Quel crétin, putain. Il ne le voit pas pendant des années et le jour fatidique où ça finit par arriver, il est prêt à le prendre dans ses bras, à tout oublier ? C'est idiot, et heureusement qu'il arrive maintenant, cet appel, au moins ça lui remet les idées en place. Morne, et blessé aussi, sans vraiment savoir pourquoi et par qui, Oliver se détourne. Il n'a pas sa place dans cette vie-là, ils sont des étrangers maintenant, l'adolescence est loin derrière eux, l'insouciance aussi, les promesses, plus rien n'existe même s'il a eu la bêtise d'y repenser pendant ce court temps que la pause a donné. Cet appel a au moins le mérite de le ramener à la réalité ; maussade, il récupère Allumette quand Gaspar se lève pour répondre au téléphone. Je te déteste, je te déteste tellement de nous avoir fait ça. Mais c'est trop tard, c'est pas la peine. Ça sert à rien, et espérer maintenant, c'est purement puéril. Il aimerait se boucher les oreilles ; mais ça ne serait pas plus mature alors il serre les dents, le batteur, il attend que ça passe. Comme d'habitude.

« Allô ? » Il entend à peine la voix, à l'autre bout du fil ; Gaspar s'est suffisamment éloigné pour qu'il n'entende pas le ton doux et mélodieux de l'enfoiré qui lui a volé son mec. « Bah... je suis toujours à la Lande, j'ai... » Il est coupé, écarquille les yeux ; malgré lui, Oliver ne peut pas s'empêcher de tendre l'oreille. Est-ce qu'il lui parle correctement, au moins, ou est-ce que ce sale type est en train de s'énerver pour une histoire d'horaires ? « J'ai été surpris par un orage, j'me suis abrité mais... » Mais quoi, il ne saura pas. Quelques secondes plus tard, l'homme passe ton téléphone dans sa poche, dos à lui, silencieux. Peut-on avoir la vie qu'on mérite, seulement ? Oui, songe-t-il un peu cruellement, en regardant les épaules du chanteur se hausser le temps d'une longue inspiration. Il se sent intrus, tout de suite, et c'est rageant, de s'apercevoir que celui qui en savait le plus sur lui, celui qui aurait dû compter plus que n'importe qui, n'est plus que l'ombre du garçon qu'il a aimé et que cet autre, là, avec sa vie de château et son crétin de mari, il n'en sait rien, rien du tout, quand bien même ce geste dans ses cheveux blonds, il l'aurait déjà vu un million de fois.

« La pluie a l'air de s'être calmée, entend-il alors, tandis que des pas se rapprochent de lui. On va y retourner, non ? Le temps qu'on retrouve ta voiture on tombera peut-être sur un Pokémon intéressant, qu'est-ce que t'en dis ? »
Un temps, il a envie de l'envoyer chier. De lui dire de rentrer tout seul, de trouver son chemin par ses propres moyens, de le laisser tranquille, disparaître de sa vie. Mais il y a de la détresse dans les yeux de Gaspar, du chagrin aussi, il est perdu, malheureux et quand bien même Oliver le détesterait autant que son inconscient le prétend, il ne peut juste pas laisser les choses en l'état. Il ne peut pas tourner les talons et partir, l'abandonner à son sort et à sa douleur, ça c'est quelque chose que lui a fait, mais ça ne sera pas son cas. Il est en colère, oui, il est fatigué, énervé, mais il soupire, tout de même, avant de tendre un bras. « Aide-moi à me remettre debout, s'il te plaît. » De toute manière, après ça, ils ne se reverront plus. Alors il peut bien concéder un effort, encore un, hein ?

Levé, Oliver attrape sa canne. Sa hanche est encore douloureuse mais au moins, il peut marcher ; un regard vers ses deux Pokémon les invite à avancer à côté de lui. Capturer des Pokémon alors que la nuit tombe, en voilà une bonne idée ; il n'a pas envie, maintenant il voudrait juste s'enfuir en courant. Sauf que c'est comme ça, et toute la rancoeur du monde n'y changera rien, quand bien même aurait-il envie d'aller jusqu'à Enoville lui éclater la gueule, à ce mec qui n'a rien fait d'autre que lui prendre ce qui lui revenait de droit depuis dix ans. Cet homme qui marche en silence à côté de lui, malheureux. « Arrête de faire la gueule, tu veux ? Il va encore pleuvoir à ce rythme. » Après tout, ils ne se sont jamais rien promis après tout ça, alors... « Tu cherchais quoi dans la Lande, au fait ? Si tu viens capturer, tu dois avoir une idée de l'équipe que tu veux, en futur maître de la Ligue, hm ? »

Pendant quelques interminables secondes, Gaspar attend, planté là, qu'Oliver lui réponde quelque chose. A chaque pensée qu'il a le temps de sentir traverser son esprit, il est un peu plus convaincu qu'il va se faire envoyer chier, que ce coup de fil vient non seulement de crever l'étrange bulle dans laquelle ils s'étaient enfermés, mais de pulvériser tout ce qui se trouvait à l'intérieur. Et puis, non. Un soupir s'échappe, puis une main se tend. « Aide-moi à me remettre debout, s'il te plaît. »
Gaspar s'exécute, poussant un soupir de soulagement qu'il essaie aussitôt de faire passer pour une quinte de toux pas du tout crédible. Tandis qu'Oliver récupère sa canne, lui s'applique à éteindre le feu. 

