« On essaye cette branche-là ? » Demande-t-il alors une fois que Tempête se redresse, en désignant un arbre plus petit, mais dont le ramage semble très solide. Elle hoche la tête, et Oliver tend le bras ; grimace en sentant les griffes de son Pokémon s'enfoncer dans son bras, mais l'encourage du regard quand elle s'élance. Il y a toujours un moment où il appréhende un  peu le battement d'ailes du Pokémon, puis le soulagement quand elle atteint sa destination dans un cri joyeux... puis un autre,surpris, quand l'arbre se met à bouger et qu'elle est obligée de s'envoler dans  un mouvement de panique, obligeant son dresseur à se précipiter en avant  pour la récupérer avant qu'elle tombe. « Oh mince ! » Ouais, il aurait pu vérifier ; le Pokémon dérangé ne  leur en veut pas, mais il  reconnait finalement un Simularbre. Par chance, celui-ci se contente de grommeler,  avant de s'en aller.

« Aïe ! » s'écrie-t-il quand un coup de bec désapprobateur vient frapper son crâne ; visiblement, elle a eu un peu peur sa Nirondelle, et elle n'est pas du tout contente. « C'est... aïe, arrête, c'est bon, je ferais plus attention la prochaine fois d'accord ? Arrête ! » Elle a l'air d'en avoir fini, Tempête ; elle ne boude pas très longtemps,  bien déterminée à continuer. Ce courage-là, Oliver  ne l'avait pas quand Myrtha lui est tombée dessus et qu'il a fallu apprendre à vivre avec, bien au contraire. Enfermé dans son propre corps, le bassin prisonnier, endolori parles cicatrices et les broches, il avait fini par se convaincre tout seul comme un grand que sa vie, son avenir, tout était foutu. Il avait refusé catégoriquement les premiers exercices de rééducation qui demandaient simplement à bouger un peu les jambes, les pieds. A quoi bon, hein ? Ça l'emmerdait, et ça ne lui apportait absolument rien.

Tempête n'est pas comme ça. Il y a une petite différence entre ces deux-là, c'est qu'elle est indépendante, sa Nirondelle, et ce malgré l'affection qu'elle a l'air de lui vouer. Lui avait besoin de ses jambes pour jouer de la batterie, mais pas pour vivre, et bien qu'il n'aurait pas supporté la perspective de finir dans un fauteuil toute sa vie, c'était bien moins nécessaire que les ailes d'un Pokémon comme elle, obligatoires pour aller chasser, se nourrir. Un Pokémon vol au sol n'est plus bon à rien, que se serait-il passé s'ils ne l'avaient pas trouvés avec Gaspar, ce soir-là ? Il n'a pas envie d'y penser, il songe simplement qu'il a bien fait de la récupérer, quand bien-même aurait-il prétendu le contraire à son compagnon ce soir-là. Elle lui donne un étrange reflet de lui-même, celui qu'il aurait dû être, quand c'était à lui de réapprendre des gestes simples et innés.

Il en était arrivé à un point où il ne savait même pas s'il pourrait poser un foutu pied devant l'autre un jour, et il avait été suffisamment con pour refuser de croire les médecins qui lui avaient assuré que oui, s'il se décidait à y mettre du sien, même son père s'était fait envoyer chier. Oh arrêtez de me prendre pour un con hein, tout ça pour me redonner de l'espoir et me faire croire en vos petites victoires débiles, dites-le que c'est fini pour moi putain, on ira plus vite. Il avait été odieux, malheureux et résigné, parce qu'il avait mal et que rien ne parvenait à le convaincre qu'il parviendrait, un jour, à vivre une vie à peu près normale. Il ne pouvait pas se contenter de peu, et encore aujourd'hui, cette idée est un peu difficile à encaisser. Parce que le garçon qu'il était avait besoin de ses jambes.

