Question sans doute un peu idiote que de demander à l’une des plus grandes stars de la région si sa tournée musicale a attiré du monde. Heathcliff comprend le manque de pertinence de son interrogation quand Gaspar lui annonce simplement que ça s’est bien passé. Il n’a pas l’air plus enjoué que ça par les recettes engendrées par ses concerts mais Heathcliff décide de ne pas creuser. Si le chanteur ne veut rien lui dire de plus à ce sujet, il n’a pas à insister. A la place, il essaye maladroitement de lui donner des “conseils” sur sa vie qui est visiblement chamboulée, ces derniers temps. Il sait pas concrètement de quoi il retourne mais il a au moins une vision d’ensemble ; ce qui lui permet d’avoir une vague idée des problèmes auxquels Gaspar doit faire face. Mais ce qui inquiète le Pendragon n’est pas tant la vie personnelle de la star que le bonheur des deux Salamèche. Malgré tout, il distribue ses petites idées comme il le peut, sans trop savoir dans quoi il met réellement les pieds. Et finalement, il se sent idiot quand Gaspar lui explique qu’il l’a fait, qu’il s’est excusé. Pour le médium qu’il est, c’est un peu un comble de ne pas avoir prévu ça. « Dans ce cas, tu as fait ce qu’il fallait. Tu as fait le premier pas, il ne tient qu’à cette personne de faire le deuxième. Je ne sais pas ce que tu as fait et je m’en fiche, tu as fait ce que tu pouvais. », Heathcliff a envie d’ajouter que si ce quelqu’un ne lui pardonne pas, alors c’est un crétin mais par respect - et sans doute un peu par ignorance -, il s’abstient. « Tu viens de le dire : ça ne dépend plus de toi. Tu ne peux qu’attendre en essayant de te changer les idées. », il est rassuré, pour les Salamèche et il le sera également pour le chanteur pour peu que ça s’arrange pour lui aussi. Le fait est qu’il n’avait rien à perdre en lui laissant son numéro.

Le sujet visiblement définitivement clos, les deux hommes profitent un peu plus de la balade le long de la berge. Heathcliff aperçoit quelques Pokémon passer sans jamais s’arrêter sur l’un d’entre eux. Et là, c’est la douche froide. Glaciale, même. Si le visage du Pendragon était serein jusque-là, il suffit d’un seul prénom pour qu’il se décompose. Il aurait dû s’attendre à ce que Gaspar lui pose une telle question ; après tout, c’est grâce à elle s’ils se sont rencontrés. Pourtant, au plus profond de son être, il avait cet infime espoir que ça n’arrive pas. Trop tard. Il sent ses muscles se contracter, ses mains qui commencent à légèrement trembler. Ce prénom prononcé à haute voix le ramène à cette réalité, celle où il a finalement tout perdu, de manière irréversible. Il se triture les lèvres, Heathcliff ; extrêmement nerveux et mal à l’aise face à une rockstar qui doit attendre des réponses à ses questions. Il aimerait fuir, loin et se terrer dans un trou pendant très longtemps. « Je… On peut dire ça, oui... », en un sens, c’est juste. Si elle était encore là, s’il pouvait encore l’avoir à ses côtés, il n’aurait pas eu l’idée de fuir les siens pour s’installer à Lathea. Il serait resté à Johto, avec elle. Là-bas, ils auraient pu avoir la belle vie, ils auraient fondé une famille et, il le sait, ça aurait été merveilleux. Il sent ses yeux s’humidifier avant de les essuyer rapidement du revers de la main. Deux ans, ça fait plus de deux ans et c’est toujours particulièrement douloureux. « Elle… Elle est partie. Je veux dire… Partie. Là d’où on ne revient pas... », elle est décédée et c’est ma putain de faute, a-t-il envie de balancer mais les mots ne passent pas ; ils restent bloqués dans sa gorge alors que ses dents sert ses lèvres presque jusqu’à les mettre à sang.

