« ESPECE DE PAUVRE CONNARD VA J'TE DETESTE PUTAIN T'ES VRAIMENT QU'UN ENFOIRE J'AVAIS DIT NON ! »
Qu'il arrête un peu de vociférer comme ça, parce que sinon Ismaël ne va même pas pouvoir sauter ; il va juste s'étrangler de rire sur le bord de cette falaise et et dans ce cas il plaint celui qui retrouvera son corps sans vie demain matin, à poil à côté d'une boîte de pizza vide. Ça ferait une mauvaise pub à la pizzéria.  
S'efforçant de retrouver son calme, le baroudeur finit par se lever tout de même pour reculer et prendre son élan, le rire toujours aux lèvres, mais assez maître de lui-même pour pouvoir sauter sans prendre le risque de mourir fracassé en bas. « VA TE FAIRE FOUTRE PUTAIN J'VEUX PLUS JAMAIS REVOIR TA GUEULE DE CON C'EST BON T'AS VRAIMENT RIEN DANS LE CRÂNE... »

Quelques pas, et le voilà qui plonge, habitué, la tête la première et ses bras tendus en prolongation de son corps qui s'étend, il perce la surface de l'eau glacée presque sans faire d'éclaboussures. Aussitôt, le froid lui mord la peau, donnant un bon coup de fouet à son coeur ralenti par la digestion et la weed ; un long frisson parcourt tous ses membres alors qu'il remonte à la surfaces en quelques brasses puissantes. Trois de plus suffisent pour rattraper Mallory qui se débat pour avancer, aussi à l'aise dans l'eau qu'un Chamallot rachitique. Riant tant qu'il le peut, Ismaël tend déjà les bras pour l'attraper. « LÂCHE MOI putain de traître à la con va, lâche moi je rentre lâche-moi !
– Mais arrêêête un peu de râler, c'est génial l'eau, rigole-t-il en enroulant ses bras autour du ventre du garçon pour le coller à lui et l'empêcher de couler à moitié dans ses mouvements pour se débattre. Arrête de bouger comme si l'eau allait te bouffer, regarde, tout va bien. »
Battant simplement des jambes, Isma n'a aucun mal à les maintenir tous les deux la tête hors de l'eau, sans effort. « De toute façon t'es si léger que tu flotterais, dit-il en relâchant doucement son étreinte pour laisser le garçon s'éloigner un peu, avant de saisir sa main pour le tourner face à lui, un immense sourire aux lèvres. Puis ça fait du bien, ça réveille. »
Sauf qu'il continue à râler, ce jamais content là, hein ? « Eh, regarde ! s'exclame-t-il en pointant du doigt un point lumineux dans l'eau, derrière Mallory. »
C'est un Loupio ? Non, pas un Loupio. Il y en a au moins dix, qui apparaissent les uns après les autres pour s'approcher timidement de ces deux visiteurs inattendus. « Tu as dû les réveiller en braillant comme ça. C'est génial, ils sont curieux, ils vont peut-être s'approcher. »
Et de fait, l'eau devient bien plus claire autour d'eux, ils peuvent voir leurs jambes battre régulièrement sous eux pour les maintenir à flots, et leurs mains toujours jointes sous la surface.

« Mais arrêêête un peu de râler, c'est génial l'eau ! » Non c'est pas génial. Absolument pas même, depuis qu'il est gosse il a jamais aimé ça, il était toujours le gamin pénible qui refusait de se baigner à la mer et qui ne trempait ses pieds dans une piscine que lorsqu'il faisait chaud. Ça l'a toujours emmerdé, ses douches durent seulement le temps de se laver la plupart de temps et il a toujours bien pris soin d'éviter les plages, c'est pas pour rien. Furieux, il se débat de plus belle quand il sent les bras qui le retiennent s'enrouler avec douceur mais fermeté autour de son ventre. « Lâche-moi, connard, lâche-moi !
– Arrête de bouger comme si l'eau allait te bouffer, regarde, tout va bien. » Il n'a même plus besoin de battre des jambes, la force seule d'Isma leur permet de tenir tous les deux à la surface ; peut-être, mais c'est loin d'être suffisant pour le contenter, Mallory, lui il veut sortir. Vite, avant qu'une bestiole décide de venir le bouffer, il y a déjà des gens qui se sont faits attaquer par des Sharpedo et sa Pokéball est sur la falaise donc Sun ne pourra même pas les secourir, il y a pensé à ça cet abruti ?

« De toute façon t'es si léger que tu flotterais. Puis ça fait du bien, ça réveille. » C'est presque comme si Isma l'invitait à danser, sauf que Mallory n'a pas du tout envie de rester dans l'eau ; il fulmine, tout trempé, du sel plein les lèvres et en plus il a froid. Non, vraiment, c'était une idée à la con ils étaient bien là-haut bordel, ils auraient pu rester, recommencer ce pourquoi il est venu et... et c'est tout, c'était quoi cette idée farfelue d'aller nager, hein ? « Eh, regarde !
– Quoi quoi ?! Me dis pas qu'il y a un Carvanha sinon je hurle, balbutie-t-il, de la panique dans les yeux sans d'abord se retourner. » Une impulsion d'Ismaël et il finit par céder, puis son sang se glace en regardant les points lumineux, là, dans l'eau. Près de la surface et de ses pieds, c'est bourré de Pokémon aquatiques, bon sang il va défaillir ou hurler, au choix.

« Tu as dû les réveiller en braillant comme ça. C'est génial, ils sont curieux, ils vont peut-être s'approcher.
– Je, je veux pas qu'ils s'approchent moi, balbutie le champion, qui fait nettement moins le malin quand son armée de spectres n'est pas derrière lui. Jeveuxsortir, tout de suite, imagine si, si... » Si quoi ? Rien du tout, bien entendu ; les Loupio s'approchent avec curiosité, tout doucement ; dans la nuit noire, leurs lueurs jaunes ressemblent presque à de tout petits phares, ou à de grosses lucioles, il n'en sait rien. Ismaël, lui, a l'air parfaitement tranquille ; un vrai veinard, hein, parce que Mallory, clairement, il n'en mène pas bien large. Surtout quand quelque chose effleure son pied et qu'il pousse un petit cri de souris mouillée, nageant en trois brasses rapides mais maladroites jusqu'au baroudeur contre lequel il se précipite. « Et s'ils attaquent, t'y as pas pensé hein ? Et s'il y a des Pokémon plus gros là-dessous, non, c'est une idée à la con, il y a des accidents tous les ans bordel t'es vraiment débile c'était débile allez on sort, on sort. » C'est bon ils se sont rafraîchis, non ? Pas besoin de rester plus longtemps.

