Il a besoin d’air, Jasper. D’ordinaire, c’est une excuse qu’il sort afin de se permettre quelques pauses. Mais là, c’est réellement nécessaire. Ses dernières rencontres et surtout, les retrouvailles forcées avec certaines personnes l’ont plus chamboulé qu’il ne pouvait le penser. Cet homme si inébranlable s’est laissé surprendre par un instant de faiblesse. Mais il s’est relevé et il le promet : on ne l’y reprendra plus. Le champion a pu s’en rendre compte ; sa vie est beaucoup plus facile lorsqu’elle est maîtrisée, calculée de A à Z. Nulle place pour l’improvisation ou les sentiments un peu trop édulcorés. Tout dans la maîtrise, dans la retenue et surtout, ne pas laisser paraître plus que nécessaire. C’est ce qu’il est, Jasper et ça le porte depuis plus de trente ans. Il le sait, pourtant, que c’est dangereux de se laisser aller à des sentiments irrationnels et voilà qu’il a foncé tête baissée dedans. Le retour de bâton qu’il a dû encaisser suite à ça a au moins le mérite de le ramener sur le bon chemin ; celui qu’il ne quittera plus, désormais. Et pour l’y aider, il a une bonne idée de l’environnement qu’il peut aller voir.

Crèmignon. Si le nom de cet élevage le fait sourire, il a néanmoins conscience de la qualité des services qui y sont offerts. La réputation de cet endroit n’est plus à faire ou en tout cas, c’était le cas il y a quelques années. Aujourd’hui, il s’y rend sans trop savoir ce qu’il va trouver mais avec certaines idées précises à l’esprit. Il se souvient d’une patronne agréable et de certains Pokémon qui l’ont intéressé à l’époque. Et maintenant qu’il y réfléchit, c’est toujours le cas. Certes, c’est étonnant pour quelqu’un comme Jasper Oswald d’aller se perdre dans un élevage de types fée. Mais le champion a ses raisons pour agir de cette manière, outre le fait que ça lui permet une promenade agréable et nécessaire pour rester calme. Alors sans la moindre hésitation, il sonne au portail pour prévenir de son arrivée. Quelques secondes plus tard, une jeune demoiselle à l’air pétillant se présente devant lui. « Bonjour. », répond-il en affichant un sourire de politesse. « Il se peut que vous puissiez m’aider, en effet. », il hoche doucement la tête, coulant tout de même un regard en direction de l’Evoli qui tangue à moitié mais qui parvient à aller s’allonger sur un tapis devant la porte d’entrée. Probablement un bébé qui n’a pas toutes ses heures de sommeil. « J’aimerais m’entretenir avec la propriétaire des lieux. », annonce-t-il en reportant de nouveau son attention sur la jeune femme, loin de se douter qu’il a précisément la personne qu’il cherche en face de lui.

Jasper a à peine le temps de terminer d’annoncer sa requête qu’une silhouette située derrière la jeune femme attire brusquement son attention. Aussitôt, ses yeux s’écarquillent sous la stupeur lorsqu’il constate que c’est un Pokémon - du moins, c’est ce qu’il croit ? - qu’il n’a jamais vu auparavant. Il n’arrive même pas à mettre un nom dessus. Est-ce qu’il a toujours été là, dans cet élevage ? Ou est-ce qu’il ne l’a tout simplement pas vu  quand il venait à Crèmignon par le passé ? Surpris, il prend sur sa personne pour se remettre le plus vite possible et saluer poliment, à son tour, l’étrange Pokémon qui est venu à sa rencontre. Mais ce spécimen n’est pas le seul événement étrange. Cette fois-ci, il arque un sourcil interrogateur quand la demoiselle affirme que c’est elle la propriétaire. « Vraiment ? », demande-t-il, un brin sceptique. « C’est-à-dire que ce n’est pas la première fois que je viens ici et avant, j’étais accueilli par une vieille dame. Elle s’appelait Althéa Pinkman. Un parent à vous, peut-être ? Vous avez le même nom. », dit-il soudain, en entendant les présentations de la demoiselle. Jasper exécute un nouveau signe de la tête en direction du dit Claude. « Je suis Jasper Oswald. », il sourit, attrape la main tendue de la dénommée Fairya et se présente à son tour même si la plupart du temps, il n’en a pas franchement besoin. Soudainement, il fronce les sourcils en repensant à la vieille femme. Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose ? Le champion la trouvait sympathique et il lui avait promis de revenir la voir à l’occasion mais il faut croire que c’est raté.

