Gaspar s'attendait à pas mal de choses, pour cette première escapade en tant que dresseur digne de ce nom, mais pas à ça. Il faisait un temps superbe à Enoville ; comment ça a pu se dégrader autant en seulement quoi... quelques centaines de kilomètres ? Il ne sait même pas quelle distance sépare la capitale technologique de la région de Skyler Bay. Peu importe, toujours est-il que là-bas il faisait un soleil radieux et qu'ici il pleut des putains de cordes. Et bien sûr, quand il est allé faire les boutiques pour acheter sa panoplie du parfait dresseur, il a refusé d'acheter un anorak parce qu'ils sont tous absolument et insupportablement laids. Pas question de se promener avec ça sur le dos. Du coup, il est trempé. Et sale. Parce que le béton mouillé, c'est chiant, mais que la terre mouillée, ça glisse. Et ça, il ne s'y attendait bêtement pas. Alors il s'est étalé. Quatre fois. Et là, alors qu'il titube péniblement dans la boue et sous la pluie, il a quand même un tout petit peu envie de pleurer. « Tu savais que ce serait aussi dur, toi ? geint-il en direction de la Minidraco qui explore prudemment les environs, sans trop s'éloigner de lui. Je m'attendais pas du tout à... »

A quoi ? Personne ne le saura, ou du moins pas sans le deviner, parce que cette fois ce n'est pas la boue, mais bien la peur qui le fait déraper et s'étaler de nouveau sur le chemin vaseux quand un mouvement près de ses pieds le fait bondir en arrière sans penser à changer ses appuis. Le choc lui fait tellement mal aux fesses qu'il est convaincu de s'être fracturé un muscle - si, ça doit être possible - et en l'occurrence il est vraiment sur le point de fondre en larmes, avant de réaliser que ce sur quoi il a failli marcher... c'est un Pokémon.

Surpris, il en oublie immédiatement l'insupportable douleur - apparemment un peu supportable quand même - qui lui déchire le corps pour sortir son pokédex flambant neuf de sa poche et examiner la petite créature. Un Mucuscule. C'est rare, ce truc, non ? Quelle chance ! Il va essayer de le capturer, tout de suite, maintenant ! Relevé prestement, mais pas trop pour ne pas lui faire peur, mais un peu quand même pour agir avant que le Pokémon ne s'enfuie, il fouille dans son petit sac de voyage - pas sac à main, merci bien - pour attraper une jolie pokéball toute neuve. « Silver, attaque-le ! »

Mais non. Non, Silver ne l'attaque pas du tout, au contraire, elle s'est cachée derrière une touffe d'herbe. Contrarié, Gaspar fronce les sourcils, ouvre la bouche pour la gronder, puis renonce : encore une fois, il ne veut pas faire peur au Mucuscule. Tant pis, il va lancer sans attaquer, on verra bien. « Pokéball, go !! »
Si, il est quasiment sûr que c'est utile de crier ça. C'est vérifié : il l'a vu dans un film.

« Choupette ?! CHOUPEEEEETTE ! T'es où ?! CHOUPETTE ! »

C'est déjà bien assez humiliant d'être en possession d'un Pokémon qui porte ce nom-là, mais lorsqu'Oliver la perd, c'est encore pire. Pourquoi répond-elle uniquement à ce surnom, le batteur n'en sait rien, mais il devine assez aisément une malice de la part de celui qui lui en a fait cadeau. S'il n'a pas osé répondre à Isma autrement que par une photographie de la Mucuscule accompagnée d'un chaleureux remerciement, il aurait tout donné, là, maintenant, pour l'engueuler copieusement. Il aurait dû s'en douter, pourtant, c'est elle qui s'est énervée devant la fenêtre de l'appartement pour sortir lorsqu'elle a vu les nuages menaçants ; et si Oliver a bien tenté de lui proposer une balade courte au bord du fleuve pour qu'elle puisse faire le plein d'eau - dans la mesure où Madame boude la baignoire, c'est nouveau ça vient de sortir - c'est vers la Lande que ses pas l'ont conduit, sans qu'il comprenne bien pourquoi.

Sauf que la Lande, c'est sûrement la pire idée du monde, là. La pluie a commencé à tomber quelques minutes après qu'il se soit garé sur un parking de départ de randonnée, et les champs à perte de vue, si jolis en plein soleil, sont maintenant couverts par une pluie tombant drue et inondant le terrain de boue glissante. En somme, pile poil ce qu'il ne faut pas au batteur. Qui plus est, il a bien été contraint de prendre sa canne avec lui aujourd'hui, dans la mesure où l'humidité ambiante a réveillé sa douleur à la hanche ; tout pour plaire en somme, et le pire dans tout ça c'est qu'au milieu de la pluie, de la boue, de tout ce bordel... Choupette a disparu. A tous les coups, elle est partie se goinfrer quelque part en le laissant planté là, comme un con, au milieu de rien du tout. Sans parler du fait qu'Oliver ne sache pas du tout comment retrouver le sentier au milieu de tout ça ; il n'est arrivé que depuis quelques jours, et il ne reconnait absolument rien de la région qui l'a pourtant vu naître. Lathea n'est plus ce qu'il a connu, et chaque jour qui passe lui donne envie de s'enfuir de nouveau, bien qu'il sache que c'est parfaitement impossible. En tout cas, ce n'est pas sa Mucuscule et sa putain de manie débile de se barrer à tout bout de champs qui va lui faire aimer cette Lande à la con, ça au moins, il en est persuadé. Ni l'autre Pokémon qui l'accompagne d'ailleurs, car si Allumette a accepté de sortir aussi, le vieux Goupix qui patauge à côté de lui n'aime pas du tout avoir le pelage trempé.

