Cette forêt, Kayden l’appréciait beaucoup. Ce n’était pas nouveau, ça remontait même à son adolescence. Il avait eu ses premiers rancards dans cet endroit, son premier baiser aussi. Il gardait de très bon moment des après-midis qu’il avait passé ici. Parfois seul, parfois avec des amis ou parfois avec sa sœur. Cet endroit était resté cher à son cœur et ce n’était pas sans raison qu’il s’y dirigeait lors des jours plus difficiles. Aujourd’hui, c’était un jour plus difficile. De ceux où la douleur lui lacérait le ventre. Bien sûr, il ne passait pas un jour sans penser à Calliope. Certains jours, il arrivait à vivre avec sa disparition et d’autres jours, il avait seulement envie de s’asseoir dans un coin et pleurer. Il détestait l’idée de perdre espoir, mais à chaque jour, il sentait qu’elle s’éloignait de lui. Deux ans maintenant. Deux horribles d’années. Il voulait croire qu’elle était encore vivante, il se le répétait en boucle, mais il avait également un mauvais pressentiment. Il ne voulait pas y penser, c’était trop difficile. Il devait laisser l’optimiste le dominer sinon il allait tomber dans un cercle vicieux de souffrance.

Assis au pied d’un arbre, sa main se perdait machinalement dans la fourrure d’Amber. Cette dernière était allongée par terre et elle en profitait pour dormir. Le duo ne dormait pas beaucoup. Ils étaient constamment sur la route. Ils marchaient beaucoup. Parfois, ils s’offraient certaines nuits dans le confort d’une auberge touristique, mais généralement, ils dormaient à la belle étoile. Kayden allongé au sol, sa tête son sac de voyage alors qu’Amber se reposait en boule sur son ventre. Ils avaient développé une belle relation au point où Kay’ se demandait où il en serait sans elle. Aurait-il abandonner ? Peut-être que la solitude l’aurait poussé dans une folie. Il n’osait même pas y penser.

Perdu dans ses pensées, c’est Amber qui le ramena dans cette forêt. Elle avait relevé brusquement la tête et ses oreilles étaient tendues. Elle avait entendu quelque chose et c’était plus qu’un simple Pokémon sauvage. Kayden le sut à sa manière de se redresser et d’avancer vers la provenance du son. Elle était méfiante. Elle qui d’habitude n’hésitait pas à bondir sur chaque Pokémon sauvage qu’elle croisait, là, elle faisait preuve de retenue. Ce qui voulait dire que c’était un humain qu’elle avait entendu. Elle était très méfiante envers les inconnus. Bien vite, elle revint aux côté de son propriétaire pour le pousser vers la provenance du son. Bien sûr. Pour elle, c’était Kayden qui s’occupait des humains, elle, elle le protégeait des Pokémons. L’homme faisait confiance à la petite Amber et il avança jusqu’à distinguer une silhouette. Dans un premier temps, Kay’ fronça les sourcils. Cette voix lui disait quelque chose. « Est-ce que tout va bien ? » demanda-t-il tout en continuant d’avancer jusqu’à s’arrêter brusquement. « Al’…? » Son cœur se mit à battre très fort dans sa poitrine tandis qu’il se voyait revenir plusieurs années en arrière lorsque sa vie avait un sens. Ça faisait combien de temps qu’ils ne s’étaient pas parlés ? Beaucoup trop longtemps. Il y avait une partie qui était de sa faute. Depuis deux ans, Kay’ n’avait contacté personne. Même pas sa sœur. Il ne s’était pas soucié d’inquiéter les gens autour de lui, toutes ses pensées allaient envers Calliope. « Je n’aurais jamais pensé te revoir ici… » Il ne cherchait même pas à cacher la surprise. Chacun connaissait le passé de l’autre et le besoin qu’ils avaient eu de s’éloigner de cette région. C’était presque ironique qu’ils se retrouvent à Lathea.

Les deux hommes avaient un passé sensiblement similaire et ils avaient été contraints de quitter Lathea afin de se préserver. C’est ce qui les avait rapprochés. Alphonse avait réussi à entendre parler de l’histoire de Kayden et il avait pris contact avec Kay’ dès que l’occasion s’était présentée. Méfiant au début, l’homme avait fini par s’ouvrir à l’inconnu et une belle amitié avait débuté. Certes, à distance, mais ça avait été secondaire. Ensuite, les choses s’étaient un peu compliquées et ils s’étaient éloignés. Kay’ avait mis ça sur la faute de la vie. Chacun avait sa femme, Kayden avait sa fille et ils avaient des obligations à gauche et droite. Il était loin de se douter de l’enfer traversé par son ami tout comme Al’ n’avait aucune idée de ce que Kayden avait pu transférer et qu’il traversait encore.