Sauf que non, Isma ne veut pas sortir ; sa voix est douce, grave, quand il l'encourage à regarder les Pokémon sauvages dont les yeux brillent de curiosité. Est-ce qu'ils ont aussi peur que lui que lui d'eux ? Il n'en sait rien, le champion, sa gorge se serre quand il ose de nouveau tourner la tête vers eux, encouragé par le timbre presque ronronnant d'Ismaël. Ce n'est que là qu'il se rend compte de ce qui est en train de se passer ; l'eau est claire, entre eux, c'est presque féérique cette façon qu'ont les Pokémon d'éclairer l'espace autour d'eux, comme si les étoiles avaient plongé pour les rejoindre. Les bras enroulés autour des épaules du Johtien, il prend une longue inspiration, Mallory ; pousse un drôle de soupir tremblant quand il sent un nouveau contact contre sa jambe et sursaute, soutenu par les bras de son amant. Allez, un peu de courage. « D'a... d'accord, c'est très joli, concède-t-il, alors qu'il tente de chasser la peur pour tendre une main vers le crâne d'un petit Pokémon à la surface. C'est vraiment très joli. » Un peu comme celui vers lequel il tourne la tête ; la lumière éclaire doucement son visage, il y a quelque chose comme de la tendresse dans ses yeux bruns, maintenant. Bien entendu, il est ensuite incapable de regarder ailleurs, Mallory ; jamais il n'aurait cru passer un jour une soirée comme celle-ci, et sûrement pas avec lui.

« Je, je veux pas qu'ils s'approchent moi, bredouille Mallory, sous les yeux attendris d'un Ismaël qui le trouve beaucoup moins insupportable maintenant qu'il ne hurle plus. Jeveuxsortir, tout de suite, imagine si, si... 
– Ils ne vont pas te manger, répond-il tranquillement, un nouveau sourire au bord des lèvres. »
Alors Mallory a vraiment peur de l'eau, hein ? Il n'en savait rien, sinon il n'aurait sûrement pas fait ça ; son but c'était de rigoler, pas de le terroriser. Et d'un autre côté... ça aurait été manquer l'occasion de lui montrer que la mer n'est pas qu'effrayante, malgré tout ce qu'on raconte dessus. Si proches de la plage, ils n'ont rien à craindre.
Ça n'empêche pas Mallory de pousser un petit cri effrayé et de se réfugier dans ses bras quand les Pokémon commencent à les entourer. Amusé, Isma décide pourtant de ne pas rire pour ne pas le vexer plus le champion, et il se contente d'enrouler un bras autour de sa taille pour lui éviter de s'épuiser. « Et s'ils attaquent, t'y as pas pensé hein ? Et s'il y a des Pokémon plus gros là-dessous, non, c'est une idée à la con, il y a des accidents tous les ans bordel t'es vraiment débile c'était débile allez on sort, on sort. »
Des Pokémon plus gros comme le Golgopathe qui s'extirpe pesamment de l'eau pour grimper sur la falaise un peu plus loin, là-bas ? Sur ce coup, Isma se garde bien d'en informer le champion, et il s'emploie plutôt à le rassurer : « Regarde, ils veulent juste dire bonjour, dit-il en tendant une main vers un Loupio qui l'effleure, puis repart, puis revient. Ce sont pas des Pokémon agressifs, je te promets qu'on risque rien. »
Plus profondément dans l'eau, il est presque sûr de voir quelques silhouettes un peu plus grosses qui bougent ; ce sont sans doute des Lanturn. Il a toujours adoré ce Pokémon, mais l'heure n'est clairement pas à la capture, alors il se contente de regarder autour de lui, enchanté par les belles lumières qui ondulent doucement autour d'eux, dessinant même le remous de l'eau qui les entoure. « Regarde comme c'est beau. »
Mallory n'est toujours pas rassuré, mais il essaie, en tout cas, ce qui est déjà bien ; une longue inspiration plus tard, et sécurisé entre ses bras, il accepte de regarder autour de lui pour y voir autre chose que de terribles menaces, et ose même tendre la main pour effleurer un Loupio particulièrement téméraire. Qu'il ne s'amuse pas à toucher la lampe, par contre, ça risque de lui faire tout drôle... « D'a... d'accord, c'est très joli. C'est vraiment très joli. 
– Je te l'avais dit, ou pas ? ronronne-t-il en offrant son plus beau sourire au garçon qui le regarde avec de grands yeux effarés, comme s'il réalisait seulement que la mer n'abritait pas que des monstres cannibales. Allez, viens. »
Saisissant la main de son amant derrière sa nuque, il le détache de lui et s'éloigne en quelques coups de jambes, entraînant avec lui la silhouette du garçon dont il n'a pas lâché la main. Les Loupio les suivent, éclairant la mer dans un large champ autour d'eux. Une fois éloigné des falaises pour se rapprocher de la plage, Ismaël ralentit sa progression et s'arrête pour s'étendre sur le dos et flotter comme une planche, poussant un long soupir de soulagement. « J'adore la mer. Particulièrement les soirs comme ça, quand elle est calme, qu'il fait chaud... à Alola, j'ai passé des heures à flotter comme ça, juste en pensant à rien. J'crois qu'il y a pas grand chose de plus relaxant au monde. »
Souriant à nouveau, il se remet à la verticale et se tourne vers Mallory, qui commence à peiner à se maintenir hors de l'eau, fatigué par l'effort constant qui lui est demandé depuis plusieurs minutes. « Tu devrais essayer. Viens. »
Saisissant sa main de nouveau, Isma le rapproche de la plage ; il s'étonne de voir les petites lumières le suivre encore, mais ne risque pas de s'en plaindre. Voilà, maintenant il a pieds, alors il s'arrête, et sourit à Mallory avant de poser une main derrière ses reins. « Bascule en arrière doucement, et ferme les yeux. »

« Je te l'avais dit, ou pas ? » Oui, il le lui avait dit, mais Mallory a toujours un peu de mal à croire en ces choses élémentaires. Les plaisirs simples, il ne les connait pas vraiment ; celui de nager, par exemple, lui est parfaitement inconnu. Là où Oliver, quand ils étaient gosses sautait dans la première rivière ou le premier lac qu'ils voyaient, lui restait toujours proche du bord. Ce soir, c'est un peu différent ; et il sait très bien à qui il doit ce drôle d'instant de grâce qui l'étreint, maintenant, comme si rien n'allait lui arriver alors qu'il sait très bien qu'il flotte dans une eau sale, glacée et pleine de poissons. « Allez, viens. » Tout ce que tu voudras, se retient-il de dire, en se laissant doucement détacher de son étreinte pour le suivre jusqu'à la plage près de laquelle ils se rapprochent.