Fulminant, il passe une main dans ses cheveux trempés, frissonne, puis saisit d'une main ferme sa canne au pommeau d'argent qui s'enfonce dans la bouillasse épaisse sans vraiment constituer d'appui solide. Ses rangers s'enfoncent dans la terre meuble et ruisselante, il manque de se casser la gueule à chaque pas ; il a mal, il est fatigué, en colère et quand il va la retrouver, cette petite conne, elle va vraiment passer un sale quart d'heure. « CHOUPETTE, BORDEL ! »

Le couinement qu'il entend à sa gauche lui fait vivement tourner la tête ; c'est elle ça, il en est sûr, il pourrait reconnaître ses borborygmes à des kilomètres à la ronde. Allumette a relevé le nez ; ses vieilles articulations se mettent enfin en mouvement, et il fonce, direction le bruit, pour rejoindre sa petite camarade visiblement en danger. Du plus vite qu'il peut, Oliver détale, galope d'un pas mal assuré dans la boue pour se retrouver au milieu d'une situation pour le moins ubuesque. Il en écarquille même les yeux de surprise quand il voit ce mec, détrempé comme lui, le visage difficilement reconnaissable sous ses cheveux ruisselants et couvert de boue, qui tient une Pokéball à la main dans l'intention manifeste d'attraper... Choupette.

« EH OH ! » Gueule-t-il, surpris et furieux mais trop tard : la Pokéball décrit un arc de cercle et va enfermer sa pauvre Mucuscule qui se débat comme une furie avant de faire éclater l'objet pour en sortir. Aussitôt, elle se tourne et reconnait son dresseur, et il n'en faut pas plus pour qu'elle se précipite vers lui pour grimper le long de sa jambe et atteindre son bras, répandant ses miasmes visqueux sur ses vêtements. Elle gargouille d'affection, et s'il est en colère Oliver, c'est bien plus contre l'autre type que contre elle. « Ça va pas non ?! s'écrie-t-il en faisant face à l'autre dresseur. C'est quoi ce délire, vous avez vraiment essayé de voler mon Pokémon, là ? » Quel culot, putain, mais il se croit où exactement ? Allumette est déjà en train de gronder ; visiblement, il est prêt à défendre sa petite protégée corps et âme, protégée réfugiée contre l'épaule de son dresseur. « Putain, j'y crois pas, y'en a pas assez des Pokémon dans cette zone ? »

C'était quoi ce hurlement sorti de nulle part qui a bien manqué de lui faire pousser un petit cri de frayeur au moment où il lançait sa pokéball ? Bon sang, il a failli manquer le Mucuscule à cause de ce con ! Peu importe, le Pokémon a été aspiré à l'intérieur de la ball et là, maintenant, Gaspar ne fixe plus que la sphère rouge et blanche qui gigote sous les efforts de la créature pour s'échapper, ignorant totalement le type qui vient de débarquer sans prévenir. Il est occupé, là, alors il lui accordera son attention quand il n'aura rien de mieux à faire. Ce gars ferait mieux d'en prendre de la graine : pour attraper un super Pokémon rare, c'est comme ça qu'il faut... qu'il ne faut pas faire, apparemment.

Dépité et déçu, il regarde, bouche bée, le fruit de sa capture s'en aller à vive allure... jusque sur. le. type. qui vient de gueuler.

Ah.

Ça change un certain nombre de paramètres, en effet. « Ça va pas non ?! C'est quoi ce délire, vous avez vraiment essayé de voler mon Pokémon, là ?
– Mais pas du tout ! tente-t-il de se défendre, un peu outré qu'on porte à son encontre de telles accusations même s'il doit reconnaître que ce que ce gars vient de voir ne joue pas du tout en sa faveur. »
Gaspar essaie bien de se justifier, de dire quelque chose, même s'il ne sait pas trop quoi ; sauf qu'il est déconcentré, d'abord parce qu'il lui semble bien qu'il a déjà vu ce gars quelque part et ensuite parce qu'un autre Pokémon est en train de s'approcher en grondant, là, et que ça ne lui plaît pas trop. Est-ce que Silver voudrait bien... ? Non, Silver est d'autant plus recroquevillée derrière sa touffe d'herbe, sans se rendre compte que son long corps dépasse de tous les côtés. Génial.

Horrifié devant l'ampleur du quiproquo et un peu paniqué à l'idée de ce que ce gars pourrait bien lui faire, il recule d'un pas, les mains un peu tremblante. Au pire, il a un spray au poivre dans son petit sac. « Putain, j'y crois pas, y'en a pas assez des Pokémon dans cette zone ?
– Ecoutez, je... balbutie-t-il en levant doucement deux mains devant-lui en signe d'apaisement. Je sais que là c'est dur à croire mais j'essayais pas, je savais pas qu'il était à vous ce Pokémon sinon j'aurais pas... »
Le Goupix n'est pas convaincu, apparemment, parce qu'il gronde encore plus fort et qu'il avance d'un pas, faisant d'autant plus pâlir le chanteur, bien que ça ne doive pas vraiment se voir puisque son visage est maculé de boue. « S'il vous plaît, rangez votre... votre Pokémon, là, me faîtes pas de mal, vous voulez quoi, de l'argent ? Je peux, j'ai un peu de... J'suis désolé, j'suis vraiment désolé d'accord ? »

C'est quoi son  putain de problème, à ce mec ? Alors quoi, il voit un Pokémon dans la nature et il essaye même pas de voir s'il appartient à quelqu'un avant de l'attraper ? Il croit quoi, qu'on croise des Mucuscule dans toutes les touffes d'herbe de la Lande ? Crétin, va, et tandis qu'il glisse une paume sur le petit corps visqueux d'une Choupette toute tremblante de peur, il fusille du regard l'homme qui a écarquillé les yeux de surprise, visiblement outré qu'un boîteux s'en prenne à lui. Bah ouais, mais il fallait pas essayer de lui piquer son Pokémon, bordel. Ce n'est pas qu'il soit particulièrement attaché à sa Mucuscule mais si en fait, parce qu'elle est gentille, que c'est son cadeau et qu'il prend soin d'elle comme il le peut alors qu'il approche pas ses sales pattes, ce connard, ou ça va vraiment mal aller.