Le quinquagénaire dévia son regard vers les chaussures légèrement sales de son ami de longue date. Un demi-sourire étira ses lèvres avant qu’il observe ses propres chaussures qui ne ressemblaient plus à rien. « On s’habitue à vivre dans la boue. Ce n’est pas si désagréable pour des hommes comme nous en quête de liberté. » Il haussa les épaules. Après tout, même s’il se trouvait à Lathea, il s’y sentait libre. Certes, il n’avait rien de la classe de son ami ayant adopté le look du parfait sans domicile fixe. Les vêtements sales, la barbe longue, les cheveux longs et sales. Bref deux opposés. Ils l’étaient déjà à l’époque, mais ça ne les avait empêché de s’unir. Sauf qu’aujourd’hui, Kayden sentait les choses étaient différentes. Il y avait quelque chose de changé dans le regard et dans l’attitude de son ami. Le brun n’appréciait guère cette froideur, mais surtout, il n’en comprenait pas la cause.

« Il faut croire que le destin nous a conduit ici. Encore. » Il eut un léger rire. Alphonse avait raison. Ça sonnait comme une mauvaise blague qu’ils se recroisent ici. C’était même improbable que ça arrive étant donné la colère que les deux amis avaient envers cette région. Néanmoins Kayden finit par s’approcher de lui afin de lui tendre une main amicale dans l’optique de le saluer officiellement. « Tes chaussures sont déjà fichues. Tu veux en profiter pour te balader dans cette sublime forêt avec moi ? » Après tout, ils avaient du temps à rattraper n’est-ce pas ? Al’ n’espérait quand même pas que Kayden allait reprendre sa route comme s’ils ne s’étaient jamais croisés ? Ça serait mal connaître le soigneur. « D’ailleurs, qu’est-ce que tu fais aussi loin de la ville ? » Son ami détestait la boue, la poussière et la nature. Que faisait-il au beau milieu de cette forêt qui était le contraire des choses qu’il appréciait ?

L’homme fronça les sourcils à la nouvelle réplique de son ami. Il avait changé beaucoup plus qu’il avait pensé dans un premier temps. En soit, il n’avait pas tort et il ne fallait pas oublier ses obligations. Enfin, c’était relatif. Avant de fonder sa famille, ses obligations ne lui convenaient pas. Tout lui était imposé par sa famille et il n’avait jamais été autant heureux de réussir à fuir ce qu’on lui imposait. Ensuite, il avait refait sa vie comme il l’entendait. Il avait pris ses propres décisions. Enfin. « Ne te prends pas trop la tête pour tes chaussures, elles auront une seconde vie. Et c’est mes obligations qui m’ont poussé à revenir ici. Je ne sais pas encore si c’est une bonne chose. » Il haussa les épaules. Il avait peur de ce qui allait découvrir. Il espérait vraiment que sa famille n’avait rien à voir avec toute cette histoire. Il risquait de ne plus répondre de lui-même si c’était le cas.

Kayden put sentir le regard d’Alphonse sur lui. Un regard rempli de jugement. À une autre époque, ça aurait peut-être pu déranger Kayden, mais pas aujourd’hui. Son apparence physique n’avait plus aucune importance. Il avait d’autres priorités que de soigner ses habits ou sa barbe. Al’ pouvait le juger autant qu’il le désirait, ça ne l’affectait pas. Le quinquagénaire chercha plusieurs à savoir ce que son ami faisait aussi long de son habitat naturel. La réponse lui arracha un sourire. « Les Pokémon sont plus fidèles que les voitures à ce que je vois. Je ne sais pas où tu peux capter exactement, mais nous allons bien trouver n’est-ce pas ? » Il n’avait que ça à faire de toute manière Kayden. Ses recherches n’avançaient pas et il ne savait pas quoi faire. Il pouvait bien se permettre de guider son ami à travers cette forêt à la recherche de réseau. Sur ce coup, Kayden ne pouvait pas l’aider. Il ne s’y connait pas énormément en voiture. Il en avait une à Alola, mais il ne l’utilisait presque jamais. Il marchait beaucoup et il préférait se déplacer par ses propres moyens. Il se sentait plus en sécurité. « Je le dis, tu fais tâche dans le décor, mais ça te va bien. » Il rit doucement à son tour. C’était plus facile lorsque l’ambiance était légère. « Viens, le réseau ne va apparaitre par magie. » dit-il en faisant un signe de la tête avant de s’enfoncer dans la forêt vers le sentier où il était. « J’espère pour toi que tu pourras faire réparer ton véhicule avant la tombée de la nuit. Je t’imagine mal dormir à la belle étoile avec nous. » Amber lâcha un petit cri afin d’approuver les paroles de son propriétaire. Eux, ils appréciaient la bonne étoile. Pour Alphonse, il avait un doute. Kay’ lui offrit un sourire taquin. Il poserait peut-être des questions plus tard, mais pour l’instant, il tentait de rendre l’ambiance plus chaleureuse.

