Quel abruti il a été Mallory, hein ? Quel idiot il a été de s'imaginer une seule seconde que quelqu'un sur cette putain de terre serait suffisamment bienveillant pour apprendre à parler sa langue, à lire ses propres mots. Quelqu'un, et pas quelqu'un qui se serait amusé à décortiquer son esprit et les réactions de son cerveau malade, non ; quelqu'un qui aurait su interpréter la vérité du mensonge, qui aurait été capable de lire tout ce que ses yeux hurlaient et imploraient en silence. Longtemps il s'est imaginé qu'Ismaël disposait de cette force, de cette hargne qui lui aurait au moins permis de lutter avec lui contre tout ce qui lui faisait peur. Mais non, bien entendu ; pire encore que le rejet que le baroudeur vient de lui balancer en pleine figure, c'est sa déception qui prévôt sur tout le reste maintenant, de comprendre que non, jamais, ni rien ni personne ne seront capables de le sauver de lui-même. Alors il le regarde, le chanteur, des larmes plein les yeux, déçu et blessé par le seul homme qu'il ait jamais aimé de façon aussi bête, aussi déraisonnable et aussi pure. Lui qui a toujours vu son esprit comme un nid fangieux de pensées que l'irréalité tordait en hallucinations, se raccrochait à ce seul visage dont le souvenir lui faisait du bien. Mais oui, il a déconné ; Mallory ne fait que ça, déconner. Je pense pas comme les autres. A ses yeux, l'agressivité dont il a fait preuve à l'époque découlait de sa propre normalité.

Alors il peut bien écarquiller les yeux Isma, il peut bien être choqué, surpris par son manque de réactivité ; il vient de le frapper en plein coeur, et il n'y aura plus le moindre retour en arrière possible. C'est fini. C'est fini, c'est fini, c'est fini, c'est fini, chuchotent ses pensées que son cerveau muent en voix déformées, qui résonnent à ses oreilles bien plus fort que les balbutiements du baroudeur. C'est fini. C'est fini. « J'pouvais pas... comment tu voulais que je. » Inutile d'épiloguer, inutile de lui expliquer ; Mallo a toujours craint l'abandon plus que tout autre chose, et c'est cette peur -là que le Johtien vient de réveiller. Ses mains tremble, son corps se recroqueville sur lui-même ; si durant des jours entiers il est parvenu à se persuader que le traitement du garçon à son égard était tout ce qu'il méritait, aujourd'hui il n'y arrive plus. Il n'arrive plus à se contenter de son mépris.

Et de toute manière, il s'en moque Ismaël. Depuis toujours, il s'en moque. Il t'a toujours détesté, même quand il faisait semblant de t'aimer. Sans doute à l'époque ne s'est-il rapproché de lui que pour atteindre Oliver plus facilement. Maintenant que ce dernier est bien casé avec Neskov, il n'a plus aucune raison d'être gentil, hein ? Alors qu'il parte. Il retrouvera son chemin tout seul, Mallory n'a pas besoin de lui. « Allez, t'as raison, j'suis qu'un connard. » Et c'est tout. C'est fini. C'est fini. En quelques enjambées, Ismaël a décidé de l'abandonner.
Un moment, Mallory reste là, planté dans la ruelle, à regarder le faisceau clair de la lampe le quitter. Immobile, raidi dans le noir, il lui semble alors que ses ennemis sont à la fois partout et nulle part ; que le danger court à chaque porte, que la mort l'effleure à chaque passage. Le silence, ponctué des chuchotements qu'il entend dans sa tête, sont plus menaçants que jamais ; il faut qu'il parte maintenant, qu'il disparaisse. De toute manière, personne ne l'a jamais aimé.

Ce n'est que la douce présence d'Aurore qui le ramène lentement à la réalité. D'un effleurement de ses naseaux contre son bras droit, elle l'invite tristement à s'appuyer contre elle, consciente pourtant que la profondeur de sa douceur et de son affection ne suffiront pas à guérir la blessure profonde qu'Isma a laissée en partant. Plongé dans les profondeurs de sa démence, il erre alors, Mallory, s'égare dans les rues de Nathalia en tâchant de se convaincre qu'il prend le bon chemin, sans s'apercevoir qu'il tourne en rond dans le noir. Désorienté, l'esprit délité par les paroles d'Isma que son esprit répète en continu, il finit par s'immobiliser près d'une clôture de ce qui ressemblait auparavant à un jardin mais qui, maintenant, n'est plus qu'un amas de friches empoisonnées ; il est sûr, pourtant, il a déjà vu cet endroit. La sortie c'est par là.

Les sanglots et les larmes lui barrent la gorge, lui brouillent la vue ; le chagrin lui coupe tout le discernement nécessaire pour s'en sortir. Ismaël a sans doute commis la pire erreur en le laissant tenter de rentrer seul, quand bien même son Pokémon s'efforcerait-il de le tirer par la manche vers une autre direction ; tout ce qu'elle veut Aurore, c'est qu'il revienne vers lui, et il ne veut pas. Il doit mettre de la distance avec ce qui lui fait mal et pour ça, il a des obstacles à franchir, en premier lieu cette grille, qui lui barre le chemin jusqu'à la sortie. Ses mains tremblantes agrippent la barre métallique, il se hisse, faiblement, enjambe le portail, et la douleur lui coupe soudainement le souffle lorsqu'il passe de l'autre côté, lui arrachant un cri alors qu'il s'effondre, le flanc barré d'une longue estafilade que le métal rouillé de la clôture lui inflige alors qu'il s'apprêtait enfin à trouver la sortie.

Frappé d'horreur en sentant un liquide chaud couler jusqu'à sa hanche, il écarquille les yeux Mallory, délire et s'effondre dans la boue noire, grasse, empoisonnée, et lorsque sa peau arrachée entre en contact avec la matière toxique, c'est un véritable hurlement de souffrance et de panique qui résonne dans l'ancienne Nathalia ; incapable de comprendre ce qui lui arrive, et persuadé que quelque chose vient de l'attaquer, le champion se recroqueville sur lui-même, plaque une main là où le poison vient s'accrocher à sa chair, sous les hennissements paniqués de sa Ponyta, trop jeune pour savoir comment réagir. Sophie n'est pas là, il est tout seul, elle ignore si elle doit aller chercher de l'aide ou au contraire rester ; lui se tord de souffrance sur le sol, le corps agité de soubresauts alors qu'il se débat contre une force invisible, des larmes de douleur plein les yeux, le visage barré par la terreur qui crispe ses muscles, accentue la brûlure irradiant de son ventre à ses épaules. C'est comme ça qu'il va mourir, alors ? C'est peut-être le destin, il n'en sait rien.

