En chemin, Oliver croise un Carabing ; Nox se met aussitôt à grogner, mais le batteur l'observe, curieux. En voilà un insecte dont l'évolution est étrange ; qu'est-ce qu'Eugène aurait à en dire ? C'est drôle, de songer que chacune de ses ballades a été soldée soit par une rencontre intéressante, soit par d'étranges révélations. Oliver a passé beaucoup trop de temps enfermé dans le prisme du groupe, il en a même oublié ce que c'était, de sortir et de faire d'autres rencontres que dans le cadre biaisé de sa musique. La plupart des fans sont gentils, bien entendu, mais cela ne constitue pas vraiment de relation saine ; élevés à des rangs supérieurs à ceux qui les adorent, il est alors difficile de bâtir quelque chose, là où des catastrophes comme des attaques de Pokémon peuvent conduire à de très belles rencontres. Il a bien fait de prendre un peu de recul, songe-t-il en regardant son Evoli faire gonfler sa queue pour se rendre plus impressionnant qu'il ne l'est.

Il n'empêche, ce serait une belle revanche sur la vie que de parvenir à bout des arènes de Lathea et de devenir maître. C'était tout ce dont il rêvait quand il était gosse, un rêve auquel il a bien fallu renoncer lorsque les piliers de celui ci ont disparu. Gaspar d'abord, et il doit bien reconnaître que malgré tout ce qu'il a pu craindre au début, son retour a été un vent frais dans sa vie, une brise apportant renouveau et sécurité. Il est heureux maintenant, au moins autant qu'il peut l'être dans la situation actuelle en tout cas. Celle où il attend que quelque chose se passe comme tant d'amants au placard, que la personne qu'ils aiment se décide à abandonner la stabilité de sa vie d'avant pour se lancer dans l'inconnu avec lui. Combien de relations comme celles-là ont foiré ? Il n'en sait rien Oliver, et à vrai dire il doit bien reconnaître qu'il s'en fout. Lui, ce n'est pas pareil.

Finalement, c'est au bord du petit ruisseau que le batteur décide de prendre une pause. Après avoir soigneusement rangé sa cigarette dans son cendrier de poche pour ne rien polluer, Oliver s'installe près de l'eau, et regarde sa gentille petite Mucuscule barboter joyeusement, dans une série de gargouillis de joie. Quelque part, il a hâte que ses Pokémon grandissent, évoluent et deviennent plus forts ; que ce soit le petit Nox qui s'approche dans un petit piaulement affectueux ou n'importe lequel d'entre eux, il est heureux de savoir qu'ils seront avec lui pour toujours, maintenant. Sa main s'égare sur le pelage argenté de son Evoli, et il se demande encore par quel miracle une créature comme lui a pu s'attarder sur lui et décider de le suivre en dépit de tout ce qu'il ne pourrait pas lui apporter. Peut-être est-ce parce qu'il est en mesure de le faire, il n'en sait rien. Il ne lui manquait peut-être plus que l'impulsion nécessaire pour y parvenir.

Quand il était adolescent, Oliver rêvait d'étoiles, de vastes paysages, d'endroits merveilleux et d'une équipe Pokémon à ses côtés qu'il aurait entraîné avec soin. Les affiches couvraient les murs de sa chambre d'adolescent et il était fréquent de le voir devant la télévision, hypnotisé par les combats rediffusés sur de petites chaînes que ses
parents parvenaient à capter malgré l'interdiction de Myrtha de visionner ce genre de choses. Kyle et Cassandre Porter étaient des dresseurs dans l'âme, et même s'ils n'avaient pas pu aller jusqu'au bout de leur rêve, ils avaient toujours encouragé leur fils à suivre sa passion. Pour ses douze ans, sa mère lui avait offert Allumette ; un bon départ pour le petiot comme lui qui se voyait déjà avec un majestueux Feunard aux portes de la Ligue. A ses côtés, Gaspar et son Altaria auraient été là, aussi rivaux que compagnons de voyage. Pensif, peut-être un peu rêveur, le batteur quitte le rocher sur lequel il est assis pour s'allonger directement dans l'herbe, passer ses bras derrière sa tête.