« Ecoutez, je... » Deux mains se lèvent et Oliver hausse un sourcil plus que contrarié, maintenant ; agacé, il dévisage l'inconnu, qu'il a vraiment du mal à distinguer sous la pluie battante, et sous les cheveux qu'il n'a pas remis en ordre. Tout ce qu'il voit, c'est qu'il n'a pas de parka, comme lui, qu'il a un sac de dresseur et... un Minidraco ? En tout cas ça y ressemble, la petite forme toute tremblante "cachée" dans un buisson, non loin de lui. Et ça lui ferait quoi, tiens, s'il essayait de le capturer, son Pokémon trouillard ? Sans déconner. « Je sais que là c'est dur à croire mais j'essayais pas, je savais pas qu'il était à vous ce Pokémon sinon j'aurais pas... » Il veut  bien lui laisser le bénéfice du doute, même s'il faut quand même être sacrément con pour croiser un Mucuscule et ne même pas essayer de s'interroger un tout petit peu ; mais bon, peu importe, songe le batteur en levant les yeux au ciel, sans pour autant que les grondements d'Allumette ne s'arrêtent.

« S'il vous plaît, rangez votre... votre Pokémon, là, me faîtes pas de mal, vous voulez quoi, de l'argent ? Je peux, j'ai un peu de... J'suis désolé, j'suis vraiment désolé d'accord ? » De l'argent ? Il doit vraiment ressembler à rien, Oliver, si ce mec s'imagine qu'il va le racketter. C'est un peu pitoyable, songe-t-il avec une moue, tandis qu'il secoue la tête. Il n'a pas l'intention de prendre l'argent des abrutis aussi facilement, et de toute manière, il n'en a absolument pas besoin. Levant une nouvelle fois les yeux vers les nuages noirs au-dessus d'eux, il soupire, bruyamment, croise les bras puis pose les yeux vers son vieux Goupix. « C'est bon, ça va, pas besoin d'y passer la nuit. Allumette, arrête. » Le Pokémon lui obéit contre toute attente, tandis que le batteur se tourne vers Choupette, qui n'a toujours pas bougé. C'est vraiment dégueulasse, le mucus qu'elle laisse partout sur ses fringues même s'il n'est plus à ça près. « Et toi stoppe ton cinéma. Ça t'apprendra à te barrer comme ça, la prochaine fois tu resteras vers nous au lieu d'essayer d'aller te goinfrer toute seule. Allez, on y va. » Au moins, ils vont essayer, songe-t-il alors que sa canne s'enfonce dans le sol, et qu'il constate que là, il va vraiment galérer. « Vous devriez pas rester là par ce temps, dit-il enfin au voleur qui n'en est pas un, en tournant la tête vers lui. Curieusement, il a l'air de s'être complètement figé, bien qu'Oliver ne comprenne pas pourquoi. C'est un coup à tomber malade, ça vaut pas le coup même pour  un Mucuscule. Allez, à la revoyure. » Ou pas, espère-t-il, ce connaud serait sûrement foutu d'essayer de capturer Choupette une deuxième fois, vu l'air ahuri qu'il affiche, maintenant. C'est bizarre, comme sa gueule lui dit quelque chose.

Si les circonstances qui suivront cette interaction avaient été différentes, Gaspar aurait sans doute eu terriblement honte de son élan de lâcheté. Il n'en aura pas l'occasion et pour le moment, il a encore beaucoup trop peur de finir cramé de la tête au pied - quoique vu comme il est trempé ce serait peut-être relatif - pour se rendre compte qu'il est en train de se comporter comme un vieux papi qui se ferait racketter son portefeuille par des gamins dans les quartiers glauques d'Enoville.
Heureusement pour lui, l'intention de l'inconnu n'a pas l'air d'être de cet ordre, et ce n'est qu'en rassemblant les miettes de sa dignitié qu'il parvient à ne pas soupirer de soulagement en voyant l'homme secouer la tête. « C'est bon, ça va, pas besoin d'y passer la nuit. Allumette, arrête. »
Allumette ? Le soulagement laisse place à la stupeur en une fraction de seconde et à vrai dire, il est bien rare que les pensées du chanteur soient aussi vives. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire putain de merde, il a eu le temps de se dire qu'Allumette c'était drôle comme nom parce que c'était à la fois débile et mignon, de se dire qu'il a déjà entendu ça quelque part, puis de se rappeler qu'Oliver avait un Goupix nommé Allumette.
Mais c'est impossible. Pas vrai ? « Et toi stoppe ton cinéma. Ça t'apprendra à te barrer comme ça, la prochaine fois tu resteras vers nous au lieu d'essayer d'aller te goinfrer toute seule. Allez, on y va. »
Non, c'est impossible. Oliver n'était pas aussi pouilleux. Il s'habillait bien, se coiffait correctement et surtout, il n'avait pas besoin de canne pour se déplacer. Oliver était le plus vif d'eux-tous, il grimpait aux arbres et les écrasait tous à la course. Il doit y avoir dix mille Goupix qui s'appelle Allumette de toute façon, voilà. « Vous devriez pas rester là par ce temps. »
Il sursaute, comme s'il craignait que l'homme ait pu entendre ses pensées. Cette fois quand il relève la tête, c'est pour le dévisager. La pluie l'empêche d'y voir correctement ; les yeux noirs, la mâchoire carrée, ce sont sûrement des similitudes qu'il invente, ou qu'il espère peut-être. C'est sûr. Alors, rasséréné par cette certitude, il ouvre la bouche pour répondre, puis se rappelle d'un détail qui le fige plus encore : Asylum vient de  revenir dans la région. « C'est un coup à tomber malade, ça vaut pas le coup même pour un Mucuscule. Allez, à la revoyure. »