Il aime bien la rockstar, Heathcliff. Au-delà de sa célébrité, au-delà de la grande star qu’il est dans cette région, il l’apprécie pour ce qu’il est. Pourtant, ce n’était pas nécessairement une évidence lorsqu’ils se sont rencontrés. Mais aujourd’hui, le Pendragon peut l’affirmer : c’est son ami. Alors évidemment, il refuse de le condamner et de le penser fautif. Quand bien même il a fait des erreurs, il n’était pas seul dans cette histoire. Heath’ a conscience de ne probablement pas tout savoir mais il estime que dans tous les cas, ça ne peut pas être uniquement la faute de l’homme qui marche à ses côtés. Relativement satisfait lorsque Gaspar accepte plus ou moins de le croire, Heathcliff lui adresse un sourire triste et compatissant. Il espère que ça va aller mieux pour le blond mais en attendant, il a raison : ça ne sert à rien d’y penser. D’accord avec cette idée, le Pendragon hoche la tête sans rien ajouter. Ce sujet est clos et ça ne va rien apporter de plus de le ressasser pendant des heures ; à part s’il veut voir cet air triste sur le visage du chanteur et ce n’est pas du tout l’objectif.

Il faut croire que le temps des confessions difficiles est arrivé, un peu malgré eux cela dit. Heathcliff n’en veut pas du tout à Gaspar pour avoir abordé le sujet. Il ne savait pas ; il ne pouvait pas savoir ce qui s’est passé ce jour-là parce que le Johtien n’en parle jamais. C’est encore extrêmement compliqué pour lui de seulement évoquer ce sujet. Le temps passe mais ça reste trop fort, trop douloureux. Chaque fois, il y a ce noeud qui tord son ventre et qui lui inflige un mal sans pareil. Il n’arrive pas à s’en défaire, il n’en fait peut-être pas non plus l’effort. Siam, c’était l’amour de sa vie. La femme qu’il chérissait de tout son être. Jamais il n’avait réellement envisagé de la perdre et surtout pas de cette façon. Pourtant, ils le savaient tous les deux. Flic, c’est un métier à risque ; il y a toujours cette possibilité qu’une intervention se termine dans un drame. Mais on ne veut pas y croire : on se dit qu’on est à l’abri, que ces trucs-là, ça n’arrive qu’aux autres. On se sent loin de ces dangers. Mais la vérité, c’est que non, ça n’arrive pas qu’aux autres. Heathcliff l’a appris à ses dépens. « Une mission qui a mal tourné. », dit-il en grimaçant, s’arrêtant au même moment que Gaspar ; les yeux lamentablement rivés sur l’herbe. Ce n’est pas toute la vérité mais ce n’est pas non plus un mensonge. Il ne précise juste pas les circonstances de cette fameuse mission. Inconsciemment sans doute, Heathcliff porte un doigt à son annulaire gauche, puis un deuxième. Il triture son alliance, preuve d’un mariage qu’il n’a jamais oublié, ni regretté. Preuve également de ce profond désarroi qui habite encore son cœur. Il est nerveux, le Pendragon ; pire que ça, il est triste et il ne sait pas quoi dire de plus à Gaspar. Y a-t-il au moins quelque chose à ajouter ?

Le changement d’état d’Heathcliff est radical, flagrant même. Il a suffi d’une seule question pour qu’il se retrouve dans un état mélangeant la tristesse et une profonde mélancolie. Ses souvenirs repassent en boucle dans son esprit alors que ses pieds passent continuellement l’un devant l’autre par automatisme. Il savait que ce genre de situation risquait de lui tomber dessus seulement, il espérait avoir encore un peu plus de temps devant lui. Le Pendragon n’en veut pas à Gaspar qui ne pouvait pas être au courant de cet événement. Alors Heath lui fournit quelques explications, volontairement vagues. Il n’a aucune envie d’entrer dans les détails, de ressasser cet enchaînement de jour ayant mené à ce drame. Certes, laisser Gaspar dans le flou n’est peut-être pas une solution mais il ne se sent tout simplement pas encore prêt. Un peu comme s’il avait encore du mal à accepter que ça se soit réellement passé. Il le sait, pourtant, qu’elle ne reviendra pas. Et si cette pensée l’emmène à se mordre la lèvre inférieure, ça ne l’empêche pas d’avoir peut-être un jour cet espoir qu’elle lui envoie un signe, d’une manière ou d’une autre. Pour le coup, l’air de son ami ne l’aide pas à être plus positif.