Curieusement, les Loupio suivent le mouvement ; qu'est-ce qui les intéresse exactement, chez les deux dresseurs ? Lui, il n'a pas du tout l'intention de capturer le moindre Pokémon de type eau, hein. Pour le coup, ils lui ont toujours fait beaucoup trop peur. Docile pourtant, et peut-être un peu envoûtée par les encouragements de l'homme qui nage devant lui et l'invite à le suivre en quelques regards, il bat des jambes, des bras, tente de se souvenir comment c'est, de nager de façon à peu près élégante. Rien à faire ; son corps maigre a l'air tellement gauche à côté des brasses gracieuses de l'homme qu'il précède. Au bout de quelques mètres, il s'arrête pour faire la planche ; peinant à rester à la surface en surplace, Mallory hausse un sourcil surpris. Ils n'allaient pas sortir, là ? Non ; il pousse un soupir de soulagement, le baroudeur, ferme les yeux et peut-être qu'il en profite un peu Mallory, pour sourire doucement devant cette vision-là. Qu'est-ce qu'il l'aime, bordel.

« J'adore la mer. Particulièrement les soirs comme ça, quand elle est calme, qu'il fait chaud... à Alola, j'ai passé des heures à flotter comme ça, juste en pensant à rien. J'crois qu'il y a pas grand chose de plus relaxant au monde. » Il l'envie, Mallory. Il aurait tout donné pour y goûter au moins une fois, à cette paix-là, sans que personne n'ait à intervenir pour l'y aider. « Tu devrais essayer. Viens.
– Oh, je sais pas trop si... » Si quoi il n'en saura rien ; depuis le début de cette soirée, c'est Ismaël qui décide. Une main se tend, se saisit doucement de la sienne et l'entraîne et il se laisse faire, le champion, bien incapable de résister à cette attraction-là. Pas quand sa paume se glisse doucement jusqu'à ses reins, qu'un frisson le prend bien malgré lui, incaple de résister à l'implacable attraction qui lui fait lever la tête pour le regarder, sans comprendre. Avec les autres aussi, tu fais ça ? « Bascule en arrière doucement, et ferme les yeux. »

Lentement, Mallory obéit ; résistant à la peur qui le conduit à tout sauf à décider de rester suspendu au-dessus des abysses sans savoir ce qui pourrait en émerger, il retient une déglutition difficile, prend une longue inspiration. Entraîné en douceur par la paume qui lève son dos vers le ciel il se sent basculer, lutte contre l'instinct qui le pousserait à se débattre. Tous ses muscles sont tendus à l'extrême, comme d'habitude ; ce n'est que lorsqu'il essaie de se détendre qu'il s'en rend systématiquement compte, de l'implacable douleur que son corps lui inflige en permanence. Silencieux, et désireux de faire comme le baroudeur le lui demande, le champion bascule enfin sur le dos, écarte bras et jambes et ferme les yeux. Sous ses paupières closes, il peut encore percevoir les étranges lueurs que laissent filtrer les Pokémon qui nagent autour de lui, sans un bruit ou presque ; ça et là, une petite éclaboussure, un léger bruit d'eau. Il sursaute lorsqu'un premier effleure son bras, est rappelé à l'ordre par une voix presque tendre qui lui demande de se détendre.

Se détendre, Mallory n'a jamais très bien su faire. Il ne sait pas ce que c'est, de faire le vide dans sa tête ; il y a toujours au moins une pensée pour l'en empêcher, jusqu'à son sommeil. Tendu depuis des années, incapable de trouver un moyen d'apaiser les tourments qui grondent en permanence dans son coeur, ce n'est que lorsqu'il se sent flotter, léger, qu'une brise passe sur ses joues et qu'un autre corps frôle ses mains, puis un autre sa jambe, qu'il sent progressivement ses muscles se libérer de l'étau implacable de ses peurs. Son visage, encore crispé par l'appréhension, se détend lentement et il pousse un long soupir cette fois, Mallory, les yeux clos en se contentant d'imaginer l'étrange scène qu'Ismaël doit avoir sous les yeux. Son corps squelettique rongé par la maladie presque mou maintenant dans l'eau salée, flottant doucement à sa surface. Il voit presque les petites formes bleues et jaunes autour de lui, dessinant un cercle de lumière éclairant sans peine son coeur noirci par le chagrin et la détresse. C'est beau, songe-t-il peut-être un peu bêtement, laissant un sourire léger, candide et serein éclairer ses lèvres pour la première fois depuis vingt ans. La scène, enchanteresse et féérique, laisse à Mallory une impression de bonheur simple et fragile, comme un instant qui se briserait s'il avait le malheur de faire le moindre mouvement. Le clapotis doux de l'eau provoquée par les Pokémon résonne comme la musique la plus douce qui lui ait jamais été donnée d'entendre, et il pourrait presque sentir la pointe de ses cheveux danser sous l'eau à mesure que son corps flotte et bouge lentement, emporté par le roulis lent et docile du courant marin qui le fait tourner sur lui-même sans qu'il s'en aperçoive. A-t-il seulement conscience du cadeau qu'il est en train de lui faire, Ismaël ? Non, sans doute pas. Mais les longues minutes qui s'égrennent ensuite ne sont perturbées ni de cris ni de larmes ; seulement de ses lentes inspirations, des paisibles battements de son coeur et du vide, bienfaisant, que son esprit lui accorde enfin après des années à les espérer.