C’est avec un haussement de sourcil que le quinquagénaire accueillit la réflexion d’Alphonse. Qu’est-ce qu’il voulait dire exactement ? Il n’avait pas fui sa famille bien des années avant ? Est-ce qu’elle l’avait retrouvé ? Des questions un peu indiscrètes, mais après tout, les deux garçons s’étaient presque tout confiés sur leur famille à l’époque, non ? Kayden pouvait peut-être se le permettre. « Qu’est-ce qui se passe Al’ ? » Tout ceci était très suspect. Au fond, Kay’ espérait qu’Alphonse disait ça comme cela et que sa famille ne l’avait pas retrouvé. Il avait l’impression qu’elle sera sans pitié avec lui si c’était le cas. Kayden avait peut-être posé la question de trop, mais l’inquiétude était bien présente sur son visage. Quelque chose avait changé dans le regard de son ami. Il n’avait pas le même éclat qu’à l’époque de leur rencontre.

Le soigneur écouta Alphonse râler sur le vieux modèle de sa voiture et il ne peut s’empêcher de rire légèrement en secouant la tête de gauche à droite. Au fond, ça ne le surprenait pas et c’est peut-être ce qui rendait la situation un petit peu rigolote. Sauf que le brun préféra ne rien ajouter pour ne pas vexer davantage son ami. Au fond, il avait de la chance d’être tombé sur Kayden, son égo aurait sûrement souffert davantage s’il avait été coincé avec un inconnu. C’était plus facile d’échanger avec une connaissance. Kay’ ne savait pas comment aller se passer le reste de la journée, mais au fond, ça lui faisait du bien de retrouver un vieil ami. Ça faisait combien de temps qu’il était complètement seul avec Amber comme seule amie ? Deux ans. Littéralement deux ans qu’il limitait les échanges par peur de réellement réaliser l’enfer dans lequel il se trouvait.

Tout bonnement, Kayden avait taquiné Alphonse à propos d’une nuit à la belle étoile sans se douter une seule seconde de l’effet négatif que cette phrase anodine pourrait avoir sur ce dernier. Dans un premier temps, l’homme resta surpris lorsqu’Alphonse lui dit qu’il devait retourner à la voiture. Il haussa un sourcil et il s’arrêta d’avancer afin d’observer l’homme qui se trouvait dans un drôle d’état. Le soigneur voulut se reculer d’un pas, mais Alphonse fut plus rapide et l’attrapa par les épaules. Le quinquagénaire planta son regard dans celui presque en panique d’Al’. « Respire, tout va bien aller. Je disais ça pour rigoler. Nous avons largement le temps de trouver une solution. » tenta-t-il pour essayer de calmer son ami. Est-ce qu’il avait réveillé une peur en lui ? Pour lui, c’était tellement anodin de dormir dehors, mais ça semblait être plus compliqué pour son ami amateur de luxe et de haute couture. « Ta voiture va t’attendre. On doit être à quelques kilomètres du réseau. » Peut-être qu’il ne prenait pas la situation autant au sérieux qu’il ne devrait. Pourtant, il était soigneur, mais son expertise se limitait surtout aux Pokémon. Il n’y connait pas grand-chose en troubles mentaux chez les humains. « Sinon, tu peux retourner à ta voiture et m’attendre. Je m’en charge. » dit-il en sortant son propre téléphone. Il pouvait téléphoner lui-même au réparateur si Al’ avait si peur d’abimer ses chaussures et ses vêtements propres. Car oui, Kay’ croyait toujours qu’il craignait pour ses habits.

Kayden soupira profondément à la réponse de son ami et il haussa les épaules. Bien. Il voulait la jouer mystérieux en répondant à côté de la plaque ? Kay’ ne pouvait pas lui en vouloir. L’époque où ils étaient proches était sûrement révolue. Il avait dû se passer beaucoup de choses dans la vie d’Alphonse pour que Kayden ait l’impression d’avoir une deuxième version de l’homme devant lui. Une version avec laquelle il était incertain qu’il aurait pu se lier quelques années plus tôt. Au début, tout lui paraissait simple avec Al’, aujourd’hui, il avait la sensation que les choses se compliquaient et qu’il valait mieux éviter les questions un petit peu plus personnelles. Même s’il était quelqu’un de très curieux, Kayden allait faire son effort. Il valait mieux se concentrer sur le plus important, non ? Soit trouver du réseau pour permettre à Alphonse d’appeler un dépanneur et ainsi lui permettre de reprendre la route. Le soigneur allait l’aider comme n’importe quel inconnu aurait pu le faire. Au fond, c’était un peu ce qu’il était devenu, non ?

