« Attends-moi là, je reviens vite. Narcisse, je ne te demande pas si tu viens avec moi. », évidemment que non, l’Archéomire suit Jasper dans la plupart de ses déplacements. Et si c’est aussi le cas d’Hermès en général, il y a des cas - comme actuellement - où c’est un peu plus complexe. Le champion acier s’apprête à faire une excursion dans les grottes Charbi et il ne veut pas imposer à son fidèle Corvaillus le fait de se retrouver à l’étroit dans un lieu clos. Le Pokémon doit bien avoir conscience que c’est pour son bien puisqu’il n’insiste pas suite aux paroles de Jasper, se contentant de répondre en émettant un léger bruit et de secouer son plumage métallique. Durant les premiers mètres dans la caverne, le champion n’a aucun problème de vision. C’est lorsqu’il commence réellement à s’enfoncer que sa vue entame automatiquement le processus d’adaptation à un environnement plus nocturne. Autour de lui, dans les endroits moins éclairés et où sa vue ne porte pas, il entend quelques sons qu’il identifie comme des Pokémon qui mènent leur vie. Certains passent à proximité de Jasper mais il n’a aucune difficulté pour passer à côté d’eux grâce à la luminosité émise par les cristaux des parois rocheuses.

Soudain, il se fige. Il sait, bien sûr, qu’il n’est pas à l’abri de rencontrer d’autres personnes dans des endroits aussi accessibles que les grottes. Seulement, il ne s’attendait pas à ça. Elle a beau être de dos par rapport à lui, Jasper reconnaît sans la moindre difficulté cette silhouette. Ce corps qu’il s’est imaginé étreindre un nombre incalculable de fois. Ce corps qui n’en est que plus brillant et hypnotisant à la lumière tamisée produite par les cristaux de la caverne. Ce corps dont la beauté glaciale n’a jamais pu être remplacé par une autre aux yeux de Jasper Oswald. C’est elle, il le sait. Il veut parler ; sa bouche s’ouvre, se referme aussitôt sans qu’aucun son ne soit émis. Jasper reste muet comme un Magicarpe et il n’aime pas. Il hait ces situations dans lesquelles il n’est quasiment jamais parce qu’il se retrouve dans une position qu’il n’a pas envisagée et pour laquelle il n’est absolument pas prêt. Il pourrait fuir, prendre ses jambes à son cou mais ça ne lui ressemble pas. Et puis de toute façon, elle n’a qu’à tourner la tête pour s’apercevoir qu’il est là, à la fixer comme un crétin. Des années passées à faire en sorte de ne pas la voir et plus d’un an passé à l’éviter soigneusement, même lors des réunions des champions de Lathea et voilà qu’une sortie de routine vient réduire tous ses efforts à néant.

Cela fait trois heures que je crapahute au fond de ces grottes. Pour une fois que je trouve le temps de prendre un peu de temps pour moi, il faut que je visite ce genre d'endroit. Ca m'apprendra à demander l'avis d'un scientifique ! La prochaine fois que je vois Eugène, il entendra parler du pays ! En attendant je suis comme un poisson hors de l'eau. Je ne sais pas trop quoi faire à part m'enfoncer plus profondément et veiller à ne pas me perdre en suivant la même paroi. Si je suis pas très scolaire et ne l'a jamais vraiment été, j'ai quand même un peu de jugeotte. Sinon je ne serai jamais devenue Commissaire de police.

Skye, ma petite Draby ne me quitte pas d'un pouce, possédant visiblement la même aversion que moi pour les endroits sombres. Un comble pour moi dont la vie est marquée par ces mêmes ténèbres. Je me demande souvent pourquoi je suis encore en vie. Pourquoi je m'accroche alors que tout ce que j'aime m'a été enlevé au fil des années. Sans parler de ma vie de terroristes. Je soupire en arrivant dans une impasse. L'endroit est charmant pour le coup. L'eau s'est accumulée dans une sorte de petit bassin. Je plonge la main dedans et cela porte à ma bouche. Il s'agit d'une eau potable et d'une pureté incroyable. Je fais un brin de toilette. Il faut avouer que ces grottes sont baignées dans une chaleur presque étouffante.

