n'osait pas se réjouir. « J'capture pas les Pokémon pour les laisser dans une boîte de stockage. Si vraiment t'en veux pas, t'auras qu'à la laisser à ce Jaeden, même si elle risque d'être un peu triste de pas pouvoir revoir Moon. »
Moon qui jappe de contrariété, d'ailleurs, parce qu'elle a très bien compris la pique et que ça ne l'intéresse pas trop de revoir ce Pokémon fée, en fait. Tant pis, elle sera sage elle-aussi. « Sinon, tu peux toujours la relâcher pour qu'elle reste ici. »

« Lalala, j'entends pas ! » Il devrait pourtant parce qu'il abuse bon sang, il n'a pas à lui donner un Pokémon comme ça, il ne lui doit rien, est-ce qu'il essaie de se faire pardonner pour la dernière fois ? Il s'en fiche Mallory, c'est déjà oublié, tout ce qui s'est passé durant les jours suivant ont suffi à lui faire oublier ça. Alors non, il ne peut pas. « Et Sophie, si tu veux revoir Lysaria je te conseille d'arrêter ça. » Par contre, il prend note ; Lysaria sera un très bon moyen de la motiver apparemment, pour les jours où son Ectoplasma sera pénible. D'ailleurs quand il se retourne pour la regarder, Sophie a tout simplement arrêté de sourire et se tient droite, exagérément haute et digne. Un foutu clown, tu parles d'un spectre.

« J'capture pas les Pokémon pour les laisser dans une boîte de stockage. Si vraiment t'en veux pas, t'auras qu'à la laisser à ce Jaeden, même si elle risque d'être un peu triste de pas pouvoir revoir Moon. » Ce n'est pas le problème, et l'argument est fallacieux mais Ismaël ne va jamais vouloir la reprendre cette Pokéball, hein ? Il va devoir le garder, cet étrange cadeau empoisonné, comme s'il la méritait. Il ne mérite rien de tout ça. « Sinon, tu peux toujours la relâcher pour qu'elle reste ici. » Non, elle a envie d'avoir un dresseur sinon elle ne serait pas entrée dans cette maudite Pokéball. Il soupire, Mallory, puis baisse le nez pour observer l'objet, qu'il finit par ranger dans sa sacoche, avec le Nymphali ; alors elle est à lui, hein ? Quand il relève la tête, il croise un regard rieur, un grand sourire. Quelque chose se serre au fond de son ventre, au souvenir que oui, effectivement, Isma ne pourra jamais recevoir ce que lui aimerait lui offrir ; ça ne l'empêche pas de s'avancer pourtant, tant pis, il le savait le baroudeur en le rejoignant, en venant quand même, il savait très bien que ces sentiments là ne disparaîtraient jamais et reviendraient au moindre geste d'affection.

Alors peut-être qu'il se coule un peu vite contre ces bras, peut-être qu'il fait exprès de ne pas le regarder dans les yeux quand il s'exécute, peut-être qu'il n'a pas envie de l'entendre lui demander de reculer même gentiment quand, comme un gosse, il repasse ses bras maigres autour de sa taille comme à l'hôpital, cache son visage dans son t-shirt. Je t'aime. « Merci, dit-il à la place, même si cela lui coûte cher. » Parce que ça c'est insuffisant, c'est l'embrasser qu'il aurait voulu faire pour lui dire merci, lui promettre qu'il trouverait un Pokémon à lui offrir, lui aussi, un jour. A défaut de pouvoir lui donner quoi que ce soit d'autre dont il ait envie Isma, et c'est tellement triste, tellement dommage. « Mais tu devrais pas faire ça avec moi. » Parce qu'il n'est pas encore tout à fait guéri Mallory, pas assez pour taire ce genre de vérités-là. « Tu sais à quoi tu t'exposes. » Et c'est bien pour ça qu'il voulait le refuser, ce cadeau.