Le cinquantenaire revient à la raison lorsqu’un nouveau Pokémon atterrit directement sur le dos de la demoiselle, saluant Jasper d’un geste de la main. Haussant les épaules, l’industriel fait de même juste avant que Fairya ne lui dise qu’il se surnomme Hadès. Elle le fait descendre pour enfin reporter son attention sur Jasper qui attend patiemment. « Très probablement, comme je vous l’ai dit. », laisse-t-il en hochant la tête. « La réputation de cet élevage n’est plus à faire. », commence-t-il, sincère dans ses propos qui n’ont pas uniquement pour objectif de flatter l’égo. « Je suis déjà venu et j’avais repéré un Pokémon qui pouvait m’intéresser. Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis reparti sans à l’époque. », il explique en haussant les épaules. Sans doute n’était-il pas prêt même si cette explication ne le satisfait clairement pas et qu’au contraire, elle le fait plutôt rire jaune. « Je suis à la recherche d’un Mysdibule. », annonce-t-il finalement de but en blanc ; sans savoir si sa requête va trouver une suite.

Il n’en laisse rien paraître pourtant, l’annonce qui tombe soudainement ne le laisse pas complètement indifférent. Jasper ne s’attendait pas à cette réponse, il n’a même pas envisagé un seul instant que la propriétaire originelle des lieux puisse être décédée. Certes, elle n’était déjà plus toute jeune à l’époque où il a fait sa connaissance mais même les personnes comme l’industriel préfèrent ne jamais imaginer le pire. Alors forcément, lorsque ça arrive, ça fait un choc. « Je suis sincèrement navré pour votre grand-mère. Elle avait fait un grand travail avec cet élevage. Si vous avez les mêmes capacités, je n’ai aucun doute sur la pérennité de cet endroit. », dit-il, étonnement sincère. Jasper n’est pas un homme sans cœur, contrairement à ce que certains pensent. Il a ses exigences et ses propres méthodes pour atteindre ses objectifs mais quand il fait face à un travail qui mérite d’être salué, le champion acier sait l’apprécier et le complimenter à sa juste valeur. Or, il s’avère qu’à ses yeux, c’est le cas de Crèmignon. « Ce n’est pas votre faute, nous n’étions pas proches. Notre relation se résumait à celle d’une éleveuse et d’un client, rien de plus. », même le terme de « connaissances » lui paraît un peu trop exagéré. Il respectait cette femme pour ses talents et il est certain qu’il aurait apprécié de lui dire au revoir mais c’est ainsi et il ne peut pas se permettre de pleurer ou de regretter. Ce qui est fait ne peut être modifié et Jasper est un homme qui préfère avancer dans la vie plutôt que de s’apitoyer sur ce qui appartient au passé. Dit de cette façon, il a conscience que c’est violent et que ça participe très certainement à la réputation négative qu’il a auprès d’une partie de la population mais c’est sa philosophie et il n’a pas l’intention de changer pour satisfaire des inconnus. Évidemment, il a quelques regrets mais le Lathéen met un point d’honneur à les occulter de manière très efficace pour se concentrer sur ce qu’il estime être l’essentiel.