"Tiens prends ça !"

Je m'amuse avec Skye quelques minutes, le temps de faire un petit break bienvenue. Lorsque je me retourne, je passe d'un sourire plein de charme à une totale stupeur. Mon visage se décompose en quelques dizièmes de secondes. Je porte mes mains à la bouche comme pour retenir des cris tandis que ma petite Draby se poste devant moi en protection. Jasper se trouve devant moi. Fucking Jasper. Des millions de questions assaillent mon cerveau fatigué et le plonge rapidement dans la catatonie. Je suis incapable de réfléchir. Je me demande juste pourquoi il est ici, au fin fond de ces grottes. Des milliers de souvenirs refont surface alors que je les croyais enfouis au plus profond de mon âme.

Je vois la même surprise sur son visage alors que des larmes commencent à couler sur mes joues. J'ai tant de choses à lui dire. Tant de coups à lui donner... Mais je suis prise dans le moment. Mon visage s'illumine à nouveau et se pare d'un large sourire d'une douceur et d'une chaleur infinie. J'ouvre les bras pour l'inviter dans mon étreinte sans prononcer le moindre mot. J'ai l'impression d'être revenue plus de trente ans en arrière. A l'époque où nous étions jeunes et fiancés.

Elle se retourne, le voit et ils se retrouvent comme deux idiots. Ils se regardent, les yeux écarquillés par la stupéfaction. Jasper ne fait même pas attention au Pokémon qui se place devant la femme en bouclier protecteur. Son visage d’ordinaire assuré et plus que confiant reflète actuellement sa panique intérieure. Ses yeux passent frénétiquement de la championne à un cristal dans un coin pour revenir sur elle avant de changer une nouvelle fois de cap et ainsi de suite. Elle est là, devant lui et il en perd ses moyens, Jasper. Il déteste ces sensations alors il fait tout pour rester calme, pour reprendre le contrôle mais c’est bien plus compliqué qu’il ne le pensait. Lui qui est habituellement si pragmatique doit soudainement fournir d’énormes efforts pour ne pas se laisser submerger. Pourquoi elle est là, ici et maintenant ? C’était quoi le pourcentage de possibilités pour qu’ils se rencontrent précisément à cet endroit, à ce moment précis ? Et soudain, Jasper se revoit à quinze ans, des rêves plein la tête et l’insouciance de l’adolescence. Il se revoit avec elle et son corps entier se crispe, ses dents viennent mordre sa lèvre inférieure alors qu’il parvient à émettre un son.

« Angarad. », tellement d’années qu’ils ne se sont pas adressés ne serait-ce qu’un seul mot. Toujours à s’observer de loin, pour s’éviter plus que pour réellement se chercher. Et voilà qu’aujourd’hui, ils se retrouvent à l’abri des regards et des oreilles indiscrets sans avoir visiblement d’autres choix que de s’adresser la parole. « Je... », je quoi ? Je suis désolé d’avoir tout fait pour ne pas avoir à te parler durant pas moins de trente-cinq ans ? Oui, s’il veut s’enfoncer un peu plus, c’est la meilleure phrase à dire. Il ne sait plus comment réagir lorsque des larmes se mettent à rouler sur les joues d’Angarad. Elle doit lui en vouloir et il peut le comprendre ; lui qui n’a pas cherché à plus se battre pour cette relation si précieuse qu’ils avaient tous les deux. Elle peut le haïr, le frapper, il n’aurait même pas envie de l’en empêcher ou de répliquer. Et pourtant, il ne se produit absolument rien de tout ça. Au contraire, au grand étonnement du champion acier, elle sourit et là, brusquement, Jasper redécouvre ces expressions si douces, si chaleureuses qui sont caractéristiques d’Angarad. Ces expressions qui l’ont fait fondre la première fois. Elle ouvre ses bras et si le message est clair, Jasper hésite. Est-ce qu’il a le droit ? Est-ce qu’il peut seulement se permettre cette étreinte après tant de temps dans le silence ? Après quelques secondes à rester planté là, il choisit de s’approcher. Doucement, ses bras passent autour des hanches d’Angarad pour finir dans son dos. Il profite de cette étreinte, de ce moment qu’il n’avait finalement pour qu’imaginer jusqu’à maintenant. « Tu m’as manqué. », laisse-t-il, profitant de ce moment intime où personne ne peut les voir et les juger. Il pose doucement sa tête sur l’épaule de la championne. Dans cette étreinte, Jasper a l’impression de faire un bon dans le passé. A cette époque, il ne se souciait pas des querelles des Grands. A cette époque, c’était encore eux contre le reste du monde.