C'est bien le son d'une fermeture éclaire qu'il vient d'entendre, là ? Alors il est victorieux, Isma, et c'est ce qui le fait se retourner, le visage barré d'un grand sourire, ravi par la certitude qu'il vient de faire très plaisir au garçon qui le regarde encore comme s'il venait de tomber d'une autre planète. 
S'il ne s'attend pas vraiment au geste suivant, il ne fait pourtant rien pour le repousser et c'est finalement très naturellement qu'il referme ses bras dans le dos de Mallory lorsque celui-ci vient l'enlacer doucement, avec cette tendresse infantile qu'Ismaël ne lui connaissait pas, avant le début de tout ce cirque à Nathalia. « Merci. » 
Il n'y a pas de quoi le remercier, mais le Johtien ne répond pas ; il y a certains combats qu'il n'a pas envie de mener et même s'il Mallory se sent reconnaissant alors il peut bien accepter ses remerciements sans se dédouaner de sa volonté de lui faire plaisir. Après tout, il n'a aucune raison de ne pas l'assumer, quand bien même il aurait d'autres arguments pour justifier sa décision. Au lieu d'entrer dans un débat pour éviter au jeune homme de se sentir gêné par ce cadeau tout à fait désintéressé, il se contente de sourire en glissant sa grande main derrière la nuque du garçon. « Mais tu devrais pas faire ça avec moi. »
Ça quoi ? Lui offrir un Pokémon ? Est-ce que son geste peut avoir une signification particulière, aux yeux du malade ? « Tu sais à quoi tu t'exposes. »
Peut-être. Mais il n'a vraiment pas envie d'y réfléchir alors Ismaël se contente d'ébouriffer les cheveux du garçon toujours dans ses bras, et de déposer ses lèvres sur son front avant de le relâcher. « De rien, Méli-Mallo, dit-il en reculant, sourire aux lèvres. On y retourne ?
– Sophie est sage. Sophie veut voir belle Lysaria. »
L'intervention boudeuse de l'Ectoplasma fait rire doucement Ismaël, alors qu'ils reprennent leur marche. Than n'a pas quitté les jambes de Mallory et Moon le suit sagement, non sans grogner sur tous les Pokémon sauvages qui passent un peu trop près d'eux. « Une fois qu'on sera dans la clairière, si tu as continué d'être sage, promet-il en fourrant ses mains dans ses poches. On y sera bientôt. »
La preuve : le chemin disparaît peu à peu dans les ronces, ils vont commencer à devoir crapahuter bientôt. « Viens-là toi, dit-il au Osselait en l'attrapant sous les bras pour l'installer derrière sa nuque. Avant de te perdre dans les feuilles. J'aurais du mal à te retrouver, j'connais mal le coin. Tu sais comment on rejoint la cascade, Mallo ? »

Est-ce qu'il a conscience de ce qui est en train de se passer, Ismaël ? Un esprit aussi fragile et aussi compliqué que celui de Mallory ne peut pas comprendre ses nuances à lui, les questions qu'il n'a pas envie de se poser. Il réfléchit de manière assez simple dans ces cas-là ; si Isma, en parfaite connaissance de cause, a décidé de rester et de changer de comportement, alors il sait que Mallory risque d'espérer. Est-ce qu'il est d'accord ? Qu'est-ce qu'elle veut dire cette étreinte, et cette main qui passe dans ses cheveux, et ces lèvres qui se déposent avec douceur sur son front, peut-il seulement croire que ça veut dire plus que de la simple tendresse ? D'où vient-elle, d'ailleurs ? Qu'a-t-il fait pour mériter ça ? Rien du tout. Il était juste malheureux et blessé. Alors peut-être n'essaie-t-il que de se rattraper. « De rien, Méli-Mallo. On y retourne ?
– Sophie est sage. Sophie veut voir belle Lysaria. »

Peut-être qu'elle sert bien, l'intervention de Sophie ; il lui aurait fallu toute la force du monde pour  ne pas s'avancer de nouveau et lui demander de rester encore un peu, de ne pas le lâcher. Ça fait quinze ans, quinze putains d'années qu'Ismaël a envahi ses rêves et ses cauchemars, quinze ans qu'il nourrit sans le vouloir la folle envie de le retrouver, de tout lui dire, de vivre enfin ce qu'il a toujours espéré. Parce qu'il brille, Ismaël, son sourire éclaire la nuit dans laquelle il évolue depuis gosse, ses gestes tendres sont plus merveilleux et plus rassurants que n'importe quels autres. Il est libre, sans attache, et en l'aimant Mallory s'est toujours fait l'impression de vouloir mettre le plus bel oiseau du monde dans une cage, avec lui. « Une fois qu'on sera dans la clairière, si tu as continué d'être sage On y sera bientôt. » Oui, il n'y en a plus pour très longtemps ; et ce constat lui permet au moins de ne pas penser à sa déception et à ses espoirs avortés, quand il constate qu'il va falloir marcher en file indienne à partir d'ici. Ils sont sur la bonne route, songe Mallory en regardant Isma saisir le petit Osselait pour le remettre sur ses épaules.