Pour autant, le champion de Lencliff est quelque peu déçu lorsque Fairya lui apprend qu’elle n’est pas en mesure de lui vendre le Pokémon qu’il espère. Une déception de plus par-dessus laquelle il va bien falloir passer. « Je vois, c’est effectivement compliqué de laisser un Pokémon qu’on ne possède pas. », répond-il en haussant les épaules. Il ne demande aucune justification particulière ; si elle n’en a plus, c’est comme ça et ça ne sert à rien d’insister sur ce qu’il ne peut de toute façon pas obtenir dans l’immédiat. Néanmoins, par politesse, il ne dit rien quand Fairya évoque ce qui a mené à la perte des anciens Pokémon peuplant ces lieux. Une mauvaise passe qu’il a fallu surmonter et dont elle ne semble voir le bout que depuis peu. « Je comprends, ça n’a pas dû être facile. », dit-il, compatissant tout en jetant un regard en direction de la Feunard d’Alola dont il est question. Ainsi, elle est la seule rescapée du vidage de Crèmignon. « De ce que je vois, vous avez déjà pu rebâtir une partie des édifices qui faisaient la beauté des lieux. C’est courageux de votre part d’avoir fait tout ça malgré la période difficile que ça a dû être. », de ce qu’elle lui dit, elle est plus ou moins repartie de zéro après s’être occupée de sa grand-mère jusqu’au dernier moment. Des gestes qui forcent le respect. « Aucun problème, je n’aurais pas dû laisser passer l’occasion quand je l’ai eue, vous n’y êtes pour rien. », au moins, ils sont tous les deux d’accord sur l’aspect merveilleux de ces Pokémon. « Ne vous excusez pas, j’imagine que vous faites ce que vous pouvez. J’accepte votre proposition et je vous remercie. », fouillant dans sa poche, Jasper en sort un stylo et un morceau de papier sur lequel il griffonne son numéro de motismart et son identité avant de le tendre à l’éleveuse. « Tenez. », laisse-t-il sobrement. Déçu, il l’est mais le professionnalisme et la réactivité de Fairya sont deux traits qu’il apprécie.

Jasper hoche simplement la tête lorsque Fairya le remercie. Il n’a rien de plus à ajouter et il ne s’attend pas spécialement à ce qu’on lui rende la pareille ou à ce qu’on lui adresse des remerciements quand il fait un compliment. Après tout, il ne fait qu’exprimer un ressenti sur un travail qui, selon lui, mérite d’être reconnu. Il n’est pas seulement question de recevoir l’héritage d’une vieille femme mais plutôt, de savoir quoi en faire et Jasper estime qu’en choisissant de poursuivre cet élevage, Fairya a fait le meilleur choix possible. Il n’est peut-être pas très objectif en disant ça mais ça aurait été dommage de laisser cet endroit se perdre de cette façon. Enfin, ça reste facile de penser ça étant donné que le Lathéen n’a pas vu cet élevage en décrépitude. Chose qu’il ne regrette absolument pas, cela dit. Aujourd’hui, c’est un nouveau départ pour Crèmignon et Jasper a étrangement envie de croire en cette jeune relève. Et pour autant, il n’a pas non plus l’intention de devenir plus qu’un simple client. Il a une entreprise à faire tourner ainsi qu’une arène à gérer ; il n’a clairement pas le temps pour s’impliquer dans un élevage, aussi prometteur soit-il. Et de toute évidence, la nouvelle propriétaire des lieux n’a pas besoin de lui.  Quoique. Peut-être en termes de communication mais là n’est pas le sujet.

Non, le sujet, c’est plutôt celui du fameux Mysdibule que Jasper ne va pas avoir aujourd’hui. Au pire des cas, il est prêt à se retrousser les manches pour aller lui-même en chercher un dans les zones sauvages mais il se doute bien qu’il n’est pas question d’en trouver un dans les endroits les plus accessibles. Mais ce Pokémon se mérite et s’il faut braver des dangers, le Lathéen peut bien faire quelques efforts en ce sens. Puis, il écoute Fairya parler du mauvais passage de l’élevage sans jamais l’interrompre. Le champion n’en demandait pas tant mais l’honnêteté dont fait preuve la demoiselle l’honore. « Vous avez eu l’aide que cet endroit méritait. Je ne vis pas à Jude’s Creek mais je suis bien d’accord pour affirmer qu’elle était une femme respectable. », qu’Arceus le préserve encore un certain temps de trop s’approcher de Jude’s Creek. Il y a une personne là-bas sur laquelle il n’est pas certain de vouloir tomber. Du reste, il reconnaît que Lathea possède quelques âmes charitables. Malheureusement, il y a également les Pokélovers qu’il considère comme des nuisibles. « Je comprends la démarche de ceux qui vous ont soutenu. C’est normal d’avoir voulu lui rendre un dernier hommage s’ils étaient peinés. Si vous voulez mon avis, ils n’attendent rien de vous en retour. Comme vous le dites, ça devait simplement être important pour eux de participer à tout ça. », dit-il en désignant l’entièreté de l’élevage d’un geste de la main. Jasper n’est pas non plus dérangé par le débit de paroles de la demoiselle. Elle doit avoir besoin d’en parler et il sait être une oreille attentive. Jasper n’oublie pas tout de même pas les affaires lorsqu’il confie son numéro et son nom. « Je prendrai volontiers une tasse de thé, si vous avez un peu plus de temps à m’accorder. », ce serait dommage et bien impoli de repartir en refusant l’invitation. Surtout quand c’est proposé de cette façon.