Mais quel sale con, sérieux, continue de fulminer Ismaël alors qu'il crapahute dans la boue empoisonnée, le souffle raccourci tant par l'ampleur de la dispute que par les vapeurs toxiques qui commencent sérieusement à lui donner mal à la gorge. Il se comporte comme un salopard pendant des années et tout devrait lui être pardonné au prétexte qu'il est malade ? Il est du genre à beaucoup de choses, Isma, mais certainement pas à la pitié. La compassion, oui, ça lui arrive, et il soutient mordicus que non, ce n'est pas la même chose. Ce crétin a toujours considéré que tout lui était dû, de toute façon, et maintenant il pleure parce qu'il doit subir les conséquences de son comportement pour la première fois de sa vie alors ça va, passer encore une fois pour le connard de service tout ça parce qu'il ne rampe pas aux pieds de Môsieur Mallory comme Oliver, merci mais non-merci.
Ses pas sont larges, vifs, il va décamper d'ici en vitesse et rentrer chez lui, tant pis pour le couillon qui va se perdre en pleine nuit dans une ville en ruine empoisonnée, c'est absolument pas son problème. Quand bien même ça ne plairait pas à Than, qui gesticule de plus en plus fort entre ses bras, tant et si bien qu'il n'échappe à la chute dans une énorme flaque de boue empoisonnée que parce que son dresseur a de bons réflexes. « Eh, tu te calmes un peu ? Qu'est-ce qui t'arrive ?
– Oooss ! lui crie le Pokémon en se débattant, visiblement totalement paniqué. 
– Mais calme-toi, on va pas mourir ; il y a une sortie par-là, on va retomber près de la mer. Je gère, d'accord ?
– Osselait ! »
Bien. Le tout jeune Pokémon n'a pas l'air plus rassuré mais maintenant il essaie de remonter sur ses épaules alors ça va être plus pratique ; c'est en tout cas ce qu'il se dit jusqu'à ce qu'il ait installé Than derrière sa nuque et que celui-ci, non content d'être perché tout là-haut, se mette à lui matraquer la tête avec son os, entre deux tirages de cheveux intempestifs. « Mais ça va pas la tête ?! s'énerve-t-il en tournant sur lui-même, levant les yeux pour engueuler le Osselait qu'il ne peut pas voir. Pourquoi tu m'attaques, c'est quoi ton problème ? »
Pour toute réponse, le petit se remet à crier et tire encore ses cheveux... mais clairement pas dans le même sens. Maintenant il les pousse vers l'avant. « T'essaies de... mais pourquoi ? »
Là, il est perdu, clairement ; Than veut lui faire faire demi-tour. « Tu veux retourner chercher Mallory ? »
Un cri affirmatif lui répond, et il pince les lèvres. Bien sûr que ça lui pèse quand même sur la conscience de l'avoir laissé là-bas, mais clairement, il n'était pas le bienvenue et il doute qu'il le sera si jamais il décide d'y retourner alors... « C'est une idée à la con. On rentre, c'est un grand garçon, il se débrouillera tout seul. »
Et là, pour toute réaction, le Osselait se met à pleurer ; il ne gesticule plus, mais ses grands cris pourraient bien rameuter tous les Pokémon sauvages du coin. « Than... gronde-t-il, un peu désemparé mais surtout inquiet, parce que ce comportement est vraiment bizarre. Qu'est-ce que tu... C'était quoi ça ? »
Il a entendu quelque chose, et il n'est pas le seul. Son Pokémon est en alerte lui-aussi, et le silence dure de longues secondes avant que cette fois, Than saute carrément des bras dans lesquels son dresseur l'avait pris pour l'empêcher de pleurer et il retourne en courant vers l'endroit où ils ont laissé Mallory un peu plus tôt. Il va sans dire que le petit se fout complètement des ordres de son dresseur et qu'il continue à avancer malgré les remontrances, jusqu'à ce que ce soit, cette fois, un véritable hurlement qui retentisse tout autour d'eux. Et cette fois, pas de doute, c'était Mallory. « Putain, il fait chier, qu'est-ce qu'il fait chier, peste alors Ismaël en saisissant son Pokémon pour l'installer sur ses épaules et foncer en courant dans la direction du cri. »
Sauf qu'il en a parcouru, de la distance, pendant les quelques minutes où il était décidé à le laisser se démerder ; et ce couillon a dû avancer aussi. Il n'entend rien, parti comme c'est il ne le retrouvera jamais, alors cette fois, c'est à la Petite qu'il fait appel. « Trouve Mallory, ordonne-t-il à la Zorua qui vient de sortir de sa ball. Grouille, s'te plaît. »
Heureusement qu'elle a du flair ; quelques minutes, pas plus, c'est le temps qu'il faut pour qu'au milieu du silence, entrecoupé par les gémissements paniqués de Than, Ismaël puisse distinguer une voix trouble, brisée par la douleur. « MALLORY ! gueule-t-il, alors la Petite se précipite vers ce qui ressemble à une vieille clôture. Tu m'entends ?! »
Ouais, apparemment, parce qu'il est juste là, étalé dans la boue, recroquevillé comme un insecte sur le point de se faire écraser. « Putain, jure-t-il en s'approchant, grimpant déjà sur la clôture pour le rejoindre. »
Il ne voit qu'au dernier moment la barre de métal visiblement tranchante qui dépasse d'un morceau de mur effondré, et la dégage d'un grand coup de pied avant de sauter près du malade dans un sale état. « Eh, Mallo, appelle-t-il, la voix tendue par l'urgence. T'es conscient, tu m'entends ? »
Qu'est-ce que t'as encore foutu, bordel. Il a l'air de l'entendre mais clairement, quelque chose ne va pas ; et il en a la confirmation quand un petit gémissement de la Petite, en train de renifler la main du chanteur pressée contre son flanc, lui fait découvrir un flot de sang sous le faisceau de sa lampe. « Faut te sortir de là tout de suite et s'occuper de ça, dit-il plus pour lui-même que pour le garçon dont il entoure la silhouette entre ses bras pour le porter. Allez, accroche-toi. »

Il va mourir, ici et maintenant, Mallory en est persuadé. Haletant, les yeux écarquillés, il gémit de douleur, la main plaquée sur son flanc sans voir qu'il ne fait qu'aggraver la situation ; le poison s'infiltre autour de la blessure, et la brûlure lui fait voir trouble. La peur, elle, déclenche tout doucement la première bouffée psychotique qui lui fait entendre une série de cris et de rires, lui faisant écarquiller les yeux. Il est tombé dans un piège, alors ? Quelque chose prévoyait qu'il se fasse mal et maintenant, que va-t-il lui arriver ? Est-ce qu'il va seulement pouvoir s'en sortir ? Il n'en sait rien Mallory, ses yeux écarquillés ne voient que la poix de la nuit, entendent à peine les hennissements paniqués d'Aurore, qui piétine à côté de lui sans avoir la moindre idée de ce qu'elle doit faire.