« Viens-là toi. Avant de te perdre dans les feuilles. J'aurais du mal à te retrouver, j'connais mal le coin. Tu sais comment on rejoint la cascade, Mallo ?
– Ouais, c'est pas la première fois que je viens. J'vais passer devant, suis-moi. » Il s'avance, évolue entre les ronces, s'assure du coin de l'oeil qu'il est bien suivi ; oui, sans surprise, Ismaël maîtrise bien mieux ce genre d'environnements que lui. Il le suit de près, et il a hâte, le champion, quand il entend enfin le grondement, désormais familier, de la cascade. Même Stella trépigne de joie lorsqu'ils aperçoivent enfin le passage. « T'es déjà venu ici alors ? demande-t-il finalement, peut-être un peu déçu de ne pas être celui qui va lui faire découvrir cet endroit. J'crois que c'est mon coin préféré. C'est là que j'ai eu Stella et Aurore, la dernière fois que j'y suis allé. » Il était fatigué, malade, malheureux, il a pleuré, beaucoup, sur l'avenir qu'il n'aurait jamais ; mais ces deux rencontres-là,  il ne les échangerait pour rien au monde, songe-t-il en libérant sa Ponyta, qui trottine joyeusement jusqu'au passage. « Tu devrais ranger Moon, j'suis pas sûre qu'elle va apprécier la douche. »

« Ouais, c'est pas la première fois que je viens. J'vais passer devant, suis-moi.
– Vas-y, dit-il simplement en laissant le garçon prendre la tête de leur petite file indienne. »
Ismaël avait entendu dire que l'accès à cet endroit était particulièrement chiant et compliqué mais concrètement, il a un peu de mal à comprendre d'où ça vient : les ronces sont partout mais elles ne sont pas hautes et il suffit de savoir sur quelles branches marcher pour s'éviter tout type de coupures. Bien sûr, avoir les bonnes chaussures est important mais même en short, il n'a aucun problème à progresser derrière un Mallory qui, de son côté, semble tout simplement se foutre de sentir les tissus de son pantalon se prendre dans les épines. « T'es déjà venu ici alors ? J'crois que c'est mon coin préféré. C'est là que j'ai eu Stella et Aurore, la dernière fois que j'y suis allé.
– J'me suis douté en voyant les photos, on peut pas vraiment dire que le paysage soit comparable avec autre chose ailleurs. J'suis venu qu'une fois et j'ai passé deux jours à l'entrée à cause d'un Evoli débile. Une sale histoire. »
Il se demande un peu pour quoi il est passé aux yeux de Joannie d'ailleurs, mais bon. Ça importe peu. « Tu devrais ranger Moon, j'suis pas sûre qu'elle va apprécier la douche.
– Effectivement, ricane-t-il en rappelant d'autorité la Medhyéna qui n'a que le temps de pousser un cri d'indignation avant de disparaître dans sa ball. De toute façon elle aurait pas aimé toutes les fées qu'il y a là-bas. Than, tu vas dans le sac ? »
Parce que lui, l'eau, il déteste vraiment ça. Habitué, le petit Osselait se laisse tomber en arrière jusqu'à se faire arrêter par la toile de tente. A partir d'ici, il ouvre, entre puis referme le sac pour se mettre à l'abri.
La cascade est juste un peu plus loin ; quelques minutes plus tard, Isma s'ébroue exagérément pour arroser son voisin alors qu'ils traversent le tunnel pour rejoindre l'autre côté, pouffant comme un idiot sous les râleries de Mallory. « Ça fait du bien, un peu de frais, dit-il alors qu'ils arrivent dans la clairière étrangement baignée de douces lumières aux couleurs irréelles. J'ai presque envie de me baigner dans la rivière, tiens. Ça te dit pas ? »
Après tout, leur dernière baignade a fait du bien au garçon, et puis cette fois, ils ne risquent pas de mourir noyés au large.