Jasper n’avait aucunement prévu de s’éterniser à Crèmignon. Dans sa tête, il lui semblait évident qu’il ne lui faudrait pas plus de cinq minutes pour récupérer un Mysdibule et quitter cet endroit. Malheureusement, les choses ne se déroulent pas toujours comme on le souhaite. Et si le Lathéen n’aime pas voir son emploi du temps perturbé, il sait conserver un visage chaleureux et avenant lorsque ça se produit mais qu’il se doit de garder contenance. Et en l’occurrence, ce n’est ni sa faute, ni celle de Fairya qui est bien trop aimable envers lui pour qu’il se permette de soudainement l’invectiver. Sans oublier qu’il a bien compris qu’elle vient de traverser une période éprouvante et Jasper n’est pas un monstre : il n’attaque pas gratuitement les personnes. Lui-même ne connaissait Althéa Pinkman qu’en tant qu’éleveuse du coin mais il n’aurait pas été surpris d’apprendre qu’elle pouvait faire bien plus pour la ville. Sans être de nature fleur bleue, le champion avait étonnement une image très positive de la vieille femme qui gérait ce lieu. Oh bien entendu, c’est une pensée qui n’a jamais franchi la barrière de ses lèvres. Être poli, c’est une chose ; être honnête vis-à-vis de ses propres sentiments, c’en est une autre. Féliciter Fairya pour son travail, ça n’a rien eu de bien compliqué parce que Jasper sait reconnaître un travail bien fait. En revanche, parler de sentiments un peu plus profonds, c’est un exercice pour lequel il n’est pas bien rôdé. Il le sait, ça en a fait pâtir quelques personnes très importantes pour lui mais sa fierté l’empêche d’aller s’excuser de lui-même.

Alors afin de ne pas penser à certains aspects de sa vie, Jasper se concentre sur le présent et sur les quelques projets qu’il mène de front même si dans l’immédiat, il ne fait rien de bien extraordinaire en allant boire un thé en compagnie de la demoiselle. « Je vous suis. », laisse-t-il en marchant derrière Fairya lorsqu’elle confirme avoir du temps et qu’elle l’invite à entrer. L’éleveuse ouvre la porte qui donne directement sur une cuisine. Jasper regarde la jeune femme faire ses affaires sans rien dire, n’ayant rien de bien pertinent à lui adresser. « Merci. », il répond sobrement en s’installant sur la première chaise qui lui passe sous la main pendant que l’hôtesse de maison choisit sa propre capsule de thé. Quand elle termine, Jasper se penche sur la boîte pour attraper l’une des capsules sans beaucoup réfléchir. Un thé à la menthe, c’est classique et ça lui va très bien. Sourire aux lèvres poli en réponse à celui de Fairya, l’industriel lui tend la capsule pour qu’elle puisse la mettre dans sa machine. La propriétaire des lieux en profite également pour rompre le silence en adressant quelques questions à Jasper. « Vous ne me vexez pas. », il attend patiemment qu’elle lui pose sa tasse et qu’elle vienne s’asseoir à son tour avec sa boisson pour qu’ils puissent poursuivre la discussion en face-à-face. Parler à un mur, il n’aime pas ça. Il répond à ses interrogations quand elle se pose face à lui et qu’elle termine de parler. « Vous n’êtes pas impolie et si mon nom vous est familier, ce n’est sans doute pas sans raison. Après, il y a plusieurs possibilités pour que vous l’ayez vu dans un journal. », les gens le connaissent au moins de réputation mais Fairya affirme qu’elle est là depuis seulement quelques mois et de ce qu’il a compris, elle les a passés à travailler. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle ne se soit pas concentrée sur les noms des personnes connues. « C’est le cas du mien, en effet. On peut me connaître en tant que PDG de mon entreprise. Héritée de ma famille dont le nom est célèbre à Lathea. Ou on peut me connaître en tant que champion de l’arène de Lencliff. », explique-t-il en saisissant délicatement sa tasse de thé après s’être assuré que ça avait infusé.