« MALLORY ! Tu m'entends ?! » Le cri est près, très près et se mêle à ceux qu'il entend déjà, à ces putains de voix qui sifflent, ils lui veulent du mal, quelqu'un va l'enlever, sûrement pour le punir d'avoir eu le malheur d'aimer, n'est-ce que de la pure et simple malveillance il n'en sait rien, il sait juste qu'il est pris au piège. Il a trop mal, il n'arrivera pas à se lever, et entre ses doigts s'écoulent lentement de larges ruisseaux de sang. Si personne ne le récupère, c'est vidé de son essence vitale qu'il va mourir, de toute façon. Et quelque part, n'est-ce pas ce qu'il mérite ? « Eh, Mallo, t'es conscient, tu m'entends ? »

La voix s'est rapprochée cette fois, et c'est les yeux écarquillés qu'il tente de bouger le moins possible pour faire le mort ; avec un peu de chance il le croira et il s'en ira, il ne veut pas être enlevé, il ne sait pas ce qu'on va faire de lui mais c'est sûr, il va être puni par des heures et des heures de torture et de sévices. Dans son délire, il ne reconnait absolument pas le timbre d'Ismaël, pas plus que sa haute silhouette qui se penche vers lui, avise la blessure irradiante et terriblement douloureuse. « Faut te sortir de là tout de suite et s'occuper de ça. Allez, accroche-toi. »
Et là, c'est la panique totale ; à l'instant où le jeune homme se saisit de son corps, c'est l'énergie du désespoir qui lui fait se débattre, Mallory, accompagné d'Aurore qui se cabre pour tenter d'empêcher le baroudeur de l'attraper. Entre sanglots et gémissements, en parfaite dissociation de la réalité, Mallory agrippe une veste, la relâche, bat des bras et des jambes en dépit de sa plaie qui lui arrache une série de gémissements entre ses plaintes de panique. « Non ! Non, non non j'ai rien fait j'ai rien fait j'voulais pas, j'voulais pas j'ai rien fait non, non j'promets, je le f'rai plus, non, j'ai pas voulu, non, NON ! »

Mais la prise se resserre et il pâlit, Mallory, quand la voix gronde et lui interdit de bouger, il écarquille les yeux, pris sous tous les feux ; entre les cris de l'Osselait, ceux d'Aurore et les phrases rabrouantes de l'homme qu'il ne reconnait pas combiné à ses propres convictions psychotiques, il frappe des poings là où il peut, frénétiquement, gagné par une panique parfaitement illogique. « Arrête, arrêtez, arrête, arrêtez, stop, ça suffit STOP STOP NON J'AI RIEN FAIT LÂCHEZ MOI LÂCHEZ MOI... »

Conscient, oui et non, et si le blessé n'est pas dans les pommes, il est pourtant totalement inconscient de la réalité qui l'entoure. Ismaël ne peut que s'en apercevoir lorsque le garçon qu'il porte contre son torse commence à se débattre en hurlant, déclenchant ce qu'on peut sans aucun mal apparenter à l'apocalypse. La Ponyta commence à s'agiter dans tous les sens, en hennissant de toutes ses forces ; ce n'est qu'un pas précipité en arrière qui permet à Isma d'éviter un coup de sabot totalement paniqué, alors qu'il lutte pour garder l'équilibre en dépit du sol glissant et de l'énergumène qui se débat de plus belle dans ses bras, hurlant comme un diable : « Non ! Non, non non j'ai rien fait j'ai rien fait j'voulais pas, j'voulais pas j'ai rien fait non, non j'promets, je le f'rai plus, non, j'ai pas voulu, non, NON !
– Mais calme-toi bon sang, gronde-t-il en le serrant un peu plus fort dans ses bras pour l'empêcher de glisser. »
Le garçon est couvert de vase dégoûtante et poisseuse, de sang qui commence déjà à lui coller aux mains. La pénombre l'empêche clairement de voir où il met les pieds pour essayer de s'approcher d'une maison délabrée où il espère trouver un meuble pour déposer le malade, mais à ce rythme il n'y parviendra jamais. Le faisceau de la lampe, laissée sur le sol, peine à éclairer ce qui l'entoure et l'ombre mouvante d'Aurore semble clairement le menacer. Les cris de Mallory se mêlent aux siens et aux aboiements de la Petite qui tente de s'interposer ; Than, lui, n'a eu d'autre choix que de descendre de ses épaules et il se presse contre ses jambes, hurlant à son tour de détresse. « Arrête, arrêtez, arrête, arrêtez, stop, ça suffit STOP STOP NON J'AI RIEN FAIT LÂCHEZ MOI LÂCHEZ MOI...
– Putain Mallory ! jure-t-il, affolé par les quantités de sang qu'il sent dégouliner le long de son ventre. Arrête, c'est moi, c'est !... »
Il est obligé de s'arrêter, saisi d'une redoutable quinte de toux qui l'oblige à se courber en avant, échappant le corps gigotant qui tombé à moitié sur le sol et libérant une partie de ses mouvements qui visent, pour la plupart, à le frapper de toutes ses forces pour s'enfuir. « Mais arrête, articule-t-il, la voix étranglée par la toux qui lui file la nausée, maintenant. »
Ça ne sert à rien, il doit s'y prendre autrement, et c'est alors d'une main rendue maladroite par la totale confusion générale qu'il saisit la pokéball de Lysaria à sa ceinture pour libérer la Gardevoir. « HYPNOSE, tout de suite ! ordonne-t-il en laissant tomber la ball vide dans sa poche pour attraper les bras de Mallory qui continue de hurler. Sur lui et la Ponyta, allez ! »
La Ponyta qui, d'ailleurs, se bat carrément avec la Zorua qui ne parvient à la tenir en échec que grâce à la supériorité de son type. « Petite, recule ! aboie-t-il en immobilisant Mallory entre ses bras, alors qu'une aura violette se matérialise pour venir frapper Aurore d'abord, puis le jeune homme dont les gestes perdent aussitôt de leur violence. Lysaria, Feu Follet, s'te plaît... »
Il est épuisé, sa tête tourne et il n'arrive pas à respirer ; comment ça a pu dégénérer aussi vite, bordel ? La Gardevoir est terriblement inquiète, mais elle s'exécute immédiatement, sans poser de question. Les flammes se mettent à tournoyer au-dessus d'eux pour éclairer les alentours et maintenant que le garçon qu'il parvient à reprendre dans ses bras est à moitié endormi, Ismaël parvient à le porter jusqu'à l'intérieur de la maison, non sans demander à Lysaria de porter la Ponyta inconsciente. Than, lui, est toujours agité, mais il suit docilement la Petite qui lui donne de petits coups de museau pour l'encourager à avancer. Quelle merde, bordel, il aurait jamais dû le laisser tout seul, qu'est-ce qui lui a pris, hein ?
Déposant le malade comateux et gémissant sur ce qui ressemble à un vieux matelas complètement crade mais beaucoup moins dangereux que le sol, il laisse tomber son sac par terre et saisit aussitôt le tee-shirt imbibé de sang de Mallory pour le déchirer et dévoiler une large plaie qu'il peut à peine distinguer sous la boue encore bouillonnante. Than s'est remis à pleurer, et il descend des épaules d'Ismaël pour se recroqueviller contre le flanc sain du blessé ; son dresseur, lui, s'empare d'une bouteille d'eau dans son sac et la vide intégralement sur la blessure pour la nettoyer. Le sang continue de couler mais au moins, il comprend mieux ce qui se passe : le garçon a dû se blesser sur la barre en fer et la vase toxique dans laquelle il est tombé a commencé à lui attaquer la peau. Il faut se dépêcher, l'Hypnose ne fonctionne déjà presque plus. « Utilise Vibra-Soin, Lys, dit-il, la voix rauque comme s'il avait des graviers dans la gorge. »
Alors que sa Gardevoir s'exécute, il attrape un vêtement au hasard dans son sac et une autre bouteille d'eau fraiche dont il imbibe le tissu pour le poser sur le front d'un Mallory déjà frissonnant. Il faut absolument qu'ils sortent d'ici, et vite.