– Effectivement. » Et voilà la Médhyèna grincheuse au soigneusement rangée dans sa Pokéball ; elle ne doit pas être contente, mais il vaut mieux ça que de la voir totalement trempée et grondante. « De toute façon elle aurait pas aimé toutes les fées qu'il y a là-bas. Than, tu vas dans le sac ? » Il est drôlement intelligent, ce petit Osselait ; obéissant aussi, et c'est sous son regard un peu curieux qu'il se laisse glisser dans le dos de son dresseur pour ouvrir le sac et se cacher à l'intérieur. En quelques pas, ils sont devant la cascade, et Aurore passe tranquillement tandis que Stella, elle, se cache contre le cou de son dresseur sans pour autant que la cachette fonctionne. Quand ils sortent de là, ils sont trempés, et il grogne, Mallory, quand Ismaël secoue ses cheveux exprès pour foutre de l'eau absolument partout, et surtout sur lui.

« Arrête, c'est chiant.
– Ça fait du bien, un peu de frais. » Sauf qu'il ne  mourrait pas de chaud et il n'avait aucune envie de finir tout mouillé, mais peu importe ; le décor enchanteur de la clairière lui ôte presque aussitôt toute sa mauvaise humeur, rapidement remplacée par l'émerveillement habituel, bien que ce ne soit absolument pas la première fois qu'il vient. Il se sent toujours très bien, ici, l'endroit est paisible, sublime, et il en sourirait, Mallory, s'il n'était pas aussi fatigué. La marche, quoi qu'elle n'ait pas duré très longtemps, l'a tout simplement épuisé. Il n'était peut-être pas en état de se promener si tôt après une crise, il n'en sait rien. « J'ai presque envie de me baigner dans la rivière, tiens. Ça te dit pas ? » Un  temps, les yeux sombres de Mallory s'attardent sur la rivière près de laquelle ils s'approchent. Il s'est baigné ici, tout seul, c'est là qu'il a attrapé ses deux Pokémon ;  il se souvient assez bien du bien-être qu'il a ressenti quand il a refait la planche en suivant le conseil du baroudeur, de l'étrange sensation de complétude que cette simple petite baignade lui a procurée, remplaçant le chagrin, la douleur.

Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, il n'a envie de rien. « Non, répond-il en posant sa sacoche près de lui, avant de se caler contre un arbre contre lequel il s'assoit. J'ai pas envie. » Son état d'esprit n'est pas le même que la dernière fois, non plus. Pour l'heure, tout ce qu'il voudrait, là, c'est rester un moment, profiter du calme. « Mais baigne-toi si tu veux, je reste là. » Et qu'il ne s'avise pas d'essayer de le mettre à l'eau comme la dernière fois ; il est trop faible pour se mettre en colère, de toute manière.

Un instant, Mallory a l'air d'hésiter, et Isma l'attend en le regardant, les yeux brillants. Ça lui ferait du bien, non ? En tout cas, à lui ça lui semble une bonne idée. « Non, j'ai pas envie. »
Ah. Bon, dans ce cas, ils vont attendre un peu, se dit-il en haussant les épaules, refusant de perdre sa bonne humeur. Le champion a déjà accepté de venir jusqu'ici et c'est clairement, déjà, un bon point. Peut-être plus tard ? « Mais baigne-toi si tu veux, je reste là. 
– J'vais pas te laisser tout seul, déclare-t-il en s'asseyant en tailleur dans l'herbe après avoir posé son sac sur le sol. T'as mangé aujourd'hui ? » 
Le sac s'ouvre sur un Thanatos particulièrement émerveillé par l'environnement ; à peine descendu du gros sac en faisant des galipettes, il court jusque dans les jambes de Mallory et s'assoit là, sur les fesses, levant le nez pour pouvoir poser ses grands yeux brillants partout autour de lui. Isma, lui, sort tout un tas de boîtes de son sac. « J'ai préparé quelques trucs, des salades, un peu de charcuterie... tu manges du Pokémon ? J'savais pas alors j'ai pris de tout. Et à boire, aussi. Et de la weed. »
Important, la weed. D'ailleurs il va s'en griller un, décide-t-il en poussant son sac plus loin pour pouvoir s'allonger par terre, les bras croisés derrière la tête et la tige de tabac fumante coincée entre ses lèvres. « J'ai hâte qu'il fasse nuit, dit-il en regardant les nuages. D'ici, on doit voir les étoiles. »

