En espérant ne pas tomber sur une horde de piafabecs enragés aujourd'hui, songe Oliver alors qu'il descend du taxi volant près de Halosis, prêt pour une petite promenade du côté de la forêt. La dernière fois qu'il y est allé, seule la présence de Kayden l'a très clairement préservé de l'hôpital ; mais c'est comme tomber d'un Galopa, il faut remonter tout de suite si on ne veut pas avoir peur toute sa vie. C'est donc sans vraiment de craintes qu'il s'enfonce dans le sous-bois, le batteur, parce que si Nox était un peu trop téméraire pour être allé embêter la petite colonie, il sait également très bien que ce ne sera pas le cas de Tempête. Qui plus est, l'entraîner dans les arbres sera bien plus simple ; elle  ne vole pas encore, mais les branches lui permettront au moins de trouver un  appui solide au cas où les choses ne se passent pas très bien.

Bon, ce genre de pensées positives à la con, c'était avant qu'un bourdonnement résonne alors qu'il entre à peine dans le sous-bois ; c'est à dire que ce bourdonnement, il commence à bien le connaître, parce qu'il l'a suivi pendant un bon moment quand il est rentré de l'Oeil de Lathea. Son estomac se serre quand il reconnait le vrombissement qu'il considère désormais comme caractéristique d'une colonie de Dardargnans ; par chance, heureusement, Oliver a bien retenu les leçons d'Eugène à ce sujet. Ces Pokémon sont du genre territoriaux, et s'il reste un peu trop longtemps dans les parages, il va avoir un petit problème. Voire un gros. Alors il s'éloigne, décide de prendre un petit chemin sur la droite, tant pis pour l'itinéraire ; et puis de toute façon, il préfère se dire qu'il retrouvera bien son chemin tout seul, c'est toujours mieux de se paumer que de finir piqué par ces saloperies ambulantes.

L'amener au lac la dernière fois, ce n'était pas très malin. Oliver le sait, parce qu'elle est rentrée à la maison toute trempée et un peu dépitée par ses échecs, et il lui a fallu un peu de temps pour la convaincre qu'elle arriverait, un jour, à venir à bout de tout ce qui lui fait encore peur et tout ce qu'elle n'arrive pas à faire. Tempête porte très bien son nom, car en dépit de cette déprime passagère, sa petite Nirondelle a su garder la tête haute. C'est elle qui a demandé une sortie aujourd'hui, et Oliver a considéré qu'il valait mieux qu'ils y aillent seuls. De tous les membres de son équipe, sa Nirondelle est la dernière, et il faut commencer à créer des liens sans interférer avec ses autres Pokémon, c'est très important si un jour il veut la présenter dans
une arène.

Une fois suffisamment éloignés de ce qu'il devinait être une colonie de Dardargnans, Oliver peut souffler. Tranquillement, et satisfait de voir qu'il n'a pas besoin de sa canne aujourd'hui, le batteur tire une pokéball de sa poche et relâche enfin sa Nirondelle qui se pose automatiquement sur son bras. Ses serres, petites mais griffues, égratignent le cuir de sa veste, mais il s'en moque bien le batteur, quand il lui adresse un large sourire pour passer une main sur sa petite tête toute douce. « Alors ma belle, on s'entraîne aujourd'hui ? » Oui, elle est d'accord. Elle pousse un piaillement déterminé, étend ses deux ailes; il est plus qu'évident de voir comme l'une semble parfaitement normale par rapport à l'autre, tordue comme la voile abîmée d'un navire après une bataille. Bien sûr que ça le rend un peu triste Oliver, mais il sourit quand même, avant de lui désigner les branches basses des arbres.

« Le mieux à faire je pense, ça serait que je te mette là-haut. » Il explique à sa Nirondelle qui observe les branches avec circonspection, pas certaine de comprendre ce que son dresseur attend d'elle. Lui, il attend qu'elle guérisse ; qu'elle progresse, qu'elle évolue, qu'elle grandisse. Tempête est un Pokémon téméraire, qui a envie d'apprendre, de se battre ; il n'est pas question que son aile l'en empêche, tout comme il est exclu désormais que sa jambe soit une raison suffisante pour le brider dans sa quête des badges et l'exploration qui va avec. Alors il lui sourit gentiment, le batteur, puis la hisse sur une branche basse avant de lui en désigner une, un peu plus haute. « Tu vois le Chenipan, là ? Vole jusqu'à cette branche, et chasse-le. Ce
n'est pas très haut, je suis sûr que tu peux y arriver. » Et si non, il sera toujours là pour la rattraper, de toute façon.

Mais le premier essai est un échec. Tempête prend pourtant le temps de tester ses appuis sur la branche, observe sa destination, jette un regard noir au pauvre Chenipan qui n'a absolument rien demandé à personne, bat doucement des ailes, tangue... et titube au moment de décoller. Les deux bras d'Oliver la réceptionnent, et le dresseur lui adresse un sourire peut-être un peu désolé, parfaitement conscient que les choses ne seront pas faciles. « Te décourage pas, d'accord ? » Dit-il gentiment à son Pokémon qui piaille de frustration et de tristesse, tournant la tête vers son aile blessée. « Tu vas finir par y arriver. On devient pas ultra fort en un seul essai, je suis là. On va recommencer, je suis en dessous en cas de problème. » Et c'est bien ce qui l'embête, Tempête ; sans doute aurait-elle préféré pouvoir se débrouiller toute seule. Un peu comme lui.