 Arrête un peu de te planquer derrière ta maladie pour justifier toutes tes conneries. Même si t'étais pas malade, j'vois pas très bien comment qui que ce soit pourrait tomber amoureux d'un type comme toi.

Il faut qu'il se taise, il faut qu'il arrête de lui répéter ça, il doit arrêter maintenant. Plongé dans le noir, dans les limbes d'un sommeil profond et douloureux, Mallory peine à retrouver le sens de la réalité maintenant, beaucoup trop perturbé par tout ce qui est en train de lui arriver. Arrête un peu de te planquer derrière ta maladie. Le timbre rude d'Ismaël assène, encore et encore, c'est comme un drôle de putain de disque rayé qui ne s'arrête pas, qui se stoppe et reprend de façon hachée, erratique et Mallory a beau chercher un repère, il ne trouve rien. Le seul, c'est la voix de l'homme qu'il aime depuis quinze ans qu'il entend, et qui lui répète ce qu'il n'aurait jamais dû lui dire au départ. J'vois pas très bien comment qui que ce soit pourrait t'aimer. C'est vrai, c'est vrai mais il n'a pas envie de l'entendre, il voudrait fermer les yeux mais il ne sait même pas s'ils sont ouverts. Il ne sait rien, et la perte totale de ses repères ne lui permet pas un éveil sain, quand tout son corps finit par frémir sous les effets d'un début de fière alors que la douleur recommence à irradier sur tout son corps.

Où est-il ? Avec qui ? Il n'en sait rien, Mallory ; il peine même à comprendre comment il s'est retrouvé dans cet état. Les dernières minutes se sont effacées de sa mémoire, il sait juste qu'il a mal, qu'il est seul, ou presque. J'vois pas très bien comment qui que ce soit, arrête un peu de te planquer, pourrait tomber amoureux d'un type comme toi, d'un type comme toi. S'il pouvait entendre le son de ses propres sanglots, mais non ; cette voix-là est  beaucoup plus forte. Recroquevillé sur le matelas de fortune, le garçon commence lentement à s'agiter, à s'éveiller ; et lorsqu'il ouvre les yeux, la pénombre éclairée par la crinière d'un Ponyta lui dévoile une drôle de masure délabrée, rongée par l'usure et la toxicité de la Peste. Aurore est là, allongée près de lui ; contre son flanc, il sent quelque chose de chaud et de dur, sans comprendre de quoi il s'agit. Il y a une grande silhouette blanche et verte au fond de la pièce, et à côté de lui, assis en tailleurs, il y a un homme. Grand, brun, les yeux sombres et une main tendue pour appliquer quelque chose de frais sur son front. Ismaël.

Sauf qu'Ismaël est parti, donc il ne peut pas être là. C'est encore une foutue hallucination, combien de fois Mallory a-t-il imaginé le trouver là à son réveil, après tout ? Et où est-il, lui, pourquoi, comment s'est-t-il retrouvé dans cette situation ? Il s'est blessé, ça il s'en souvient ; la douleur ne lui permet pas de l'oublier. Ses yeux noirs en croise une paire d'autres, bruns, sans pour autant qu'il soit capable de discerner la réalité du cauchemar. Il ouvre la bouche, et c'est une quinte de toux qui vient l'empêcher d'éclater en sanglots, puis, les poumons en feu et le corps brisé, il ferme les yeux une seconde, tente d'inspirer. Il est en plein délire, c'est ça ? Il fait une crise délirante. Où est-il ? Allez, rappelle-toi ce qu'il disait, le docteur, rappelle-toi. « Où, où t'habites, où t'habites, Myrtha non, Castle, Castlerain, j'habite à Castlerain, la journée, ce matin, ce matin. » Il marmonne pour retrouver le sens de la réalité, ferme les yeux, les réouvre dans l'espoir que son cauchemar s'arrête, sans succès ; l'horrible maison est toujours là. « Ce matin, levé à, à neuf, neuf heures oui, répétition, j'ai répété, toute  la matinée, jusqu'à, jusqu'à treize heures, puis. Le parc, avec Oliver, dix-sept heures, et puis, j'ai. J'ai envoyé, ouais, un message, j'ai envoyé un message. » Au jeune homme qui le regarde sans comprendre ce qui est en train de se passer. Tout doucement, ça lui revient.

Il frissonne, tousse encore, grimace au moindre mouvement ; sa blessure est horriblement douloureuse mais il ne peut pas se laisser distraire. « Dix-huit heures, non, dix-neuf, dix-neuf heures, j'ai, je suis parti, parti jusqu'à Nathalia, Nathalia, je suis à Nathalia, j'suis à Nathalia. » Et donc pas dans une maison abandonnée avec quelqu'un, grimé sous les traits d'Ismaël, qui essaierait de le tuer. C'est bon à savoir. « Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. Sophie. Karma. Destiny. Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. » Les paupières closes, Mallory inspire lentement ; expire en soufflant en dépit de ses membres tremblants de peur et d'épuisement. Il est à Nathalia. Aurore est là, il y a un Osselait dans ses bras mais ça, ça ne doit pas être vrai. « Parti, j'suis tout seul, personne me touche, personne. Personne. J'suis tout seul. » Cette maudite hallucination, elle va finir par s'en aller, hein ? Il l'a beaucoup trop implorée les autres fois sans réponse, cette fois il ne perdra pas son temps.