L'enfant qu'il était rêvait de grandes aventures, de voyages Pokémon, d'adrénaline, de challenges. A  huit ans, il avait décidé de commencer à s'entraîner ; il courait, faisait beaucoup de vélo, passait la plupart de ses journées dehors et consacrait ses soirées au petit garçon que sa mère avait recueilli chez eux. Mallory ne le suivait pas, ou peu, le petit bonhomme taciturne qu'il était préférait les fuites en solitaire, mais ils avaient toujours su rester soudés, unis. Lui, il aimait l'air frais, le vent dans ses cheveux qu'il n'avait jamais supporté de  porter courts et que sa mère lui faisait arbitrairement couper, il aimait les grandes plaines dans lesquelles il allait régulièrement faire la course avec les Pokémon sauvages qu'il rencontrait. Son enfance avait été heureuse, pleine d'espoir, il rêvait du jour où il pourrait enfin prendre son indépendance. Lorsque c'était arrivé, il s'était lancé à corps perdu dans le groupe, mais n'avait jamais oublié son but initial.

La course, l'air qu'il respirait, le vent, le froid, la chaleur, l'eau, tous les éléments qu'il bravait sans rien craindre, tout s'était effondré avec Myrtha. Grimper aux arbres, aux murs, suivre Isma dans toutes ses conneries, tout s'est brutalement arrêté avec l'accident. En l'espace de quelques semaines, il s'est condamné à voir son mec de l'époque bien campé sur ses deux jambes, qui allait, comme lui avant, courir quand ça n'allait pas, qui trouvait refuge dans la nature, qui ne vivait que pour avoir la sensation qu'aucun jour ne se ressemblerait. Comment faire, alors ? Certains auraient décidé de faire preuve de courage, mais pas lui. Oliver n'avait jamais rien vécu de traumatisant, avant, et du haut de ses dix-neuf ans, il a été bien incapable d'encaisser ce terrible freinage d'urgence dans sa vie. Il a fallu attendre dix années pour qu'il se décide à se secouer un peu les fesses.

Dix années et des Pokémon dont il a fallu apprendre à prendre soin. Dix années et le retour de Gaspar, la disparition d'Isma, de Hydris. Combien de faux-pas a-t-il fait, le batteur, combien de temps va-t-il devoir rattraper ? Si cela lui faisait peur avant, aujourd'hui il s'en fout pas mal, songe-t-il avec un petit sourire tandis qu'il lève le nez pour entendre d'un peu plus près le chant un peu moqueur d'un Pijako qui se dandine devant une Tempête qui lui montre son aile blessée, comme pour lui dire qu'elle ne peut pas le rejoindre. « Hé, il n'est pas si haut, lui dit-il avec un petit sourire encourageant. Allez, essaie de le rejoindre ! » Elle a l'air d'hésiter un peu, Tempête, mais quand elle s'élance, il lui faut deux maladroits battements pour s'approcher. Et elle y arrive, ce qui est une véritable victoire, aujourd'hui. Ils avancent. Tous ensemble.

Et Tempête aurait sûrement pu faire une rencontre super sympa, si seulement quelque chose ne s'était pas produit. Alors qu'elle s'approche du Pijako pour lui dire bonjour, ce dernier est chassé dans un grand cri par un petit Pokémon tout feu tout flamme, qui lui met une grande claque avant de s'approcher de sa Nirondelle en grondant. C'est un Ouisticram, et il a l'air plutôt énervé, dans le genre ; cela n'a pas l'air d'effrayer son Pokémon pour autant, qui gonfle aussitôt ses plumes pour se donner un air menaçant. « Tu vas pas te laisser faire quand même ? demande le dresseur en éclatant de rire, tandis que son Pokémon s'approche en piaillant de colère. » Quoi, elle avait un crush sur le Pijako, peut-être ? En tout cas, elle est sacrément en colère maintenant, quand elle s'approche pour mettre un bon coup de bec au Ouisticram qui a l'air de considérer que cette branche lui appartient.

Ce Pokémon a l'air d'avoir un sacré caractère, et la décision du batteur est prise : il le lui faut. Sans doute est-ce un élan de masochisme qui le pousse à chercher ses Pokéballs dans son sac tandis que Tempête se démène tant qu'elle peut dans une série de cris très énervés, battant des ailes pour avoir l'air plus impressionnante sous le regard du Ouisticram qui n'a pas du tout l'intention de lâcher l'affaire. C'est son arbre, sa branche, quand  bien même personne ne saurait vraiment pour quelle raison ; avec le temps, Oliver finira par comprendre que ce petit Pokémon est doté d'un instinct territorial bien à lui quand il s'agit d'objets, de surfaces ou de périmètre. Sauf que face à Tempête, il finit par perdre ; sonné, le petit Pokémon titube, et Oliver va lancer sa Pokéball. Un Simiabraz, pourquoi pas après tout ?