Quand Mallory ouvre les yeux, il ne parvient pas immédiatement à distinguer la terre du ciel. Il y a des étoiles partout, sous son regard sombre et à ses côtés, au milieu du banc de Pokémon suivant lentement la flotaison des deux êtres humains en suspension dans leur monde. Il ne pense pas à rien, non ; à vrai dire, Mallory ne pense pas être capable de ne plus penser à rien un seul jour dans sa vie. Mais les seules choses qui passent dans son esprit ce soir sont agréables, une série de pensées, douces, rassurantes, réconfortante. Oui, je me sens bien ici. C'est la plus belle soirée que j'aie jamais passé de toute ma vie. Et en réponse à cette si tranquille évidence, il peut sentir ses épaules s'affaisser doucement, chaque muscles se libérer de la tension qui l'a toujours caractérisé. Pas ce soir. Ce soir, tout va bien. Ce soir, ils sont ensemble.
C'est lui qui fait ça, et il le sait. C'est Ismaël qui a réussi à lui donner ça, et s'il le lui dit, il ne le croira pas ; peu importe, maintenant ce n'est pas son affection qui compte mais la reconnaissance, pure, qui brille dans ses yeux que les lanternes des Loupiots semblent arracher à la nuit noire quand il lui sourit, doucement, alors qu'il tourne la tête vers ce visage adulé, adoré. « Merci, murmure-t-il alors, bien incapable de reprendre sa position verticale tout de suite. J'avais pas ressenti un truc pareil depuis très longtemps. » Jamais, à vrai dire. Mais le Johtien ne le croirait pas, inutile de faire comme si. Et c'est peut-être ça qu'il lui manquait, pour trouver le courage de croiser ses yeux bruns, et lui demander. « Est-ce que j'vais te revoir, après ce soir ? » Est-ce que c'est dans ses habitudes de les revoir, ses amants ? Ou va-t-il devoir se contenter de cette seule soirée, qu'il chérira, il le sait, jusqu'à la fin de sa vie ?

Ismaël ne manque rien de l'appréhension qui passe dans le regard de son amant avant que celui-ci ne ferme les yeux, mais pour une raison inconnue, il sait déjà qu'il va obéir sans protester, cette fois. Cette soirée a quelque chose de féérique, comme s'ils s'étaient évadés du cours du temps pour plonger dans une autre dimension où ils seraient seuls au monde. Au milieu de la nuit, à quelques dizaines de mètres de la plage et entourés par une farandole de Loupio, c'est peut-être un peu le cas et, contrairement à ce qu'il a intérieurement prétendu un peu plus tôt, c'est loin, très loin d'être infâme. Isma a vécu tout un tas de choses, au cours de sa vie, mais des moments aussi magiques que celui-là ? Pas beaucoup, non. Et aucun d'eux n'était aussi improbable que de se retrouver là, à apprendre à Mallory Edgerton à faire la planche après l'avoir balancé du haut d'une falaise.
Le garçon n'est pas très adroit ; il est tellement tendu qu'il coulerait sans doute si le baroudeur ne le soutenait pas de sa paume, en dépit de son poids si léger que c'en est inquiétant. Le champion est plus méfiant que si Kyogre allait surgir des profondeurs pour le gober, et d'ailleurs c'est peut-être ce qu'il imagine quand l'un des Loupio le frôle et qu'il sursaute comme si la foudre venait de s'abattre près d'eux. « Détends-toi, Méli-Mallo, sourit-il, aussi amusé qu'attendri. »

Ce qu'il est étrange, ce garçon. Ce n'est pas vraiment le genre de choses qui se dit de quelqu'un, mais si Isma doit bien admettre une chose au sujet de Mallory, c'est qu'il ne l'a jamais compris. Quand ils étaient adolescents, il l'admirait beaucoup, ils plaisantaient souvent, et le Johtien demeure aujourd'hui encore convaincu qu'ils seraient devenus de très bons amis si le musicien n'avait pas choisi, du jour au lendemain, de ne plus pouvoir le voir en peinture. Ismaël se rappelle avoir été extrêmement perturbé par ce changement d'attitude, qu'il a bien essayé de comprendre, au début. Mais de rejet à grands coups de phrases blessantes et d'injures à l'encontre de sa famille entière, le garçon qu'était Isma à l'époque a fini par jeter l'éponge. Il a continué à apprendre à jouer de la guitare tout seul, non sans subir un certain nombre de moqueries régulières qui ont assez vite changé ses regards peinés et perdus en d'autres, furieux et assassins. 
Ismaël n'a jamais été du genre à se poser beaucoup de questions. Ce soir, pourtant, alors qu'il regarde le visage de plus en plus paisible du garçon, il ne peut les empêcher de poindre dans son esprit. Et si t'avais pas fait ça, qu'est-ce qu'on serait devenus ? Il aurait fini par quitter Oliver, sans doute, ou par se faire larguer, mais il serait resté avec eux pendant ces huit longues années d'errance. Il n'aurait pas rencontré Arella, mais il aurait peut-être pu guérir plus facilement du chagrin qui l'a gangréné pendant très longtemps. Et Mallory ? Oh, Mallory, ça n'aurait sans doute pas changé grand chose à sa vie. Mais au moins, il aurait été là pour le voir.

Constatant que son Venalgue apprend bel et bien à flotter tout seul, il retire sa main de son dos en douceur, et sourit légèrement en remarquant que le garçon ne semble même pas s'en rendre compte. Etendant son propre corps pour se laisser bercer par le courant, il ferme à demi les yeux, soupire à son tour et profite simplement du calme, emporté tant par le courant des vagues que par celui de ses pensées. Est-ce que ça se serait passé comme ça, entre Mallory et lui, s'il était resté ? Il n'en sait rien, en toute honnêteté et en se posant sérieusement la question. Le garçon qui partage cette soirée avec lui n'a pas grand chose à voir avec celui dont il se souvenait. Qui aurait pu faire dire au Mallory de vingt ans qu'il avait envie d'avoir un Ponyta de Galar dans son équipe ? Et ce Mallory-là, aurait-il accepté de rester dans l'eau après y avoir été balancé comme un sac ? Isma doit bien avouer qu'il n'en sait rien. Le Mallory de vingt ans, il ne le connaissait pas. Et entre l'homme qu'il est devenu et l'adolescent de quinze ans avec lequel il aurait tant aimé se lier d'amitié, bien trop de temps a passé ; à vue de nez, une ou deux éternités.
Mais ce cheminement de pensées ne mène nulle-part, bien sûr. C'est typiquement le genre de questionnements auquel il existe bien trop de réponses possibles pour identifier la bonne, ou même, simplement celle qu'il aurait préférée.

