« Tout comme tu savais même pas à quoi ton petit frère ressemble maintenant, et tout un tas d'autres chose qui sont passées sous ton radar quand t'as décidé de partir et que tu nous a jamais écrits. Je m'en fous de tes excuses, Ismaël. » 
Et par quel putain de miracle est-ce qu'il aurait pu le savoir ? Les lèvres pincées, Isma se mord l'intérieur de la joue pour ne pas répliquer. Il savait à quoi s'attendre, après tout. Heureusement que Lazuli, au moins, a eu l'air contente de le voir, sinon il serait probablement déjà reparti. « Eteins ce truc. »
C'est elle qui aurait dû s'engager dans l'armée, pas Jim, se dit-il en soupirant, levant les yeux au ciel mais obéissant tout de même. Il n'a pas envie d'empirer la situation et de toute façon, ça lui tourne déjà bien assez la tête. Est-ce qu'il aurait oublié de mettre du tabac ?

Le reste de la route est d'un silence presque religieux, pesant. C'est pire qu'à la maison, maintenant. Peut-être qu'il aurait mieux fait de ne pas venir, songe-t-il, la mort dans l'âme, en jetant un coup d'oeil à sa soeur qui ne le regarde même pas avant de récupérer son sac, son paquet de clopes et de sauter de la bagnole à peine garée. « Bon, on se retrouve à la voiture dans deux heures si tu veux en profiter pour rentrer. 
– Tu vas où toi ? demande-t-il, l'air de rien. J'peux passer le voir tout à l'heure le vieux, j'suis juste supposer vérifier qu'il est toujours vivant, ça me prendra quatre secondes à tout péter. »
Ce regard méfiant, là, il le connaît, et bien sûr qu'elle va finir par comprendre qu'il n'avait rien du tout à faire à Nathalia, alors il prend les devants et hausse les épaules en rallumant son joint. « J'avais envie de t'accompagner et la Petite a besoin de se dégourdir les pattes. »
La Petite qui ne se fait pas prier pour s'échapper de sa pokéball dès qu'elle entend son nom, et qui se précipite déjà pour poser ses pattes avant sur les jambes d'Eva et essayer de renifler le petit Pokémon dans ses bras.  

« Tu vas où toi ? » Ça ne le regarde absolument pas, songe-t-elle en soupirant, exaspérée, tandis qu'à sa grande surprise, son petit frère s'apprête à la suivre. « J'peux passer le voir tout à l'heure le vieux, j'suis juste supposer vérifier qu'il est toujours vivant, ça me prendra quatre secondes à tout péter. » D'accord, cette fois c'est bizarre. Pourquoi aller se taper un trajet aussi énorme jusqu'à Nathalia pour aller voir le père de quelqu'un ? Non pas que ça l'intéresse, mais ça ressemble quand même vaguement à un prétexte complètement claqué ; d'ailleurs il n'a jamais su très bien lui mentir Ismaël, et même dix ans après il a toujours ce même petit haussement d'épaules nonchalant en la suivant, et en rallumant son horrible joint qu'elle lui a demandé d'éteindre. Il cherche la merde.

« J'avais envie de t'accompagner et la Petite a besoin de se dégourdir les pattes. » Un penchant pour le masochisme alors, parce qu'elle lui avait quand même bien fait comprendre qu'elle n'avait pas du tout l'intention de passer du temps avec lui ; rattraper ces dix années d'absence, cela revient presque à lui dire qu'elle ne lui en veut pas dans sa petite tête, or elle lui en veut, et beaucoup. Ça ne se passera pas comme ça, songe-t-elle alors qu'il libère une Zorua qui s'approche d'elle en reniflant, avant de se hisser sur ses jambes pour approcher Aconit, qui penche la tête, un peu curieux. La Petite, donc. Ça ne l'étonne pas vraiment qu'il l'ait appelée comme ça. « D'où elle sort ? » demande-t-elle en acceptant de poser pour quelques minutes le petit Toxizap qui remue dans ses bras pour saluer l'autre Pokémon. « D'ailleurs c'est quoi cette histoire de père à Nathalia ? T'as une copine toi maintenant ? » Ce qui lui parait un peu bizarre dans la mesure où elle l'a toujours plus ou moins connu avec des garçons, mais bon. « Ça s'est fini quand, avec le fils Porter ? » 