Le temps que Mallory se réveille, Isma a eu le temps de désinfecter ce qu'il pouvait de la blessure et de la bander ; à cause du poison, Lysaria n'a pas pu faire grand chose, et chercher à déplacer le malade le condamnerait tout simplement. Avec un peu de chance, les secours qu'Ismaël a appelés ne tarderont pas trop. Lui, il s'est assis près du garçon gémissant dans son sommeil, maintenant le linge trempé d'eau fraiche sur son front. Il a déjà de la fièvre, il faut qu'il soit amené à l'hôpital le plus vite possible. 
Mallory s'agite beaucoup plus, maintenant ; il est en train de se réveiller. Peut-être que la présence d'Aurore l'y aide, Isma n'en sait rien ; il a gardé sa Gardevoir à portée, juste au cas où, mais c'est bien vers le jeune homme qu'il baisse les yeux, refusant d'abuser de l'Hypnose, faute de savoir les réels effets que ce genre de capacités peut avoir sur un humain. Il croise une paire de prunelles noires, qui se remplissent instantanément de larmes, mais avant qu'un seul mot ait pu être prononcé d'un côté ou de l'autre, c'est une violente quinte de toux qui prend le garçon, le faisant gémir de douleur. Il faut absolument que les secours se dépêchent. « Où, où t'habites, où t'habites, Myrtha non, Castle, Castlerain, j'habite à Castlerain, la journée, ce matin, ce matin. »
Mais... qu'est-ce qu'il raconte ? Surpris, Ismaël écarquille les yeux, cherche de l'aide autour de lui mais Than, roulé en boule sur le ventre de Mallory, ne bouge pas d'un pouce. Aurore a l'air calme. Est-ce que tout ça est normal ? « Ce matin, levé à, à neuf, neuf heures oui, répétition, j'ai répété, toute  la matinée, jusqu'à, jusqu'à treize heures, puis. Le parc, avec Oliver, dix-sept heures, et puis, j'ai. J'ai envoyé, ouais, un message, j'ai envoyé un message. »
Un message, oui. J'ai pas envie de te voir. Ce n'était même pas vrai, mais s'ils en étaient restés-là, au moins, toute cette catastrophe n'aurait pas eu lieu. « Dix-huit heures, non, dix-neuf, dix-neuf heures, j'ai, je suis parti, parti jusqu'à Nathalia, Nathalia, je suis à Nathalia, j'suis à Nathalia. Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. Sophie. Karma. Destiny. Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. »
Bordel, c'est flippant... là, Isma est un peu horrifié, il ne sait absolument pas quoi faire et il a dépensé tout ce qui lui restait de batterie pour appeler les secours alors. C'est normal, vraiment, ce qui se passe là, ou alors il a dérayé pour de bon ? « Parti, j'suis tout seul, personne me touche, personne. Personne. J'suis tout seul. »
Ismaël pourrait sûrement essayer de lui dire quelque chose, mais si c'est comme tout à l'heure il est quasiment sûr que Mallory ne l'entendra pas, alors c'est vers sa Gardevoir qu'il lève le nez, inquiet. « Tu peux l'aider ? demande-t-il. »
Lysaria répond calmement en secouant doucement la tête ; elle s'approche pourtant, jusqu'au chevet du malade, et tend une main qui fait franchement espérer le baroudeur, mais... à sa plus grande surprise, la Pokémon Psy ne fait que désigner quelque chose. Elle désigne la petite boule sur le ventre de Mallory. « Than ? il demande, sans comprendre, encore plus largué lorsque Lys hoche la tête. Il peut faire quelque chose ? »
Nouveau hochement de tête. Ismaël ne comprend rien. Avant tout, il va s'assurer que le malade l'entend, ce sera un bon début ; parce que là, à part en répétant le nom de ses Pokémon en boucle et en secouant la tête, il ne réagit pas du tout. « Mallory ? Eh ? »
Mais non, c'est encore pire, alors cette fois, le baroudeur secoue doucement son Osselait, qui relève sa petite tête. Ses yeux brillent de larmes, mais il est attentif. Pourquoi est-ce qu'il est bouleversé comme ça, hein ? « Tu... tu sais ce qu'il a ? »
Une seconde, le Osselait hésite, et puis il hoche tout doucement la tête en soupirant. Bon, alors il y en a un qui suit, c'est déjà ça, se dit le dresseur en grimaçant. Parce que lui, il est perdu. « Tu peux essayer de l'aider ? »
Il a du mal à voir comment, mais le petit Pokémon a l'air d'avoir de la suite dans les idées quand il se lève avec précaution pour descendre du ventre de Mallory et le contourner jusqu'à se placer derrière sa tête, sur le matelas. Deux petites pattes se tendent et se posent tout doucement sur les tempes du garçon pour l'empêcher de bouger et, aussitôt, vivement, Than se penche en avant, collant son front sur celui du malade. L'ombre verte qui s'échappe immédiatement du crâne de Than fait littéralement bondir Isma, qui tombe sur le dos à côté du matelas en poussant un petit cri de surprise. C'était quoi ce truc ?

Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. Sophie. Karma. Destiny. Rhaegal. Hatta. Sun. Stella.

Il ne sait pas pourquoi mais ça le rassure à chaque fois, de se rappeler du nom de ses Pokémon ; les répéter à la suite lui permet de les revoir, de garder un oeil dans la réalité, un pied dans le vrai monde. Aurore est là, il peut la voir, étendue contre son flanc ; sa douce crinière illumine la maison délabrée de lueurs roses pâles et vertes, incroyablement douces, comme un luminaire dans une chambre d'enfant. Pourtant, l'angoisse refuse de passer ; il est encore là Ismaël, même si son hallucination a lâché le linge posé sur son front, il est encore là et il le regarde sans comprendre pourquoi il reprend sa journée depuis le début, pourquoi il cherche à tout prix à ne pas sombrer. Normalement, quelqu'un devrait l'aider, mais il n'y a personne avec lui ; Isma l'a abandonné pendant des heures. Il est  blessé, seul, proie de sa propre tête et s'il ne se calme pas maintenant, il n'aura pas le courage de se traîner jusqu'à la sortie de Nathalia pour rejoindre l'hôpital le plus proche. Il doit recouvrer ses esprits, c'est vital.