L’avantage concernant le fait qu’elle ne remette pas complètement son identité, c’est qu’elle ne part pas avec des a priori sur sa personne. Depuis le temps, Jasper s’est fait à sa notoriété dans la région mais parfois, ce n’est pas forcément une mauvaise chose d’être un anonyme, un monsieur-tout-le-monde et de se mélanger à la plèbe, comme il peut le dire. Qualification rabaissante, il est vrai mais le Lathéen s’en moque pas mal. Quoi qu’il en soit, c’est pour ça qu’il n’est réellement pas vexé par le fait que Fairya passe totalement à côté de qui il est. Pour le coup, ça l’amuse plus qu’autre chose et à défaut de pouvoir repartir avec ce qu’il est originellement venu chercher, il passe un moment relativement agréable. Alors en attendant que son thé refroidisse, Jasper prend le temps d’expliquer qui il est et dans quelles circonstances la demoiselle installée en face a pu entendre parler de lui. Le cinquantenaire se doute bien qu’aujourd’hui, son nom est plus facilement associé à l’arène sous sa responsabilité qu’à son entreprise familiale qui se perd parfois dans le paysage des nombreuses industries d’Enoville. Ce qui n’est pas franchement un problème puisque ça ne l’empêche pas de continuer de faire prospérer la sienne à l’aide de nouvelles inventions et autres contrats et investissements juteux. Ce qui risque de rapidement se montrer problématique, en revanche, c’est si Fairya continue de lui vanter les mérites d’une certaine personne.

Oh, il est d’accord ; elle mérite qu’on parle d’elle mais... Là, Jasper sent ses muscles se crisper à chaque mention de la championne de Jude’s Creek. Et même si elle ne fait probablement pas ça par volonté de nuire - peu probable qu’elle soit au courant du passif quelque peu houleux entre les deux champions -, Fairya mentionne un peu trop le prénom d’Angarad pour que Jasper puisse simplement se contenter de l’ignorer. C’est même la conversation entière qui semble dériver vers elle. Chaque fois qu’il l’entend, ça lui fait l’effet d’un coup de poignard en plein dans le ventre. L’éleveuse joue dangereusement avec ses nerfs et ne pouvant se permettre de craquer, Jasper subit en faisant ce qu’il peut pour ne pas lui demander de simplement se taire. Rester calme, c’est sa priorité et pour ça, il se met à triturer sa tasse quand il ne la porte pas à ses lèvres pour ingurgiter quelques gorgées du liquide encore brûlant. « Exact, le type acier est ma spécialité. », il ignore volontairement l’évocation de ce qui a poussé Fairya à se renseigner sur les champions locaux. Jasper se retient in extremis de pousser un ricanement quand elle parle de moment gênant. Il n’était nullement embarrassé par le fait qu’elle ne le reconnaisse pas, il y a deux minutes mais maintenant, il l’est bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons. « Je ne savais pas qu’elles se connaissaient. », ce qui n’a pourtant rien de surprenant entre éleveur et champion d’une même ville. « Vous finirez par vous y faire. », dit-il en forçant un sourire sur son visage. Le champion de Lencliff n’en veut pas à la demoiselle mais ça risque de changer si elle se focalise encore sur la championne glace. « Il y a en effet un certain nombre de challengers plein d’espoir qui se pressent devant ma porte mais ça, c’est le lot de chaque champion. Quant aux abandons eh bien, disons qu’ils ne sont pas rares. Notre rôle est de tester les challengers, pas de leur apporter le badge sur un plateau. En ce sens, les combats sont durs et intenses car nous appliquons tous cette directive même si certains de mes collègues le font avec plus ou moins de conviction. », non, il ne donne pas de coupable. « Si les challengers abandonnent, c’est qu’ils n’avaient pas la motivation et le niveau requis. », explique-t-il en haussant les épaules. Bien Jasper, réponds aux questions en incorporant tous les collègues, ça va noyer le poisson.