Eva a l'air fâchée, et ce n'est pas bo signe, mais il s'y est préparé et de toute façon ce n'est pas comme s'il n'avait pas eu le temps de prendre l'habitude de ses remarques désobligeantes depuis qu'il est rentré. Du moment qu'il peut fumer, même si elle n'aime pas ça, ça devrait aller. Et puis la présence de la Petite semble la distraire assez pour qu'elle ne le vire pas tout de suite. « D'où elle sort ? demande sa soeur en posant Aconit sur le sol pour qu'il puisse dire bonjour.
– De la Grotte Electrolithe à Unys. Elle a essayé de me piquer mon sandwich. »
Il sourit, attendri à ce souvenir pas si lointain. Unys est la dernière région qu'il a visitée avant de rentrer et cette Zorua ne l'accompagne que depuis... il ne saurait pas trop dire. Un peu plus d'un mois, il dirait. « D'ailleurs c'est quoi cette histoire de père à Nathalia ? T'as une copine toi maintenant ? » 
Une copine ? Il a parlé d'une copine ? « Ça s'est fini quand, avec le fils Porter ? »
Ah, oui, c'est vrai. Forcément elle n'en sait rien, le souci d'informations pas à jour est dans les deux sens. Enfin, il en est le seul responsable, donc il ne risque pas de lui faire le moindre reproche à ce sujet. « Y a huit ans. On s'est engueulés et j'ai continué ma route tout seul, dit-il simplement, parce que ça lui paraît tellement loin, tout ça. J'ai plus jamais été en couple après ça, le père en question c'est celui d'Arella. C'est une amie, on s'est rencontrés à Alamos et on a... disons, essayé de se réconforter après ce qui s'est passé là-bas. »
Le regard qu'il jette à sa soeur est un peu surpris, et un peu brillant aussi, d'un drôle d'espoir, pas vraiment assumé, mais bien présent. Est-ce que ça l'intéresse vraiment ?

A la grotte Electrolithe hein. Eh ben il en a vu du pays, Ismaël ; il a eu l'air de s'être bien amusé en tout cas, songe la jeune femme en fronçant les sourcils, avant de commencer à marcher en suitant les indications que l'homme lui a donné au téléphone. Il ne sera pas là, mais vu l'état du terrain vous pouvez bien y aller toute seule. Ce n'est pas très encourageant, mais d'après Jaeden, ce genre d'endroits, ça se construit, non ? En tout cas elle verra bien. Et en attendant, elle peut bien faire au moins semblant de s'intéresser à la vie solitaire de son petit frère qui s'est bien amusé sans eux. « Y a huit ans. On s'est engueulés et j'ai continué ma route tout seul. » Peu de temps après son départ, donc. Elle l'aimait bien Oliver, elle a eu de l'espoir, quand elle a vu Asylum rentrer à Lathea après toutes ces années d'absence. Elle a vaguement cru qu'il ramènerait Isma dans ses bagages, et elle a bien dû constater que non.

« J'ai plus jamais été en couple après ça, le père en question c'est celui d'Arella. C'est une amie, on s'est rencontrés à Alamos et on a... disons, essayé de se réconforter après ce qui s'est passé là-bas. » Et il s'est passé quoi à Alamos ? Elle n'en sait rien. Et à vrai dire elle s'en tape, songe-t-elle en sautant une nouvelle fois sur l'occasion, bien incapable de s'en empêcher quand elle s'engage dans une ruelle en direction de la zone abandonnée, sans mettre son masque, préférant allumer une cigarette en surveillant Aconit du regard. « Ouais, donc c'est pas ta copine. » Elle hausse les épaules, ricane peut-être un tout petit peu. « Enfin je vais pas la plaindre, inconstant comme t'as l'air d'être t'aurais pu aller acheter des cigarettes à tout moment et plus jamais revenir. » Ce n'est pas comme si elle le connaissait, ce garçon. « J'imagine à peine ce que ça donnerait si t'avais des gosses. Rassure-moi t'en as pas ? » Si ça se trouve il n'en sait rien, s'il s'est enfui de chaque séance de coucherie il y en a peut-être une qui lui a collé un polichinelle dans le tiroir et qui ne le lui a pas dit, hein.

« Ouais, donc c'est pas ta copine. »
Qu'est-ce qu'il a fait déjà ? Espéré ? Mais quel idiot cet Isma. « Enfin je vais pas la plaindre, inconstant comme t'as l'air d'être t'aurais pu aller acheter des cigarettes à tout moment et plus jamais revenir. »
Oh mais ça alors, ça faisait au moins une heure qu'il n'avait pas entendu ce reproche ! Ça lui avait manqué dis donc, songe-t-il en retenant un petit ricanement, préférant tirer longuement sur son joint. Il a envie de passer du temps avec sa soeur. Il a envie de passer du temps avec sa soeur, il en a envie, il en a vraiment envie. « J'imagine à peine ce que ça donnerait si t'avais des gosses. Rassure-moi t'en as pas ? 
– Même si j'en avais je dois pas beaucoup leur manquer, étant donné l'horrible personne que je suis. » 
D'ailleurs pourquoi est-ce qu'elle l'accable de reproches finalement ? S'il est si affreux que ça, ils devaient plutôt tous être soulagés de plus l'avoir dans les pattes.
La pensée, amère, lui fait jeter un regard presque accusateur à son joint. C'est quand il veut lui, hein. « De toute façon j'en ai jamais voulu, j'voudrais pas leur infliger ça. »

