Pour une fois que j’avais une vraie permission et un peu de temps libre, je ne savais pas vraiment comment occuper mon temps. Il faut dire qu’avoir ces jours de repos en semaine, c’est le meilleur moyen de n’avoir personne de disponible pour sortir et s’amuser. J’allais donc devoir passer ces trois jours tout seul. Mais j’avais une idée en tête...

Même si je me sentais heureux avec Callisto, quelque chose me manquait. En effet, j’avais enfin à nouveau un Pokémon à moi, après avoir dû laisser mon ancienne équipe, soit-disant parce que je rentrais à l’école de police, mais surtout pour tenter d’oublier la défaite et l’abandon qu’elle incarnait. Mais, le service avec lui n’était pas suffisant. J’avais toujours cette idée en tête de l’entraîner au sein d’une équipe, et j’avais le temps pour commencer à le faire. Je me suis donc rendu dans la grotte Charbi dans l’espoir de lui trouver un compagnon.

En marchant, j’imaginais quel genre de Pokémon pourrait progresser et faire progresser Callisto en s’entraînant avec. Je ressentais le même frisson que ces enfants qui partent pour la première fois chercher leur fameux “starter” qui les suivra tout au long de leur aventure. Peut-être qu’à mon âge c’est ridicule, mais finalement, mon Teddiursa restait une propriété de la police, comme un Pokémon qui se lie d’amitié avec l’enfant de son maître sans pour autant lui appartenir, donc ma situation est vraiment comparable à ces gamins, à ce gamin que j’étais quand je voulais faire le tour des arènes. Je n’arrivais pas à savoir si c’était ridicule ou courageux de ma part de me lancer là-dedans.
Toujours est-il qu’au fur et à mesure de mes pensées, je m’enfonçais dans la grotte, avec  ma petite oursonne collée à mes jambes, croisant de temps en temps un Pokémon, comme ce Charpenti qui jouait à gratter la paroie d’un des murs de la grotte avec la poutre que chaque spécimen porte.

Je ne me voyais pas avec ce genre de Pokémon, je me voyais plus avec une créature rapide et élancée, la plus vive possible. C’est ce que je cherchais car je ne pouvais pas m’empêcher de penser à sa collaboration avec Callisto, que je voyais devenir un Ursaring vif et rapide, fondant sur sa cible à toute vitesse une fois celle-ci acquise, et je voulais au moins pour le premier Pokémon que je trouverais capturer un équipier qui saura lui tenir tête sur ce point. J’étais peut-être trop spécifique pour une première fois, peut-être aussi que j’avais tort de faire ce choix, et que j’allais le regretter, que cette équipe allait échouer au premier défi, comme celle que j’avais tenté de former à l’époque…
Je ne devais pas trop penser à tout ça, j’essayais de me concentrer et de ne rater aucun des Pokémon présent autours de moi, comme ce Meditikka qui lévitait, les jambes croisées, immobile dans la pénombre.

A nouveau, je continuais ma route pour très vite tomber nez à nez avec un Flamajou, qui me fixa quelques secondes, la tête penchée, avant de repartir vers un chemin étroit qui s’enfonçait dans les profondeurs de la grotte. Je n’étais pas tenté par l’idée de le suivre, je partais plutôt vers un chemin plus large et plus rassurant, encore légèrement éclairé par de vieilles lampes à la faible lueur.
Maintenant, ce dont j’avais peur, c’était en fait de ne trouver aucun Pokémon qui me corresponde, mais c’était la pire idée que je pouvais me mettre en tête, je devais m’efforcer de me concentrer sur les alentours. Il était plutôt facile de repérer les créatures puisqu’en général elles se trahissaient en réagissant à l’éclat de ma lampe. Et puis, il y avait l’air d’avoir des espèces très variée ici, j’allais forcément finir par trouver un Pokémon digne de la Pokéball que je tenais d’une main moite, non sans une certaine fébrilité.

