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« Ta notoriété ne peut reposer uniquement sur le nom des Asano. »

La phrase est lancée à la volée, sèche et amère, bien que sans grande prétention. Elle a pourtant l’effet d’une gifle qu’aucune main levée à sa joue n’aurait pu égaler. C’est qu’elle avait en elle le potentiel de s’élever aux sommets, Jill. Du moins, son père en était-il convaincu, ou tentait-il de s’en convaincre pour mieux cacher sa douleur d’avoir perdu pour de bon son fabuleux héritier prédestiné. « Les plus grandes lignées, aussi anciennes soient-elles, ne reposent que sur le travail de tous. À toi de choisir désormais où se situe ta place entre le sommet et le déshonneur. » Seconde salve. Ses genoux tremblent. Derrière quelques mots bien choisis, c’est un ultimatum que Fogia Asano placarde dans son esprit : celui de se soumettre pour de bon aux nouvelles règles qu’elle ignore depuis déjà bien trop longtemps ou d’abaisser pour de bon le couperet menaçant l’avenir du clan depuis le départ de Drake. Alors, le coeur et l’esprit entrent en parfaite contradiction. Elle a le clan à coeur Jill, au moins autant que sa liberté écorchée par des événements sur lesquels elle n’a aucune main. Ainsi, le choix est fait, la mort dans l’âme. Le clan avant tout. Le tout avant le soi. Que peut seulement la fierté face à l’honneur ? Les chaînes d’une éducation face à l’impulsivité brûlante ayant guidé ses pas jusque lors ? Grandit Jill. En ce monde, les rêves n’ont pour finalité que la fane nécessaire à la résolution. Ton coeur meurtrit, tout le monde s’en moque, car le monde t’appelle à plus de responsabilité.  

Ainsi, prend-t-elle congé.

Gagner en notoriété. Se faire un nom. Se faire une place. Aujourd’hui, le monde n’appartient qu’à ceux qui le mérite et non à ceux qui en ont bâti les fondements, après tout. En cela, elle part donc de zéro, Jill et cela lui arrache la gueule.

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Assise dans l’herbe, le nez plongé sur son Motismart, le bilan de la visite familiale hebdomadaire est envoyé à Kay tandis que sa main libre caresse doucement Kuro. Si le jeune homme réponds dans les trois prochaines minutes, alors, c’est que son père a tort. Défi stupide sur lequel elle mise tout. Une minute. Le message n’a pas encore été vu. Deux minutes. Son coeur palpite, alors même que son esprit boue de rage en implorant silencieusement son ami de répondre. Un mot. Un smiley. N’importe quoi, même une invitation à aller se faire mettre sera la bienvenue. Réponds. Réponds. Réponds. Trois minutes. Emplie de mauvaise foi, elle se plaît à penser que le défi peut être rempli jusqu’à la fin de cette dernière quand, soudain, Kuro bondit sur ses pattes, l’air alerte. Un regard pour suivre le sien et découvrir la silhouette gracieuse d’un lakmécygne ondulant près du fleuve. Un autre pour dévisager le petit pokémon électrique à ses côtés et son air trépignant. Quatre minute. Un message de Kay apparaît sur l’écran qu’elle ne prend pas la peine de lire.

« T’as vraiment un timing de merde, chéri. », maugré-t-elle, se relevant avec autant de douceur que possible tout en tirant de son sac la petite sphère bicolore si significative.

Un instant pour contempler le pokémon affairé à l’entretien de son plumage. Un autre, le dernier, pour constater avec quelle épouvantable facilité son père savait toujours la mener et, enfin, trois mots, murmurés avec soin, s’en venant délivrer l’excitation mal-retenue de son petit compagnon.


« Kuro, attaque charge ! »

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Tel un prisonnier défait de ses chaînes, Kuro bondit en direction du pokémon volant sitôt la voix de sa dresseuse parvenue à ses oreilles, chargeant ce dernier en une fougue merveilleuse à mi-chemin entre jeu et devoir, laissant sa dresseuse pantelante et sans voix. Le spectacle lui semble irréel, renvoie malgré elle l’Asano aux paroles de son frère. « Où se trouve l’honneur dans le fait de blesser des créatures à l’aide de leurs semblables pour notre propre fierté ? ». Nulle part, sans aucun doute. Impossible pourtant de puiser dans les yeux de Kuro la moindre lueur de désapprobation. Tout au contraire, c’est une étincelle de profonde fierté qui semble illuminer à présent le regard que le petit Lixy tourne vers elle, tandis que le Lakmécygne étourdi peine à reprendre ses esprits. Où se trouve l’honneur ? Elle n’en sait rien, Jill. Elle n’en presse pas moins un peu plus fort la pokéball chauffant sa paume, le coeur soudain empli du même espoir que celui émanant du sourire de Kuro. Qu’importe que cela fonctionne ou non, sa décision est prise et si quelqu’un trouve à y redire, alors, il serait toujours temps de blâmer Kay pour cela. Après tout, elle avait laissé son propre destin reposer sur son temps de réaction. Celui-ci avait tranché malgré lui.