Gaspar ne bouge pas, ne répond rien. Ses yeux écarquillés suivent la silhouette de l'homme qui s'éloigne péniblement, peinant à avancer entre la boue et son handicap quelconque qui le gêne apparemment beaucoup. Ça ne peut pas être lui. Ça ne peut pas. Et pourtant, quand ses yeux verts se posent à nouveau sur le Goupix, il ne peut pas vraiment s'empêcher d'avancer de quelques pas empressés, interpelant déjà l'homme avant qu'il ne disparaisse. « Attends ! »
Attends quoi, pourquoi, ça ne doit avoir aucun sens bien sûr, parce qu'à l'évidence, si ce type est bien celui qu'il pense, il ne l'a pas reconnu. Ce n'est peut-être pas plus mal, se dit-il en avançant encore d'un pas, avec un petit sourire coupable. « Ça... ça va aller, avec... ta canne ? demande-t-il maladroitement en passant nerveusement une main dans ses cheveux mouillés dans un sale réflexe qu'il n'a jamais réussi à perdre malgré les remontrances répétées de son mari. J'peux... peut-être t'accompagner un moment ? En plus j'sais pas vraiment où aller alors... »

Allez, c'est le moment de mettre les voiles. Ce type n'a pas l'air d'avoir les yeux en face des trous, il est totalement immobile dans la bouillasse tandis qu'Oliver s'éloigne, prêt à retrouver le chemin pour aller jusqu'à la voiture. Il ne va pas rester éternellement sous cette pluie battante, ça va bien, merci ; il est totalement frigorifié, et sa hanche lui fait affreusement mal. Entre l'humidité attaquant son articulation blessée et ses mouvements, erratiques, qui réveillent ses anciennes douleurs, Choupette a vraiment, vraiment bien fait de lui fausser compagnie maintenant, tiens. Alors qu'elle pousse un drôle de gargouillement supposé ressembler à des excuses, c'est un regard sévère qu'elle récolte ; ça ne sert à rien de s'excuser après coup, et ce n'est pas cela qui lui rendra sa mobilité. Il en a pour une semaine à douiller à cause d'elle, alors qu'elle se fasse petite.

« Attends ! » Surpris, Oliver tourne la tête ; qu'est-ce qu'il lui veut encore, ce type ? Lui acheter, sa Choupette ? Ça ne serait pas vraiment étonnant venant de quelqu'un qui a l'air si peu intelligent ; pour autant, il ne dit rien, le batteur, il se contente de se tourner légèrement pour le voir arriver vers lui. Il le tutoie en plus, c'est nouveau, ça ? Est-ce que ça a un lien avec cette drôle d'impression qu'il a, d'avoir reconnu certains traits sous la boue maculant le visage de ce mec ? Non, son instinct doit le tromper, songe-t-il en essayant de ne pas dévisager l'homme qui a rejoint sa hauteur, et qui le regarde visiblement très nerveusement. Apparemment, il lui a fait un peu plus peur qu'il l'aurait voulu, même si le message est passé. « Ça... ça va aller, avec... ta canne ? » Sauf que cet inconnu ne sait pas du tout que cette question fait partie des interdits d'Oliver, par exemple. Oui, ça va aller avec sa canne, ça fait dix ans qu'il boîte, dix ans que parfois il gémit de douleur quand la douleur est un peu trop forte, dix ans qu'il doit se démerder tout seul alors oui, ça ira, malgré la boue. Au pire il s'étalera, et ça ne sera pas la première fois.

« J'peux... peut-être t'accompagner un moment ? En plus j'sais pas vraiment où aller alors...
– Vraiment trop aimable de ta part de vouloir soutenir un infirme, j'te remercie, grince le batteur en réponse, les sourcils froncés. Mais j'ai pas besoin de ton aide. Et moi aussi, je suis perdu. » Puisqu'ils en sont au tutoiement, il va le faire aussi, alors. Est-ce qu'il va continuer à frotter ses cheveux comme ça ? Il se souvient d'un mec qui faisait ça tout le temps. Quand il était en présence de Mallory à l'époque, Gaspar passait le plus clair de son temps à se décoiffer, tant son meilleur ami le mettait parfois mal à l'aise. C'est drôle, comme cette gestuelle lui ressemble mais Oliver a toujours vu Gaspar un peu partout où il allait ; et il sait que ce n'est absolument pas sain, aussi soupire-t-il, avant de reprendre fermement son appui. « Le flair de mon Goupix a été complètement bousillé par la pluie, en plus il est pas tout jeune. Et Choupette est pas assez intelligente pour avoir le sens de l'orientation, alors... » Alors ils ne sont pas prêts de retrouver le parking, c'est ça le sous-titre. « Vaut mieux qu'on essaie de trouver un abri le temps que la pluie se calme. Je m'appelle Oliver, dit-il finalement, en tendant une main, puisque cet idiot va venir avec lui. Et toi ? »

« Vraiment trop aimable de ta part de vouloir soutenir un infirme, j'te remercie. Mais j'ai pas besoin de ton aide. Et moi aussi, je suis perdu. »
Bon. Son choix de mots n'était peut-être pas très judicieux mais pour sa défense, la situation est quand même super particulière, là. Il a dit ce qui venait pour avoir une excuse histoire de rester près de lui au moins le temps de découvrir son identité ; est-ce que c'est lui, est-ce que c'est possible que ce soit lui ? Gaspar ne sait pas s'il doit le craindre ou l'espérer, et c'est la raison pour laquelle ses yeux ne parviennent pas à s'arrêter plus de trois secondes à la suite sur le visage de cet inconnu qui n'en est peut-être pas un. Il doit passer pour un trouillard qui regrette déjà de l'avoir vexé mais à vrai dire c'est le cadet de ses soucis.