"Avec toutes les jeunettes que tu t'es tapé, tu te souviens encore de mon nom ?"

Je lui envoie une petite pique avant de l'accueillir volontiers dans mes bras. Si son visage est celui de l'homme que j'aimais jadis, tout en lui me rappelle notre jeunesse. Son corps, son odeur. Je me permets quelques instants pour m'enivrer de cette présence dont j'ai souvent rêvé. De cet homme que j'ai souvent pleuré aussi lorsqu'on nous a arraché l'un à l'autre tel Roméo & Juliette. Je l'ai souvent imaginé franchir le seuil de la porte du manoir familial pour m'enlever. Je l'ai imaginé interrompre la cérémonie le jour de mon mariage ou même lors de ma nuit de noces. Oui c'est pathétique et triste. Mais il n'est jamais venu.

"Toi aussi, tu m'as manqué."

Je recule ma tête pour lui faire face et plonger mon regard azuré dans le sien. Après un sourire mutin, mes lèvres effleurent les siennes en guise de pardon et de promesse. Je réalise à ce moment précis à quel point ma vie aurait été différente si seulement Jasper avait eu assez de courage pour défier ses parents comme je l'ai fait. Ou du moins comme Kayden l'a fait. Ouais d'accord j'ai aussi céder à la pression familiale avant éventuellement de tout envoyer balader. Mais quand même. Pourquoi il n'a rien fait. Alors que des larmes me viennent de concert avec cette colère et tous ces sentiments refoulés depuis tant d'années, je ne vois qu'une seule chose à faire.

J'attrape les deux côtés de sa tête et ferme les yeux comme pour l'embrasser avec plus de fougue. A peine nos lèvres se touchent que je lui file un violent coup de genou en plein dans les bijoux de famille. Ca lui apprendra.

"Ca c'est pour mes rêves brisés !"

Alros qu'il tombe à genoux, j'en fait de même et vient l'enlacer à nouveau. Je sais c'est contradictoire mais je suis en totale roue libre. Je le hais et l'aime à la fois. Je ne m'explique pas ces sentiments. Je ne cherche même pas à comprendre. Des trois hommes que j'ai aimé dans ma vie, un d'entre eux venait de re-rentrer dans ma vie. Je pleure en engonçant ma tête sous son menton.

"Ne t'avise pas de quitter ma vie une deuxième fois espèce d'abruti. Sinon je te jure, je te coupe les roubignolles."

