L'annuaire des éleveurs a au moins cela d'intéressant qu'il permet de se faire une idée sur le type précis de pensions et d'élevages qu'on peut trouver dans la région. Si le Système n'a pas vraiment bon sur toute la ligne, Eva doit au moins lui reconnaître son efficacité quant aux informations qu'on peut trouver sur internet ; Motismart dans la main, clope dans l'autre, la jeune femme aux cheveux écarlates claque la portière de sa voiture, direction le lieu où elle espère trouver facilement la bonne réponse. Ses yeux d'émeraude, froids, se posent avec circonspection sur l'endroit qu'elle visite aujourd'hui. Il est devenu plus ou moins habituel que l'Esperanza décide de rendre visite aux collègues de Jaeden, bien décidée à recueillir tout ce qu'elle peut comme indications avant de se lancer ; pour le premier projet de sa vie, il faut être prêt, et c'est exactement ce qu'elle compte être quand elle franchit l'enceinte de la pension de Leila Starr.

A l'intérieur, c'est sans surprise. Il y a des photographies de la grande pièce qu'est la pension de la jeune femme, et Eva reconnait sans mal les trois rings d'un côté, l'équipement et les sacs de frappe de l'autre. Il fait horriblement chaud à Thiapolis, et Eva suppose qu'ici, les Pokémon ne risquent pas le claquage ; son regard parcourt lentement l'endroit, cherche la silhouette brune de celle qu'elle vient voir aujourd'hui. Elle ne vient ni pour déposer un Pokémon ni pour demander le moindre renseignement ce coup-ci; c'est beaucoup plus primaire, en fait. Et beaucoup plus urgent. Sa silhouette fine se coule entre deux sacs, elle observe les quelques Pokémon déjà déposés dans la pension avant de s'intéresser de plus près à un Laporeille, qui semble ne pas avoir grand chose à foutre là. Alors quoi, cette chose est supposée foutre une claque à un Mackogneur ? Elle a de l'espoir, au moins, la nana qui gère cet endroit.

Son bras soutenant le frêle petit corps de son Toxizap bouge, aidant le Pokémon accroché à son cou à raffermir sa prise en douceur. Aconit a le nez caché dans son épaule, intimidé, comme à chaque fois qu'elle l'emmène quelque part. En silence, Eva cherche la propriétaire des lieux et finit par la trouver un peu plus loin, au fond de la pièce. Brune, le visage taillé à la serpe. Moche, objectivement, mais ce n'était pas tout à fait comme si ce genre de jugement à l'emporte-pièce allait avoir la moindre influence sur la raison de sa visite. « C'est toi, Leila ? » Lance-t-elle, la voix rendue rauque par le demi-paquet de cigarettes qu'elle a fumé entre Castlerain et Thiapolis. Oui, c'est bien elle, c'était une question rhétorique, à vrai dire. « J'viens pas pour entraîner un Pokémon, en fait, enchaîne-t-elle rapidement avant que Leila lui demande si la crevette dans ses bras était là pour passer un petit séjour ici. » D'un geste du menton, elle désigne le ring, les sacs, les équipements. « J'voulais savoir si t'entraînais les humains, aussi. »

La journée a été fructueuse. Du moins sur le plan personnel. A ma décharge c'est souvent le cas. L'entrainement du matin me file toujours une pèche d'enfer. Malheureusement, je redescends rapidement de mon petit nuage en apercevant la salle quasiment vide. Les affaires ne décollent pas. Et pourtant j'ai fait pas mal de publicité. J'ai bien quelques clients qui m'ont confié leur Pokémon mais c'est à peine suffisant pour que je rentre dans mes frais. Après tout, j'ai une dette à rembourser tous les mois.

"Ronda, timeout !"

Je hurle à mon compagnon, véritable âme sœur qui m'a permis de relever la tête alors que j'étais en perdition. J'ai possiblement abusé sur son entraînement à l'origine mais elle ne cesse d'en vouloir toujours plus. Elle est littéralement faite pour le combat et c'est le Pokémon le plus fort de la salle de sport. Et de loin. Je l'ai vu mettre des roustes monumentales à des Pokémon bien plus grands et puissants. Elle cache bien son jeu. Même si on y regardant de plus près, son regard sadique et la définition de son petit corps livrent un tout autre témoignage.

La clochette placée sur la porte d'entrée de la salle se met à sonner. Je tourne immédiatement mon attention dans cette direction.

Alors qu'une jeune femme confiante s'avance, je m'empare d'une serviette et vient épousseter mon corps en nage. Je plonge mon regard d'acier dans le sien avant de la reluquer de bas en haut. Pas de mollets. Cuisses flasques. Petit ventre. Biceps inexistants. Look de faible femme. De beaux yeux. Ouais pas vraiment mon client type habituel. Je n'entraine pas n'importe quel Pokémon et encore moins n'importe quel humain. J'attends qu'elle termine son petit speech et me dise ce qu'elle fiche ici.

"Mouaisss. C'est possssible."