Détournant donc le regard, il passe à nouveau sa main dans ses cheveux et fait semblant de chercher son Pokémon. « Le flair de mon Goupix a été complètement bousillé par la pluie, en plus il est pas tout jeune. Et Choupette est pas assez intelligente pour avoir le sens de l'orientation, alors... »
Un vieux Goupix. Bon sang, tout coïncide, c'est pas possible. Choupette c'est vachement mignon comme nom, d'ailleurs. « Vaut mieux qu'on essaie de trouver un abri le temps que la pluie se calme. Je m'appelle Oliver. »
C'est assez drôle, l'effet que ça fait quand le coeur s'arrête. Tout passe au ralentis et il a l'impression de tomber dans le vide ; le choc est tel qu'il n'écarquille même pas les yeux et qu'il laisse un stupide réflexe lui faire tendre la main pour saisir celle qui lui est présentée. « Et toi ? »
C'est toi, voilà ce qu'il s'apprête à articuler quand il ouvre la bouche et que ses traits se décomposent enfin dans une expression à la fois folle de joie et terrorisée - et qui devient carrément et uniquement terrorisée quand il arrive à retenir ces mots stupides et qu'il comprend qu'il va vite devoir trouver quelque chose à dire. « Je, j'm'appelle, moi c'est... Vikan, j'm'appelle Vikan. »
Crétin du jour, bonjour. Grimaçant sans le faire exprès, il se détourne en lâchant enfin la main d'Oliver. Son coeur s'est réveillé et à présent il bat si fort dans sa poitrine que ça en devient franchement douloureux. « Silver ? appelle-t-il doucement en s'accroupissant pour faire signe à sa Minidraco de sortir de sa cachette. Tu viens ? On va pas te manger. Allez, viens dire bonjour. »

Pourquoi fait-il cette tête ce type, tout à coup ? C'est quoi son problème, bon sang ? On dirait qu'il a vu un fantôme. Surpris, Oliver hausse un sourcil, mais heureusement, et malgré l'air purement choqué qui s'affiche sur le visage de l'homme qui lui fait face, il tend la main et la serre, peut-être pas assez fermement. Ce gars est étrange, au moins autant que sa tête commence vraiment à lui dire quelque chose ; il a les yeux verts, il peut les distinguer maintenant qu'il est suffisamment près, de grands yeux verts comme un miroir d'eau vaseuse. Il se souvient bien des yeux verts.

Un ange passe, un silence, durant lequel l'homme a l'air de ne plus savoir comment il s'appelle ; ses yeux s'arrêtent sur lui, puis le fuient, et quand sa main le relâche il parvient enfin à lui répondre. Et Oliver s'attendait bien à croiser n'importe qui, dans la Lande. Absolument n'importe qui, qui ne soit pas lui. « Je, j'm'appelle, moi c'est... Vikan, j'm'appelle Vikan. » Et là, c'est incroyable comme il a l'impression qu'absolument tout s'effondre autour de lui.

Oliver savait qu'il finirait par recroiser la route de Gaspar, un jour. Il le savait à l'instant où il a mis un pied dans son appartement à Castlerain, qu'il n'aurait pas le choix, que la carrière d'Asylum ne s'était pas arrêtée et que celle de Vikan non plus, quand bien même avait-il assisté avec plus ou moins d'horreur à son coming-out, en premier lieu, puis à sa décision de devenir dresseur. Deux choses qu'il lui avait volé, deux éléments qu'il ne pourrait pas lui pardonner, qui n'avaient fait qu'attiser ce qui, au départ, n'était que du chagrin et de la rancoeur mais qui au fil des années s'était transformé en haine. Vikan, c'était ce prénom un peu bâtard qu'il n'aimait pas, ils avaient quoi, seize ans, dix sept ? Quand il lui avait dit que son père l'avait appelé comme ça, mais que Gaspar, c'était un choix de sa mère, et qu'à choisir c'était celui-là qu'il prendrait sans conteste. Un instant, Oliver ne bougea pas. A son tour, et comprenant les raisons pour lesquelles l'homme s'était transformé en statue de sel, il resta là, figé, immobile et con devant celui qui avait hanté ses pensées et ses chansons pendant des années, et qui se penchait doucement pour attirer son Minidraco. Ici, dans la boue, en plein milieu de la Lande. Il avait retrouvé celui qu'il espérait ne plus jamais croiser.

« Silver ? Tu viens ? On va pas te manger. Allez, viens dire bonjour. » La Minidraco ne semblait pas très décidée, et Oliver laissa une gestuelle mécanique guider ses mains jusqu'à Choupette, qu'il déposa sur le sol. La Mucuscule comprit immédiatement le message et s'approcha, lentement, tandis qu'Allumette s'asseyait sagement près de son dresseur. Lui, loua la présence de sa canne. Autrement, il en aurait sans doute titubé. Toi et moi, on se casse, allez, imagine Gaspar, on prend des Pokéballs, une toile de tente, on devient dresseurs, tous les deux. Juste toi et moi. Steuplait. Il n'avait pas eu le temps de lui dire la suite ; l'adolescent qu'il était alors avait posé ses lèvres sur les siennes pour le faire taire, et tous les je t'aime du monde qu'il avait voulu lui dire s'étaient évanouis dans une étreinte éphémère, qui n'avait laissé au lendemain que le goût atroce d'une affreuse brûlure, qui n'avait jamais cicatrisé. « Elle est très mignonne, dit-il finalement, la voix blanche et sans oser se pencher vers la Minidraco qui tendit enfin sa truffe vers Choupette. T'as fini par devenir dresseur finalement, hein ? »