Cette fois, le chanteur prend Silver sur son dos pour continuer la route. Il a le coeur gros et la gorge serrée, les yeux encore humides à cause de sa stupide crise de larmes, alors il ne dit rien. Même la perspective de capturer quelque chose ne l'enthousiasme pas tant que ça, finalement. En plus il commence à faire nuit et chaque pas qu'il fait le rapproche d'au revoir empruntés pendant lesquels il devra à nouveau se retenir de pleurnicher. « Arrête de faire la gueule, tu veux ? Il va encore pleuvoir à ce rythme. »
Gaspar sourit, mais le coeur n'y est pas. Il n'a pas envie de faire comme si de rien n'était. Très égoïstement, il ne veut tout simplement pas le perdre encore une fois. « Tu cherchais quoi dans la Lande, au fait ? Si tu viens capturer, tu dois avoir une idée de l'équipe que tu veux, en futur maître de la Ligue, hm ?
– Je voulais un Salamèche, dit-il piteusement. Mais par ce temps tu parles, ils ont dû se planquer. Ils ont été plus malins que moi. »
Comme tout le reste de la terre, sans doute. Les Salamèche, eux, ils n'abandonnent pas ce qu'ils ont de plus précieux pour se retrouver avec... et avec quoi, hein ? Il a pas le droit de se plaindre, songe-t-il en jetant un triste coup d’œil à sa main gauche. Il est marié, riche, célèbre, et il a encore un rêve à accomplir, même s'il a un peu de mal à se rappeler du sens qu'il a pu lui trouver, à ce rêve, sans Ollie. Après tout, sans lui, il ne l'aurait jamais dessiné, la première fois. Tout comme il ne serait jamais devenu chanteur sans Mallory. Là, le seul effet qu'il se fait, c'est celui d'un imposteur.
Las, Gaspar échappe un profond soupir. « J'sais même pas pourquoi j'me suis mis ça en tête, dit-il avec un sourire torve. Ça doit être leurs pubs pourries qui m'ont tourné la tête, il doit pas avoir si tort que ça, Sacha. »
Une tête se relève vers lui, il le voit du coin de l'oeil, mais refuse de se tourner pour affronter le regard d'Oliver. « J'suis pas fait pour ça. »
Il ricane, cette fois, et c'est tellement mauvais que Silver se redresse un peu sur ses épaules, comme si elle avait peur de quelque chose. « Et franchement j'suis plus vraiment sûr d'avoir envie d'essayer tout seul. »

« Je voulais un Salamèche. Mais par ce temps tu parles, ils ont dû se planquer. Ils ont été plus malins que moi. » Sans doute, songe le jeune homme en lui jetant un regard un peu désolé, malgré son sourire peut-être un tout petit peu trop attendri. Un Salamèche, hein ? Ça lui rappelle encore beaucoup trop de choses, le poster qu'il lui a montré un jour et qu'il n'a pas eu le droit d'afficher dans sa chambre, à l'effigie de tous les champions de Lathea. L'un d'entre eux avait toute une équipe de dragons, et il devait bien admettre qu'ils étaient classes, mais il se souvient surtout de l'air émerveillé de l'adolescent chanteur qui les regardait, les uns après les autres, et qui les énumérait. Dracaufeu. Tioxhydre. Dracolosse. Bruyverne. Si ses souvenirs sont bons, il y avait aussi un étrange Pokémon tout baveux avec toute cette équipe de champions.

« J'sais même pas pourquoi j'me suis mis ça en tête, entend-il finalement près de lui, alors que l'homme ne le regarde pas. Lui, il guette un peu dans la Lande, dans l'espoir de voir... c'est quoi ce truc qui brille, là-bas ? Ça doit être leurs pubs pourries qui m'ont tourné la tête, il doit pas avoir si tort que ça, Sacha. » Sacha est un abruti, surtout s'il croit que tous les Pokémon veulent vivre en liberté. Il se demande bien comment il aurait survécu Allumette, tout seul, tiens. Sûrement pas plus de vingt quatre heures et encore, il est large ; alors non, sa solution n'est pas la bonne, mais il ne répond rien, trop occupé à diriger l'air de rien un Gaspar malheureux en direction de la drôle de lumière qu'il aperçoit, un peu plus loin. Ça, ça ressemble vraiment beaucoup à la queue d'un Salamèche, non ? Il relève le nez, pour regarder le chanteur et le prévenir ; sauf que ce dernier fuit toujours ostensiblement son regard.

« J'suis pas fait pour ça. » Bon, il peut arrêter ses conneries, deux secondes ? « Et franchement j'suis plus vraiment sûr d'avoir envie d'essayer tout seul.
– Bien, si t'es si sûr que t'es pas fait pour ça et que tu ferais mieux d'arrêter, tu me laisseras bien capturer le Pokémon qui est là-bas, hm ?» dit-il avec un sourire un peu fin, tandis que Gaspar relève enfin le nez. La nuit est tombée maintenant, il fait très sombre, et la queue du petit Salamèche doré qui furette près d'une grosse pierre ressemble un peu à la lueur d'un phare, maintenant. Quand il voit les yeux du chanteur s'écarquiller, il ne peut pas s'empêcher de sourire ; cette expression sur lui, elle est magnifique, cette façon qu'il a de s'émerveiller, oubliant toute mauvaise humeur pour observer la petite créature qui ne les a pas encore remarqués. « Il est pas d'une couleur normale, celui-là, observe-t-il, juste au cas où. Du coup tu m'en voudras pas si je te le... Gaspar, je déconne, dit-il avec un soupir alors qu'une oeillade implorante se tourne vers lui et lui aurait sans doute arraché un grand éclat de rire, un siècle plus tôt. Allez, envoie ta petite trouillarde en reconnaissance, et capture-le. Vaut mieux ça que t'entendre dire des conneries, hm ? »