La Pokéball en question tomba de ma main quand un Pokémon éclairé par ma lampe fonça dans ma direction et me frôla de peu pour fuir, paniqué par le faisceau lumineux qui l’avait ébloui. Je pus juste voir que c’était un quadrupède sans identifier son espèce tant il m’avait surpris en déboulant à toute vitesse.
Enfin au moins ce coup de stress m’avait sorti de mes pensées et m’avais vraiment permis de me concentrer pour de bon sur ma chasse, probablement pour la totalité du temps que j’allais passer dans cette grotte. Et la première chose que j’allais faire, c’est un demi-tour pour aller vérifier quelle était la sale bête qui avait essayé de me renverser, elle allait voir.
Enfin, pour être honnête, pas moyen de le rattraper, mais ce n’est pas la question, au moins j’étais réveillé pour la suite de mon expédition, et en plus de ça, le suivre m’avait permis de repartir dans une galerie où j’apercevais déjà des ombres fuir ma lumière.

Cette fois-ci, je voyais l’occasion de dégourdir un peu Callisto qui n’avait pas combattu depuis trop longtemps. Je me tournai vers elle, qui était toujours contre mes jambes pour l’amener à s’avancer vers un autre Pokémon :
“Allez Callisto, il est temps de faire un peu d’exercice. Ici tes adversaires ne seront pas très coriaces, donc c’est le moment de tester des choses. Vas-y, essaye de travailler ta vitesse de frappe, utilise combo-griffe sur… Ce Baggiguane là-bas. Concentre toi sur la vitesse, pas sur la force, ne va pas le blesser pour rien.”
En effet, ce pauvre Baggiguane n’avait rien demandé, le but n’était pas qu’il reparte dans un sale état… Mais bien sûr mon Teddiursa était entraîné pour contrôler sa force, et très étonnamment, son adversaire se contenta de le mordiller mollement, comme pour jouer et chahuter. Un comportement plus étrange qui m’amusa beaucoup, mais après quelques minutes de jeux, nous reprîmes la marche à la recherche de mon nouveau compagnon.

Après ce petit moment passé avec le Baggiguane, bien sûr les autres Pokémon avaient fuis un peu partout dans les galeries adjacentes. Pour la première fois depuis mon arrivée je pris donc le temps de faire attention à la grotte en elle-même plutôt que de fixer le sol à la recherche de Pokémon ou à me perdre dans mes pensées.
Cette grotte était une vieille mine de charbon assez étendue. Je semblais ici être dans l’une des galeries principales, des lampes fonctionnaient encore à bas régime, et le sol était équipés de rails pour remonter le charbon et les déchets extraits des profondeurs des grottes. Sur les côtés, les galeries annexes était beaucoup moins larges et plus sombres, certainement les boyaux dans lesquels le charbon et la roche étaient creusés. Et maintenant que le chemin principal était vidé, c’était dans ces galeries annexes que je regardais pour à nouveau apercevoir du mouvement.

Et j’avais raison, au fond d’un de ces boyaux, sous un tas de cailloux, deux yeux bleus qui peinaient à cacher le reflet de la lumière de ma lampe. Je m’attendais à un Pokémon craintif, mais pas vraiment, une petite boule brillante se jeta sur moi, me faisant basculer en arrière, avant de se faire repousser par Callisto.
Je me retrouvais alors appuyé contre le mur, à regarder les deux Pokémon de toiser, le regard insistant et determiné. D’un côté, celle que je désignais souvent affectueusement comme “mon oursonne” mais qui avait tout de même été entraînée par la police et ferait preuve d’une détermination sans faille pour me protéger. De l’autre, je découvrais un Galekid, qui soutenant sans mal son regard, en ayant positionné ses pattes de manière à ne pas reculer en cas de coup.
A ce moment, j’oubliais tout ce que j’avais pu penser concernant l’équipier que je voulais, parce que celui que je voulais, c’était lui, c’était ce Pokémon.

Je repris tout de suite mes esprits pour attraper une Pokéball à ma ceinture et guider celle qui allait me permettre de capturer ce Pokémon :
“Ce Galekid est celui qu’il nous faut, tu dois m’aider à le capturer. Je tournais mon regard vers mon adversaire. Mon Teddiursa va te montrer de quoi il est capable, et tu vas venir t’entraîner avec nous ! Allez Callisto, cette fois, pas question de se retenir !”
C’est bien l’excitation du gamin qui allait recvoir son premier Pokémon qui m’envahissait et qui prenait le dessus à ce moment là, j’avais réellement retrouvé le frisson de mon enfance, quand je voulais devenir dresseur. Et à ce moment précis, c’est comme si je n’avais jamais arrêté, que chacun des gestes que je devais faire était resté gravé en moi, et dès que Callisto mit son adversaire au sol, je ne lui laissais aucune chance de fuir, et lançai la ball que j’avais déjà dans la main.