Faisant signe à Kuro de s’écarter, l’Asano inspire profondément, vise la silhouette gracile et jette la petite sphère en direction de cette dernière. L’instant suivant, une lumière rouge s’en vient éclairer la fourrure bleutée de Kuro. Un mouvement. Un second. Elle a le coeur au bord de l’implosion, Jill. C’est maintenant que tout se joue vraiment.

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La sphère tremble, vibre. Elle compte les secondes, Jill. Compte comme une enfant récitant son alphabet en espérant ne pas se tromper. Soudain, le mouvement s’arrête, suivi d’un “clic” significatif. Kuro bondit autour de la sphère, jappant avec joie, bientôt suivi par l’enthousiasme, encore inimaginable quelques heures plus tôt, de sa dresseuse.

« Putain… ON A RÉUSSI, KURO ! »


Courant en direction du Lixy, l’Asano laisse ses interminables jambes rejoindre le sol pour s’en venir encercler le pokémon de ses bras, le gratifiant de caresses et de compliments. La pokéball près d’elle n’a pas la moindre importance. En cet instant, seul compte le succès et la joie partagée.« T’as été incroyable Kuro ! Vraiment incroyable ! ». Les larmes lui montent, véritable démonstration d’un soulagement que l’absence de vie humaine alentour lui permet d’exprimer. En cet instant, une pensée à l’égard de son père lui traverse l’esprit, comme un pied de nez à toutes les humiliations passées et plus encore à celles plus récentes. Elle ne serait sans doute jamais l’égal de sa mère Ji-Lian. Sans doute n’atteindrait-elle jamais l’excellence au combat de Mallory ou l’habileté en capture dont Drake faisait preuve, mais cela lui est désormais égal. Kuro, il n’était qu’un oeuf abîmé, récupéré aux abords de Myrtha juste avant que la zone n’ait été condamnée par le Système. Kuro, il n’était qu’un petit pokémon qu’on lui reprochait de ne pas entraîner. Il avait pourtant permis aujourd’hui ce qu’elle considérait elle-même comme irréalisable la veille. Alors, agrippant sa pokéball, l’Asano laissa le soin à son compagnon de la contempler. « On s’arrête ici pour aujourd’hui ? »

Jappant d’un air de défi signifiant “Hors de question !”, la journaliste émit un signe de tête approbateur. L’aventure commençait à peine et elle promettait encore bien des surprises !

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Un sentiment de profonde euphorie plâne, délie les traits d’un visage opalin bien plus accoutumé à la sévérité et aux méandres de l’ivresse qu’à une telle plénitude. Elle a l’envie de vaincre, Jill. Pour la première fois depuis un temps lui semblant proche de l’éternité.  À sa mémoire, au contact de la sphère brillant entre ses doigts, c’est désormais l’image gracile et fière de la femme lui ayant donné la vie qu’elle entrevoit. Ainsi, l’inflexible Ka-Lian, que tous louaient pour son hardiesse et sa dextérité au contact des créatures peuplant ce monde, pouvait-elle enfin prétendre à vivre de nouveau, ne serait-ce qu’un peu, au travers de son unique fille. Cette pensée exalte alors cette dernière, autant qu’elle ne l’effraie et seul le regard optimiste de Kuro trottant fièrement à ses côtés se peut capable d’apaiser l’anxiété naissante. Après tout, avancer droit vers l’inconnu n’avait jamais été cause d’angoisse pour la dernière née du clan Asano. Elle ne laisserait pas cette unique fierté disparaître aujourd'hui, sous le joug de paroles imposantes.