C'est vrai quoi ; il n'a jamais rien réussi tout seul après tout, et ceux à qui il doit ce qu'il a, soit il les a abandonnés, soit il est en passe de le faire quand bien même il serait convaincu de ne pas pouvoir faire sans. Sinon, pourquoi il serait devenu dresseur, hein ? S'il se sentait bien chez lui, s'il s'y sentait à sa place, s'il n'avait personne à fuir ? Il n'est bon à rien, rien du tout, assène-t-il intérieurement en shootant dans un caillou. « Bien, si t'es si sûr que t'es pas fait pour ça et que tu ferais mieux d'arrêter, tu me laisseras bien capturer le Pokémon qui est là-bas, hm ?
– Quel Pokémon ? demande-t-il sans enthousiasme, relevant le nez. »
Et c'est là qu'il le voit. Il y a une flamme là-bas et il est quasiment sûr que ce n'est pas un feu de camp parce que... déjà parce qu'il a plu, voilà, et ensuite parce que ça bouge quand même pas mal, ça oscille, c'est... c'est un Salamèche, bordel. Ses yeux s'écarquillent et son cœur s'emballe immédiatement, il a l'impression que le temps s'arrête ; comment c'est possible et surtout, pourquoi maintenant, alors qu'il était en train de renoncer à sa connerie, est-ce que... ce serait un signe ? « Il est pas d'une couleur normale, celui-là, observe-t-il, juste au cas où. Du coup tu m'en voudras pas si je te le... Gaspar, je déconne. Allez, envoie ta petite trouillarde en reconnaissance, et capture-le. Vaut mieux ça que t'entendre dire des conneries, hm ? »
Il lui a fait peur ce grand couillon, se dit le chanteur, tout fébrile, sans répondre pourtant ; il devrait hésiter, là, c'est le moment où il devrait pouvoir réfléchir, se dire que s'il n'est pas sûr de lui il ne faut pas capturer un Pokémon et l'arracher à sa famille et... mais non putain il va pas hésiter, il a un Salamèche chromatique sous le nez, c'est pas possible. Sa main s'enfonce déjà dans son sac pour saisir une pokéball. « C'est... Ollie, regarde, chuchote-t-il en voyant l'éclat de la flamme s'agrandir sans réponse apparente. »
C'est comme si une autre lueur apparaissait peu à peu derrière le rocher. « Je crois qu'il y a un terrier ici... Ce serait pas éto... attends, il est jaune aussi ? »
Non, il doit rêver, c'est à cause de l'obscurité, c'est ça ? En fait aucun des deux n'est chromatique, c'est un effet d'optique et. Mais non. Les deux Salamèche n'ont pas encore remarqué leurs présences, ils poussent de petits cris joyeux en frottant leurs museaux. C'est tellement mignon, se dit-il, attendri au-delà des mots, avant de couler un coup d'oeil vers Oliver. Il croise son regard et, aussitôt, un sourire entendu étire le coin de ses lèvres. « Silver ? appelle-t-il sa Minidraco alors que son voisin fait de même. A toi de jouer. Je compte sur toi. »

Ah, ça y est il atterrit, ce grand imbécile ? Oui. Sa Pokéball est déjà dans sa main, et il va le capturer, ce petit Salamèche tout jaune. Quelque part, c'est un peu dommage, il aurait bien aimé en avoir un comme ça, lui aussi. Tant pis, il n'a pas pour vocation de devenir dresseur, lui, alors... alors il le regarde, un petit sourire aux lèvres, cligner plusieurs fois des yeux pour vérifier si c'est bien vrai, s'il y a bien une créature chromatique toute prête à être attrapée. Oui. « C'est... Ollie, regarde... » Regarder quoi ?

Il fronce un peu les sourcils, Oliver, puis met sa main en visière. Et effectivement, derrière le rocher, il y a... une deuxième lueur, non ? Oui, c'est un autre Salamèche. Merde, ils sont tombés sur un nid ? Juste après la pluie ? A quel point la chance les a frappés ce coup ci ? Et Oliver n'est pas du tout au bout de ses peines, quand il plisse les yeux pour vérifier qu'il ne se trompe pas. S'il y en a un autre, le suivant est pour lui. « Je crois qu'il y a un terrier ici... Ce serait pas éto... attends, il est jaune aussi ?
– Non, tu déconnes, là. »
Mais Gaspar ne déconne pas du tout, les deux Salamèche sont exactement de la même couleur. Il n'en revient pas cette fois, Oliver, quand il regarde le petit couple se câliner devant eux, inconscients du danger qui les attend. Quelque part, ça lui fait un peu mal de séparer ce qu'il voit comme un couple, mais l'occasion est beaucoup trop belle, songe-t-il en fouillant dans son sac pour trouver une Pokéball vide. Par chance, il pense toujours à en prendre quand il va se promener avec Choupette. Une oeillade verte lui est lancée à laquelle il répond par une autre, entendue ; très bien, ils vont faire ça tous les deux, alors. Ce dont ils rêvaient quand ils étaient gosses, c'est en train de se réaliser là, non ?

« Silver ? A toi de jouer. Je compte sur toi.
– On y va, grosse boule baveuse ? Va me distraire le deuxième. » Visiblement conscientes des enjeux, les deux Pokémon filent ventre à terre en direction du petit terrier sous le rocher ; Oliver les aperçoit au loin, mais sa concentration l'empêche de faire le moindre commentaire. Deux Salamèche chromatiques au même endroit, comment il est supposé appeler ça ? La chance ? Le bol ? Le pot ? Le destin ? « J'imagine d'ici la gueule de ton tocard de mec quand tu lui diras que t'as séparé une gentille famille de Salamèche, tiens. » Lui, personnellement, il en a rien à foutre, il faut bien le dire.