Bien sûr qu'elle est injuste Eva, et elle le sait très bien. Le truc, c'est qu'elle se moque bien de ce que peut en penser son jeune frère, qui a vu son visage s'éclairer d'espoir quelques instants plus tôt pour mieux se décomposer l'instant d'après. A quoi s'attendait-il ? Qu'elle ait éclaté dans ses bras la veille ne veut absolument rien dire. Parce qu'elle a été heureuse de le revoir, et qu'elle a attendu ça pendant dix ans ; et c'est également le souci, elle a attendu ça pendant dix ans. Alors elle n'a pas l'intention de lui épargner quoi que ce soit aujourd'hui. Puisqu'il veut l'accompagner, alors qu'il l'accompagne, qu'il baisse la tête et accepte la punition de son aînée pour tout le mal que son départ a fait à la famille, et à elle. Que ses phrases assassines le blessent, pardon mais ça lui fait clairement une belle jambe. Il mériterait bien pire.

« Même si j'en avais je dois pas beaucoup leur manquer, étant donné l'horrible personne que je suis. » Oh, qu'il le prenne comme il veut, songe la jeune femme en progressant dans la ruelle sans lui accorder le moindre regard. Elle est là dans un but précis et elle a bien l'intention de ne pas se laisser distraire par le pauvre petit couaneton derrière elle qui doit penser que sa soeur est vraiment méchante avec lui, tiens. « De toute façon j'en ai jamais voulu, j'voudrais pas leur infliger ça.
– J'en attendais pas moins de la part de l'égoïste notoire que t'es. »

Elle enfonce le clou quand bien-même serait-il profondément fiché dans le mur. Ça ne fait de bien à personne, même pas à elle, et pourtant quand elle se tourne pour le dévisager, elle croise un regard décomposé, malheureux, déçu et sûrement un petit peu en colère. Grand bien lui fasse. « Ça te plait pas, de te prendre toutes ces réflexions dans la gueule, hein ? » Non, sans doute pas, au vu de la tronche qu'il tire elle a déjà une assez bonne idée de la réponse. « Crois pas que parce que j'ai accepté que tu repasses la porte de la maison ça veut dire que t'es pardonné. C'est même pas sûr que tu le sois un jour pour moi, que les choses soient bien claires. Et j'en ai rien à foutre de tes excuses ou de toutes tes putains de bonnes intentions, y'a des chances qu'elles arrivent trop tard. Et personne t'a obligé à venir. » Elle se met en colère toute seule maintenant, Eva, quand elle fronce les sourcils avant de faire volte-face pour reprendre sa marche. « Avance. Ou casses-toi, je m'en fous. J'ai bien dû m'y faire. » Il ne lui a pas laissé le choix, après tout.

« J'en attendais pas moins de la part de l'égoïste notoire que t'es. »
En soi, c'est plutôt généreux, non, de ne pas vouloir infliger son inconstance à qui que ce soit ? Les reproches pour les reproches commencent vraiment à être fatigants, mais qu'est-ce qu'il peut dire pour s'en défendre ? Pas grand chose, à l'évidence, alors il se contente de soupirer pour tirer sur son joint la plus longue taffe de sa vie. Deux yeux verts se tournent vers lui ; il les soutient, sans vraiment chercher à cacher les émotions qui se mélangent dans son esprit. De toute façon ce n'est pas exactement comme s'il avait quelque chose à perdre. « Ça te plait pas, de te prendre toutes ces réflexions dans la gueule, hein ? »
Oh si, bien au contraire, il adore ça : d'ailleurs tout le monde adore se faire lyncher de la sorte, non ? « Crois pas que parce que j'ai accepté que tu repasses la porte de la maison ça veut dire que t'es pardonné. C'est même pas sûr que tu le sois un jour pour moi, que les choses soient bien claires. Et j'en ai rien à foutre de tes excuses ou de toutes tes putains de bonnes intentions, y'a des chances qu'elles arrivent trop tard. Et personne t'a obligé à venir. »
Alors quoi, elle préférerait qu'il s'en aille ? Qu'il reparte pour ne jamais revenir, est-ce que ce serait davantage un soulagement pour elle, pour leur famille ? « Avance. Ou casses-toi, je m'en fous. J'ai bien dû m'y faire.
– T'avais parfaitement le droit de me renvoyer d'où je venais hier, dit-il en avançant, bien loin de se casser quand bien même il s'agirait probablement de la possibilité préférée de sa chère grande soeur. Pourquoi tu l'as pas fait ? T'attends quelque chose ? »
Peut-être qu'il est un peu désinhibé par les toxines qu'il s'envoie dans la tête, et que c'est pour ça qu'il parle ; il aurait préféré y trouver la force d'encaisser tout ça sans broncher, mais à défaut, autant crever les abcès qu'il pourra crever tout de suite. « Tu te défoules tout ce que tu peux et tu vas me dire de dégager une fois que ce sera bon ? Ou t'attends quelque chose de moi peut-être ? Va juste falloir me le dire, parce que si ce que tu veux c'est juste me balancer tes horreurs sans que j'te réponde, j'peux le faire, mais j'suis pas convaincu que ça nous avance beaucoup. »

