« Bien sûr. On pourrait aller dans la Lande pour qu'elle ait de l'espace. Et après, dans la Forêt pour qu'elle se réhabitue aux arbres. Tu vas voir, ça va bien se passer. » Il avait pensé au lac, Oliver, il n'a encore jamais fait le tour de l'Oeil de Lathea. Après, la proximité de cet endroit avec Lucinel le gêne, et c'est la raison pour laquelle il n'a pas osé s'y rendre depuis son retour ; il sait que le fief des Pokélovers n'est pas très loin, et savoir qu'il va devoir batailler avec tous ces cons le fatigue d'avance. Sans parler du mari, coincé là-bas ; il n'a pas vraiment envie d'être dans les parages quand il se réveillera, après tout. Croisant un regard un peu étrange, il sourit en ramassant sa Pokéball ; en rentrant, il mettra la Nirondelle dans un endroit chaud et silencieux, le temps qu'elle se repose. Son nom, il l'a trouvé il y a déjà une demi-heure, quand bien même n'était-il même pas sûr de la garder. On ne se refait pas, après tout.

« On y retourne ? Je crois qu'on a d'autres Pokémon à sauver dans ce parc. » Il ne remarque pas tout de suite cette drôle de frustration dans les yeux verts de son amant retrouvé, Oliver ; d'un sourire, il le remercie, puis passe la porte pour sortir. Quelle heure est-il ? Une heure ? Deux, trois, quatre heures du matin ? Il n'en sait rien ; ça ne le dérange pas si l'aube se lève avec eux dehors, ses jambes ont presque l'air plus légères, maintenant que le silence les enveloppe de nouveau alors qu'ils empruntent un nouveau chemin dans le parc. Il s'en fout qu'on les remarque, quand son bras s'enroule autour de la taille du chanteur, qu'il s'arrête, le regarde. D'abord, Oliver ne dit rien. Est-ce que c'est vrai, alors, ce qui se passe entre eux ? Est-ce qu'il n'est pas en train de rêver depuis la veille ? C'est quoi, la prochaine étape, que vont-ils devoir encore affronter avant de ne plus avoir rien à craindre ? « Tu m'as pas répondu, tout à l'heure, murmure-t-il finalement, en glissant doucement une main sur sa joue. Tu restes, ce soir ? Et demain matin ? » Il est dans le coma son mari, alors quelle importance qu'il ne soit pas à son chevet, hein ? C'est pas comme si ça comptait, sinon Gaspar ne serait pas là.

« J'ai un pieu très confortable, ronronne-t-il avec un grand sourire, tandis que ses doigts s'égarent sur sa nuque. Et très grand, c'est une offre qu'on peut pas refuser, j'crois bien. » Et s'il avait dans l'idée de le faire, peut-être que le baiser un peu écrasé sur ses lèvres suffira à le convaincre ; il s'en fout ds autres, il s'en fout de tout, parce que si effectivement Gaspar est de retour, alors il n'y a jamais rien eu d'autre qu'eux. C'est la seule chose qui compte, et qui comptera jamais à ses yeux.

Est-ce que j'suis en train de faire une connerie ? Est-ce que je me plante, qu'est-ce qui va me tomber dessus si j'y crois trop fort ? Toute la journée il s'est posée cette question, dans l'attente d'une réponse de Gaspar, il a oscillé entre la peur panique et le bonheur le plus total au simple rappel que ses mains s'étaient enfin reposées sur sa peau après de longues années à l'attendre, sans jamais l'espérer pour autant. Il va falloir que ça lui passe pourtant, cette drôle d'impression de replonger dans le passé à chaque fois qu'il pose un doigt sur le grain de sa peau, qu'il caresse ses cheveux blonds ou qu'il ferme les yeux à l'aube d'un baiser traduisant un peu trop fort le manque qui l'a étreint pendant douze ans. Douze putains d'années, il aurait pu s'en passer des choses, pour lui, il aurait pu se caser, trouver un autre mec, un gars gentil, posé, quelqu'un qui lui aurait offert un avenir. Cet arbre des possibles avait mille et unes branches sur lesquelles il aurait pu grimper et il a essayé, Oliver, à s'en démolir les mains à force de s'égratigner sur de l'écorce empoisonnée par la présence du chanteur dans son esprit démoli par la solitude et son handicap. Finalement, il a fini par rester au pied du tronc, tout espoir perdu, parce que c'était bien plus facile.