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Emboîtant le pas à la petite créature bleue exaltée, l’Asano prit le temps de contempler une nature qu’elle semblait découvrir comme pour la première fois. La fraîcheur de l’herbe humide à ses chevilles, le reflet cristallin des froussardines se dodelinant au fil des ondes du fleuve Mongetimor, la douceur d’une brise à sa nuque. Depuis combien de temps n’avait-elle pas prit le temps de profiter des merveilles simples de Lathéa ? Bien trop, sans aucun doute. Calquée au rythme des publications du ENO Times, des réunions familiales et de ses soirées de délire, la vie avait planté ses serres mornes sur un quotidien dévoué à l’excès, le dénuant de saveurs, jusqu’à plonger l’esprit de la jeune femme dans une brume opaque. En cet instant pourtant, son regard s’éclairait, plein d’une lucidité. La colère née des paroles de son père, petit à petit, laissa ainsi place à un sentiment nouveau, plus adulte : celui d’une femme saisissant enfin l’occasion de prendre un recul nécessaire à remettre de l’ordre.

Néanmoins, cette pause oisive ne fut que de courte durée. Déjà, attirée par le vrombissement d’une silhouette tapis près de l’eau, son regard croisa celui d’un mascaïman étendu au soleil, puis, instinctivement, celui de Kuro. Sourire en coin, l’Asano sentit frémir en son coeur l’instinct nouveau, si distinct, des dresseurs naissants.

« Kuro, attaque charge ! »

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Plus vif encore qu’il ne l’avait été lors de son premier assaut à l’encontre du Lakmécygne, la silhouette bleuie du petit pokémon électrique chargea avec entrain en direction du mascaïman, visiblement surpris d’une telle réaction à son égard. Peinant à se relever suffisamment tôt, le choc frontal ne put être esquivé, entraînant fatalement la collision des deux corps l’un contre l’autre. Spectatrice muette, quoi qu’emplie d’espoir, l’Asano ressentait dans la charge de son Lixy toute la frustration encaissée par ce dernier au cours des dernières années. Kuro n’avait jamais combattu. Kuro n’avait jamais eu l’occasion de faire ses preuves en d’autres occasions que face aux frasques de Pichu. En cet instant où le mascaïman, sonné, peinait sans doute à comprendre ce qu’il lui arrivait, son assaillant goûtait enfin au plaisir de vaincre. “Ce petit gars fera des merveilles en combat”, lui avait un jour dit la nurse du clan lors de sa visite annuelle. Elle n’en avait rien entendu. Les combats, les captures, tout cela était l’affaire de Drake. Quelle idiote ! Quelle parfaite idiote dénuée de toute ambition elle avait été jusque lors.

Agrippant une pokéball avec un entrain comparable à celui de son compagnon, la brune se jura intérieurement que la donne allait désormais changer. Son jet lui donna raison.

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Une nouvelle assurance lui gonflant le coeur, la dernière née des Asano gratifia Kuro de longues caresses affectueuses, témoignant à son petit pokémon toute la fierté que celui-ci lui inspirait par son courage et sa vivacité d’esprit. Si leur entente avait toujours semblé d’une parfaite limpidité, c’était une relation nouvelle que ces deux êtres tissaient à présent. Un lien particulier et unique, rendu plus merveilleux encore par le fait qu’ils faisaient ensemble, main dans la patte, leurs premières armes face à l’inconnu que représentaient les pokémon sauvages de la Lande. Bien des fois, Jill avait entendu les prouesses de ses amis et collègues, narrant leurs exploits avec passion, sans jamais vraiment comprendre. Sans jamais pouvoir matérialiser un seul instant l’étendu de l’allégresse ressentie. Cela était chose faite à présent et chaque pokémon croisé faisait ainsi naître l’envie de rencontrer de nouveaux. D’explorer plus de lieux encore, afin que jamais ne tarisse cette adrénaline sans égal.

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Le regard plongé sur l’écran de son Motismart, les doigts de l’Asano voltigeaient, allant et venant de forums de dresseurs en encyclopédies dédiées, non sans oublier de passer par la messagerie où, bientôt, ses mots à l’attention de Kay furent bientôt remplacés de photos de ses précieuses prises. Transpirant d’une fierté sans égale, les messages fusèrent les uns après les autres sans la moindre retenue jusqu’à l’apparition d’une nouvelle qui brisa toute lumière sur le visage de la jeune femme. Un écrit foudroyant en provenance de son boss : Drame lors d’une manifestation au sein de la communauté des pokélovers. Sasha Neskov dans un état critique. Sujet à couvrir en première page pour le lendemain matin, à sa charge.

Les yeux rivés sur le nom de la victime, le temps s’arrête, foudroie l’Asano sur place. À ses côtés, l’excitation de Kuro, la dévisageant, elle aussi s’épuise.

« Kuro… On rentre. »