« J'vais pas te laisser tout seul. T'as mangé aujourd'hui ? » Le champion secoue la tête. Non, et à vrai dire Mallory ne mange plus normalement depuis un bon moment. Dans les passages les plus difficiles comme ce qu'il s'est passé ces derniers jours, il ne mange pas sauf si on le lui demande ou qu'il meurt de faim ; la plupart du temps, tout ce qui lui passe sous la main et peu importe que ce soit cuit, cru, salé ou sucré. Ce n'est jamais que pour se remplir l'estomac, cela fait longtemps qu'il ne savoure plus rien. Ismaël s'installe face à lui et il ne bouge pas, Mallory, pas plus quand Than s'avance jusqu'à lui pour se lover entre ses jambes en lotus, affectueux et diablement curieux. Il commence à vraiment bien l'aimer, ce petit Pokémon.

« J'ai préparé quelques trucs, des salades, un peu de charcuterie... tu manges du Pokémon ? J'savais pas alors j'ai pris de tout. Et à boire, aussi. Et de la weed. » Ce n'est pas du tout recommandé, la weed dans son état mais Mallory décide de s'en foutre ; il le regarde, Ismaël, s'allonger sur le sol comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, comme si tous les endroits possibles et imaginables pouvaient, pour une heure, un jour, une semaine, devenir sa maison du moment qu'elle était provisoire. Son sac est repoussé juste après que Mallory se soit saisi d'une bouteille d'eau, mais il ne boit pas une gorgée. En silence, il le regarde. « J'ai hâte qu'il fasse nuit. D'ici, on doit voir les étoiles. » D'accord, mais cette fois il ne comprend pas très bien en quoi c'est exceptionnel, le garçon qui s'appuie contre le tronc d'arbre, enroulant un bras maigre et un peu affectueux autour de l'Osselait qui couine de ravissement en se lovant contre son ventre. « Tu sais, elles sont là tous les soirs, les étoiles, répond-il en haussant les épaules. Et j'suis sûr que sur les toits d'Enoville y'en a aussi. » Lui, plus rien ne l'émerveille ; en tout cas pas ce genre de choses si simples que les étoiles ou la forêt, quand bien même apprécierait-il cet endroit pour le calme qu'il lui apporte.

« C'est pour ça que t'es parti, quand on était gamins ? Demande-t-il finalement, peut-être à brûle-pourpoint, en gratouillant distraitement le dos d'un Thanatos au bord de l'apoplexie. Parce que tu voulais voir ce genre de trucs ? Je comprends pas quel intérêt ça peut avoir. » Pas pour lui, en tout cas. Il n'aura sans doute jamais l'esprit aussi libre que celui qui relève le nez pour le regarder, avec ses grands yeux aussi sombres que deux éclats de chocolat noir. Si Ismaël trouve un intérêt à tout ça, c'est qu'il faut le creuser ; puisque lui n'est visiblement pas aussi digne que les étoiles pour susciter son intérêt.

Ismaël ne comprend pas très bien pourquoi Than s'est à ce point attaché à Mallory. Quelque chose lui dit que ça a un rapport direct avec ce qu'il s'est passé à Nathalia l'autre fois, mais puisque le malade n'a absolument rien voulu lui dire... il n'en sait pas plus. En tout cas ils sont adorables à voir, tous les deux comme ça, constate-t-il en se tordant un peu le cou pour leur jeter un oeil avant de recracher sa fumée vers le ciel. « Tu sais, elles sont  là tous les soirs, les étoiles. Et j'suis sûr que sur les toits d'Enoville y'en a aussi.
– Nan, y a trop de lumière à Enoville, même en grimpant tout en haut des buildings on peut à peine apercevoir le ciel. C'est le même délire à Castlerain d'ailleurs, en moins pire, mais tu verras ce soir, ça a rien à voir. »
A Castlerain, on voit vaguement quelques constellations. A Enoville on distingue à peine des points lumineux, mais ici... Ici, c'est merveilleux. « C'est pour ça que t'es parti, quand on était gamins ? »
La question prend Isma par surprise, et il fronce peut-être un peu les sourcils en attendant la suite, les yeux rivés vers le ciel maculé de tâches blanches. « Parce que tu voulais voir ce genre de trucs ? Je comprends pas quel intérêt ça peut avoir.
– Tu voyais pas non-plus quel intérêt ça avait de se foutre sur le dos dans l'eau et pourtant ça en avait bien un, non ? répond-il doucement, sans vraiment comprendre où Mallory veut en venir. »
Il lui jette un coup d'oeil, tire sur son joint puis le lui tend avant de recroiser les bras derrière sa tête. « Mais c'est pas pour ça que j'suis parti, non. Tout ce bordel avec Oliver m'a juste fait comprendre qu'il fallait que je me casse avant que ça finisse par exploser. »
Parce que tromper un mec avec son meilleur ami, même si c'était pas prémédité, c'était quand même pas l'idée du siècle. Quand on voit comment Oliver a réagi alors que huit ans ont passé, il n'ose pas imaginer ce que ça aurait donné à l'époque. « Ceci étant j'ai toujours adoré regarder le paysage, d'où que ce soit. Puisque j'arrive à être heureux seulement en faisant ce que j'aime, j'vois pas pourquoi je m'en priverais. »
Heureux, c'est peut-être un bien grand mot ; il ne sait pas s'il l'a vraiment été, ces dix dernières années, mais en tout cas il a trouvé une certaine forme de sérénité que beaucoup auraient à lui envier.