Pas besoin de lui dire je sais qui tu es, je me souviens de toi, comme s'il avait été capable d'oublier les incroyables bonheurs de sa jeunesse, puis la souffrance quand Gaspar lui avait tout arraché, tout. Il était parti, il les avaient tous abandonnés, et aucun bras n'avaient jamais pu le remplacer. Les années avaient ensuite défilé, sans qu'il puisse l'extraire à jamais de sa mémoire. Et maintenant qu'il le dévisage, oui, c'est lui, bien sûr. Il ne sait pas quelle émotion le submerge en premier, si c'est la haine ou une étrange joie qui l'énerve encore plus ; mais quand Gaspar se remet debout, c'est un poing solide qui s'écrase sur sa joue, il y met absolument toute sa force. « J'crois que j'ai pas besoin de te dire pour quelle raison tu la mérites, celle-là. » Il est horriblement calme, même quand Silver se place face à son dresseur et se dresse du haut de son petit corps serpentin ; sous la menace, Allumette gronde de nouveau, menaçant. Frottant son poing endolori, grimaçant sous la douleur que le coup a généré dans sa hanche, il attrape ensuite sa canne d'une main ferme. « Démerde-toi pour retrouver ton chemin. » Comme s'il allait l'aider, sans rire.

« Elle est très mignonne. » 
Il entend la voix d'Oliver en dépit de son coeur qui bat la chamade et ça c'est plutôt une bonne nouvelle ; par contre la main qu'il tend pour attirer Silver jusqu'à lui tremble si fort qu'on dirait qu'elle vibre et il n'arrive même pas à penser tellement il est paniqué. Est-ce que ça passera ? Est-ce qu'il le reconnaîtra ? Est-ce qu'il ne vaudrait mieux pas ? Bordel, ça a l'air d'être passé, puisqu'il parle de Silver, même si sa voix est bizarre, c'est pas... « T'as fini par devenir dresseur finalement, hein ? »

Figé, les yeux écarquillés d'effroi, il écarte sa main de la Minidraco qui s'est approchée pour la laisser renifler Allumette. Il n'ose pas se redresser tout de suite, encore moins lever la tête vers son ancien... son ancien quoi, ami ? Pinçant enfin les lèvres et saisissant ce qui lui reste de courage de ses deux mains tremblantes, il se relève lentement, et s'apprête à remonter ses yeux jusqu'au visage de lu fantôme ressurgi de son passé ; sauf qu'il n'en a pas le temps.
Le coup qu'il prend est si violent que Gaspar ne sent pas la douleur tout de suite ; juste un premier choc qui stoppe ses pensées nettes, en plein visage, et un second ensuite, derrière la tête, sans qu'il se soit seulement senti tomber en arrière. C'est seulement à ce moment que sa joue le met à le brûler comme si on y appliquait un tison ardent ; un grondement de douleur s'échappe de douleur alors qu'il se recroqueville piteusement. « J'crois que j'ai pas besoin de te dire pour quelle raison tu la mérites, celle-là. » 
Non, effectivement ; mais Gaspar ne répond pas, glacé bien davantage par le ton d'Oliver que par la pluie et la boue qui traversent ses vêtements. Silver se place devant lui pour le protéger, Allumette gronde en réponse et lui, il ne bouge pas. Bien sûr qu'il sait pourquoi il le mérite, ce coup de poing ; quelque chose lui dit même que ce n'est pas assez et que rien ne pourra pardonner ce qu'il a fait. « Démerde-toi pour retrouver ton chemin. »
Mais il pensait ne jamais le revoir. Et il s'est trompé. « A... Attends ! lance-t-il, plaintif, en se relevant tant bien que mal, la joue en feu et la nausée au ventre à cause de sa tête qui tourne beaucoup trop vite. Oliver attends, s'il te plaît ! »
Quelques pas titubants le font rattraper l'homme qui n'avance heureusement pas très vite, et il attrape vivement sa manche, les yeux écarquillés. « On peut... on peut parler, s'il te plaît ? Ça fait tellement longtemps, j'pensais jamais te revoir et j'ai pas... eu l'occasion de m'excuser. »
Parce qu'il regrette, bien sûr qu'il regrette, maintenant beaucoup de choses ont changé, et surtout lui d'ailleurs. Quand il repense à ce qu'il a fait, il a envie de mourir de honte. « Ollie, disparais pas comme ça, s'te plaît, laisse-moi... au moins essayer de me faire pardonner un peu ? »

Il pensait que ce serait plus facile, de l'envoyer chier. Qu'il lui suffirait simplement de lui jeter un regard mauvais, de lui balancer son poing dans la gueule et de partir ; il n'avait pas appréhendé, en revanche, la sourde douleur dans son ventre et dans son coeur à la pensée de tout ce qu'ils auraient pu vivre et tout ce qu'ils n'ont pas pu à cause de ce connard sans coeur qui est parti en ne laissant lâchement qu'un mot, là où ils avaient passé des mois, des années même, à se voir, s'aider, se soutenir. Combien de fois Gaspar a-t-il débarqué chez lui, malheureux, désespéré, à chaque fois que son père cognait un peu trop fort, à chaque fois qu'il se sentait un peu trop seul ? Pendant combien de temps Oliver a-t-il mis ses propres questionnements entre parenthèses pour se consacrer entièrement à deux hommes, l'un malade, l'autre qu'il considérait comme merveilleux, gentil, et qui n'avait besoin que d'un coup de pouce pour grandir ? Il a trop donné pour lui, et n'a rien reçu, rien que le silence et le mépris, il aurait mieux fait de lui cracher dessus en plus de le frapper, c'est tout ce qu'il mérite. Ça et son indifférence, même si sa présence fait naître en lui toute  une foule de sentiments contraires. Il ne lui fera pas le plaisir de lui montrer comme il lui en veut encore, comme ça lui fait mal, même dix putains d'années après, de repenser à tout ça.