Le Pendragon sourit tristement et hausse doucement les épaules aux paroles du chanteur. Sa sollicitude le touche sincèrement, tout comme le compliment qu’il adresse à Siam ; même si ça, il le sait, Heathcliff. Oh oui, il est particulièrement bien placé pour savoir à quel point elle était une femme merveilleuse. Pas seulement dans leur mariage. Il sait comment elle fonctionnait à l’extérieur, dans son métier. Une guerrière, une battante rigoureuse et Heath n’a jamais cessé de l’admirer pour toutes ses qualités. Elle avait des défauts, comme tout le monde mais même eux, le scientifique avait appris à les accepter et surtout, à les aimer. Ils faisaient parties d’elle, de ce qu’elle était dans sa globalité. Et c’était comme ça qu’il l’aimait : entière, sans faux semblants. C’est pour toutes ces raisons qu’il avait choisi Siam pour être celle qui partagerait sa vie à jamais. Du moins, le croyait-il. Ses sourcils se lèvent légèrement lorsqu’il voit la tête de Gaspar qui ouvre un peu ses bras en posant doucement une question surprenante. Si Heathcliff reste bloqué pendant plusieurs secondes, il finit par s’approcher lentement de son ami avant de venir passer ses bras dans le dos de Gaspar, l’enlaçant dans une étreinte amicale. Il n’a pas l’habitude de ces gestes-là, le Pendragon, mais cette fois-ci, il sent que ça peut lui faire du bien. Les secondes passent et le médium ferment un peu les yeux en les sentant s’humidifier. « Merci, Gaspar. Les gens devraient avoir plus d’amis comme toi dans leur entourage. », dit-il simplement en lâchant le blond et en se repositionnant face à lui.

Le contact bienveillant de Gaspar réchauffe quelque peu le cœur d’Heathcliff et parvient à atténuer cette douleur lancinante qui s’est rappelée à lui quelques secondes plus tôt. Dans d’autres circonstances, il n’aurait jamais accepté de faire ce geste mais force est de constater qu’aujourd’hui, il en a besoin. Sa douleur, il ne l’évoque jamais, à personne et s’il estime que son deuil est terminé depuis un certain temps, il continue d’avoir mal. Il continue de subir ce manque atroce qui lui serre violemment la poitrine quand il n’arrive pas à occuper ses pensées avec autre chose. Il se flagelle mentalement quand il repense à l’impardonnable manque de courage dont il a fait preuve ce jour-là, face à elle, avec cette arme dans la main. Il aurait dû tirer mais pas sur elle. Sur eux. Quitte à ne jamais se relever par la suite, le Pendragon n’aurait eu aucun regret et surtout, il n’aurait pas eu à vivre avec ça sur la conscience. Et il pleure, la tête sur l’épaule de Gaspar, serrant fort ce soutien pour ne pas qu’il lui échappe. Les larmes coulent le long de ses joues ; s’échouent parfois sur le sol, parfois sur le t-shirt du blond. Et il le remercie, simplement parce qu’il est là. « C’est pas n’importe quoi, je le pense vraiment. », dit-il doucement en sentant les mains de Gaspar agripper ses vêtements. « Comment tu voulais savoir ? T’as rien fait de mal. », il y pense tous les soirs avant de dormir, il se répète que c’est un crétin qui n’a pas su faire preuve d’autre chose que de lâcheté. La journée, ça se calme dans sa tête parce qu’il voit des gens, il leur parle, il travaille et ça occupe ses pensées. Mais le soir, quand les lumières sont éteintes, que le silence est là et qu’il se retrouve seul avec lui-même, il cogite ; énormément. Gaspar ne lui a rien rappelé du tout, il a simplement mis Heathcliff face à sa propre réalité en pleine journée. Est-ce que le scientifique lui en veut pour ça ? Non, aucunement.