La circonspection pare mon visage. Je n'ai pas l'air convaincue et je cherche pas à le cacher. Je fais le tour de la jeune femme, laissant mes doigts effleurer ses épaules, évitant soigneusement son Toxizap. Je me reposte éventuellement devant elle. Avant tout, je dois savoir de quel bois cette jolie poupée de la grande ville est faite et je ne connais pas des tonnes de façons de procéder. Je lui offre un beau sourire commercial avant de lui décocher une belle baffe.

Le genre qui fait mal.

C'est extrêmement cavalier, cette façon d'exiger presque de cette inconnue qu'elle lui apprenne à se battre ; et pourquoi faire en plus ? Eva n'a pas l'intention de s'enfoncer dans les bas quartiers pour aller castagner la moitié de Lathea, mais elle le sent, le feu gronder dans ses veines, l'étrange violence silencieuse qui explosait quand Jim était encore là et que les objets faisaient des vols planés à travers les pièces ; c'est comme si tout son corps était agité en permanence, et elle a besoin d'évacuer toute cette énergie si elle veut avoir une vie un peu plus saine que celle qu'elle connait en ce moment. Silencieuse, ses yeux froids observent la maîtresse des lieux qui stoppe son entraînement pour la dévisager. Eva n'a jamais beaucoup aimé ce type là de femmes, un peu trop sûres d'elles, avec l'air de belles connasses prétentieuses. Mais si elle en a dans le ventre, ce qu'elle pense d'elle ne doit pas avoir la moindre espèce d'importance. Elle n'est pas là pour se faire une copine, mais pour apprendre au moins autant à se défendre qu'à passer ses nerfs sur des sacs de sable.

« Mouaisss. C'est possssible. » La femme affiche une moue dubitative en la regardant de bas en haut avant de faire le tour, comme un fauve à l'affut ; elle ne bouge pas Eva, raide, et parfaitement consciente de son manque évident de muscles et de connaissances en la matière là où les bras de cette femme font clairement deux fois les siens. Elle passe sur le côté puis derrière elle, et il lui semble que le regard qu'elle lui jette va jusqu'à puiser sous sa peau pour aviser ses éventuels muscles en sommeil ; enfin, elle revient devant elle. Dans ses bras, Aconit semble nerveux et Eva n'y fait pas attention. Elle aurait dû.
Parce que le coup qui la cueille en pleine gueule, elle ne l'a clairement pas vu venir. Choquée au moins autant que mise instantanément en colère par la gifle qui lui claque la joue et l'oblige à reculer d'un pas en arrière sous l'impact, Eva écarquille les yeux en manquant bien de lâcher son Toxizap dans l'affaire. Son visage, dont la joue prend doucement une teinte bien rouge, est soudainement révulsé par la colère ; de quel droit fait-elle ça cette connasse, pour la tester ? Oui, à l'évidence. Son regard la provoque alors qu'elle recule pour monter une garde qu'Eva devine impénétrable et solide. Alors, deux options s'offrent à elle ; gueuler et passer pour la dernière des connes, ou tenter de lui rendre la monnaie de sa pièce et passer... pour la dernière des connes.

C'est pourtant la seconde qu'elle choisit ; après tout, elle est bien là pour apprendre à se battre, non ? Furieuse mais silencieuse, Eva repose sagement Aconit qui s'éloigne en trottinant, sentant la rage de sa dresseuse ; rage que son inexpérience rend presque ridicule alors qu'elle s'avance vers Leila. « En général, on prévient avant de matraquer la gueule de quelqu'un qui a besoin de tes services, non ? » feule-t-elle avant de se jeter en avant ; et le coup de poing, maigrichon, faiblard, est esquivé d'un simple mouvement de la tête. Un peu comme la gifle qu'elle tente de lui mettre ensuite, puis le coup de pied et quand un second coup la fout par terre, Eva masse sa mâchoire endolorie par ce qui était concrètement un bon pain dans la gueule, avant de se relever. Tant pis si elle se fait défoncer, quand elle se précipite sur elle de nouveau, c'est pour lui faire la peau ; il faudra l'assommer pour l'arrêter, puisque c'est comme ça.

Je dois avouer qu'en dépit de mon expérience, il m'arrive de me tromper sur les gens et surtout mes premières impressions. Je ne pensais pas que la jeune femme qui me fait maintenant face possédait ce genre de combat en elle. Ses coups sont lents et son jeu de jambes inexistant. Néanmoins, son regard d'émeraude et ce délicieux côté belliqueux racontent une fort belle histoire. Une historie qui ne demande qu'à ajouter un nouveau chapitre. Suis-je la mieux placé pour lui donner les moyens de sa détermination ? Un de mes poings la cueille facilement et l'envoyer à terre. La nénette de la ville semble néanmoins décidée à se battre jusqu'au bout. J'aime ça.

"Déformation professionnelle. Je n'entraine pas n'importe qui."

Mon visage se pare alors d'un sourire presque sadique et volontairement moqueur. Alors que mes compagnons entourent déjà son Toxizap et commence même à le titiller, je décide de passer à la vitesse supérieure. Lorsque la jeune femme se jette une nouvelle fois sur moi, la colère prenant visiblement le pas sur sa raison, je lui fait une prise et l'envoie à terre. Je n'attends pas qu'elle se relève et vient me placer en garde pleine au-dessus d'elle, mon popotin sur son ventre et mes cuisses le long de ses hanches pour bloquer son bassin et réduire son champ d'action.