« Merci, entend-il alors près de lui, ce qui lui fait ouvrir les yeux, un peu surpris. J'avais pas ressenti un truc pareil depuis très longtemps. »
Doucement, il tourne la tête vers le garçon qui flotte toujours près de lui  ; s'étonne alors de le trouver avec le sourire le plus doux qu'il ait jamais vu sur son visage. Il est beau, comme ça, avec cette corolle de cheveux noirs flottants autour de lui. Ce remerciement le prend par surprise, et il ne sait pas vraiment comment y répondre. Quelque part, ça le conforte dans une idée qu'il avait déjà : Mallory ignore tout, ou presque, des plaisirs les plus simples. En fait, il ignore à peu près tout de la simplicité. C'est peut-être ça, bien plus que ce mec qu'il croit chercher, qui lui manque vraiment pour être un peu plus heureux. « Est-ce que j'vais te revoir, après ce soir ? »
Ce n'est pas vraiment dans les habitudes d'Isma, de revoir ceux avec qui il lui est arrivé d'entretenir ce genre de relations. Mais c'était principalement dû à son incapacité absolue à rester au même endroit trop longtemps. Cette fois, c'est différent et puis, pourquoi est-ce qu'il se refuserait d'autres soirées comme celle-là ? Il n'a aucune raison de dire non. Bien au contraire. « J'aimerais bien, répond-il alors, en ramenant ses jambes sous-lui pour revenir à la verticale, constatant par la même qu'il n'a plus pieds, là où le courant les a portés. Si t'es d'accord. »
Il tend la main à Mallory pour l'aider à se replacer, souriant. « Enfin, c'est à tes risques et périls. T'es pas à l'abri de te faire jeter à l'eau, entre autres trucs débiles auxquels tu t'exposes. »
Notamment nager jusqu'à une plage qui est drôlement loin d'eux, maintenant. Il va falloir se donner un peu pour retrouver la terre ferme. « Mais bon... j'me laisse dire que ça vaut le coup, parfois. T'es pas d'accord ? »

Est-ce qu'il va dire oui, le baroudeur ? Est-ce qu'il va accepter de le revoir ? Pour quel motif accepterait-il finalement, il n'en sait trop rien, Mallory. Tout ça le berce dans un monde cruel où les illusions remplacent la réalité, et il sait que ce n'est pas vrai, que ça ne le sera jamais et que ça ne l'a jamais été. Quand il était jeune, il aurait absolument tout donné pour une soirée comme celle-là. A quinze ans, et si Oliver n'avait pas été là, il aurait pu, un soir où il le faisait répéter, prendre son courage à deux mains, balbutier, serrer ses doigts entre eux. Faut que j'te dise, aurait-il sans doute murmuré, gêné, j'ai... Isma, j'voudrais qu'on soit ensemble, toi et moi. Il a répété ces phrases des centaines de fois dans sa tête, mais à chaque occasion manquée il a repensé aux regards de l'adolescent sur la silhouette sportive et élancée d'Oliver, sur ses grands yeux sombres et ses sourires immenses. La témérité du batteur était bien plus attirante que l'océan de secrets dans lequel ce vilain petit Couaneton errait en solitaire, et quand bien même Isma appréciait sa compagnie avant que tout change et tout bascule, cela n'aurait rien changé. Il n'est pas fait pour lui. Il ne mérite pas ce mec-là qui le regarde et qui lui sourit, sans se douter de rien.

« J'aimerais bien. Si t'es d'accord. » C'est même plutôt inespéré, mais ça Mallory se garde bien de le dire ; pas question de passer pour un con, d'avoir l'air trop empressé. Pour garder ce mec avec lui, il doit absolument faire comme si rien ne le touchait, comme si ce n'était qu'une distraction agréable, rien qui fasse terriblement remuer son coeur. Acceptant une nouvelle fois la main tendue, il se replace ; il n'a pas encore vu à quel point ils se sont éloignés de la berge, mais il est impatient de retourner sur la terre ferme, il est fatigué. « Enfin, c'est à tes risques et périls. T'es pas à l'abri de te faire jeter à l'eau, entre autres trucs débiles auxquels tu t'exposes.
– Tu m'as jamais fait peur, grosse brute, rétorque le champion en haussant tranquillement les épaules. » De toute façon, Sophie est là pour le protéfer, non ? Alors ça devrait le faire, ou du moins l'espère-t-il.

« Mais bon... j'me laisse dire que ça vaut le coup, parfois. T'es pas d'accord ?
– Je te l'aurais pas demandé sinon, rétorque-t-il, peu désireux de s'étendre sur le sujet. De temps en temps, ça serait... pas mal, j'suppose. » D'autres soirées comme celles-ci, pourquoi pas hein ? Il est beaucoup plus tranquille maintenant, Mallory ; en tout cas jusqu'à ce qu'il lève le nez. « Euh... elle est où la plage ? » C'est le tout petit carré de sable super loin là ? Non, c'est pas possible, il n'y arrivera jamais. C'est beaucoup trop loin, il n'a pas de forces ni dans les bras ni dans les jambes, comment vont-ils faire ? Il pâlit, Mallory, alors qu'il est entraîné vers l'avant ; nager, d'accord, mais là il commence vraiment à avoir peur.

« Isma, j'vais jamais arriver à nager aussi longtemps. » Et il ne doute pas de la force de son amant, mais ils en ont déjà fait pas mal, de l'exercice, là. C'est une idée à la con non ? De toute façon, est-ce qu'ils ont le choix ? Merde. Putain, merde. « D'accord, souffle-t-il en s'efforçant de garder son calme, alors qu'il entreprend de nager en direction de la berge. D'accord, au pire on s'noie, hein ? C'est rien, rien du tout, c'est rien. » Mourir, c'était tentant à une époque ; mais c'est marrant, ce soir il a plutôt tendance à tenir à l'inverse.