« On y va, grosse boule baveuse ? Va me distraire le deuxième. »
Le coeur de Gaspar bat la chamade, alors qu'il suit de loin les deux Pokémon qui contournent consciencieusement les deux Salamèche pour les prendre à revers ; ses poings sont serrés, et il doit déployer beaucoup d'efforts pour ne pas respirer comme un Frison. « J'imagine d'ici la gueule de ton tocard de mec quand tu lui diras que t'as séparé une gentille famille de Salamèche, tiens.
– J'en ai rien à battre, répond-il, et ça vient du coeur. Regarde comme ils sont beaux... »
Il a tellement de mal à en croire ses yeux, c'est fou ; pour un peu il les frotterait de ses poings comme un môme, mais il n'en a pas besoin. Même si ça ressemble vraiment à un putain de beau rêve - Oliver, maintenant un Salamèche chromatique -, il sait que c'est vrai, il le sent.

L'attaque des Pokémon est lancée, le combat s'engage et peut-être que ça lui fait quand même un peu mal au coeur de voir les Salamèche paniquer tout à coup, mais tant pis. Tant pis, l'occasion est trop belle, décrète-t-il alors qu'il va pour s'élancer en avant, puis s'arrête, sans réfléchir, pour saisir le dos d'Oliver, passer le bras du musicien sur ses épaules et l'entraîner avec lui sans lui demander son avis. Quelques foulées suffisent, les Pokémon sont occupés à se battre, ils ne font pas attention à eux. Souriant, Gaspar relâche Oliver, et appuie sur le bouton de la pokéball pour l'agrandir. « A trois ? il demande, un sourire déterminé aux lèvres. Un, deux... trois ! »
Les deux sphères volent du même élan et en un éclair, tout s'arrête ; le combat, les feulement des Pokémon... on n'entend plus que le bip-bip des pokéballs secouées par les gesticulations des Pokémon capturés. Et enfin, deux clics. Ça y est.
Gaspar ne peut tout simplement pas s'en empêcher quand il hurle littéralement de joie, sautant en l'air, jetant son poing devant lui avant de se laisser emporter par son bonheur, sautant presque dans les bras d'Ollie ou, à défaut, se serrant contre lui pour l'enlacer comme l'aurait fait un enfant fou de joie. « Ouais ! Ouais bon sang, c'est génial, c'est génial, répète-t-il, sans se rendre compte une seconde que ce geste qu'il fait là, tout comme celui qui lui fait saisir la main d'Oliver pour avancer avec lui jusqu'aux balls immobiles, ne sont pas du tout appropriés. On est... on a réussi, on a réussi Ollie ! »

« J'en ai rien à battre. » Bien, dans ce cas ils sont sur la même longueur d'ondes, songe Oliver avec un sourire clairement approbateur, tandis qu'il observe les Pokémon s'approcher des deux Salamèche, qui ne se doutent pour le moment d'absolument rien. Pour peu, ça lui ferait presque de la peine, s'ils n'étaient pas chromatiques. « Regarde comme ils sont beaux... » Oui, ils le sont. Est-ce que les Dracaufeu deviendront dorés, eux aussi ? Il a hâte de voir, mais pour l'heure, la seule chose qui compte, c'est de les attraper. Un sifflement furieux de Silver engage le combat, et les deux Salamèche en sursautent de concert ; à l'évidence, ils n'ont pas du tout envie d'être dérangés, et ça lui fait une belle jambe, au dresseur en herbe qui surveille sa Mucuscule des yeux, qui se bat bravement contre son ennemi. L'autre est aux prises avec le Minidraco, et tandis qu'il s'apprête à encourager Choupette, une poigne se referme sur son dos pour le soulever à moitié, l'entraîner vers le terrier. Surpris, il ne pousse même pas un cri Oliver, balloté par l'enthousiasme du chanteur qui le conduit en quelques pas de course directement devant le champ de bataille. Elles se débrouillent très bien, les deux petites, et les deux Salamèche ne voient pas du tout les dresseurs arriver. D'un clic, il agrandit sa Pokéball. C'est parti.

« A trois ? Un, deux... trois ! »
La ball s'envole en cloche, juste à côté de celle de Gaspar, et va cogner la pauvre petite tête du Salamèche jaune ; le silence se fait alors, quand les deux objets remuent furieusement, que les dresseurs retiennent leur souffle du mieux qu'ils peuvent. S'ils n'arrivent pas à les attraper, ils pourront renoncer à leur carrière de dresseurs, hein ? Si carrière il y a d'ailleurs, songe Oliver en prenant une inspiration, très courte, qui se mue en un immense et long soupir de soulagement lorsque le mouvement s'arrête, que la balle s'éteint. Le Salamèche est à lui, et il a un peu de mal à y croire, il faut bien le reconnaître.
Et alors c'est une explosion de joie qui retentit à côté de lui, puis il ne sait plus trop, il a un peu de mal à comprendre ce qui suit quand il se retrouve entraîné par un Gaspar fou de joie qui se précipite contre lui, se serait sûrement jeté dans ses bras s'il ne s'était pas souvenu de sa hanche blessée. La joie, sûrement, lui fait oublier qu'il n'a pas vraiment le droit de faire ça mais il éclate de rire, Oliver, beaucoup trop heureux lui aussi d'avoir réussi une prise pareille.