Et de nouveau, la voilà qui retombe lorsqu'elle s'élance pour sauter sur la branche plus haute. Il y a clairement de quoi se décourager, mais Oliver garde la tête haute ; il s'en souvient beaucoup trop bien, lui, de ces horribles journées au centre de rééducation d'Enoville avant leur départ de Lathea, de ces putains de semaines de cauchemar où toute sa vie a été mise sur pause pour réapprendre ce qui, depuis ses deux ans et demie, coulait de source. Marcher correctement, il n'a pas pu le faire pendant longtemps, il a haï ceux qui se sont portés volontaires pour pousser son fauteuil roulant alors que ce n'était pas de leur faute. Isma, Mallo... et Gaspar, cet éternel absent qui aurait peut-être trouvé les mots justes pour l'encourager. Il n'en sait rien. Il la rattraper, caresse sa tête, sourit, la repose sur la branche. Elle va y arriver, cette fois. « Recommence. »

Et cette fois-ci, ça marche. Cette fois, sa Nirondelle plisse les yeux, et quelque chose brille dans son regard qui donne une certitude à son dresseur : cette fois, elle n'échouera pas. Quand elle s'élance, c'est dans un battement d'ailes absolument maladroit qui n'aurait jamais tenu plus loin que sa destination ; mais ses serres accrochent la branche, un coup de bec furieux chasse le Chenipan impudent qui n'avait pas pris la peine de bouger en voyant comme son Pokémon peinait à l'atteindre. Dans un petit cri de surprise et de peur, il file ventre à terre ; Tempête, elle, replie ses deux ailes dans un cri de joie qui réchauffe instantanément le coeur du batteur quand il la regarde. « Super ! Bien joué ma belle, je t'avais dit qu'on pouvait y arriver. On continue ? » Oui, bien sûr qu'ils continuent ; ils ne vont pas s'arrêter en si bon chemin, songe le jeune homme en cherchant du regard la prochaine branche.

Alors, est-ce qu'ils vont essayer plus dur, pour le moment ? Non, pas tout de suite, pas question de brûler les étapes. Face à eux, une seconde branche, à peine plus éloignée de la première ; c'est elle qu'Oliver montre du doigt pour désigner à sa Nirondelle un Pokémon paisiblement endormi près du tronc. « Tu vois le Couverdure là-bas ? Fais-le tomber. » Il ose à peine imaginer la gueule des Pokélovers s'ils l'entendaient dire ce genre de choses, tiens. C'est peut-être la proximité avec Lucinel qui lui fait avoir une pensée comme celle-là, mais il n'a aucun mal à deviner ce qu'il entendrait. Les Pokélovers ont horreur des entraînements, et estiment qu'aucun Pokémon ne devrait se battre autrement que par instinct, et non par ordre de leurs dresseurs. Sauf qu'il s'en fout le batteur, et visiblement sa jolie Nirondelle aussi, vu comment elle regarde son nouvel ennemi.

Sauf que. Sauf que visiblement, sa Nirondelle a pris la confiance un peu trop vite, et qu'elle ne prend pas vraiment le temps d'évaluer les distances. Elle n'a pas l'habitude de prendre toutes ces précautions après tout, son pur instinct lui ordonne d'étendre ses ailes, de les battre et de s'envoler. Sauf que pour s'envoler, il va falloir qu'elle apprenne un certain nombre de techniques qu'elle n'aurait jamais dû avoir à retenir si elle n'avait pas été blessée. Oliver a juste le temps de se précipiter en avant quand Tempête saute, bat des ailes, vacille et tombe comme une pierre directement dans ses bras. « Ça va ? » demande-t-il, inquiet, mais le piaillement qui retentit ne trahit aucune douleur. Seulement de la colère, et Oliver fronce les sourcils. « T'es beaucoup trop pressée, t'y arriveras pas en cinq secondes, hein. Concentre toi et prends le temps, on y restera tout l'aprem s'il faut. » Mais elle y arrivera. Quand ils sortiront de cette forêt, elle volera.

La réprimande a l'air de porter ses fruits, et ce malgré l'air clairement désapprobateur que lui adresse Tempête avant qu'il la mène de  nouveau sur la branche du Chenipan. En silence, et le regard sévère décourageant son Pokémon de faire l'insolente, Oliver lui désigne d'un geste du menton le pauvre Couverdure qui n'a toujours pas bougé de son perchoir, bien inconscient de ce qui va lui tomber dessus. Et pour cause, Tempête prend soin de vérifier la distance, évalue son aile, prend quelques secondes sans bouger pour tenir compte de tous les paramètres qui vont favoriser son envol ; mais quand elle s'élance, elle est prête. Les pattes en avant et malgré son aile tordue, elle fonce directement sur le Pokémon sauvage qui  n'a pas même le temps de crier avant d'être balancé en arrière sans ménagement, pour retomber dans un buisson dans un bruit mat. Gagné. « Eh ben voilà ! Tu vois ? » Oui, elle voit. Et c'est de l'affection, qu'il voit maintenant dans les yeux de sa jolie Nirondelle.

« Allez, au suivant ! Viens, on va s'éloigner un peu. » Ils vont travailler ensemble, main dans la serre, étapes par étapes. Pour aujourd'hui, il faut y aller doucement, même si Tempête ne  manifeste pas le moindre signe de fatigue quand Oliver la laisse remonter sur son bras avant de fouiller dans la poche de sa veste pour lui tendre un biscuit, qu'elle prend avec grand plaisir. Sévère mais juste, Oliver a toujours préféré la récompense à la punition, quand bien même parfois, cette dernière serait  nécessaire. Ils font quelques pas tous les deux, et c'est avec plaisir qu'il accueille un câlin de la tête de sa Nirondelle contre son cou ; comment a-t-il pu se passer de tout ça pendant des années ? Tous ses Pokémon manifestent leur affection à son égard maintenant, et s'il n'est pas sûr de le mériter, ça lui fait terriblement plaisir.