Ça fait un petit moment déjà qu'Ismaël est adossé contre cette colonne, bien caché de la scène sur laquelle résonne le doux son d'une guitare juste assez relevée par quelques percutions. La voix qu'il entend, il l'aurait reconnue entre mille, et il songe un peu distraitement qu'il n'y a vraiment qu'Arella pour savoir ainsi égayer une salle dans une ville aussi triste et morne que celle-ci. Son amie est probablement la meilleure chose qui soit arrivée à Castlerain depuis longtemps.
Le Johtien est arrivé en ville en début d'après-midi, et s'il a tenu avant tout à retourner voir sa famille, ça ne l'a pas empêché de remarquer les affiches placardées ça et là sur les différents panneaux de publicité, annonçant le petit concert d'Arella dans ce bar tout à fait dignement fréquenté - la réputation de la jeune femme n'est plus à prouver, et ce simple constat lui a provoqué une bouffée de fierté. Au moins, quand il a terminé ses difficiles retrouvailles et renoncé à remettre la main sur Isaïah quand la nuit a commencé à tomber, il n'a pas eu de mal à retrouver la seconde raison de son retour au pays.

Sa seule crainte a été d'arriver trop tard pour entendre la fin de la prestation, et il est soulagé de constater que ce n'est pas le cas. D'ailleurs, une autre chanson se prépare, et une idée le pique, soudainement. Glissant un regard furtif vers la scène, Ismaël profite de voir la jeune femme occupée - à faire une petite pause le temps de boire un verre d'eau - pour se faufiler aussi discrètement que possible derrière une autre colonne, plus proche encore de la scène. Là, il dépose l'étui de sa guitare au sol, non sans vérifier à intervalle régulier qu'il n'a pas été repéré, et l'ouvre en vitesse pour accorder l'instrument à temps.
Alors qu'il tend l'oreille pour percevoir le son ténu de la corde qui vibre, les lèvres pincées dans une expression de concentration ô combien ridicule, il croise un regard vif, fixe, rivé droit sur lui. Noodle est parfaitement figé et de toute évidence, il l'a complètement repéré ; alors Isma lâche sa guitare d'une main et approche son index de ses lèvres dans un très lent geste pour implorer le Pokémon de ne pas faire tomber sa surprise à l'eau.
Heureusement, le Snubbull est solidaire, et se contente de tourner la tête vers sa dresseuse lorsque celle-ci revient sur scène. Bien. Vite. L'avantage avec les accordeurs à vibration c'est qu'il n'y a pas besoin de faire trop de bruit pour évaluer la justesse de la note.

Le morceau qui commence est assez rythmé, et Isma le reconnaît aussitôt : c'est un grand classique de la musicienne, qui bat de son pied la pulsation donnée par son fidèle percussionniste. Attendant volontairement que quelques boucles d'accords passent histoire de s'assurer qu'il ne fera pas de connerie en s'invitant dans la chorégraphie, Ismaël passe la sangle de sa guitare sur son épaule et compte consciencieusement les temps avant de bondir littéralement sur scène pour se joindre à son amie. Ses mains, habituées, retrouvent le chemin de ses cordes et il se cale habilement sur la musique, choisissant de jouer le riff qu'il reprenait de temps en temps lorsqu'il accompagnait Arella, encore un an plus tôt. Doubler les accords risquerait de masquer la voix douce de la chanteuse, et il l'a déjà bien assez perturbée en débarquant comme ça, hein ?
Le sourire qui barre le visage du baroudeur est immense, et il se félicite intérieurement d'avoir réussi son coup quand il croise deux grands yeux aussi effarés que ravis. Heureusement que la Nathalienne est une artiste chevronnée, parce qu'une telle intervention aurait eu de quoi faire perdre le fil à quelqu'un de moins expérimenté ; mais Isma lui faisait confiance pour gérer la perturbation, et il constate qu'il ne s'est pas trompé. Plus d'un an a passé depuis qu'ils se sont dit au revoir, mais à l'évidence, le temps et la distance n'ont absolument pas érodé la coordination parfaitement rodée de leur musique ; pas plus que ces messages qu'ils peuvent encore échanger d'un simple regard, au nez et à la barbe de dizaines de personnes. J'suis tellement content de te revoir.

Encore une nuit à battre les cordes de son instrument sous le clair-obscur d’une lumière tamisée. Encore une douce harmonie à libérer de ses cordes vocales bien échauffées : la musicienne murmure son verbe entre poésie et rhapsodie sous l’appréciation d’un public déjà bien exalté. L’admiration que l’on peut lire dans leurs prunelles oblige la gracieuse guitariste à offrir ses plus beaux couplets. Les doigts qui se brisent sur ses frets, Arella se laisse imprégner par ses accords parfaits. Déjà quelques temps que la blonde s’adonne à sa passion entre les murs de la ville de Castlerain. C’est à chaque représentation que la salle se remplie un peu plus, le bouche à oreille laissant dire qu’une talentueuse troubadour s’est récemment arrêtée en ville. Arella peut s’en satisfaire car ce sont maintenant quelques cafés-concerts qui l’invitent à y faire quelques prestations en échange d’un défraiement raisonnable.

Après une courte pause pour apaiser le dessèchement dans sa gorge, la jeune femme redémarre de plus belle dans une intense ritournelle. Si les nuits ont tendance à se ressembler (loin d’en déplaire à notre soliste), Arella n’était pas préparée à l’arrivée presque trop perturbatrice d’une guitare secondaire sur cette scène qu’elle dominait. Ses prunelles étonnées se tournent pour mieux voir l’usurpateur de sa mélodie. Les cavités du coeur qui s’agitent quand l’identité du musicien fièrement dressé est finalement démasquée : la félicité qui s’imprègne dans sa peau et ses doigts lâchent les frets de sa guitare laissant son meilleur ami exécuter les accords de lui-même. Le sourire de la blonde qui emplit désormais l’espace, ses lippes qui chantent avec plus d’ardeur que d'accoutumée les paroles de sa composition. Sa voix qui se dispose en parfaite harmonie aux accords d’Ismaël. Une parfaite osmose sans coïncidence quand ces deux-là se connaissent par coeur, que leurs voix respectives et leurs instruments ont connu plus d’un tête à tête. Le coeur d’Arella qui s’emballe, Ismaël est avec elle ce soir et sa surprise vaut son lot d’émotions.

La mélodie qui se termine et la jeune femme qui trouve un instant les bras d’Ismaël sous les applaudissements du public. Emerveillée par son retour et cette subtile apparition, un murmure déposé dans le creux de son oreille avant que le public ne reprenne son calme : « Encore trois mélodies, s’il te plaît, termine ce concert avec moi.» L’invitation au voyage pour vingt minutes supplémentaires. La musicienne et son partenaire qui reprennent avec la même ferveur. Le concert se termine enfin avec Arella qui récupère la main d’Ismaël pour offrir à leurs admirateurs une révérence méritée. Puis vient enfin la liberté de se retrouver, Arella qui s’accapare encore une fois ses bras pour le serrer contre elle.« Ismaaaaaaaaa !! » L’émotion qui se dévoile sur ses pommettes, des astres qui se dessinent dans ses yeux quand elle le libère de son étreinte pour mieux l’observer : « Mais qu’est-ce que tu fous là ?” bonheur insatiable, le revoir qui semble soudainement effacer le poids de ces quelques derniers mois après son passage chaotique à Nathalia. Ses yeux ne mentent pas : « Tu m’as terriblement manqué…. »