« Je te l'aurais pas demandé sinon. De temps en temps, ça serait... pas mal, j'suppose. »
Et voilà qu'il recommence à râler, songe Isma en levant les yeux au ciel, bien plus amusé qu'exaspéré. Bon, il va falloir nager, maintenant, se dit-il en essayant de retrouver un peu de son sérieux et de son énergie. « Euh... elle est où la plage ?
– Là-bas. »
Elle est peut-être un tout petit peu blanche, sa voix. Mais bon, pas de quoi paniquer. « Isma, j'vais jamais arriver à nager aussi longtemps.
– Ça va aller, t'inquiète pas. » 
Au besoin, il le tractera avec lui. S'il avait eu ses pokéballs ça aurait été bien plus simple, mais bon, il va falloir se débrouiller. « D'accord. D'accord, au pire on s'noie, hein ? C'est rien, rien du tout, c'est rien.
– On va pas mourir, Méli-Mallo. » 
Pour l'instant, il arrive encore à le prétendre d'une voix ferme.

C'est beaucoup moins le cas, cinq minutes de nage plus tard ; il sent déjà ses muscles s'engourdir, il a trop fumé ce soir, et il a fait pas mal d'exercice, dans l'absolu. Près de lui, il entend le souffle haché de son amant, entre épuisement et panique, alors il tend la main pour attraper la sienne et l'attirer jusqu'à ses épaules, l'encourageant à s'y accrocher. « Allez, on y est presque, dit-il, les dents serrées par l'effort. »
Non, ils n'y sont pas presque. Mais ça va le faire. Même s'il a l'impression qu'il va cracher ses poumons à chaque expiration et que ses bras vont se détacher de son corps à la prochaine brasse ; ils se rapprochent, peu à peu. Ou en tout cas, c'est ce qu'il espère, parce que les Loupio sont partis les uns après les autres et que maintenant, il fait nuit noir. « T'endors pas, surtout, halète-t-il. On va y arriver. »
Isma ne sait absolument pas depuis combien de temps il nage comme ça, en tirant le corps de plus en plus lourd de son amant qu'il devine à moitié comateux, ou probablement plus occupé à ne pas paniquer qu'à essayer de faire quoi que ce soit. Il ne sait même pas s'il nage dans la bonne direction et cette fois, quand il sent un corps totalement étranger frôler ses pieds, il se fige, sursaute et observe les flots noirs autour de lui. C'était quoi, ça ? 

Ce n'était rien de méchant. Pas un Pokémon dangereux, en tout cas. Bien au contraire. Si cet Otaria ne les avait pas trouvés, Isma ne sait pas du tout comment ça aurait fini. Toujours est-il que quand il finit par gagner la plage, à quatre pattes, tout son corps le fait souffrir et il a beaucoup, beaucoup de mal à respirer. « Je suis... je suis désolé pour ce... très léger contretemps, articule-t-il en roulant sur le dos, les bras écartés et la poitrine soulevée frénétiquement par son souffle haché par l'épuisement. J'aurais dû... faire attention. »
Près de lui, Mallory est étalé à plat ventre et leur sauveur frotte gentiment son nez sur la joue du garçon. La vision arrache un sourire épuisé à Isma, qui laisse mollement sa tête reposer sur le côté. Il est tellement fatigué.

« On va pas mourir, Méli-Mallo. » D'accord. Bien. Ils ne vont pas mourir, tout va très bien se passer. Hein que tout va bien se passer ?

Il en doute très franchement une poignée de minutes plus tard ; son coeur bat beaucoup trop fort, et il ne sait pas si c'est à cause de ses bras et ses jambes douloureux, ou à cause de la peur qui est en train de lui comprimer la poitrine. Il fait très noir maintenant, les Loupio sont tous partis ; il ne sait même pas où ils vont, il se contente de suivre, en essayant de ne pas se laisser gagner par la panique. Ismaël est très silencieux, et il n'a pas du tout envie de l'inquiéter avec sa propre angoisse. Pourtant, lorsqu'une main l'attire jusqu'au baroudeur,
il ne se fait pas prier ; attiré contre le dos de son amant, il s'accroche à ses épaules, soupire de soulagement, parfaitement épuisé.

« Allez, on y est presque. » Est-ce que c'est vrai, ou est-ce qu'il dit ça uniquement pour le rassurer ? Il n'en sait rien, Mallory, il a peur et il essaie de ne rien en montrer, fermant les yeux un peu malgré lui, gagné par la fatigue qui alourdit son corps et gêne la nage du johtien. Il en est presque à lui marmonner de le laisser là et de rejoindre la berge tout seul, prêt à se détacher de ses épaules, quand une voix haletante et fatiguée résonne devant lui. Bordel, ils ne vont pas y arriver. Ils ont dérivé trop loin, merde. « T'endors pas, surtout, on va y arriver.
– D'a... d'accord, répond-t-il, hésitant et les paupières lourdes. » Tout son corps est douloureux maintenant, et accuse le coup de la soirée, du concert, de ce qui a suivi, de la plongée, de la nage. Ses muscles crient grâce.

Il sent à peine le jeune homme sursauter, s'efforce de rester conscient au moins le temps qu'ils atteignent la rive ; quand ils accélèrent, il a du mal à comprendre pourquoi et le sable n'a jamais été aussi accueillant, quand par il ne sait quel miracle ils atteignent enfin la plage. A plat ventre sur le sol, le corps tendu, Mallory soupire, halète. Près de lui, Ismaël rampe jusqu'à la rive, puis se laisse lourdement tomber sur le dos. « Je suis... je suis désolé pour ce... très léger contretemps, j'aurais dû... faire attention.
– C'est pas grave, marmonne le jeune homme, fatigué. Qu'est-ce que tu fous ? » Pourquoi il lui frotte la joue comme ça ? C'est pas du tout le moment ; il a les yeux fermés Mallory, essaie de récupérer son souffle et ce n'est que lorsqu'il sent un halètement chaud près de lui qu'il ouvre un oeil... et sursaute violemment en se redressant d'un bond, en dépit de son corps qui lui hurle de se reposer. « Putain de merde ! »

Bon, c'est pas un Cavanha, mais l'Otaria lui a clairement fait peur ; qu'est-ce qu'il fout là ?! Il a les Pokémon aquatiques en horreur Mallory, et c'est pas du tout quelque chose qui va changer maintenant. Les yeux écarquillés, assis sur le sable, il recule un peu comme un crabe pour échapper au Pokémon sauvage qui... oui oui qui s'avance en faisant des bonds jusqu'à lui. « Non non non non, balbutie-t-il, les dents serrées. J'veux pas de toi, hein, j'ai pas envie, merci d'nous avoir ramenés, parce qu'il suppose que c'est ce Pokémon qui a aidé Isma à rejoindre la rive, mais non, merci, allez ouste, va-t-en. » Ce truc là pourrait le ramener dans l'eau et le noyer, hein. Mais l'Otaria refuse d'écouter quoi que ce soit, hein ? Bien au contraire, il a l'air tout joyeux quand il se précipite sur lui pour le renverser sur le dos. « Hé ! proteste-t-il alors qu'il reçoit un énorme coup de langue sur le visage. J'ai dit non ! »