Mais bien sûr, la ténacité lue dans le regard de ce Pokémon ne tenait pas du bluff, et il réussit à se libérer de sa Pokéball, tentant au passage d’amener Callisto au sol. Laquelle ne manqua pas de répliquer pour calmer son opposant toujours affaibli par sa précédente attaque. Et même après ce deuxième coup, il n’en démordait pas, il tentait de se relever pour tenir tête.
Je bouillonnais d’attraper ce Pokémon, qui avait su réveiller en moi tout ce que je pensais avoir perdu, j’étais déterminé, je le voulais, je le voyais déjà en train de s’entraîner face à Callisto pour que tous les trois nous progressions. Pour qu’après tout ce temps à croire que j’avais perdu cette face de moi, que jamais je ne pourrais à nouveau amener une équipe au delà de ses limites ou combattre.
Je saisis à nouveau une Pokéball pour lui lancer, espérant que cette fois-ci soit la bonne.

Toujours pas, Galekid ne se laisserait pas attraper si facilement, pas tant qu’il lui restait encore le moindre soupçon d'énergie. Mais je ne comptais pas abandonner, rien de ce que je ressentais ne se calmait, je brûlais de tenir, au moins autant que lui, et Callisto n’était toujours pas prête à laisser tomber non plus. Chacun de nous trois allait lutter jusqu’au bout de ses forces, et plus mon adversaire allait résister, plus j’allais redoubler d’efforts, car le voir repousser les limites de sa résistance et de son mental ne faisait qu'attiser mon envie de l’entraîner et de le faire combattre à mes côtés. Inlassablement, j’allais répéter le même geste, quitte à épuiser toutes mes Pokéballs s’il le fallait, alors j’en saisis une, dans mon sac cette fois-ci puisque j’avais épuisé celles que j’avais à portée de main, et je la lançai, en prévenant mon adversaire qu’il pouvait résister autant qu’il le voulait, qu’aujourd’hui, je n’envisageais pas d’abandonner.

Tout comme les deux premières fois, le Galekid disparut dans un flash rouge qui illumina les parois de la grotte, puis la ball tomba, et trembla. Une fois, deux fois, trois fois… Et enfin l’explosion de joie au doux clic de la réussite, Callisto vint d’elle-même retourner se loger contre mes jambes, satisfaite et fière de ce que nous venions d’accomplir. Je n’y croyais pas, je l’avais, ce Pokémon si tenace, si déterminé, plein de ressources, il était dans cette ball, que je m'empresserais de ramasser. Ma joie était indescriptible, je me sentais envahi d’une force nouvelle.


Mais je vis quelque chose d’étrange dans le regard de mon équipière. Je m’étais trompé sur un point, elle n’était pas fière d’avoir un nouveau membre dans l’équipe, elle était simplement fière d’avoir tenue tête à un ennemi qui avait tant de ressources. Il était évident qu’elle ne pouvait pas comprendre ce principe de dresseur, d'équipe à entraîner, elle avait toujours vu des agents de police travailler avec leur Pokémon de service unique. Et c’était elle mon Pokémon de service, à ses yeux, pour quelle raison est-ce que je pouvais en avoir besoin d’un autre ?


Et cette réflexion me glaçait car je comprenais ce que j’étais en train de faire. A trente ans, avec une carrière, une vie, des projets d’évolutions, je pensais encore à ce rêve d’adolescent. Et pourquoi faire ? Le tour des arènes ? Et puis quoi encore ?
La vérité, c’est que cette aventure dont j’ai rêvée n’est plus à ma portée. Je pourrai bien essayer de toutes mes forces de me convaincre que ça m’est passé, de tenter de m’en rapprocher, ou n’importe quoi d’autre. C’était fait, j’avais abandonné. Peut-être pas pour de mauvaises raisons, peut-être parce que je n’avais pas le choix, mais j’ai beau ne pas m’en vouloir, je garderai sûrement à jamais cette sensation d’avoir manqué quelque chose, de vide, cette attirance pour ce monde que je ne connaîtrai jamais vraiment. J’allais garder ce Galekid, j’allais l’entraîner, j’allais être un dresseur et élever mon équipe, mais dans le fond, je savais que ce serait à mon échelle, pour moi, sans jamais être reconnu comme tel.