Ou peut-être parce qu'une étrange destinée l'attendait ici, à Lathea, peut-être que s'il n'était jamais parti il aurait pu rattraper les choses plus tôt. Il n'en sait rien, et contre cette bouche qui appelle un baiser aussitôt que le premier fait mine de s'arrêter, il n'a pas envie de se poser ces questions-là, celles qui l'ont hanté pendant beaucoup trop de temps. Toutes ses relations se sont mal terminées, que ce fut à cause de Mallo ou de lui, et regretter maintenant, ce serait sûrement la pire chose à faire. Parce qu'il est là, parce que tout va bien, parce qu'il a l'impression d'avoir quinze ans de nouveau quand il recule pour lui sourire, que ses grands yeux clairs brillent et qu'il trouve cette lueur bien plus belle et bien plus chaleureuse que tous les feux du monde. Rentre à la maison avec moi. « Si y a une petite place pour moi chez toi, alors bien sûr, lui répond enfin le chanteur, et ça lui arrache sûrement un sourire un peu con à Oliver, mais peu importe ; quand on est amoureux, on est sûrement plus débile que jamais. Enfin, si ça t'ennuie pas, je voudrais surtout pas déranger. »

Il aurait pu protester, mais une main qui s'infiltre sous le coton de son t-shirt le fait sursauter ; froncer les sourcils ensuite, parce que ce n'est pas parce qu'il a une jambe en moins qu'il ne va pas se venger, et il va le lui montrer tout de s...

Ou pas. Il s'arrête, Gaspar, s'immobilise quand un petit cri résonne à leurs pieds et qu'en baissant la tête, le batteur aperçoit la petite bouille adorable d'un Héricendre, dans le noir, accroché à la jambe de son amant. Décidément, c'est la soirée, hein ? « Bah... bah alors toi... t'as faim ? » On dirait bien, oui ; en tout cas, c'était la poche dans laquelle Gaspar plonge sa main qu'il voulait trouver son bonheur, le petit Pokémon qui piaule en voyant quelques biscuits au creux de la paume du chanteur. Gaspar se penche, et il hausse les sourcils, Oliver, étonné de voir le Pokémon se précipiter dessus pour les dévorer, comme s'il n'avait rien mangé depuis des jours. Pourtant, les gens s'occupent des habitants du parc, non ? Les Pokélovers y mettent un point d'honneur, ou en tout cas c'est ce qu'on lui a toujours dit. Et d'ailleurs, il n'a pas du tout l'air d'avoir fini. « Mais... il meurt de faim, ma parole. Qu'est-ce qu'il fait là tout seul, s'il ne sait pas se nourrir lui-même ?
– C'est bizarre, répond Oliver, un peu circonspect. Les Pokémon sauvages du parc manquent pas de bouffe en général, ils sont habitués aux gens et aux Pokélovers... » mais si celui là est venu les voir de nuit, il est peut-être trop timide ? Il n'en sait rien.

En tout cas il est mignon, c'est sûr. Un peu comme tous les Héricendre. « T'as pas l'impression qu'il est plus clair ? » Ils ont un peu de mal à voir dans la nuit mais son dos, il n'a pas du tout l'air noir. Quel genre de chance c'est, cette fois ? « Tu devrais essayer de le prendre avec toi. S'il meurt de faim maintenant c'est qu'il ne doit pas s'entendre avec les Pokémon du parc, au moins le temps qu'il se requinque... » Un peu comme il vient de faire avec Tempête, en somme ? « Et puis bon, on regardera à la maison mais s'il est vraiment chromatique comme j'ai l'impression... »

C'est dingue de tomber sur autant de Pokémon chromatiques, bon sang. Est-ce qu'ils se portent chance, ou bien ce pauvre petit s'est perdu et appartenait à quelqu'un ? Oliver n'en sait rien, et ce n'est ni la priorité, ni le plus important, au final. La seule chose qui compte vraiment tout de suite, c'est de le secourir, ce pauvre petit ; il est vraiment trop maigre pour son espèce, il y a forcément eu un problème. Doucement, il se penche pour l'observer ; le Pokémon, recroquevillé sur lui-même, est en train de dévorer les friandises qu'il attrape avec ses petites pattes, jusqu'à en enfourner plusieurs dans sa gueule à la fois. Ses joues sont toutes gonflées, et Oliver aurait sans doute trouvé ça adorable si ce n'était tout de même pas un peu triste, à la réflexion.

« Hm, peut-être, mais... y a quelqu'un ?! » Surpris, Oliver relève la tête ; il n'a pas entendu de bruit suspect venu du parc, alors il appelle qui exactement, son chanteur ? Gaspar regarde ailleurs, droit vers les arbres que la nuit assombrit, comme s'il s'attendait à une réponse. Mais non : ils sont seuls. Il est très tard, et même les derniers fêtards ont dû déserter les lieux. Il n'y a personne, seulement eux et ce Pokémon tout seul, qui n'a pas vraiment l'air de vouloir les laisser repartir sans lui. « Eho, y a un Héricendre-peut-être-chromatique ici, est-ce qu'il est à quelqu'un ? » Est-ce qu'il s'attend vraiment à ce que quelqu'un se mette à gueuler à l'autre bout du parc quelque chose comme ouais moi, tu peux me l'apporter steuplait ? Même si le Héricendre avait eu un dresseur, il n'est pas là, ce Pokémon est trop maigre. Ou alors il est maltraité, alors mieux vaut ne pas appeler son propriétaire. Il hausse un sourcil en observant le chanteur qui croise son regard ; et prend presque aussitôt la mouche, forcément.