« C'est pas grave. Qu'est-ce que tu fous ? »
Quoi qu'est-ce qu'il fout ? Il reprend son souffle, retrouve son coeur, repose ses muscles ; il essaie de s'assurer qu'il ne va pas mourir après être revenu sur la terre ferme. Alors quoi ? Isma ouvre péniblement les yeux, et constate alors que Mallory prend cet affectueux Otaria pour lui. Quand il va s'en rendre compte, ça ne va pas être triste, et c'est un sourire épuisé et peut-être un peu sadique qui vient étirer les lèvres du baroudeur, pas du tout décidé à prévenir le jeune homme. « Putain de merde ! »
Et voilà. Mallory semble retrouver tout à coup une partie de son énergie et il bondit en arrière, sur les fesses, on dirait un gros Kraboss. Isma, lui, ne bouge pas ; il n'a plus aucune énergie, et même le rire débile qu'il échappe soulève douloureusement sa poitrine. C'est carrément insupportable quand le Pokémon se met à bondir pour s'approcher progressivement du champion, apparemment peu désireux de le laisser tranquille ; c'est pas le moment d'avoir un fou-rire bordel, il va s'étouffer. « Non non non non, J'veux pas de toi, hein, j'ai pas envie, merci d'nous avoir ramenés, mais non, merci, allez ouste, va-t-en.
– Ahah!... ah!... ahahah, aïe, bordel ahahahah!...
– Hé ! J'ai dit non ! »
Mais apparemment il ne va pas avoir le choix, hein ? Péniblement, Isma se tourne sur le ventre, ramène ses bras devant son visage pour s'y cacher en essayant d'arrêter de rire. « Ahahah bordel... J'crois qu'il t'aime bien ! Là t'auras la paix qu'en le capturant ahahah... »
Et d'ailleurs, emmener ce Pokémon avec lui, c'est presque la moindre des choses, en fait. Clairement, il leur a sauvé la vie.

« Ahah!... ah!... ahahah, aïe, bordel ahahahah!... » Il pourrait pas venir l'aider, cet imbécile, au lieu de s'étouffer à moitié sur le sable en hurlant de rire ? C'est vrai que la scène doit être impayable ; Mallory nu comme un ver, couvert de sable et assailli par cet énorme truc qui lui est grimpé dessus. C'est très lourd un Otaria, et le bruit qu'elle fait ressemble un peu aux grognements d'un Gruikui ; la tête en arrière, il se contorsionne, se débat tant qu'il peut, pose ses mains sur la grosse tête de ce truc qui bave d'affection au point qu'il va sûrement être obligé de retourner dans l'eau pour se rincer, putain. « Non, non arrête merde !
– Ahahah bordel... J'crois qu'il t'aime bien ! Là t'auras la paix qu'en le capturant ahahah...
– ARRÊTE DE RIRE. »

C'est pas possible, non, il n'a aucune envie de le capturer, ce putain de Pokémon ; mais quelque chose lui dit, effectivement, qu'il n'arrivera pas à s'en débarrasser autrement. Peut-être qu'il n'en a pas envie, l'Otaria ? Avec un peu de chance, sauf que... « Et merde ! s'écrie-t-il en parvenant finalement à repousser le Pokémon sauvage avant de se mettre debout, les jambes flageolantes. Et avec quelles Pokéballs tu veux que j'attrape ce truc, hein ? On est à poil, au cas où l'océan t'aurait piqué des neurones ! » Alors quoi, il est condamné à ce que cette bête le suive jusqu'à ce qu'il le capture et balance la Pokéball à la mer ? Non parce qu'il n'en veut pas hein. Pas du tout. Agacé, Mallory esquisse un geste de la main, direction la mer histoire de le lui faire comprendre une dernière fois. « Allez ouste là, j'suis sûr que t'as pleins de potes dans la mer qui veulent jouer avec toi moi j'ai pas envie, compris ? » Mais non bien sûr, ça serait trop facile. « Putain, gronde-t-il finalement, exaspéré, avant de retourner vers l'eau, toujours suivi par l'Otaria qui bondit dans sa direction. Bon, on retourne sur la falaise ? Rince toi, t'es plein de sable c'est dégueulasse. »

En tout cas, pas question d'accorder le moindre câlin tant qu'il sera sableux comme ça, faut pas déconner. Ça l'a toujours profondément dégoûté, d'en avoir partout, sur les doigts, dans les cheveux, entre les orteils ; il peut même en sentir sur son visage, puisqu'il est tombé sur la rive à plat ventre tout à l'heure. « Je déteste l'eau, grommelle-t-il une fois immergé pour se rincer, frottant ses bras tandis que l'Otaria lui tourne autour en barbotant joyeusement. »