« Tu voyais pas non-plus quel intérêt ça avait de se foutre sur le dos dans l'eau et pourtant ça en avait bien un, non ? » C'est vrai, mais qui dit qu'il y arrivera encore une fois, hein ? C'était peut-être un hasard, et il ne voit pas très bien, Mallory, pour quelle raison regarder des choses qui brillent, là-haut, lui feraient du bien. Il pince les lèvres, ferme les yeux. Sa main s'égare sur la peau dure du petit Osselait qui gazouille de contentement ; les Pokémon lui font du bien. La musique aussi, le dessin, d'une certaine façon, c'est un bon exutoire également. Mais il y a un but derrière tout ça, et rester là à regarder le temps passer, ça lui a toujours fait peur, songe-t-il en récupérant le joint. Ça aussi, ça lui fait du bien. Parfois.

« Mais c'est pas pour ça que j'suis parti, non. Tout ce bordel avec Oliver m'a juste fait comprendre qu'il fallait que je me casse avant que ça finisse par exploser. » Oliver aimait Ismaël, à sa façon, un peu comme lui a aimé Hydris à l'époque. C'était un joyeux bordel tout ça, dans lequel toutes les histoires se croisaient sans jamais se rejoindre ; quelque part, de se rendre compte que les années n'ont rien changé à ça, Mallory trouve ça un peu malheureux. S'il n'a jamais accepté la défection de Neskov, il aurait aussi préféré qu'il reste pour avoir une chance avec le baroudeur, ce qu'il lui a dérobé en partant. « Ceci étant j'ai toujours adoré regarder le paysage, d'où que ce soit. Puisque j'arrive à être heureux seulement en faisant ce que j'aime, j'vois pas pourquoi je m'en priverais.
– Tu as de la chance. »

Ce n'est pas vraiment de l'envie mais seulement un constat ; il ne le regarde même pas Mallory, il a la tête tournée, peut-être un peu basse, parce qu'à chaque fois qu'il y pense, c'est douloureux. « J'aurais bien aimé avoir ce genre de... j'sais pas, d'insouciance ? Ou simplement de normalité. » C'est sûrement con de se plaindre, encore, et peut-être qu'il va encore l'envoyer balader, Ismaël, mais tant pis. « Ça a l'air tellement facile quand t'en parles. J'ai toujours trouvé ça incroyable. » Il hausse les épaules, pince doucement les lèvres. « Quelque part, j'pense que je t'ai toujours envié, pour ça. Par procuration, ça me faisait du bien de voir que c'était possible d'être heureux avec des choses simples même si c'était pas mon cas. »