« Ouais ! Ouais bon sang, c'est génial, c'est génial... » Il a à peine le temps de se remettre de l'étreinte un peu brutale qu'il est entraîné vers l'avant, titubant, jusqu'aux deux Pokéballs qu'il contemple, encore un peu sous le choc de sa capture. « On est... on a réussi, on a réussi Ollie !
– Du calme champion, tu vas faire un arrêt cardiaque, rigole le batteur avant de s'accroupir, pour saisir la pokéball directement dans la gueule d'Allumette, désireux de ne pas obliger son dresseur à se baisser outre mesure. » Doucement d'abord, il fait tourner l'objet entre ses mains, se surprend à le sentir un peu plus chaud que les autres. Ou n'est-ce que son imagination ? Il n'en sait rien. Les rares captures qu'il a faites, c'était peut-être un peu pour l'esbroufe, il n'en sait rien.  Mais celle-là, elle compte. Elle compte, un peu comme cette soirée depuis qu'elle a commencé. Un peu remué par ce constat soudain, son regard va du fruit de sa capture à Gaspar, dont le sourire, immense, semble éclairer la nuit.

Et c'est comme une grande claque dans la gueule, alors, quand il reconnait cet air rayonnant, qu'il était certain d'avoir réussi à effacer de sa mémoire. Mais non, la lueur enfantine dans les yeux de l'adolescent qu'il aimait est toujours bel et bien là, plus belle et plus brillante que jamais, et ça lui coupe un peu le souffle à Oliver, quand il comprend que Gaspar l'a pris au piège il y a dix ans et qu'il n'a aucune chance d'en sortir, maintenant. Son souffle se coupe quand les yeux de l'homme croisent les siens, qu'il sait très bien qu'il va faire une connerie quand il avance d'un pas un peu trop gauche, en rangeant la pokéball dans sa poche. Pourquoi t'es avec ce mec ? demande-t-il en silence, sans prononcer le moindre mot, pourtant. Pourquoi, pourquoi t'es avec quelqu'un qui te comprendra jamais ? Lui, il le comprend, il sait interpréter les silences, il sait qu'il ne reculera pas, Gaspar, quand sa main libre se tend pour s'égarer sur une joue mal rasée jusqu'à sa tempe, puis sa nuque, qu'il attire pour amener, trop vite, son visage contre le sien.

Dix ans. Les seuls et uniques baisers qu'ils ont échangés tous les deux n'ont duré que le temps d'une nuit, une seule, dix années auparavant mais c'est bien ce parfum qu'il retrouve, Oliver, contre ces lèvres aussi adorées que maudites, c'est bien de la délicate fragrance du passé dont il se délecte quand il ferme les yeux, l'empêche de reculer. Tu m'as tellement manqué. Pendant toutes ces années, c'est ça qu'il a attendu, et même s'il sait qu'il n'obtiendra plus rien du chanteur, il peut au moins lui dérober quelque chose avant de le laisser pour toujours. Un Salamèche, un baiser, l'étreinte d'un bras qu'il sent s'enrouler de nouveau dans son dos. Quelques secondes durant lesquelles il revit une passion adolescente, un amour qui ne s'est jamais éteint et dont les braises se raniment, là, contre ses lèvres. T'as pas changé. Il aurait aimé que ce soit le cas pourtant, ç'aurait été beaucoup moins dur de résister à l'irrésistible. Parce qu'il lui répond, Gaspar, parce qu'il n'a rien de tendre ce baiser, qu'il dit autant je t'aime que je te hais, qu'il signifie tout et rien à la fois, sinon l'inexorable pulsion qui le pousse toujours dans les même bras, qui envoie son esprit en effleurer un autre en silence, après dix ans de mutisme forcé. T'as toujours été à moi. Il aurait tout donné pour ça. Ce soir, c'est tout ce qu'il peut offrir, ses doigts dans ses cheveux, sa bouche contre la sienne, son souffle qui meurt à l'orée de ses lèvres quand il recule, ouvre les yeux, en croise une paire d'autres, écarquillés.

Alors seulement, il le relâche ; pose doucement un doigt sur une paire de lèvres prêtes à s'animer pour parler. Il n'a pas envie d'entendre qu'ils ne peuvent pas, qu'il est marié, que c'est impossible, qu'il est désolé. Il s'en fout. « Tu me dois bien ça, murmure-t-il pour contredire chaque stupide argument qu'il n'a aucune envie d'entendre. » Un baiser, c'est tout ce qu'il est venu chercher. « Ça restera ici, d'accord ? » Le regard qu'il croise est complètement égaré ; ça lui arrache un sourire, amusé, un peu moqueur aussi, alors que sa main raffermit sa prise sur sa canne et qu'il se détourne pour de bon. « Allez, en route Dresseur. »

Ils arrivent en courant comme ils le peuvent devant leurs deux Pokémon aussi essoufflés que fiers - quoique Silver a l'air un peu horrifiée quand même - et sans attendre, Gaspar se jette à genoux dans la terre meuble pour ramasser sa pokéball, son Salamèche, son Salamèche bon sang, il n'arrive pas à y croire. Il est fou de joie, son coeur bat à toute vitesse dans sa poitrine et il a beaucoup de mal à ne pas se relever en bondissant pour courir partout dans la Lande en hurlant qu'il a réussi, qu'il a réussi bon sang.