Les nuages dessinent de drôles de formes dans le ciel que ses yeux sombres observent en silence. Un brin d'herbe dans la bouche, comme le parfait cliché du petit baroudeur en quête de liberté, il sourit en sentant le petit corps maintenant sec de Nox se presser contre son flanc pour profiter du calme de la Lande et faire une sieste de quelques minutes en attendant que son dresseur décide de reprendre la route. Ces rêves-là sont-ils toujours accessibles ? Allumette est vieux maintenant, mais de toute manière son Goupix n'a jamais eu la fibre combattive. Calme et tranquille, un peu idiot aussi, il a toujours été écrasé par les personnes qu'Oliver osait défier lorsqu'il en avait l'occasion. Choupette est différente, bien qu'il n'ait pas encore eu l'occasion de s'essayer aux combats avec elle ; elle veut faire plaisir à son dresseur à tout prix, ce qui est déjà une belle victoire pour Oliver, et ce qu'il attend d'elle.

Ce qu'il attend de toute son équipe, finalement. Parce que s'il sait que certains de ses Pokémon n'auront aucun mal à le suivre en échange seulement de l'affection et du soin qu'il leur porte, ce ne sera pas le cas pour tous. Meleys a évolué, mais elle ne s'est absolument pas assagie ; il craint un peu pour la suite Oliver, et pour ce qui risque d'arriver s'il n'est pas capable de la dresser correctement. Un Dracaufeu fait un peu plus de dégâts qu'un Salamèche, et il n'a qu'une crainte, c'est l'accident ; c'est se retrouver clairement dans la merde avec un procès aux fesses, finalement. Ses doigts galopent doucement dans le dos de son Evoli, qui ronronne de contentement ; Nox est heureux, tout de suite, et profite de l'affection de son dresseur. Aujourd'hui, il lui semble que son rêve trouve enfin un point d'ancrage dans la réalité, c'est un drôle d'instant charnière de sa vie.

Combien de fois s'est-il vu sillonnant les routes, combien de fois a-t-il eu cette image d'un jeune homme en pleine forme, Pokéballs à la main, à la conquête du pays ? Il aime la musique Oliver, il l'a toujours aimée, mais l'appel de la liberté était bien plus forte que la caisse claire sur laquelle il tapait presque tous les jours. Les tournées et les voyages ont permis au dresseur de pouvoir prendre sa revanche sur la vie dont il a été privé, mais il lui manquait toujours quelque chose. C'était comme être enfermé, muselé à l'intérieur de lui-même, assagi de force par les besoins d'un Mallory malheureux et aux abois, prisonnier d'une routine qui n'en était pas vraiment une, finalement. Aucune journée ne se ressemblait dans le groupe, mais à chaque instant qui passait, il lui semblait que la mer, les montagnes et les forêts qu'ils croisaient dans le bus s'éloignaient de lui. Quelque part, et sans qu'il s'en rende compte, cela le rendait malheureux.

Les choses semblent enfin rentrer dans l'ordre, maintenant. Pour commencer, il y a Gaspar ; son beau chanteur aux yeux verts est revenu si facilement qu'il a du mal à y croire, un peu comme si cet homme merveilleux, rêveur et infantile l'avait attendu durant toutes ses années d'exil. Personne ne l'avait obligé à partir, mais peut-être avait-il mieux valu que leurs chemins se séparent pour qu'il apprenne sans lui, Oliver ne sait pas. Il aurait aimé être celui dont le contact aurait rassuré le garçon qu'il avait passé tant de temps à consoler, il aurait voulu être celui qui lui aurait appris à devenir l'homme qu'il avait toujours eu envie d'être. C'est comme ça qu'il a toujours été, Oliver; dévoué aux autres en s'oubliant lui-même, il n'a pas vu que lui aussi avait besoin d'apprendre. Leur relation, si elle avait trouvé une réalité, aurait-elle survécu à Myrtha ?