« ARRÊTE DE RIRE. »
Sûrement pas, la scène est beaucoup trop drôle, et à chaque fois qu'Isma relève la tête en ayant retrouvé un semblant de calme, ce qu'il voit le fait repartir dans un rire terriblement douloureux pour ses abdominaux mis à mal. « Et merde ! Et avec quelles Pokéballs tu veux que j'attrape ce truc, hein ? On est à poil, au cas où l'océan t'aurait piqué des neurones ! »
Ah bah ça pour être à poil, ils le sont, complètement nus, fatigués et perdus, mais surtout, attaqués par de dangereux Pokémon sauvages, hein ? Ricanant, Isma redresse le nez une fois de plus, songeant que Mallory doit s'être à peu près calmé, mais non, il le trouve en train d'agiter la main comme une princesse essaierait de chasser une mouche, et c'est reparti, le front sur ses paumes, il ricane tout seul en souffrant le martyr. « Allez ouste là, j'suis sûr que t'as pleins de potes dans la mer qui veulent jouer avec toi moi j'ai pas envie, compris ? Putain...
– Arrête... arrête de grogner comme un Grukui bon sang j'arrive plus à respirer, articule Isma tant bien que mal, tâchant de pousser sur ses bras douloureux pour pouvoir s'asseoir. « Bon, on retourne sur la falaise ? Rince toi, t'es plein de sable c'est dégueulasse. »
Mais quelle fillette, c'est dingue, se dit-il en se mettant péniblement sur ses jambes pour se traîner jusqu'à l'eau. « Bien, commandant, ricane-t-il tout de même en se laissant tomber dans les vagues.
– Je déteste l'eau.
– Allez, c'était qu'un accident. On est vivants, et c'était sympa, non ? Avant qu'on manque de se noyer j'veux dire. »
Bizarrement, Mallory ne goûte pas trop l'humour, et c'est toujours en ricanant qu'Ismaël finit par sortir de l'eau. « La Falaise est un peu loin, apparemment, on a bien dérivé. Va falloir marcher un peu. »
Un peu, oui. Une petite demi-heure qui n'aurait pas demandé le moindre effort en d'autres circonstances mais, pour le coup, même lui, il souffre. Et les plaintes du champion qui l'accompagne n'aident pas franchement à ce que tout se passe bien mais, heureusement, il est trop fatigué pour lui dire de se taire, et le jeune homme finit par ne plus avoir même l'énergie de se plaindre.
Au prix d'un ultime effort, ils atteignent finalement leur plateforme et là... et là ils découvrent que quelqu'un est passé par-là. Quelqu'un qui est encore pas loin et qui a apparemment décidé que maintenant, ici, c'est son territoire. « Golgo... gronde le Pokémon, clairement menaçant, à seulement deux ou trois mètres d'eux, écartant ses innombrables bras en étoile autour de lui.
– Merde... merde. Panique pas, s'te plaît. »
Non parce que dans le genre créature maritime pas aimable, celui-là il se pose là. Prudemment, et malgré les grondements de plus en plus menaçants de la bestiole, Ismaël avance, un pas après l'autre. Ses pokéballs sont dans son sac. Juste un mètre. Il peut le faire. Tengalice fera l'affaire sans aucun doute, il faut juste qu'il atteigne son sac.

« Allez, c'était qu'un accident. On est vivants, et c'était sympa, non ? Avant qu'on manque de se noyer j'veux dire. » C'est ça, songe Oliver en jetant un regard noir au dresseur qui s'applique à retirer toute trace de sable de ses bras ; lui plonge la tête sous l'eau et la relève en grognant. Oui, c'était sympa, très sympa même mais franchement, là, il en a ras-le-bol. Il n'a qu'une envie, tout de suite, c'est de retourner sur cette maudite falaise, s'allonger comme une étoile de mer et attendre de ne plus avoir mal aux muscles pour s'endormir tranquillement dans son lit à l'hôtel, si tant est qu'il ait la force d'y retourner à pieds. « La Falaise est un peu loin, apparemment, on a bien dérivé. Va falloir marcher un peu.
– Super, grogne le champion en traînant des pieds, toute bonne humeur envolée. Combien de temps ? C'est où ? »

Une demi-heure, une putain de demi heure après avoir nagé jusqu'à en crever, c'est complètement insupportable, et Mallory ne se gêne d'ailleurs pas pour le dire. Il a mal partout, au dos, aux pieds, aux jambes, aux genoux, aux reins, et si durant le premier quart d'heure il n'a de cesse que de geindre, et il finit d'ailleurs par se faire envoyer chier quand il demande à Ismaël de le porter sur son dos. Le baroudeur n'est pas en reste, il souffre lui aussi ; si lui a mal alors qu'il est en pleine forme physique, alors que dire du chanteur qui finit par se taire, complètement éreinté, à bout de forces et silencieux lorsqu'ils atteignent enfin leur destination et qu'il va aller manger un bout de pizza et s'affaler. Sauf que non.

« Golgo... oh bordel, c'est quoi ce truc, c'est QUOI ? » On dirait un énorme monstre tout droit sorti de ses cauchemars, debout à quelques centimètres d'eux ; il va hurler Mallory, il a déjà la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés de terreur devant le Golgopathe visiblement très mécontent que deux humains pénètrent sur le rocher dont il s'est arbitrairement approprié. Putain, il manquait plus que ça. « Merde... merde. Panique pas, s'te plaît. » D'accord, rester calme hein ? Le cri meurt dans sa gorge, ce n'est qu'un tout petit couinement de panique qui résonne, en concert avec l'Otaria qui n'a pas lâché l'affaire, et qui se planque derrière sa jambe, très courageuse. Ses jambes tremblent de panique, il n'a aucun Pokémon pour l'aider, là ; Sun n'est d'aucune utilité dans un cas comme celui-là, quant à Manza, elle est beaucoup trop petite pour combattre un monstre pareil. Son seul espoir, c'est encore Isma ; Isma qui s'approche tout doucement de ses Pokéballs, jusqu'à ce que l'une d'entre elles s'ouvre toute seule, dévoilant un Tengalice énorme qui bondit près de son adversaire dans un cri de guerre particulièrement réussi.

Agressif le Golgopathe, mais pas fou ; il sait très bien que son type sera désavantagé par rapport à l'autre Pokémon, et c'est dans un grondement furieux qu'il recule, sans lâcher des yeux le Tengalice, avant de rejoindre le rebord de la falaise près duquel il descend. Ouf, songe le chanteur en poussant un très long soupir de soulagement. Ils sont passés à deux doigts de la catastrophe, même si leur petite place de fortune est complètement ravagée.
A son grand étonnement, ce n'est pourtant pas le Tengalice qui revient vers son dresseur, mais la Zorua de la dernière fois. La Petite, comme l'appelle si affectueusement son dresseur, qui la félicite à grand cris tandis que Mallory reprend son souffle, une main posée sur le coeur. « Plus jamais la plage, marmonne-t-il pour lui même en retournant vers ses affaires. Plus jamais. » Parce que ça va bien le sable, la puanteur de l'iode, l'eau froide et salée et ces saletés de Pokémon. D'ailleurs l'Otaria est encore là et il soupire Mallory, fatigué et résigné en tirant une Pokéball vide de son jean dans laquelle le Pokémon saute littéralement dans un grand cri de joie. Super. Vraiment super.

« La prochaine fois j'sais pas, on ira boire un verre et on ira dans une piaule, c'est comme ça que font les gens civilisés, grogne-t-il en s'asseyant finalement, cherchant son paquet de clopes des yeux. » Là, tout près du rebord ; et heureusement, il est intact. Putain.