« Tu as de la chance. »
Oui. C'est indéniable. Ismaël a de la chance, pour ça, pour d'autres choses ; il en a toujours eu. Être conscient de ça fait aussi parti des choses qui le rendent heureux. Il n'a jamais eu besoin de grand chose et, la plupart du temps, il a su se contenter de ce qu'il avait. C'est quand ça n'a pas été le cas que tout est parti en steak ; il n'y a qu'à voir avec Oliver, justement. « J'aurais bien aimé avoir ce genre de... j'sais pas, d'insouciance ? Ou simplement de normalité. »
Ce sont des choses qui s'apprennent, mais tout le monde n'est pas capable d'enseigner ça, simplement parce que peu de gens sont simplement en mesure de profiter de ces bonheurs-là. Mallory a toujours été entouré de personnes bienveillantes, oui, mais malheureuses à leur façon ou en tout cas, pas disposées à lui apprendre comment profiter des choses simples. Lui, peut-être qu'il aurait pu, si sa relation avec le chanteur ne s'était pas si violemment détériorée, quand ils étaient gamins. « Ça a l'air tellement facile quand t'en parles. J'ai toujours trouvé ça incroyable. »
Ce n'est pourtant pas sorcier. Peut-être qu'il pourrait lui apprendre, maintenant. Lui, en tout cas, il a bien envie d'essayer ; il a même un petit peu réussi, à la plage, l'autre soir. C'est bien la preuve que Mallory n'est pas une cause définitivement perdue. « Quelque part, j'pense que je t'ai toujours envié, pour ça. Par procuration, ça me faisait du bien de voir que c'était possible d'être heureux avec des choses simples même si c'était pas mon cas.
– Comment tu peux savoir que c'était pas ton cas alors que t'as jamais vraiment eu l'occasion d'essayer ? demande-t-il alors, tendant le bras pour récupérer le joint qu'il cale aussitôt entre ses lèvres. La seule fois où je t'ai vu faire, t'as eu l'air de réussir. »
Il souffle sa fumée, penche la tête pour regarder le garçon avec un sourire en coin : « Enfin, jusqu'à ce qu'on manque de se noyer parce qu'on a perdu la plage, mais... c'est un détail. »
Il prend une taffe de plus, et rend la tige de tabac et d'herbe à Mallory, avant de tourner la tête... et de bloquer sur le visage froncé de Sophie, assise un peu plus loin, le fixant avec insistance. Il l'avait oubliée, mais avant que l'Ectoplasma ne recommence à attirer l'attention, il escompte bien finir sa conversation avec son dresseur. « De toute façon, tu verras bien ce soir, quand le soleil se couchera. T'es déjà resté une nuit, ici ? C'est vraiment incroyable. »

« Comment tu peux savoir que c'était pas ton cas alors que t'as jamais vraiment eu l'occasion d'essayer ? La seule fois où je t'ai vu faire, t'as eu l'air de réussir. » C'était exceptionnel sans doute, mais Ismaël le croirait-il seulement s'il répondait quelque chose dans ce goût là ? Non, sûrement pas ; parce qu'il a beau avoir vu un certain nombre de choses chez le chanteur, il n'a encore rien compris de sa résignation lorsqu'il s'agit d'à peu près tout, de ses foutues certitudes qui ont fini par s'ancrer au fond de sa tête pour éviter de souffrir plus que nécessaire. Il passera sa vie à être malheureux, et c'est une fatalité à laquelle il n'échappera pas, quand bien même pourrait-il apercevoir les quelques éclaircies qui lui ont été montrées, un peu comme ce jour-là à la plage. Ce n'étaient que quelques reflets, les pâles rayons d'un soleil d'hiver pour faire fondre la neige, mais rien qui soit capable de le persuader que sa vie pourrait devenir normale en dépit de tous les obstacles à franchir. Il est résigné, Mallory. Fané. « Enfin, jusqu'à ce qu'on manque de se noyer parce qu'on a perdu la plage, mais... c'est un détail.
– Pas sûr que ça aurait été un détail si l'un de nous deux s'était noyé. »

Ismaël les a sauvés tous les deux de ce risque là, le champion n'aurait jamais été capable d'atteindre la rive tout seul. A chaque fois qu'il y pense à cette étrange soirée, il se demande bien ce qui a pu foirer à un moment clé de sa vie pour qu'il n'ait pas le droit de voir ces épisodes se reproduire, au moins assez pour rendre son quotidien insupportable. Son gagne-pain, c'est sa souffrance qui la lui donne, il ne serait pas célèbre s'il n'était pas malade, il n'aurait jamais repris l'arène s'il n'avait pas eu besoin des Spectre pour ne pas partir totalement en live au moindre coup de chauffe. Les petits bonheurs, les plaisirs simples, c'est presque comme s'il les évitait, de peur de les voir échouer. « De toute façon, tu verras bien ce soir, quand le soleil se couchera. T'es déjà resté une nuit, ici ? C'est vraiment incroyable. »