« A... Attends ! » Quoi, il n'en a pas assez eu ? Non, pas question, et il ne se retourne même pas le batteur, trop occupé à fusiller sa Mucuscule du regard pour qu'elle se dépêche de le rejoindre. Ils vont se débrouiller pour trouver un chemin, ça va, merci, et sans lui. Vraiment, sans lui.
Oliver attends, s'il te plaît ! » Il voudrait bien  aller plus vite Ollie, mais sa hanche est une garce traîtresse ; il tressaille, quand quelques doigts se referment sur les pans trempés de la manche de sa veste, il se retourne un peu trop vite, lutte pour ne pas grimacer. « On peut... on peut parler, s'il te plaît ? Ça fait tellement longtemps, j'pensais jamais te revoir et j'ai pas... eu l'occasion de m'excuser.
– J'ai rien à te dire. » C'est pas des excuses qu'il a envie d'entendre. Il ne veut pas entendre qu'à l'époque ils étaient jeunes, que c'était une connerie, qu'ils auraient jamais dû faire ça. Il n'a aucune envie d'entendre ses justifications de merde, ça ne lui rendra pas les années à chercher dans d'autres bras la même confiance que celle qu'il avait lovée au creux des mains du chanteur, et qu'il a broyée en partant. Alors qu'il épargne sa salive, ça va bien.

« Ollie, disparais pas comme ça, s'te plaît, laisse-moi... au moins essayer de me faire pardonner un peu ?
– Ah, bien sûr, et comment tu comptes faire ça exactement ? demande-t-il alors en ricanant, avant de dégager sèchement sa manche de la main de son camarade d'infortune. J'suis désolé Oliver, j'étais qu'un gosse j'ai pas réfléchi, j'aurais dû te le dire plus tôt mais on peut rester amis ? Allez, te fatigue pas va, j'ai pas envie de t'entendre te justifier et j'vois pas très bien comment tu pourrais te faire pardonner. En m'aidant avec ma canne, peut-être ? » Le rire est aigre, âcre, et ses yeux brûlent quand il les tourne vers  le visage qu'il reconnait enfin, qu'il aurait aimé ne plus jamais recroiser. « Tu veux te faire pardonner ? Dégage de là. J'me suis très bien passé de toi pendant dix ans et j'ai bien l'intention de continuer comme ça, c'est pas vraiment comme si tu m'avais laissé le choix à l'époque ? Bah moi non plus maintenant. Laisse-moi tranquille. » Parce qu'après tout, n'en a-t-il pas suffisamment bavé à cause de lui ? « T'en as déjà bien assez fait comme ça. »

« Ah, bien sûr, et comment tu comptes faire ça exactement ? »
Il n'en sait rien justement, mais c'est pas vraiment important, si ? Le fait d'avoir envie de se faire pardonner et d'être prêt à faire n'importe quoi pour se rapprocher de cet objectif sûrement hors d'atteinte, ça doit pouvoir... un peu compter, non ? Désespéré, il supplie du regard l'homme qui lui arrache sa prise pour le toiser. « J'suis désolé Oliver, j'étais qu'un gosse j'ai pas réfléchi, j'aurais dû te le dire plus tôt mais on peut rester amis ? Allez, te fatigue pas va, j'ai pas envie de t'entendre te justifier et j'vois pas très bien comment tu pourrais te faire pardonner. En m'aidant avec ma canne, peut-être ? »

Gaspar ferme les yeux ; il n'aurait pas dû dire ça, bien sûr, et le soupir qui s'échappe doucement de ses lèvres est infiniment désolé. C'était pas ce qu'il voulait dire. « Tu veux te faire pardonner ? Dégage de là. J'me suis très bien passé de toi pendant dix ans et j'ai bien l'intention de continuer comme ça, c'est pas vraiment comme si tu m'avais laissé le choix à l'époque ? Bah moi non plus maintenant. Laisse-moi tranquille. T'en as déjà bien assez fait comme ça.
– J'aurais jamais dû faire ça, répond-il, la voix cassée par l'angoisse de le voir disparaître juste comme ça. J'aurais pas dû m'en aller comme ça et la seule raison pour laquelle je regrette ce qu'il s'est passé c'est parce que... au final, ça t'a fait souffrir encore plus. »
Mais cette nuit-là ? Et tout ce qu'ils ont partagé avant ? C'est probablement ce qui constitue ses souvenirs les plus précieux. Ce n'est pas très difficile à dire, tout ça, il y a bien assez pensé pour le savoir, il se l'est bien assez dit, qu'il regrettait, qu'Oliver lui manquait, qu'il aurait dû retourner le voir après, continuer en secret, ne jamais rien dire à son père, ne rien dire à personne jusqu'à ce qu'il soit prêt comme il l'a enfin été, deux ans plus tôt, avec Sacha. « C'était pas c'que je voulais mais... j'ai eu peur, c'est tout, tu sais comment était mon père, je... »
Il renifle, et baisse tristement la tête ; le long de sa jambe, Silver vient appuyer sa tête pour essayer de le réconforter, même si la pauvre ne doit rien comprendre à ce qui est en train de se passer. A quoi il s'attendait, hein ? « J'suis désolé, Ollie, j'suis vraiment désolé, tu peux... tu peux entendre ça quand même, non ? »
Il ne restera pas. Oliver va s'en aller, et ce sera bien fait pour sa gueule, à Gaspar, après tout. Le réaliser l'accable, lui fait bêtement serrer les poings ; il n'a pas envie de le perdre encore une fois, même si c'est de bonne guerre, même s'il le mérite. Par contre, si c'est mieux pour lui ? Ça, il est un peu plus capable de l'entendre, maintenant. « J'ai jamais voulu te faire de mal, tu sais que je l'aurais jamais fait si j'avais... été foutu de réfléchir à l'époque. Maintenant ça a changé mais... t'as raison, j'en ai assez fait. »
Il secoue la tête et se penche pour ramasser sa Minidraco, qui se love au creux de son bras. « Tu sais où me trouver, si jamais... t'as envie de me laisser une chance. »