Heathcliff amorce un geste pour se séparer de l’étreinte de son ami, commence à ajouter quelques mots mais le chanteur le retient ; lui coupant la parole au passage. « D’accord. », laisse-t-il sobrement. Son ami a de la peine et Heath’ comprend qu’il pleure à son timbre de voix, à ses épaules qui tressautent et à la fébrilité qu’il dégage. Par respect, il lui accorde ce moment pour qu’il se calme ; le médium en profite pour tenter également de faire cesser les larmes qui coulent continuellement sur son visage. Gaspar le lâche et les deux hommes reculent un peu et se font de nouveau face, les yeux embués de larmes avant de l’essuyer. Heathcliff regarde son ami sans porter le moindre jugement. Lui aussi, il a le droit d’être triste. Siam était son ami, quand bien même ils ne partageaient pas leur vie. « Oui, je le sais. Ça me touche beaucoup et je ne te remercierai jamais assez pour ça. », il sourit tristement. Les paroles de l’artiste sont un véritable baume au cœur et s’il n’a pas l’intention d’abuser de la gentillesse de son ami, il note l’insistance avec laquelle il a prononcé ces mots et proposé son aide. « Peut-être qu’on pourrait... Si tu as le temps et si tu veux bien, aller manger tous les deux, un soir. », comme au bon vieux temps, comme ils le faisaient lorsqu’ils étaient trois.

Certains verraient le comportement de Gaspar comme irrespectueux ou inapproprié. Ce n’est pas le cas d’Heathcliff qui n’est bien évidemment pas le seul à pleurer cette perte. Dans ces moments-là, il n’y a pas de petits chagrins ; juste des âmes qui souffrent et il n’a pas à porter un jugement sur la légitimité des larmes versées. Le Pendragon aurait sans doute eu plus de mal si Gaspar avait été une armoire à glace insensible mais fort heureusement, ce n’est pas le cas. Et il voit bien Heath, il voit bien qu le blond fait ce qu’il peut pour montrer qu’il est là. Et ses efforts, bien que quelque peu maladroits, font sourire le scientifique qui décide qu’une soirée entre amis peut leur faire du bien, à l’un comme à l’autre. « Si tu es disponible ce soir, je le suis également. », répond-il après la tirade du chanteur. Il note l’empressement avec lequel Gaspar fait toutes ses propositions et il se retient de rire, peu désireux de passer pour un malpoli alors qu’il voit bien que son ami fait tout pour être le plus serviable possible et d’ailleurs, ça le touche. Oui, ça n’a l’air de rien mais ces petites attentions sont importantes pour Heathcliff. « Tu me laisses l’embarras du choix ! », au point qu’il doive faire un effort de mémoire pour se rappeler de toutes les idées qui viennent d’être mentionnées. « Tout est si alléchant dans ce que tu proposes. Cela dit, j’ai plutôt envie de sortir, je t’avoue. Pourquoi ne pas aller savourer ces spécialités de Kalos dont tu vantes si bien les mérites ? », les spécialités de Johto, il les connaît et il est parfaitement capable de les reproduire chez lui lorsqu’il en a envie. Celles de Kalos en revanche, c’est une autre histoire ; il ne les connaît pas et c’est l’occasion de proposer des nouvelles saveurs gustatives à ses papilles. Sans parler du cadre et de la qualité de la cuisine qui valent plus que la peine d’après les mots de Gaspar. Il n’en faut pas plus pour attiser la curiosité du Pendragon. « Si on se fait ça ce soir, il faut que je rentre chez moi maintenant pour prendre quelques dispositions. On se dit 20h, ça te va ? », le temps de prendre une douche, de se changer et de prévenir Laurine qu’il la laisse pour la soirée et c’est parti.