Non, il n'a jamais eu le courage de rentrer en pleine nuit chez lui, il avait un peu trop peur de se perdre ; la nuit n'a jamais vraiment été son amie. « J'suis toujours venu ici en journée. Quand c'était un peu compliqué j'venais là, ça me faisait un peu de bien, je crois. » Il regarde autour de lui, lève le nez ; cet endroit est magnifique, enchanteur et apaisant, c'est un peu comme regarder un rêve tout en étant parfaitement éveillé. Comme si rien ne pouvait lui arriver. « J'ai un peu l'impression d'être une grosse tache toute noire et sale dans un endroit pareil. On dirait que tout est pur ici, ça m'a attiré au premier jour où je suis venu. J'crois que ma mère m'a emmené ici, une fois. Quand j'étais plus petit. » Il se souvient, vaguement, d'une main potelée qui tenait la sienne, maigre, d'un sourire, d'un espoir, avant que tout s'arrête, qu'elle, elle arrête. « Ou c'était quelqu'un d'autre, je sais plus. Je me rappelle juste que quand j'étais gosse j'ai eu l'impression que tout s'en allait, quand j'suis venu. J'ai plus jamais ressenti ça nulle part, ensuite. A part... » La première fois que je t'ai vu. Mais il se tait avant, bien peu désireux de se trahir encore ; et si son regard le chuchote quand il tourne la tête vers lui, il n'ajoute absolument rien vers ce chemin-là. « C'est pas important. Tu veux vraiment attendre la nuit ? »

« J'suis toujours venu ici en journée. Quand c'était un peu compliqué j'venais là, ça me faisait un peu de bien, je crois. »
Ce n'est pas surprenant ; ça rejoint le fait que les Pokémon fées lui fassent du bien et lui plaisent tant que ça. Quelque part, cet endroit est à l'antithèse de l'émo torturé, incompris et rejeté que Mallory a toujours été convaincu d'être. Non pas que ce soit entièrement faux, et ça Isma a bien fini par le comprendre, mais pour qu'il aime la Lumiclairière, c'est bien que la vérité est bien plus compliquée que ça, dans le fond. Le simple fait que le champion soit sensible à la beauté de cet endroit montre qu'il n'est pas une cause aussi perdue qu'il le prétend. « J'ai un peu l'impression d'être une grosse tache toute noire et sale dans  un endroit pareil. On dirait que tout est pur ici, ça m'a attiré au premier jour où je suis venu. J'crois que ma mère m'a emmené ici, une fois. Quand j'étais plus petit. »
Avant de l'abandonner du coup, c'est ça ? L'attachement de Mallory à cette figure maternelle parfaitement indigne est terriblement triste, et l'a toujours été, aux yeux d'un garçon comme Ismaël qui n'a que rarement connu la solitude. Le petit garçon terrifié par l'abandon de sa mère n'a jamais totalement disparu, en témoigne ce qu'il s'est passé à l'hôpital l'autre soir. Sophie a pris le relai, mais ça ne suffit pas toujours. Peut-être que cette vieille lâche a un rôle à jouer dans l'ampleur de la maladie du fils qu'elle ne connaît même pas. « Ou c'était quelqu'un d'autre, je sais plus. Je me rappelle juste que quand j'étais gosse j'ai eu l'impression que tout s'en allait, quand  j'suis venu. J'ai plus  jamais ressenti ça nulle part, ensuite. A part... »

À part ? Il ne saura pas, comprend-il ; et si ça l'intrigue, bien sûr, Isma ne pose pourtant pas de question. Avec Mallory, ça ne sert jamais à grand chose. « C'est pas important. Tu veux vraiment attendre la nuit ? 
– J'aimerais bien, répond-il. Je veux te montrer ça. Tu vas voir, ça vaut le coup. »
Et cette promesse-là, Ismaël l'a toujours tenue. S'il aime cet endroit de jour, il l'adorera la nuit. C'est certain. « Allez, mange un bout. Moi j'vais me baigner. »
Comment ça, monsieur n'a pas faim et ne veut pas manger ? « Alors viens dans l'eau avec moi. Si tu voulais végéter, fallait rester sur ton canap. Allez, debout ! »
Et cette fois, il attrape sa main pour le hisser sur ses jambes, faisant fuir Than qui sent très bien le coup venir. « J'te conseille pas d'y aller habillé, mais si tu coopères pas c'est comme ça que ça va finir. »