« Je te demande pardon ? », laisse-t-il soudainement, arquant les sourcils. Évidemment, il devait s’attendre à ce genre de réflexion mais ça ne change rien au fait que ce soit brutal et dans son cas, quelque peu vexant. « C’est vraiment l’image que tu as de moi aujourd’hui ? Celle d’un homme qui aguiche les jeunettes pour se les taper à la moindre occasion ? », par Arceus, comme il espère que ce n’est pas le cas parce qu’il n’a jamais fait une telle chose. Oh bien sûr, il a eu quelques relations, fréquenté d’autres femmes mais jamais rien n’a été comparable à ce qu’il a vécu avec celle qui lui fait face. Alors oui, il se souvient de son nom. Comment aurait-il pu oublier son identité quand elle n’a jamais complètement quitté ses pensées ? Mais il ne dit rien de plus, faisant le choix de la laisser envoyer ses piques. Si ça lui fait du bien, il peut encaisser. Il pourrait répliquer sans problème, ce n’est pas ce qui l’arrête, en temps normal. Mais justement, là, il n’est pas en temps normal. Jasper se laisse aller dans ces bras qui l’accueillent ; retrouvant presque instantanément ses quinze ans. La douceur de sa peau, son parfum... Tout en elle lui rappelle ce qu’il a si lâchement abandonné à l’époque. Ce pourquoi il n’a pas eu le courage de se battre davantage. Il n’a pas choisi ça, Jasper. Lâchement, il s’est plongé corps et âme dans l’apprentissage qui lui a permis de reprendre l’entreprise de son père ; occultant quasiment tout le reste au passage. C’est comme ça qu’il est devenu le fils prodigue, l’héritier parfait de l’empire industriel Oswald. Dans cette vie-là, il n’y avait aucune place pour l’amour et surtout pas pour celui d’une famille rivale depuis plusieurs générations. Jasper a fait son choix et même s’il n’est pas question de l’évoquer à voix haute, il l’a sans doute payé tous les jours de sa vie. Il profite de ce contact et fatalement, il se dit que ce n’est pas possible, qu’il rêve ces instants. Que tout ceci ne peut tout bonnement pas être aussi... simple.

Il soupire quand elle lui annonce que le manque a été réciproque. Et puis, ils se font face, les yeux dans les yeux dans une proximité qu’ils n’ont plus expérimenté l’un avec l’autre depuis plus de trente ans. Il peut sentir son souffle et le goût de ses lèvres qui se rapprochent inexorablement. Le cœur de Jasper bat la chamade dans sa poitrine. Et soudain, les larmes de la belle coulent de plus belle sans que le Lathéen ne comprenne pourquoi. A vrai dire, il n’a pas franchement le temps de se le demander. Elle attrape sa tête, ferme les yeux, commence à faire mine de l’embrasser passionnément, leurs lèvres se touchent... Avant que les yeux de Jasper s’écarquillent ; d’abord sous le coup de la surprise puis lorsque vient la douleur. « Bordel de... », calme-toi, Jasper. Ton éducation, pense à ton éducation, reste poli. Inspire... Expire. Merde, ça fait quand même super mal... Il entend à peine les explications de la policière qu’il tombe, les genoux au sol ; les mains maladroitement posées sur la source de sa douleur, comme si ça allait changer quelque chose. D’accord, elle était sûrement méritée mais... Elle ne pouvait pas le frapper ailleurs ? Il ne bouge pas quand elle met elle aussi les genoux à terre pour venir l’enlacer. Tout comme il ne comprend pas le but de ces gestes contradictoires au possible. « Je... », il parvient à émettre un son en sentant son cou s’humidifier sous les larmes de cette femme qu’il a toujours terriblement vu si forte. Cette femme qui aujourd’hui place sa tête sous la sienne. « Parce que tu crois qu’elles ont survécu à ce que tu viens de leur faire ? », dit-il, parvenant tant bien que mal à retirer ses mains de son entrejambe pour attraper délicatement la nuque d’Angarad. Il s’en fiche qu’elle le traite d’abruti parce que c’est probablement ce qu’il est pour ce qu’il lui a fait. Il pourrait également s’excuser ou répondre à sa requête. Ou les deux... Il peut promettre la signature d’un contrat juteux. Il peut promettre d’écraser un challenger. En revanche, ça, il ne le peut pas. Le champion a eu l’audace de lui faire miroiter nombre de choses par le passé sans jamais s’y tenir. Aujourd’hui, alors qu’il a conscience des dures réalités de la vie, qu’il joue même parfois avec elles ; il se rend compte qu’il est incapable de tenir ces promesses-là.