« T'avais parfaitement le droit de me renvoyer d'où je venais hier. » Non, il ne se barre pas Isma, hein ? Le contraire aurait été beaucoup plus simple, mais de toute évidence, ça n'arrivera pas. Son petit frère la suit en dépit des risques qu'il prend, et quelque part, c'est tout à son honneur ; il aurait pu choisir de faire demi-tour et de l'abandonner là, toute seule dans les rues sales de Nathalia. Elle n'aurait même pas bronché, Eva. Au vu du pieu qu'il a déjà enfoncé dans son coeur dix années auparavant, elle peut au moins dire qu'elle ne sera plus surprise du moindre acte de défection, désormais. Ce serait presque préférable, même, qu'il ait la décence de repartir. « Pourquoi tu l'as pas fait ? T'attends quelque chose ? »

Le ton est sec, bien sûr qu'il ne supporte pas ce qu'elle lui met dans la gueule à répétition depuis la veille ; mais c'est lui qui l'a voulu, maintenant il va falloir assumer le ressentiment qu'elle éprouve. Il fait toujours partie de la famille et il en fera toujours partie, ce n'est pas parce qu'un Esperanza abandonne tous les autres qu'il n'en est plus un. La porte de la maison familiale lui sera toujours ouverte, mais sa fratrie a souffert de son abandon, et si Laz est capable de lui sourire et de le pardonner, les autres sont un peu moins enclins à ce genre d'effusions. Elle, elle n'a pas vraiment envie de recommencer à considérer qu'il est là et qu'il est de retour : s'il s'en va alors qu'elle espérait qu'il reste, elle ne s'en relèvera pas, cette fois. Alors autant se cacher derrière une épaisse cape d'agressivité. C'est moins dur, ça fait moins mal.

« Tu te défoules tout ce que tu peux et tu vas me dire de dégager une fois que ce sera bon ? Ou t'attends quelque chose de moi peut-être ? Va juste falloir me le dire, parce que si ce que tu veux c'est juste me balancer tes horreurs sans que j'te réponde, j'peux le faire, mais j'suis pas convaincu que ça nous avance beaucoup.
– Ah ouais ? Et t'en sais quoi, en fait ? » réplique-t-elle, venimeuse, en coulant un regard vers son petit frère. « T'es revenu avec des solutions dans ton petit sac, peut-être ? Tu t'attendais à quoi, à ce qu'on pleure tous un coup, qu'on s'énerve et qu'on passe l'éponge sur dix putains d'années de silence ? » C'est beaucoup trop facile, il n'a pas le droit de s'en tirer comme ça. Il n'a pas le droit. C'est beaucoup trop injuste, il doit souffrir lui aussi, de leur rejet, de leur absence, elle ne le laissera pas retrouver ce réconfort-là sans en baver un peu d'abord ; et de toute manière, elle ne lui fait plus confiance. « J'attends plus rien de toi Ismaël, ça fait dix ans que j'attends plus rien de toi ni de personne, à vrai dire. T'as qu'à aller jouer ton petit numéro du frère désolé à Laz ou à Isa s'ils sont assez cons pour te croire mais pas à moi. T'as pas la moindre idée de ce qu'il s'est passé en ton absence, t'as rien vu hier soir et pas plus aujourd'hui, tu sais pas. Alors ferme un peu ta gueule. » Amère, elle ricane, tire son paquet de clopes de sa poche pour en tirer une et l'allumer sèchement. « J'te fais pas confiance. Il parait que c'est ce qui arrive quand on abandonne toute sa famille. »