Sauf qu'il ne le fait pas parce que quand il se relève il y a ces deux yeux sombres qui brillent dans l'obscurité, qui croisent les siens et figent un tout petit peu son immense sourire quand, avant même qu'Oliver n'esquisse un geste, il se sent poussé par une impulsion primaire qui envoie dans son ventre le vertige le plus grisant de toute sa vie. Ou presque : il a connu ça, déjà. Une fois, une nuit, il y a dix ans.
C'est insensé que ce soit si évident, c'est stupide sûrement de se jeter avec autant de ferveur dans les bras d'un homme qu'il a chassé de sa vie et qu'il n'a cessé de regretter, et pourtant c'est la seule chose qui compte, le seul geste qu'il puisse esquisser. Les doigts qui s'égarent sur sa joue sont délicats, et malgré l'odeur de la pluie qui l'entoure il le reconnaît, l'arôme si rassurant qui a apaisé les tourments de sa vie autrefois, et qui lui donne une nouvelle raison de croire en celle qu'il a construite, tant bien que mal, de mauvais choix en mauvaise décision. Celle qu'il prend en choisissant de ne pas lutter n'est pas de celles-là, et c'est sans pouvoir nier le soulagement intense qui s'abat sur lui qu'il cède à l'attraction de la main qui s'est refermée sur sa nuque. Son souffle s'éteint à l'orée de ses lèvres, et c'est au seul son des battements frénétiques de son coeur qu'il sent la passion enflammer sa chair désertée de tout frisson depuis bien trop longtemps. Il réalise en une poignée de secondes l'ampleur du mensonge dans lequel il s'est perdu quand il a essayé de croire qu'il pourrait supporter le reste de sa vie sans Oliver, sans le feu qu'il sait allumer dans sa poitrine, et sans la force qu'il est le seul à pouvoir lui procurer.

Ce soir en est la preuve concrète, avec cette capture, ce projet irréalisable quelques pauvres minutes plus tôt et si proche à présent, et ce rêve inavoué, oublié, qui ressurgit dans son esprit aussi violemment que le coup de poing qui l'a heurté tout à l'heure. On va partir, tous les deux. Tout ne s'est peut-être pas exactement passé comme prévu depuis qu'ils se le sont juré, mais ils sont bien là ce soir, ensemble, alors...
Alors le fil de ses pensées se coupe quand Oliver finit par reculer, échappant doucement au bras que Gaspar avait enroulé autour de ses reins dans un réflexe aussi possessif qu'inconscient. Il cligne des yeux, une seconde, perdu, dévorant du regard le visage qu'il peine à distinguer dans la nuit, mais face auquel il est déjà prêt à prêter tous les serments du monde. Je viens avec toi, s'apprête-t-il à dire, d'un ton un peu stupide sans doute, à peu près autant que l'expression qu'il arbore probablement. Il n'en a pas le temps, un doigt se pose déjà sur ses lèvres pour l'empêcher de parler. « Tu me dois bien ça. »
C'est vrai, ne peut-il que reconnaître ; il le lui doit pour tout un tas de raison, et pour une de plus maintenant parce qu'il en est convaincu, le chanteur : ces Salamèche, c'est le destin qui les a mis sur leur route. Leur rêve, il est là, et ils n'ont qu'à tendre la main pour... « Ça restera ici, d'accord ? 
– Je... »
... Quoi ? Ça restera... Mais. Oliver se détourne, et lui il reste là, con. « Allez, en route Dresseur.
– J'arrive, dit-il bêtement en avançant derrière-lui, les jambes un peu flageolantes, j'arrive mais... Ollie ? »
Ce regard, là, il ne l'aime pas beaucoup. C'est un regard qui le prévient. Dis pas de connerie. Alors il préfère se taire, et se pencher pour tendre le bras à Silver, qui s'enroule autour pour grimper sur ses épaules. Ça restera ici. Pourquoi, alors ? Parce qu'il le lui devait mais. Gaspar pince les lèvres, frissonne des pieds à la tête, cherchant désespérément à croiser un regard qui reste rivé droit devant eux. Il a un peu peur, soudain. Tu veux encore t'en aller pour toujours, après ? Si c'est le cas, il n'a plus qu'à prier pour ne jamais trouver... le foutu parking de merde qu'il vient d'apercevoir là-bas. Génial. Pour un peu, il en grognerait de frustration.
Silencieux alors, il se contente d'avancer, tiraillé entre tout un tas de sentiments totalement contradictoires. Une vibration, dans sa poche, lui fait baisser le nez vers l'écran de son téléphone aussitôt dégainé. T'es dans le train ?

Il en trébuche sur son pied, manque bien se casser la gueule. Sacha. Putain, il n'a pas eu une seule pensée pour Sacha depuis... bordel, se dit-il en passant une main dans ses cheveux, prenant une longue inspiration. Bordel, quel... quel merdier. « Ça... ça va aller, pour rentrer ? bégaie-t-il, paumé. On est pas tout à côté de Castlerain alors... enfin si tu veux je peux appeler un taxi. De toute façon j'vais en faire venir un parce que... »
Parce que s'il prend le train il va se faire tuer en rentrant ? De toute façon il va se faire tuer en rentrant. Quand Sacha saura que... mais il ne le saura pas, si ? Gaspar ne va rien dire. Il va devoir mentir ? C'est... mais. Et ça y est, il a mal à la tête. Et mal au coeur, aussi, parce qu'Oliver veut rentrer tout seul, donc dans même pas dix minutes, ils se disent adieu. « Tu... vas rester sur Castlerain ? demande-t-il alors, d'un ton peut-être un tout petit peu trop inquiet pour être innocent. »
Et il ne s'en cache même pas, au final. J'ai envie de te revoir.