La voix du baroudeur résonne encore pourtant, alors il répète, plus fort. Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. « Mallory ? Eh ? » Bordel, qu'il s'en aille, ça fait quinze ans qu'il lui empoisonne l'esprit et c'est pas du tout le moment alors il fronce les sourcils Mallory, refuse d'ouvrir les yeux qu'il vient de fermer, secoue de nouveau la tête en priant pour que quelque chose se passe, n'importe quoi qui le sorte de ce putain de cauchemar. Sophie. Karma. Destiny, Rhaegal. Hatta. Sun. Stella. Aurore. Moana. Manza. Allez, encore un peu, un tout petit peu et il les imagine, tous, de sa merveilleuse Ectoplasma restée à Castlerain au sourire incroyable de son Voltoutou, en passant par la candeur touchante de sa Bibichut et l'affection immodérée de sa Ponyta dont il peut encore distinguer les lueurs malgré ses yeux fermés. Il y a un mouvement près de son ventre douloureux. De toute manière, à quoi ça sert de retrouver ses esprits, hein ? Il va mourir, de toute façon. Il a perdu beaucoup trop de sang, il va mourir.

Il y a encore cette voix alors il ouvre les yeux, Mallory, les referme aussitôt qu'il reconnait un visage au-dessus de lui, qui parle à une petite forme qui s'éloigne et s'approche de sa tête ; il bouge, gigote, geint aussi, la douleur est insupportable et la fièvre lui arrache de terribles frissons quand deux petites pattes se posent sur sa tempe, qu'un front s'appuie sur le sien, et puis... un cri, un flash et une vague douce d'apaisement quand une voix, inhabituelle, murmure au creux de son esprit. On dirait celle d'un enfant, ça va aller, tout va bien, on va t'aider, on va t'aider, tous ensemble, c'est  promis. Et c'est à ça qu'il s'accroche, Mallory, gémissant entre les pattes du petit Osselait sans comprendre comment il s'y prend. Une couleur. Cinq choses bleues. « Le ciel, la mer, le, le carrelage de la salle de bains, la balle de Sun, les yeux d'Erèbe. » C'est bien. C'est  bien, continue. Cinq choses que tu aimes. « Le, et il ne réfléchit pas Mallory, le café noir, la musique, le crépuscule, Ismaël, le silence, les, les hauteurs. » Qu'est-ce que tu ressens, tout de suite ? « J'ai mal, j'ai peur, j'ai... » Tout va  bien.

Et ça marche, oui ; après cinq  minutes de questions muettes et de réponses prononcées à haute voix,  Mallory finit enfin par ouvrir les yeux. Il est encore là, Ismaël ; le champion finit par reconnaître le petit Osselait, qui frotte doucement sa tête contre la sienne après l'avoir relâché. Il est à Nathalia, il s'est blessé, et Ismaël est venu le chercher. Ismaël, qui le regarde avec un mélange d'horreur, d'appréhension et d'incompréhension ; ça lui arrache peut-être un affreux sourire souffreteux à Mallory, bien incapable d'être agréable maintenant, trop fatigué  pour faire des efforts. « Tu sais que, t'as loupé une très, très bonne occase de plus m'avoir dans les pattes là, non ? » Pourquoi ça lui  fout encore envie de pleurer, il ne sait pas ; mais cette fois, ses larmes, il n'arrivera pas à les contenir. « T'as qu'à considérer que j'viens de prendre le karma dans les dents. Allez, va-t-en. »

Les mains et les fesses dans la vase, les pieds sur le matelas, Ismaël ne bouge pas, observant l'étrange aura verte qui ondule autour de la tête de Mallory et de Than. Quelques secondes passent durant lesquelles rien d'autre ne bouge, puis, sur le visage de sa Gardevoir, c'est un petit sourire qui se dessine. Quelle que soit l'entreprise, elle a l'air de réussir. Le baroudeur n'ose pas bouger, quand bien même Lysaria retournerait dans son coin pour méditer en silence et s'assurer par sa prescience qu'aucune menace n'est à proximité. Alors tout va bien, hein ? Sinon elle resterait là. Lui, il ne comprend absolument rien mais il est beaucoup trop fatigué pour que ça l'exaspère. « Le ciel, la mer, le, le carrelage de la salle de bains, la balle de Sun, les yeux d'Erèbe. »
Mais qu'est-ce qu'il raconte, cette fois ? Péniblement et en une série de gestes lents et précautionneux, Isma se relève, essuie ses mains poisseuses sur son pantalon. Au moindre truc bizarre, ou en tout cas plus bizarre que toute cette putain de soirée, il est prêt à bondir ; bondir vers où, bondir pourquoi, il n'en sait rien, mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas du tout tranquille, là. « Le, le café noir, la musique, le crépuscule, Ismaël, le silence, les, les hauteurs. »
Qu'est-ce qu'il a listé, là ? Et pourquoi lui il était dedans ? « J'ai mal, j'ai peur, j'ai... »
Peu à peu, le malade a l'air de revenir à lui ; quoi que soit en train de faire Than, ou Thanatos, donc, puisqu'à l'évidence, ce petit vient d'Alola, ça marche. Méfiant tout de même, Isma revient poser une demie fesse sur le bord du matelas, sans lâcher des yeux l'échange à demi silencieux entre son Pokémon et Mallory. Tout ça le dépasse, et de loin, de très, très loin. 
Combien de temps ça dure ? Le baroudeur ne sait pas ; quelques minutes, une heure entière peut-être, avant que l'ombre verte ne disparaisse et que Than ne s'écarte, non sans frotter affectueusement sa petite tête dans les cheveux noirs et poisseux du chanteur. Celui-ci cligne des yeux, perdu, mais de toute évidence, beaucoup plus là qu'il ne l'était auparavant. « Tu sais que, t'as loupé une très, très bonne occase de plus m'avoir dans les pattes là, non ? »
La remarque lui arrache un sourire torve, en miroir à celui de Mallory. Merde alors, aurait-il pu répondre s'il avait le coeur à ça ; mais il est fatigué, lui-aussi, il a mal à la gorge et quelque chose le pique sur sa joue, qu'il frotte nerveusement. « T'as qu'à considérer que j'viens de prendre le karma dans les dents. Allez, va-t-en.
– Les secours vont arriver dans pas longtemps, répond-il sans faire mine de se lever, la voix grave, rauque. J'te laisse plus tout seul ici. »
C'est bon, il a vu ce que ça donnait et il a eu beau penser ce qu'il a si injustement jeté tout à l'heure, il n'a aucune envie que Mallory y reste. Pourquoi il y a du sang, sur sa main ? Quand est-ce qu'il s'est blessé ? La bouteille de désinfectant, posée sur son sac, s'envole jusqu'à lui, et il remercie Lysaria d'un sourire avant de s'en saisir pour en imbiber une compresse. « C'est... Than, qui vient de t'aider ? demande-t-il doucement, un peu incertain et toujours un peu méfiant, parce que c'était carrément surnaturel, à ce stade. Je peux savoir ce qu'il s'est passé ? »