Peut-être que cela aurait fini comme les choses se sont terminées avec Isma, trop mal pour pouvoir réparer quoi que ce soit. Quand la ville est tombée, son monde s'est effondré, et il n'a pas été le seul à avoir été assommé par tout ce qu'il s'est passé ce jour-là. Il se souvient encore de la terrible dispute qui l'avait opposé à l'Esperanza quand celui-ci, manquant cruellement de compassion, lui avait dit d'arrêter de s'apitoyer sur son sort ; si tu veux devenir dresseur, c'est pas une hanche cassée qui devrait t'en empêcher, tu renonces trop vite. Et comment aurait-il pu faire autrement ? Lui qui n'avait jamais oublié le garçon qu'il aimait encore en dépit de sa défection avait ricané à la gueule du nouveau, méprisant. Et comment j'suis supposé faire, hein ? Ma vie est foutue à cause de Myrtha, essaie pas de me consoler, t'as
jamais été doué pour ça.

Oliver soupire doucement, avant de fermer les yeux. Il est certains instants dont il se rappelle comme si c'était hier, et cette dispute en fait partie, le visage livide de rage de son amant et la crispation de ses mains comme s'il avait envie de le frapper, les paroles qu'il a crachées, qui n'avaient rien à voir avec lui mais traduisait sans mal la profonde incompréhension qui était déjà en train de les déchirer. T'es encore en vie toi putain, de quoi tu t'plains, hein ?! Comme si la mort d'Eden était de son fait, comme si parce que certains n'avaient pas eu la chance de survivre il n'avait pas le droit d'être malheureux de sa condition. Combien de jours sont passés ensuite, durant lesquels ils ne se sont pas dits un mot ? C'était le bordel à l'époque, un bordel innommable dans lequel tout le monde se noyait. Sans comprendre comment le régler.

Il va falloir reprendre la route, non ? Non, pas tout de suite, il est bien ici, Oliver. Il y a un peu de vent qui fait presque siffler l'herbe autour de lui, le ruisseau est entouré de champs de blé, il est à l'aise, il pourrait presque dormir à la belle étoile, maintenant. Il n'a pas la moindre idée de comment se passera cette soirée, il ne sait pas et il s'en moque pas mal, à vrai dire ; l'attrait du voyage et de la découverte lui colle à la peau, maintenant. Il en oublie même le Motismart dans sa poche, comprend pourquoi Isma n'a jamais voulu en avoir. Un léger sourire aux lèvres, il oublie tout ce qu'était sa vie d'avant. Il va avoir trente ans le batteur, et c'est une bonne chose de songer qu'il a encore l'âge de concrétiser ses rêves.

Et après ? Qu'aimerait-il faire après la Ligue ? Fourrageant distraitement dans le pelage de Nox désormais en pleine sieste, Oliver se met à rêvasser. Quand il aura réussi, Gaspar sera sans doute encore là. Il aime à se dire qu'il ne fait pas des plans trop vite, que ce mec a toujours été l'homme de sa vie et qu'il ne peut pas voir de futur sans lui. Au vu des circonstances, c'est sans doute suicidaire mais Oliver n'a jamais été un modèle de raison, après tout. Ils pourraient partir tous les deux. Quitter la région, visiter pour de vrai, ils pourraient retourner à des endroits qu'Oliver a déjà vu et s'y attarder. Camper dans les Terres Sauvages à Galar par exemple, ça le botterait bien, la dernière fois qu'il s'y est rendu, il n'a pas été capable d'avancer comme il l'aurait voulu. Sa hanche n'était pas assez guérie pour ça.