Ce n’est pas exagérer que d’affirmer que Jasper est depuis longtemps passé maître dans l’art de dissimuler ses émotions. Les exposer, c’est prendre le risque d’afficher ses faiblesses et il n’est pas de ceux qui peuvent se le permettre. Il doit être fort afin de ne pas se faire écraser. Une habitude tellement ancrée en lui que même face à quelqu’un de foncièrement gentille comme Fairya, il refuse de prendre le risque de baisser sa garde. Qu’est-ce qui lui garantit qu’elle ne va pas utiliser les informations les plus intimes le concernant si elle doit un jour lui mettre des bâtons dans les roues pour x ou y raison ? Absolument rien et c’est ce qui le pousse à ne rien lâcher, à rester de marbre alors qu’il subit de plein fouet les annonces des prouesses d’Angarad. Il manque d’exploser, pourtant, mais en véritable professionnel, il fait face à la tempête sans vaciller en se disant que, peut-être, il n’aurait pas dû accepter de prendre ce thé. La logique étant que ça lui aurait permis de ne pas avoir cette conversation avec l’éleveuse. Et donc, Jasper se serait épargné ce qui est, pour lui, une réelle souffrance. Il pourrait boire son thé en quatrième vitesse et s’excuser auprès de l’éleveuse en disant qu’il est rappelé à l’arène ou qu’il vient de recevoir un coup de motismart important qui l’oblige à repartir vers Enoville.

Il pourrait mais le champion n’a pas envie que son attitude puisse paraître suspecte. Dans les faits, elle n’agit pas mal ou avec la volonté d’être méchante et le Lathéen en a parfaitement conscience. Alors bien malgré lui, il parle, il évoque certaines coulisses du métier de champion, explique leur fonctionnement et la manière dont ils appréhendent leur rôle auprès des dresseurs. « Être dresseur est un travail de longue haleine. Personne n’a dit que c’était simple et ceux qui affirment ça sont des menteurs. Beaucoup de jeunes se lancent dans la quête des badges parce qu’ils rêvent de gloire et c’est une bonne chose mais il ne faut pas qu’ils pensent que c’est le chemin de la facilité. Si un combat suffit à les briser, alors ils doivent comprendre qu’ils ne sont pas faits pour ça. », ses paroles vont probablement le faire passer pour un monstre sans cœur mais c’est ainsi. Non, il n’a pas peur que ça les brise parce que de toute évidence, il estime que ce n’est pas son problème. « Nous sommes d’accord sur un certain nombre d’éléments entre collègues. Vous pourrez demander à mes compères si vous les croisez mais globalement, la réponse sera la même, à peu de points près. », bon sang, elle ne veut pas arrêter d’insister ? « Ils doivent aller voir des psychologues mais je n’ai pas souvenir que le gouvernement ait mis en place une structure spécifique pour gérer les abandons. », elle appelle ça « jeter un rêve à la poubelle », lui qualifie ça d’un « retour à la réalité ». N’est pas dresseur qui veut. Et parfois, il convient de le rappeler.

Si Jasper ne se montre pas plus froid avec Fairya, c’est parce que jusqu’à présent, elle ne lui a pas vraiment donné de raison de l’être - quoi qu’elle prend la bonne direction si elle continue sur Angarad. Heureusement, le sujet semble passer progressivement à autre chose ; ce qui laisse l’Oswald penser qu’il a bien fait de répondre avec des généralités sur tous ses homologues. Ainsi, il assouvit la curiosité de l’éleveuse tout en évitant d’avoir à déblatérer sur sa vie la plus intime. C’est gagnant-gagnant ; aussi bien pour elle que pour lui. Du reste, si ses mots concernant les combats Pokémon et les abandons des « dresseurs » heurtent régulièrement la sensibilité des personnes les plus empathiques, Fairya semble comprendre son point de vue. Jasper ne sait pas si elle l’accepte et à vrai dire, il s’en contrefiche mais au moins, elle ne se permet pas de juger et de faire la morale. Un comportement que le champion de Lencliff apprécie grandement. « Si vous le dites mais le fait est que ça ne fait pas partie de mon rôle. », ni de mes problèmes. Pourtant, il ne précise pas ce point. La demoiselle est apparemment une bonne âme, du genre à aider son prochain. Jasper n’est pas comme ça, il n’est pas de ceux qui se battraient pour permettre aux mauvais dresseurs de profiter d’une cellule psychologique pour se remettre d’une défaite méritée. Ce sont des testeurs, pas des conseillers d’orientation qui prennent par la main ceux qui se sont trompés de voie.