C'est peut-être sa seule satisfaction, sa seule victoire à Oliver, que de se dire qu'au moins ce Sacha ne pourra pas lui prendre ce qu'il vient tout juste de recueillir. Ce regard sur son visage, il était émerveillé, il en est sûr, et s'il n'était pas aussi convaincu que ce serait une énorme connerie de réessayer, d'y retourner maintenant, alors il le ferait, sans hésiter la moindre seconde. Il le ferait, parce que dix ans ont, tout au plus, seulement écaillé légèrement la relation qu'ils avaient, mais Oliver sait et comprend que s'ils se revoient, tout va recommencer. Parce que l'homme qui le regarde sans comprendre tandis qu'il s'éloigne pour ne pas être tenté à nouveau n'est que la prolongation du garçon qu'il aimait, mais qu'il est un homme maintenant, un homme marié, qui a renoncé à lui il y a longtemps. Lui proposer de venir avec lui, lui accorder une seconde chance après juste une soirée, comme si le temps s'était arrêté pendant des années, c'est l'idée la plus débile qui soit. « J'arrive, et le ton est hésitant, quand Oliver décide d'avancer sans le regarder, j'arrive mais... Ollie ? »

Il se tourne, alors, l'observe, les yeux pleins de menaces muettes ; non, c'est pas la peine d'en parler, il en avait envie, il était un peu trop adorable, ses yeux brillaient trop et le ramenaient invariablement à toutes les raisons pour lesquelles il a eu envie, un jour, de garder cet homme dans sa vie. Dans une autre, ils seraient sans doute repartis ensemble, main dans la main, mais dans celle-ci ce n'est plus possible, et ce malgré cette parenthèse qu'il leur a imposée. Et de toute manière, il y a cet autre mec, entre eux, et il n'a aucune envie d'entendre la réalité. Ce qui s'est passé, quelque part, relève bien plus du rêve que tout autre chose.

Au loin, il est presque soulagé de voir le parking ; soulagé, déçu, ses émotions se mélangent, il ne sait pas du tout comment les appréhender. Quelque part, c'est mieux comme ça. Quelques heures volées au temps qui passe, et la vie qui reprend son cours, pour eux deux, c'est ce qu'il y a de mieux à faire de toute manière. « Ça... ça va aller, pour rentrer ? On est pas tout à côté de Castlerain alors... enfin si tu veux je peux appeler un taxi. De toute façon j'vais en faire venir un parce que... » Parce que quoi ? Son petit mari ne veut pas qu'il rentre trop tard ? Pourquoi, c'est la question le plus stupide qu'il se pose depuis qu'il l'a revu, pourquoi a-t-il décidé d'épouser quelqu'un qui n'a de cesse que de brider ses rêves ; dans un couple, on s'encourage, non ? On ne réduit pas l'autre en esclavage. Il n'y a qu'à voir la rapidité de leur conversation au téléphone pour constater que ça va mal ; mais ce ne sont pas ses affaires, alors Oliver hausse les épaules. « Non, t'en fais pas. J'ai ma voiture, c'est une boite automatique donc ça risque rien. Et puis, ça vaut mieux comme ça. » Tous les deux dans un taxi jusqu'à Castlerain, il sait très bien comment ça va finir ; il ne pourra pas résister à l'envie de lui proposer de venir chez lui, et ça, ça ressemble à tout sauf à une bonne idée.

« Tu... vas rester sur Castlerain ? » Cette fois, c'est une oeillade suspicieuse qu'il lui jette. Quoi, tu veux me revoir ? Il devrait être raisonnable, bordel, ça n'a pas marché la première fois, ça ne marchera pas dix ans après. Il n'a pas confiance en lui, quand bien même rêverait-il de le pouvoir. « Mallo a déjà pas mal de challengers, en ce moment, tout le monde veut tester la force du nouveau champion. Alors je pense que le groupe va rester un moment en ville, ouais. » Il a parlé d'une tournée dans l'année, mais a bien précisé que les choses devaient se calmer avant. « C'est pas une bonne idée, Neskov, dit-il finalement, avec un sourire un peu pincé. Tu sais que c'est pas une bonne idée. T'as fait tes choix il y a dix ans, j'pense qu'il vaut mieux que ça reste comme ça. » Même si ce baiser, tout à l'heure, est en parfaite incohérence avec ce qu'il est en train de dire. « J'suis pas sûr que Sacha ait très envie de te laisser aller voir ton ex à l'autre bout du pays. Même si ex c'est un bien grand mot. »

Bien sûr, Ollie a très bien compris où Gaspar voulait en venir et le coup d'oeil clairement méfiant qu'il adresse au chanteur le lui fait très bien comprendre. Pour autant, cette fois, il ne détourne pas les yeux, bien trop effrayé à l'idée de ce qui va lui être dit maintenant. « Mallo a déjà pas mal de challengers, en ce moment, tout le monde veut tester la force du nouveau champion. Alors je pense que le groupe va rester un moment en ville, ouais.
– Oh, d'accord, dit-il, la voix pleine d'espoir. Alors j'me disais que... enfin peut-être...
– C'est pas une bonne idée, Neskov, dit alors Oliver, coupant net les projets qui lui venaient déjà. Tu sais que c'est pas une bonne idée. T'as fait tes choix il y a dix ans, j'pense qu'il vaut mieux que ça reste comme ça. »
Alors pourquoi l'avoir embrassé ? Qu'est-ce que ça voulait dire, est-ce que c'était vraiment... parce qu'il le lui devait ? Un peu comme ce coup de poing qui était dû, c'est ça ? Non, il n'y croit pas, il ne veut pas croire que ça puisse être... juste ça. « J'suis pas sûr que Sacha ait très envie de te laisser aller voir ton ex à l'autre bout du pays. Même si ex c'est un bien grand mot.
– Sacha a déjà pas très envie que je devienne dresseur, alors, bougonne-t-il en faisant tourner entre ses mains la belle pokéball dans laquelle est enfermé son Salamèche. J'pense pas que ça l'intéresse beaucoup de savoir avec qui j'essaie d'apprendre à être un peu moins naze. »
Dans tous les sens du terme d'ailleurs.
Ils arrivent à la voiture maintenant, ça va être le moment de vérité et c'est assez incompréhensible finalement, la façon dont ça terrifie Gaspar alors qu'au final, si Oliver refuse de croiser à nouveau son chemin, il n'aura qu'à reprendre sa vie qui lui va très bien et essayer d'oublier l'étrange parenthèse qui a enfermé cet après-midi. L'ennui, c'est qu'il n'a pas envie de la refermer. Pas tout de suite. Ou peut-être jamais, même si... tout a changé maintenant, ou beaucoup de choses, en tout cas. Ils ne sont peut-être pas obligés de se dire adieu pour autant. « J'ai... pas envie, confesse-t-il du bout des lèvres, en soupirant quand le moment fatidique finit par se présenter, devant la voiture du batteur. Je préférerais qu'on se dise au revoir. Tu veux bien garder au moins mon numéro ? Si t'as envie... j'sais pas, qu'on aille faire un tour. Des fois qu'on ait envie de choper d'autres chromatiques, j'en sais rien... »