« Bah quoi ? Figure-toi qu'on m'a déjà accusé de vouloir voler un Pokémon alors maintenant, j'suis prudent, c'est tout... » Tiens donc. Cette fois, il sourit peut-être un peu le batteur, en dévisageant le dresseur. « Toi, voler un Pokémon ? Qui t'a accusé d'un truc pareil ? Faut être vraiment con, hm ? » En même temps, que pouvait-il penser d'autre ? Il est arrivé pile au moment où Gaspar, couvert de boue, balançait une Pokéball sur sa pauvre Choupette totalement terrorisée. « D'un autre côté, tu t'es absolument pas demandé ce qu'un Mucuscule foutait dans la Lande, ça t'a pas effleuré de te dire que c'était absolument pas son milieu naturel ? » Si tant est qu'il s'y connaisse un peu, en fait. Gaspar veut devenir dresseur mais pour ça, il faudrait vraiment qu'il revoie certaines bases. Quelque chose lui dit que dans le cas contraire, il court droit à la catastrophe. « Les Mucuscule vivent dans des lieux toxiques, sweety. Tu vas pas t'attendre à voir un Smogo à la plage, si ? Bah là c'était pareil, couillon. »

Est-ce qu'il est en train de grommeler, son amant ? Quoi, c'est pas vrai peut-être ? La Lande, c'est un endroit rempli de Pokémon insectes, plante, normaux aussi mais certainement pas de types comme celui de Choupette ; n'importe quel débile sait ça. Ce n'est pas très grave, et heureusement d'ailleurs qu'Oliver aime ce mec pour autre chose que son intelligence ; parce que dans le cas contraire, ce serait clairement se poser des questions sur son propre état à lui. L'immaturité de sa réaction lui arrache un sourire, et il passe une main sur son bras, tranquille ; qu'il boude s'il veut, du moment qu'il rentre avec lui, c'est tout ce qu'il demande, au final. De toute manière, son attention est très vite détournée par le pauvre Héricendre, à qui il tend gentiment une Pokéball.
Sauf que le Pokémon n'a pas l'air très enjoué par l'idée. « Bah... qu'est-ce qu'il y a ? Tu sais, j'ai à manger... et à foison ! J'vais bien m'occuper de toi, c'est promis. Et t'auras plein de copains ! Hein Yucca ? »

Elle a l'air d'avoir un sacré caractère de chiottes, la petite Germignon. Elle n'a pas du tout l'air enjouée à l'idée d'avoir un nouveau copain, comme si l'affection de Gaspar devait lui être exclusive ; il aurait dû s'en douter, son chanteur, au vu du mal qu'il s'est donné à l'attraper. Celle-là, c'est une vraie princesse. Une princesse qui réclame de façon totalement autoritaire l'affection de son dresseur, dont le sourire attendri en arrache un au spectateur. Ils sont trop mignons. Il sera un bon dresseur, même s'il a un peu de mal avec certains concepts élémentaires. « Tu vois ? Tu peux me faire confiance, ça va aller. » Eh ben voilà, il ne manquait plus que cette impulsion là ; d'un petit coup de nez, le Héricendre se décide, et se laisse gentiment capturer. L'appel de la bouffe a sûrement joué un grand rôle, mais il est content, Oliver, quand il regarde les yeux brillants d'un Gaspar tout content. En tout cas jusqu'à ce qu'une bonne claque végétale le réveille.

Après une protestation peut-être un peu faible, Oliver se redresse, aidé sans rien dire par un Gaspar consciencieux, souriant, adorable. C'est son mec, hein ? Ouais, c'est son mec. Qu'il aille se faire foutre, le défenseur des opprimés à deux pokédollars, là. « On va peut-être y aller, t'en dis quoi ? Sauf si tu veux continuer à te promener au clair de lune, mais... tu m'as teasé avec ton lit immense et il se trouve que je suis très curieux de voir ça de mes propres yeux. » Oh, c'est une proposition plus que tentante, ça ; et quand sa main se referme affectueusement dans celle de son amant, le doute n'est plus permis. Ce sourire-là, il aimerait le voir chaque matin, et peu importe l'endroit où ils se trouveront, tous les deux. « On va se dépêcher, alors. T'as du bol, j'habite juste à côté. » Et demain matin, il sait qu'il le gardera un peu dans son lit ; à défaut de le garder dans sa vie tant qu'un autre la lui vole, hein ?