Ce qui ne l’empêche de comprendre les questionnements de Fairya. C’est un domaine qui a l’air de lui être relativement inconnu et Jasper ne l’aurait sans doute pas bien pris si elle avait eu l’audace de le reprendre sur ce qu’il maîtrise. Par exemple, il ne se permettrait pas de donner des directives à Fairya sur sa manière de gérer son élevage. Certes, ils sont tous les deux PDG, en quelque sorte mais Jasper n’élève pas des Pokémon. Il innove, cherche les contrats qui rapportent, vend ses produits aux plus offrants... Le point commun qu’il est tout de même possible de faire ? Il exige la même excellence aussi bien de la part de ses Pokémon que de ses employés. Une approche qui a fait ses preuves à de nombreuses reprises. Légèrement plus détendu, Jasper boit quelques gorgées de son thé en écoutant les nouvelles questions de son interlocutrice. Tiens donc, les personnes qui s’intéressent à son travail d’entrepreneur sont rares et pour le coup, il admet que recevoir des interrogations à ce propos est plaisant. « Mon entreprise est spécialisée dans la technologie de pointe. Nous faisons de la conception et de l’innovation sur différents objets technologiques du quotidien. », sur un plan large mais parfois, il lui arrive de passer des accords avec des entreprises plus petites que la sienne.

Que ça fasse partie de ses capacités ou non, Jasper ne porte simplement que peu - voire aucun - intérêt à l’état psychologique des jeunes challengers après qu’il les ait affrontés et remis à leur place. Il n’a pas l’envie de faire le moindre effort les concernant ; pour lui, ça ne serait rien d’autre qu’une perte de temps. Les aider, ce n’est pas pour lui, il s’en moque et le manque d’empathie dont il fait parfois preuve est du pain béni pour ses détracteurs qui se plaisent à rabâcher cet argument lorsqu’il s’agit de le critiquer. Le plus souvent, ça tombe à l’eau et le champion de Lencliff finit par s’en laver les mains. Un cycle sans fin pour un homme qui sait qu’il n’a pas à s’inquiéter. Alors, il ne change pas son attitude, laissant des personnes comme Fairya compatir envers des jeunes qui ont voulu s’essayer à quelque chose qui n’était pas fait pour eux. Chacun à sa place et les Moumouton seront bien gardés. Jasper n’est pas un fin psychologue, ni un thérapeuthe ; c’est un industriel, un magnat de la technologie à Lathea qui excelle dans son art de la gestion, de l’économie et, dans une moindre mesure, dans la compétition. Lui, c’est pour ça qu’il est fait. C’est ce qu’il apporte à la région et il estime que c’est bien plus important que de soutenir une poignée de jeunes perdus. Tout l’inverse des actions menées par Fairya, semble-t-il.

Néanmoins, l’Oswald respecte la position de la jeune femme. Elle ne critique pas ses prises de position et de fait, il ne voit aucune raison d’émettre un jugement. « C’est un coup à prendre. Si vous prenez un peu de temps pour la maîtrise de ces appareils, vous y arriverez. », dit-il en ingurgitant quelques gorgées de son thé encore légèrement fumant. Prendre une photo avec un motismart, c’est comme respirer à ses yeux mais il conçoit que tout le monde n’ait pas la même aisance avec les objets technologiques. Toutefois, Fairya ne paraît pas dénuée d’intelligence et dans cette logique, elle n’aurait aucun mal à maîtriser son motismart si elle le voulait vraiment. « Mon entreprise travaille simultanément sur plusieurs fronts, le nombre d’employés le permet. On ne peut donc pas dire qu’il y ait un appareil mis plus en avant. Disons que j’ai des pistes pour des objets qui servent majoritairement à des dresseurs. », quelques idées de contrats avec des entreprises plus ou moins grandes. Jasper en a repéré certaines avec lesquelles il prévoit de s’entretenir mais à ce stade, ça relève d’un secret professionnel qui lui tient à cœur. Il ne peut pas en parler à Fairya malgré son sourire et cette discussion qu’il apprécie bien mieux maintenant. « Aucun problème, j’ai l’habitude de répondre aux questions, vous savez. », tellement l’habitude avec les journalistes qu’il arrive aisément à faire des pirouettes verbales, satisfaisant la curiosité des uns et des autres sans pour autant trop en dire. Il procède de cette façon avec son hôte du moment et l’efficacité est là. Quelques bons mots, un sourire avenant, un ton agréable et le tour est joué. C’est sa façon de s'accommoder des personnes bavardes et ça fait ses preuves.