« Les secours vont arriver dans pas longtemps. J'te laisse plus tout seul ici. » Oh, ça ne sert à rien de jouer les chevaliers servants pour se donner une bonne conscience ; Ismaël n'a aucune envie d'être là, il n'a jamais vraiment eu envie de le fréquenter de quelque manière que ce soit sauf qu'il il s'agissait de s'emparer de son corps, n'importe quand, n'importe où. Ça le dégoûte soudainement, Mallory, de comprendre que depuis le début il n'a été qu'un jouet répondant aux moindres désirs du baroudeur sous le couvert de l'affection sans bornes qu'il lui portait ; maintenant, avec ce qu'il a entendu tout à l'heure, il préfère se dire qu'il n'en a pas besoin pour continuer à vivre. Il s'est passé de lui pendant huit ans, pourquoi pas pour toujours, hein ? Il a toujours réussi à les panser ses blessures, après tout. Tout seul, comme un grand, parce qu'absolument personne n'a jamais su prendre soin de lui comme il le fallait. Alors qu'il s'en aille, Ismaël ; il a définitivement perdu sa confiance maintenant, il a réussi, il a gagné. Plus question de le revoir, ça fait effectivement beaucoup moins mal que de subir toute cette cruauté.

Il est blessé, Isma ; il n'a pas la moindre idée de comment c'est arrivé, mais il y a du sang sur sa main et sur sa joue. Ça ressemble étrangement à une griffure, mais il est trop épuisé pour en tenir compte, Mallory ; son flanc lui fait toujours mal, l'oblige à se décaler pour essayer de moins souffrir. « C'est... Than, qui vient de t'aider ? Je peux savoir ce qu'il s'est passé ? » Oh, il se le demande ? Cette fois, c'est un ricanement rauque et souffreteux qui lui échappe au chanteur, tandis qu'il lève les yeux au ciel. Foutu pour foutu, pourquoi lui épargner son humeur, hein ? « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? » Demande-t-il finalement, sans même le regarder. « J'ai pas du tout l'intention de t'expliquer, non. J'en ai bien assez entendu comme ça ce soir. » Et là, vraiment, il n'a plus la force de lutter contre lui et ses putains de préjugés de merde, plus la force d'essayer de lui expliquer que sa maladie, ses symptômes, ses problèmes, sont beaucoup plus complexes que ce qu'il a si brièvement et cruellement résumé tout à l'heure. Ça va bien. « Than va évoluer en Ossatueur d'Alola, c'est tout ce que t'as à savoir. Le reste, j'm'en démerde, t'auras qu'à aller demander à Ollie si t'es curieux. Moi c'est bon. » Moi, je veux que tu me laisses tranquille, maintenant.

Et pourquoi est-ce qu'il ricane cette fois, qu'est-ce qu'Isma a encore dit qui n'allait pas ? « Qu'est-ce que ça peut te foutre ? »
Ah. Bien. Il est vraiment allé trop loin tout à l'heure, hein ? Un peu heurté par la rudesse du ton - à cause de la fatigue, sans doute, parce qu'il commence quand même à avoir l'habitude -, il ne répond rien et se contente d'ouvrir un peu plus grand les yeux, surpris. « J'ai pas du tout l'intention de t'expliquer, non. J'en ai bien assez entendu comme ça ce soir. »
Donc lui expliquer reviendrait forcément à subir des attaques de plus ? C'est bien mal le connaître, songe Isma en décidant qu'effectivement, cette conversation, il vaut mieux ne pas l'avoir. Après tout, il n'a jamais attaqué le premier, et certainement pas gratuitement. Ce soir, lui non-plus n'a plus la force de se battre pour ne rien obtenir du tout. « Than va évoluer en Ossatueur d'Alola, c'est tout ce que t'as à savoir. Le reste, j'm'en démerde, t'auras qu'à aller demander à Ollie si t'es curieux. Moi c'est bon.
– Pourquoi j'suis revenu te chercher, déjà ? soupire-t-il, avant de saisir le col de son tee-shirt pour le remonter sur son nez, comme si ça allait l'aider à respirer. Désolé, j'me suis dit que j'pouvais au moins savoir pour quelle raison j'allais p't-être mourir aujourd'hui. »
Than monte sur ses jambes qu'il a repliées en tailleur, et il l'entoure entre ses bras, songeant qu'il espère au moins que ses Pokémon sont insensibles aux gaz qui les entourent. Sinon, il devrait peut-être les mettre dans leurs pokéballs ? Il rappelle au moins la Petite, qui éternue et se frotte le nez depuis quelques minutes maintenant. Les autres ont l'air de tenir le coup, contrairement à lui.

« Pourquoi j'suis revenu te chercher, déjà ? » Personne ne l'y a obligé, il ne l'a pas appelé à l'aide Mallory, il ne lui a rien demandé. Il ne lui a jamais rien demandé, quand va-t-il finir par le comprendre, ça ? Alors qu'il arrête, maintenant ; peut-être qu'au bout d'un moment, il finira par se rendre compte qu'il lui plante un épieu dans le coeur à chaque fois qu'il ouvre la bouche, non ? « Désolé, j'me suis dit que j'pouvais au moins savoir pour quelle raison j'allais p't-être mourir aujourd'hui.
– A cause de moi, répond-il d'une voix tremblante, avant de tourner la tête pour regarder vers la porte. Ça devrait te suffire comme réponse, non ? Ça te dédouane de toutes tes éventuelles responsabilités vis à vis de la situation actuelle. » Pour peu, Mallory en rirait, sincèrement ; parce que quelque chose en son for intérieur sait très bien que ce n'est pas vrai. Qu'il n'a fait que proposer de le voir et qu'il s'est fait tout simplement cracher à la gueule ; qu'il est venu quand même, et qu'il a ensuite fallu essuyer l'une des plus grosses vagues de cruauté qu'il ait connu. Le stress, l'angoisse et le chagrin ont engendré une crise qui l'a blessé ; n'importe quel psychiatre compétent aurait pu dire à Ismaël qu'il y avait des choses à ne pas lui dire. Mais il n'a pas du tout envie de perdre son temps à lui expliquer ça, ça ne sert à rien du tout.