Kay’ aurait agi différemment s’il avait pensé qu’une simple phrase aurait suffi à faire paniquer son ami. Enfin… Ça ressemblait tout bonnement à une crise de panique. La forêt et lui n’étaient vraiment pas des bons amis. « Mais aller chercher quoi ? » Il avait froncé les sourcils. Les paroles d’Alphonse manquaient un petit peu de cohérence. C’était déconcertant. Kay’ avait maintenant un doute sur la meilleure manière d’agir avec l’homme. Un peu perdu, le soigneur l’observa mettre du désordre dans sa chevelure comme si son apparence physique n’avait plus d’importance. Sa totale attention était portée sur sa voiture et son besoin d’y retourner. « Respire Al’. Respire. Fais comme moi. » dit-il en inspirant fortement et en expira doucement pour montrer l’exemple. « Calme-toi et nous allons retourner à ta voiture. Je vais t’y conduire. » Sa voix était douce et elle se voulait rassurante. Même s’il ne comprenait pas totalement ce qui se passait et ce que son ami souhaitait, Kayden voulait le calmer avant de lui donner ce qu’il désirait. « Respire doucement… » continua l’homme tout en respirant fortement pour qu’Alphonse puisse se calquer sur sa respiration. Une fois qu’il serait calmé, il serait beaucoup plus simple de dialoguer avec lui. Pour l’aider, le quinquagénaire avait besoin de comprendre ce qui se passait. « Maintenant, dis-moi de quoi tu as besoin et nous allons aller le récupérer. » Il avait toujours ce même ton très doux dans l’optique de mettre son ami en confiance. Ce n’était pas nouveau, il savait qu’il pouvait lui faire confiance. Il lui suffisait seulement de se calmer et d’accepter l’aide de son vieil ami. Ce dernier ne lui souhaitait aucun mal.

Alphonse avait accepté de suivre la respiration du soigneur ce qui semblait avoir son effet sur lui. Certes, il exagérait son souffle, mais ce n’était pas important. Il cherchait à se calmer. Il arrivait encore à comprendre ce que Kayden lui disait. C’était une bonne chose, il était encore possible de calmer sa crise. Kay’ gardait son regard sombre, mais rassurant dans celui de son ami. Le contact visuel était très important et il ne devait surtout pas perdre la concentration d’Alphonse. C’est pour cette raison qu’il enchainait les questions afin de le garder avec lui. Ça semblait avoir son petit succès auprès d’Alphonse qui avait l’air de se calmer et surtout de mieux respirer. Il serait plus simple de discuter avec lui maintenant.

Amicalement, Kay’ avait posé une main sur l’épaule d’Alphonse. C’était encore un moyen de capter son attention et de le garder avec lui plutôt que dans ses pensées sombres. L’homme lui confia alors qu’il avait besoin de cachets et qu’il ne savait même pas s’ils étaient dans sa voiture. Bon… Ça c’était peut-être une mauvaise chose pour le brun qui risquait une nouvelle crise si sa médication était absente. Al’ confia ensuite qu’il ne pouvait pas passer une nuit ici. Kayden fronça les sourcils ne sachant pas exactement ce qui allait se passer pour son ami, mais à nouveau, le soigneur chercha à le rassurer : « Nous avons encore beaucoup de temps avant la tombée de la nuit. Ta voiture pourra être réparée d’ici là. » Il voulait se montrer confiant et il voulait surtout éviter une nouvelle crise de panique de la part d’Alphonse. « Et sache que tu ne seras pas seul. Je resterai avec toi aussi longtemps que nécessaire. » Peu importe ce qui se pouvait se passer dans la tête de son ami, Kayden n’avait pas peur – peut-être que ça allait changer -. Si Al’ avait peur de la nuit, Kayden resterait présent dans l’espoir de calmer les crises à venir. « Viens d’accord ? Nous allons au moins passer cet appel et ensuite, nous irons voir à ta voiture. Est-ce que tu penses pouvoir le faire ? » Si ça le rendait trop nerveux, le duo pourrait faire un détour vers la voiture du brun, mais ils allaient perdre un temps précieux. Il valait mieux téléphoner au dépanneur avant d’aller voir pour les médicaments. Sauf si Alphonse affirmait qu’il en avait besoin dans l’immédiat. Ça allait changer le plan de match. Tout dépendait de lui maintenant et de la capacité à gérer sa crise.