« J'aurais jamais dû faire ça. » Faire quoi ? Coucher avec lui ou lui briser le coeur ? Il a bien envie de lui cracher cette question à la figure Oliver, mais il préfère ne rien dire ; plus vite ce sera fini, et plus vite il sera débarrassé. Il a passé trop de temps à attendre, à espérer que Gaspar fasse demi-tour à l'époque. Il est trop con, sûrement, pour s'attacher à ce genre de choses ; après tout, ils étaient jeunes, tous, Gaspar ne savait pas où aller, quelle direction prendre dans sa vie, et Oliver n'était qu'une erreur de parcours. Il aurait pu accepter ces excuses si lui n'avait pas mis autant de temps à s'en relever. Parce qu'il l'aimait, comme jamais il n'avait aimé personne. « J'aurais pas dû m'en aller comme ça et la seule raison pour laquelle je regrette ce qu'il s'est passé c'est parce que... au final, ça t'a fait souffrir encore plus. » Ah ouais, donc il considère bel et bien que c'était une erreur, hein ? Lui, à l'époque, il a passé le moment le plus incroyable et le plus merveilleux de sa vie, il en est sûr Oliver. Jamais il n'a retrouvé ça avec aucun autre, et si adorable qu'ait pu être Ismaël, il n'a jamais été capable de remplacer celui qui avait laissé un vide profond s'insinuer au fond de sa poitrine. Jamais, personne. Et lui, il regrette de lui avoir fait du mal ? La phrase lui arrache un nouveau ricanement, il détourne le regard, refuse de croiser ces yeux verts. C'était il y a dix ans, et pourtant il lui semble que cette période est encore là, marquée au fer rouge dans ses souvenirs.

« C'était pas c'que je voulais mais... j'ai eu peur, c'est tout, tu sais comment était mon père, je... » Oui, il le savait, il n'a jamais ignoré dans quelle famille il vivait Gaspar, et alors ? Qu'est-ce qui l'empêchait de revenir, hein ? Il s'est bien marié entretemps, alors ça veut bien dire que c'était possible de braver l'interdit, il serait resté dans son ombre, Ollie, il aurait accepté de prendre ce rôle, de lui donner la force de lutter, il aurait même été content d'être le seul à savoir la vérité, pour eux deux. Il lui a arraché cette certitude quand il s'est affiché au bras d'un connard maigrelet aux cheveux bouclés et à la mine suffisante, il s'est marié alors ça change quoi qu'il regrette, hein ? C'est pas ce Sacha qui aurait dû prendre cette place à ses côtés, mais lui. Lui, et seulement lui, et maintenant c'est beaucoup trop tard. Qu'il baisse le nez, Gaspar ; c'est encore la moindre des choses qu'il puisse faire, de toute façon.

« J'suis désolé, Ollie, j'suis vraiment désolé, tu peux... tu peux entendre ça quand même, non ?
– Non. » Pour tout un tas de raisons qu'il n'a pas du tout envie d'énumérer, il ne perdra pas son temps avec ça. Il n'a jamais dit ce qui lui faisait du mal Oliver, tout au plus peut-il juste, partir, le laisser là comme un con sous la pluie, c'est tout ce qu'il mérite, après tout. « J'ai jamais voulu te faire de mal, tu sais que je l'aurais jamais fait si j'avais... été foutu de réfléchir à l'époque. Maintenant ça a changé mais... t'as raison, j'en ai assez fait. » Et alors, ça a changé, et donc ? Est-ce que ça va réparer ce qu'il a fait ? Est-ce qu'il va lui proposer de réessayer ? Oliver lui aurait dit non, bien sûr qu'il aurait dit non, mais de toute manière même ça c'est impossible ; il a fait ses choix de vie après tout, tranquillement dans son palais tout doré, là, pendant que lui se faisait ramasser par les autres, tentait de se remettre sur pieds. Personne, pas même Mallory ne sait à quel point il s'est senti mal, trahi, humilié à l'époque. Alors, qu'il s'en aille.

« Tu sais où me trouver, si jamais... t'as envie de me laisser une chance.
– Une chance de quoi ? » C'est dingue ça, bon sang, une chance de quoi en fait ? « Une chance de quoi exactement Gaspar ? Tu peux pas rattraper tout ce que t'as foutu en l'air, t'as aucun moyen de revenir en arrière. Et pourquoi tu le ferais, en plus, par culpabilité ? » Non, ça ne marche pas comme ça. Il n'a pas du tout envie que ça marche comme ça, alors il soupire, lève les yeux au ciel. Il lui en aurait bien collé une deuxième, mais il n'est pas assez gourmand, sans doute. Non, la seule chose à faire c'est de l'ignorer, c'est au moins une leçon qu'il aura apprise. « Elle a l'air de très bien t'aller, ta vie, non ? Tu t'es assumé, tu t'es marié, t'essaie de devenir dresseur, c'est super. J'mentirais en disant que j'suis content pour toi, mais moi j'ai jamais eu la moindre place dans ta nouvelle vie, y'a aucune raison que ça change. » Il tourne la tête, croise ses yeux verts ; bien sûr qu'il est toujours en colère, ça n'a pas changé, et ce malgré les années qui auraient dû effacer la douleur. En parlant de douleur, sa hanche, ça commence à devenir vraiment problématique, là. « Alors... on en reste là, d'accord ? enchaîne-t-il, en tentant de dissimuler les élancements qui lui font mal jusque dans le dos et le long de la jambe. Je t'ai pas vu, tu m'as pas vu, et... et c'est très, très bien comme ça. »