Les objectifs de Jasper dans son entreprise sont simples : innover, créer, vendre, faire du profit. C’est ce qui fait tourner sa boutique et ce qui lui permet, en partie, de vivre plus que confortablement. Néanmoins, il a conscience que la technologie n’est pas un domaine qui plaît à tout le monde. Il travaille d’ailleurs là-dessus ; sur le marketing de sa boîte et le moyen de présenter ses produits afin d’attirer le plus de clientèle possible. Parfois ça fonctionne et d’autres fois, il se heurte à des irréductibles comme semble l’être Fairya. Oh, il comprend très bien le point de vue de ces gens mais ça ne l’arrange pas pour ses affaires. Ce sont des potentiels acheteurs qui disparaissent. Encore un point qui lui permet de réaliser à quel point il est différent de Fairya. Elle est plutôt du style traditionnel quand Jasper préfère préparer l’avenir tout en s’y projetant. Elle est douce, avenante et l’une des personnes les plus empathiques qu’il ait pu rencontrer. Des qualités qu’on ne peut objectivement pas attribuer au cinquantenaire qui le vit bien malgré tout.

Poliment, Jasper répond aux questions de l’éleveuse concernant son entreprise et les domaines dans lesquels il travaille. Tenant au secret professionnel, l’industriel évoque volontairement des notions correctes mais suffisamment vagues pour qu’elle puisse au moins avoir l’idée générale. Et puis, c’est au tour de Fairya de mettre le champion en garde sur sa manière à elle de tenir son élevage. « Je vous écoute. », dit-il simplement lorsqu’elle annonce avoir des méthodes qui diffèrent de celles de sa grand-mère. A la fin du discours de la jeune femme, Jasper hoche la tête. Il comprend ce qu’elle lui dit et il n’a rien à redire. C’est une méthode tout à fait compréhensible et il n’a absolument rien contre l’idée. A vrai dire, il trouve même que c’est judicieux et bien pensé comme fonctionnement. « Soyez rassurée, ce n’est pas un problème pour moi. Je comprends la démarche que vous souhaitez installer et je la trouve bien pensée. Je m’y plierai si jamais je deviens l’un de vos adoptants. », en soi, elle ne demande pas grand-chose et ça ne coûte rien au champion. Donner quelques nouvelles à Fairya n’est pas contraignant. C’est ce qu’il se dit pendant qu’il boit les quelques dernières gorgées de son thé.

D’ordinaire, Jasper n’accepte pas si facilement de se soumettre à des conditions, surtout pour obtenir ce qu’il veut. Cette fois-ci pourtant, il accepte la demande de Fairya sans même chercher à la contester. Il voit bien qu’elle n’essaye pas de la lui faire à l’envers d’une quelconque façon parce que le champion, à force de pratique, a appris à repérer ceux qui tentent de l’entuber. Or, ce n’est pas le cas de l’éleveuse, il en est persuadé. Elle ne demande pas grand-chose, finalement et ça semble particulièrement important pour elle. Alors oui, le Lathéen entend ses arguments et compte bien les respecter et les honorer s’il finit par adopter un Pokémon de cet élevage. « Nous le sommes, en effet. », confirme l’Oswald en hochant la tête. Il termine son thé pendant que Fairya continue de lui parler. Reposant la tasse sur la table, il pose son regard sur la jeune demoiselle. « J’ai bien une journée remplie et je suppose que ça doit également être votre cas. », répond-il en se levant de la chaise, laissant un sourire de politesse apparaître au passage. « Je vous remercie de prendre ma demande en considération. Ne vous en faites pas pour le temps que ça prendra, je ne suis plus à ça près. », ça peut sembler un peu rude mais il n’en n’est rien. C’est seulement que depuis le temps que l’idée trotte dans sa tête, il peut encore attendre quelques semaines, voire quelques mois supplémentaires. « Bonne journée à vous, mademoiselle Pinkman. », il saisit la main tendue en guise de salutations avant que la patronne des lieux ne le raccompagne vers la sortie de son domaine. Malgré leur manière d’être radicalement opposée, Jasper apprécie cette jeune femme. Elle sait ce qu’elle veut et c’est un trait de caractère qui lui plaît beaucoup. Il sera ravie de collaborer avec elle si toutefois l’occasion se présente.