« Moi non plus j't'ai rien demandé, tu sais, souffle-t-il en regardant obstinément le mur, luttant contre la douleur, le chagrin. J'ai pas fait exprès, à l'époque. Et toutes les tentatives que j'ai fait pour pas y penser ont pas marché, et ça fait pas de moi quelqu'un qui... enfin non, laisse tomber. Pour toi j'suppose que j'ai simplement mérité tout ça après l'enfer que j't'ai fait subir, hein ? » C'était ça son argument tout à l'heure, non ? Et la boule dans sa gorge grossit à Mallory, quand il ferme les yeux, renifle, pleure, parce qu'il est bien incapable de s'en empêcher, tant son esprit est malmené, secoué, brisé ce soir. « T'as pas la moindre idée de c'que c'est, l'enfer. »

« A cause de moi. Ça devrait te suffire comme réponse, non ? Ça te dédouane de toutes tes éventuelles responsabilités vis à vis de la situation actuelle. »
Sa responsabilité, à lui ? Elle est pas mal celle-là ; lui il demandait rien, il était tout seul en train de faire son tour et si Mallory ne lui avait pas pris la tête par Motismart interposés alors qu'il lui avait clairement dit qu'il ne voulait pas le voir, ils n'en seraient pas là. Sans parler de ses sarcasmes inutiles et franchement pas nécessaires après leur partie de jambes en l'air, laquelle a déclenché une dispute de plus dont l'un comme l'autre se serait bien passé.
Alors il faudrait effectivement lui expliquer ce que lui il a fait de mal, dans l'affaire. « Moi non plus j't'ai rien demandé, tu sais. J'ai pas fait exprès, à l'époque. Et toutes les tentatives que j'ai fait pour pas y penser ont pas marché, et ça fait pas de moi quelqu'un qui... enfin non, laisse tomber. Pour toi j'suppose que j'ai simplement mérité tout ça après l'enfer que j't'ai fait subir, hein ? »
Il n'est pas question de l'enfer qu'il lui a fait subir à lui, ou pas que, en tout cas ; ce n'est pas une vengeance, ce qu'Isma lui a balancé dans la gueule, il n'est pas de ce genre-là. Le problème, c'est sa façon d'être juste... un connard égoïste. Il n'y a qu'à voir ce qu'Hydris prenait dans la gueule. A quel moment ça peut attirer la sympathie, alors l'amour, l'affection ? C'est sûr que le bassiste n'était avec lui que pour son cul. Quoique, il avait l'air amoureux. Ça dépasse Isma de très loin. « T'as pas la moindre idée de c'que c'est, l'enfer. »
En temps normal, le baroudeur n'aurait pas hésité une seule pauvre minute avant de répliquer et vas-y, recommence à geindre, histoire de changer un peu. Cette fois pourtant, il la ferme. Il la ferme, parce qu'il a vu. Et que, malgré tout, ça change quelque chose. « Pas de celui-là, nan, répond-il alors simplement, en baissant le nez vers Than qui s'est roulé en boule pour dormir sur ses jambes. »
Apparemment, l'intervention pour aider Mallory l'a épuisé.
Il en a connu d'autres, des enfers. Myrtha, et Alamos. Mais ceux-là étaient du genre de ceux qu'on peut laisser derrière soi. Sophie. Karma. Hatta. Rien que ça, c'était effrayant. Il se passe quoi dans ta tête, hein ? Là, cette fois, il aurait voulu savoir. Comprendre, juste un peu.
Sauf qu'en fait, Mallory le lui a dit, tout à l'heure. Et lui ? S'il ne lui a pas ri à la gueule, c'est sûrement parce qu'il était trop en colère. Et pourquoi, déjà ? Comment ça a commencé, tout ça ? Pourquoi, pourquoi est-ce que je te déteste, hein ? Parce que c'est un connard, ce n'est pas une réponse. Alors il soupire, Isma, et passe une main sur son visage en toussant faiblement à l'intérieur de son tee-shirt. « J'aurais pas dû te laisser tout seul, marmonne-t-il. Ni te dire ça. J'suis... débile, des fois. »

Alors, qu'est-ce qu'il va lui répondre, cette fois ? Qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui même, que tout ça c'est entièrement de son fait, à lui et à lui seul ? Que va-t-il prétendre cette fois, à quel point va-t-il s'imaginer savoir mieux que lui ce qu'il vit ? Combien de temps encore va-t-il payer ces années où il n'a pas été capable de soigner sa souffrance autrement que par l'agressivité ? Bien sûr qu'il regrette, Mallory. A chaque fois, il se battait contre les larmes, la culpabilité, mais cette fuite vers l'avant était bien plus simple que de tout lui balancer. Qui sait comment il aurait souffert à l'époque, au vu de la manière dont les choses se passent maintenant ? Alors il attend, le garçon ; des larmes plein les yeux, des sanglots au bord des lèvres, il attend simplement qu'Ismaël l'achève. « Pas de celui-là, nan. »

D'accord, cette fois il est surpris ; il n'ose pas tourner la tête, pourtant, trop apeuré par ce qu'il pourrait y voir. C'est bel et bien terminé alors, hein ? C'est fini. Ils ne se verront plus, il n'y aura plus d'étreintes sauvages et ridicules, bestiales, il n'y aura plus jamais non plus de soirée sur la plage, de bras enroulés autour de lui, d'étreinte réconfortante. Il n'aurait sans doute jamais dû y goûter, Mallory ; il aurait eu moins de mal à y renoncer que maintenant. « J'aurais pas dû te laisser tout seul. Ni te dire ça. J'suis... débile, des fois.
– Non, t'as eu raison de l'faire. » Quand bien même sa voix tremble maintenant, et même s'il est plus pitoyable que jamais, recroquevillé sur ce matelas de fortune élimé et poussiéreux, à pleurer comme un idiot en tremblant sous les effets de la fièvre, il a bien fait. « Si tu le pensais, alors t'as vraiment bien fait. » Parce que peut-être qu'il aurait fini par y croire, à un moment, il aurait fini par l'espérer. Et ça n'a jamais, ce n'est pas, et ce ne sera jamais possible, alors à quoi bon se torturer plus qu'il le fait déjà sans aide, après tout ? Un tremblement envoie une violente décharge de douleur et il se crispe, Mallory, posant compulsivement une main sur son flanc blessé.

« T'avais raison, de toute façon, et Ollie aussi. On va... on va arrêter de se voir, ça vaut mieux. » Et même si cette phrase, ainsi prononcée, le fait se recroqueviller un peu plus au creux de sa souffrance, il sait que c'est la bonne décision. « J'suis désolé, Isma, achève-t-il dans un sanglot pathétique, plaquant sa main sur son front pour cacher son visage ruisselant de larmes lamentables. J'ai jamais, j'ai jamais voulu tout ça, et encore moins à l'époque, crois-moi. »