« Sacha a déjà pas très envie que je devienne dresseur, alors... » Mais ce n'est pas vraiment une raison pour forcer le destin, ça ne sert à rien, ça n'a pas de sens. S'il s'est marié avec une tête de con, c'est son problème, et Oliver ne veut tout simplement pas être mêlé à ça, c'est pas compliqué à comprendre, quand même ? Même s'il n'aurait sans doute pas dû l'embrasser, ça ne change rien, ou peu. La seule chose qui diffère de l'heure de leur rencontre maintenant, c'est qu'Oliver a le goût de ses lèvres sur la bouche, et qu'il donnerait beaucoup pour avoir l'intention de le retrouver encore une fois. Ce qui lui donne d'autant plus envie de refuser de le revoir. C'est trop dangereux, il s'est déjà pété les dents une fois, il ne sait rien de l'homme qu'il est devenu. « J'pense pas que ça l'intéresse beaucoup de savoir avec qui j'essaie d'apprendre à être un peu moins naze.
– Ça a vraiment l'air d'être un mec bien à tous les points de vue, dis donc, ricane Oliver sans pouvoir s'en l'empêcher. » Et dire qu'il a décidé de s'assumer au bras de ce connard, ça serait drôle, si c'était pas aussi ridicule.

Sa voiture noire est en vue, presque invisible dans la pénombre ; pour autant, elle est toujours là, et le batteur pousse un pur soupir de soulagement. Il n'a qu'une hâte, maintenant ; rentrer chez lui, se noyer dans un bain brûlant pour se décrasser et fumer un joint pour essayer de ne pas penser à tout ce qu'il s'est passé, cet après-midi. Il sait déjà qu'il va avoir du mal à oublier ce drôle de moment, mais il va falloir essayer, parce que se torturer l'esprit, ça ne sert absolument à rien. Ils ne vont plus se revoir, hein ? Il ne va pas insister, Gaspar, si ? « J'ai... pas envie. » La simplicité de ce constat lui arracherait presque un sourire, qu'il réfrène de toutes ses forces. T'as toujours été un mec capricieux. Et ça non plus ça n'a pas changé à l'évidence, quand Gaspar veut quelque chose, il est très rare qu'il ne l'ait pas, après tout. Pourtant, c'est le moment de partir ; et ce serait mentir que de prétendre qu'il a envie de l'oublier de nouveau, mais c'est comme ça, il le faut.

« Je préférerais qu'on se dise au revoir. Tu veux bien garder au moins mon numéro ? Si t'as envie... j'sais pas, qu'on aille faire un tour. Des fois qu'on ait envie de choper d'autres chromatiques, j'en sais rien... » C'est tentant, bien sûr, et ce qui appelle dans ses yeux verts, Oliver sait déjà qu'il n'aura pas la force d'y résister. Pourquoi, de toute façon, pourquoi le ferait-il ? Après tout, si c'est juste pour... se promener ? Non, c'est trop dangereux, mais ce n'est bien que lorsqu'il l'envisage qu'il se rend compte, le jeune homme, que Gaspar lui a horriblement manqué, que c'était ça qu'il a cherché pendant dix ans sans jamais le trouver chez un autre. L'impulsion, il n'y a que lui pour la lui donner. Devenir dresseur. Comme si c'était possible, et pourtant les faits sont là ; il a un Salamèche chromatique dans sa poche, après tout. Alors, il soupire, sourit, peut-être un peu tristement en glissant une main dans ses cheveux. « Donne le moi si tu veux, de toute façon ça m'étonnerait que tu me laisses le choix. » Il a l'air soulagé, le chanteur, alors il assène, tout de même. « Mais j'peux rien te promettre, Gaspar. C'est pas si simple. » Accepter de le revoir après tout ce temps, c'est clairement signer son arrêt de mort, après tout.

Allez. Maintenant, c'est le moment de partir, hein ? Il tire ses clés de sa poche, esquisse un léger sourire. « Ça va aller pour rentrer ? » Oui, apparemment, même s'il a l'air triste, le chanteur. Se rend-il compte, pourtant, que c'est déjà une chance dans un certain sens, que le batteur soit resté près de lui aussi longtemps ? Non, sans doute non. Et là, il meurt d'envie de faire demi-tour, de lui proposer de dormir à Castlerain, de s'en foutre, de son mec ; sauf que non. Non. La voiture est déverrouillée, et après avoir recueilli un petit mot sur lequel est rapidement griffonné un numéro, Oliver ouvre la portière, après un léger regard en arrière. Tu me manquais déjà, maintenant ça va être pire. « A un de ces jours, Neskov. Et te laisse pas bouffer par ton abruti de mari, d'accord ? » Il n'en saura jamais rien, mais tant pis ; après un bref salut de la main et un sourire trop pâle, Oliver monte dans sa voiture, rapidement suivi de Choupette et Allumette, puis claque la portière et démarre. Adieu, beaugosse, tu sais qu'on se reverra pas.