La sphère s'envole en direction de la branche et touche aussitôt le Ouisticram qui disparaît dans un flash de lumière. Oliver ricane peut-être un peu, en se demandant ce que Gaspar aurait dit en voyant un lancer aussi parfait. Que fait-il aujourd'hui, son amant ? Est-ce qu'il lui manque un peu ? Il ne sait pas, il lui écrira ce soir, comme tous les soirs. La journée, ils la consacrent souvent à l'entraînement des Pokémon ou à tout ce qui se rapporte à leurs métiers respectifs ; et le soir, ils s'appellent, il  lui racontera sa capture et les immenses progrès de Tempête, qui pousse un cri de triomphe avant d'ouvrir grand le bec dans  l'attente d'une friandise. « Ah t'es comme ça toi hein ? » rigole le dresseur en croisant les bras. « Ramène moi la Pokéball, et je te donnerai quelque chose. Allez, saute ! »

Et elle saute, Tempête ; une mauvaise blague lui aurait fait songer qu'elle s'est sentie soudainement pousser des ailes. Mais ravalant une plaisanterie fumeuse, il accueille son Pokémon avec un rire joyeux, et récupère la sphère qu'elle tient dans l'une de ses pattes pour la mettre au fond de son sac. Quelque chose lui dit que s'il a l'audace de libérer la Ouisticram en colère maintenant, il risque de le regretter, alors autant la laisse se calmer, il verra ça plus tard. Pour le moment, il préfère s'enfoncer dans les bois, non sans avoir offert à sa super Nirondelle la récompense attendue, qu'elle accepte en lui mettant un petit coup de tête sur la joue. Est-ce de l'affection, ou de la reconnaissance ? Oliver n'en sait rien et de toute manière, cela  ne fait pas  beaucoup de différence, au final. Il a eu de la peine pour elle à l'instant où il l'a vue, et la voir récupérer, c'est la seule chose qui compte pour lui.

A leur manière, tous ses Pokémon ont su manifester leur affection auprès de leur dresseur. Oliver ne sait pas s'il mérite ce type d'attention mais il est plus qu'heureux de la recevoir, et ce de la part de tous. Choupette l'a aimé à l'instant où elle est sortie de sa Pokéball, sans vraiment qu'il ait fait quoi que ce soit pour. La Mucuscule était prisonnière depuis quelques jours, et il a remarqué assez vite qu'elle s'était un peu desséchée en dépit de son abri ; il l'a mise dans la baignoire et c'est comme ça qu'ils se sont aimés, suppose-t-il. Aujourd'hui, les câlins de Choupette sont les plus gluants et les plus dégueulasses, mais même s'il râle, Oliver ne s'en passerait pour rien au monde. Ça, et toute la reconnaissance qu'il ressent à l'égard d'Isma de lui avoir envoyé une petite perle aussi gentille, affectueuse et combative. Il le savait, ce con. Oliver n'a pas la moindre idée de comment, mais Isma le savait.

Tout à ses pensées, Oliver ne regarde pas vraiment où il marche ; trop occupé à faire une rétrospective de son équipe, le jeune homme bute dans quelque chose, manque bien de se casser la gueule et se rattrape in extremis sur un tronc d'arbre avant de baisser la tête... et tomber nez à nez sur un Pokémon extrêmement mécontent d'avoir été dérangé. Bulbi ! « Oh merde, murmure-t-il pour lui même, les yeux légèrement écarquillés » C'est quel genre de chance, ça ? Le Pokémon n'a pas l'air particulièrement agressif, mais il se souvient beaucoup trop bien d'un dresseur qui passait à la télé dans le temps et qui avait un énorme Florizarre horriblement talentueux... il le lui faut, c'est sûr et certain. « Tempête ! » appele-t-il, en direction de son Pokémon encore perché sur une branche d'arbre. « Allez, on passe à l'étape suivante, essaie une attaque en piqué ! » C'est dangereux, mais qui sait ? Ça va peut-être passer.