Je la laisse s'épuiser quelques instants en essayant de se défaire mais ce genre d'immobilisation est fatale pour les gens qui n'y connaissent rien en lutte. Je n'ai juste qu'à bloquer ses espèces de gifles qu'elle donne. Je lui attrape éventuellement les poignets et vient les placer au-dessus de sa tête plaquée sur le sol. Je n'ai besoin que d'une main pour les tenir en place. Je toise la nénette et la domine complètement. Je laisse ma deuxième main courir le long des contours de sa mâchoire.

"Dis moi ma jolie. Pourquoi es tu ici ? Pourquoi veux tu apprendre à te battre ? Pour éviter de passer à la casserole ? Un nobliau en veut à tes petites fesses ? Qu'est-ce qui peut bien pousser un joli brin de fille comme toi à pousser les portes d'un établissement qui pue la sueur comme le mien ?"

« Déformation professionnelle. Je n'entraine pas n'importe qui. » Parfait, il lui reste donc apparemment à prouver qu'elle n'est pas n'importe qui, Eva ; la rage, c'est un peu comme si elle avait ça dans le sang à défaut d'autre chose, peut être du courage qui lui manque pour esquiver ou fuir sa famille qui la réduit en esclavage depuis des années. Ses yeux jettent des éclairs maintenant qu'elle se jette sur la propriétaire des lieux, tout en sachant dans un sombre recoin de son inconscient que ces tentatives, pitoyables, sont parfaitement vaines. Elle n'arrivera pas à la toucher, et encore moins à lui faire mal, voilà exactement pourquoi elle est venue ici aujourd'hui. Elle n'a même pas le temps de jeter un coup d'oeil à Aconit, et son pauvre petit Toxizap est en train de se faire bousculer, lui aussi ; sauf qu'Aconit n'est pas Eva, il est beaucoup trop petit et beaucoup trop dépendant de sa dresseuse et bien entendu, à l'instant où il comprend qu'il va falloir qu'il se défende sans elle, il se met tout bonnement et tout simplement à pleurer.

Sans vraiment comprendre comment, l'Esperanza termine au sol en quelques secondes. Ce n'est pas vraiment surprenant, mais l'impuissance la met en colère au moins autant que l'humiliation qu'elle est en train de subir ; son corps s'arqueboute, elle se débat aussi fort qu'elle le peut mais la maigreur de ses bras et son absence totale d'endurance ne lui permettent pas de gagner la moindre petite parcelle de terrain sur cette femme qui pousse le vice jusqu'à immobiliser ses bras, au bout desquels ses petits poings maigrelets tentaient de la frapper. Impossible de riposter, et encore moins de fuir : Eva est piégée, c'est fini, et tout au plus peut-elle faire claquer ses dents près de la main de Leila, qui va jusqu'à la glisser jusqu'à sa joue.

« Dis moi ma jolie. Pourquoi es tu ici ? Pourquoi veux tu apprendre à te battre ? Pour éviter de passer à la casserole ? Un nobliau en veut à tes petites fesses ? Qu'est-ce qui peut bien pousser un joli brin de fille comme toi à pousser les portes d'un établissement qui pue la sueur comme le mien ? » La réponse n'est pas bien compliquée mais pour ça, il faut qu'elle ait un peu d'espace ; ainsi immobilisée, elle commence à avoir du mal à respirer, et elle s'épuise, la jeune femme aux cheveux écarlates. Ainsi étalés sur le sol, ils semblent former une corolle de sang au-dessus de son front. « Lâche-moi, gronde-t-elle, à bout de souffle, j'te répondrai pas comme ça. » Il faut quelques secondes à Leila pour lui obéir, mais elle le fait ; étalée par terre, vaincue, Eva en obtient quelques autres pour reprendre un souffle rauque, que ses poumons maltraités par le goudron de ses innombrables cigarettes ne parviennent pas à retenir. Enfin, elle s'assoit, penche la tête en avant, masse ses bras que la prise ont rendus douloureux. Un peu comme tout le reste de son corps.

« J'veux me battre parce que je suis énervée, répond-elle très simplement, même si cela parait au moins aussi stupide que de dire qu'elle veut faire de la natation parce qu'elle a envie de nager. Toute la journée, tout le temps, ça me quitte jamais, et y'a rien qui me permet de me calmer. » Pourtant, elle a essayé beaucoup de choses, Eva. Prendre l'air, discuter, même la méditation, ça n'a jamais rien donné. Elle est trop agitée, trop nerveuse pour toutes ces conneries. « Alors quitte à me défouler sur un putain de sac de frappe ou carrément sur la gueule de quelqu'un, j'veux apprendre à faire ça correctement. » Et bien que sa voix soit calme et roide, ses yeux lancent des éclairs provocateurs ; parce que non, ça ne lui a pas du tout plu de se faire allonger comme ça en si peu de temps. « C'est dans tes cordes ou c'était juste pour faire la maline, ton petit numéro ? »