Tu ne sais pas si ce que tu fais est juste, Eos. En vérité, tu ne sais plus vraiment ce que tu fais. Depuis que cette lettre est entrée dans ta vie et qu’une seconde & suivi quelques jours après, pour répondre à la tienne, tu agis étrangement. Déjà, tu as coupé les ponts avec tout le monde. Tu ne décroches plus ton motismarts. Tu n’as rappelé personne et tu n’as même pas répondu à certains sms inquiet. Ceux qui t’ont déjà vu faire à Galar se diraient que tu prévois de fuir encore une fois. Mais c’est faux.

Tu travailles d’arrache-pied à la maison. Tes pokémons ne t’ont probablement jamais vu aussi survolté. Quand le soir tombe, tu quitte la maison pour aller à Lucinel et faire le tour des bars, des boîtes et des cafés de nuit. Tu n’en profites même pas, non, bien sûr que non. Tu détestes ce genre d’endroit trop bruyants, chauds et débordant de chaleur humaine pour toi. Ce que tu fais, chaque fois depuis cette lettre, c’est déposer des CV, te présenter, chercher un emploi. Maintenant, tu en es même à te proposer dans des jobs moins agréables, et un jour tu finiras sur ceux les plus douteux.

Et tout ça pour quoi, Eos ? Un bijou que tu n’aurais jamais dû revendre.

C’est donc ça, ce qui se passe quand le week-end arrive. Tu as juste tellement donnée pendant la semaine, à chercher un foutu emploi, à finir un maximum de travers à la maison, que tu craques. Et pas de larmes cette fois-ci, ce n’est pas ton genre. Non, tu entends juste des gens parler de cet endroit, mystérieux et mystique et des statues… et oui, tu te dis qu’il ne te reste pas beaucoup de temps avant… avant tu ne sais pas quoi, mais ce sera grave. Alors comme une folle, une droguée, une alcoolique, tu te précipites pour goûter encore une fois à la liberté.

Tu emportes tes pokémons avec toi, dans leur pokéball en leur promettant qu’ils seront de sortie dès que tu seras arrivée à bon port. Le truc, Eos, c’est qu’il y a une sacrée trotte de chez toi à cet endroit, alors tu pars dans la nuit du vendredi au samedi, et tu marches. Tu marches sans ne rien voir autour de toi. Tu marches peut-être comme tu n’as jamais marché. Tout ce que tu veux, c’est atteindre ce point et le graver en toi pour ne pas avoir loupé quelque chose.

Tu ne le vois pas, mais tu agis comme un mort en sursis.

Le chemin est long. Dans la nuit, c’est la forêt aux murmures que tu traverses. Tes yeux ne voient rien, mais tes oreilles entendent tous, Eos. Tu te rends bien compte de chaque bruit, chaque craquement. Parfois, tu te dis que tu aurais mieux fait de partir plus tard, que tu vas finir blessée par ces bêtises. Et puis tu repenses à ces deux personnes qui parlaient de magie et de voeux, ou alors tu n’as pas tout compris, mais ça te motive.

Quand l’aube se lève, tu viens de sortir ne nez de la forêt et tu longes le Bois demi-lune que tu n’as pas le droit d’approcher. Tu y découvres un spectacle incroyable qui te force à te retourner pour profiter de la vue. Le soleil se lève au loin, sur ton chez-toi et il apparaît doucement à l’horizon, te baignant d’une lueur presque rose-orangé en raison des nuages qui continuent de se faire sentir. C’est doux. Tu aimes la teinte que prend le monde et tu sais que tu en feras une toile, même si la peinture t’es bien plus difficile que le dessin. Tu peindras un monde rose, en souvenir de ce soleil levant.

Et puis le moment se termine, éphémère et indescriptible, et toi, ma douce, tu te remets en route parce qu’il y a encore pas mal de marche pour toi, à venir.

De retour face à l’Ouest, tu découvres des zones où tu ne t’es jamais aventurée. Jusqu’à aujourd’hui, Eos, tu t’es plutôt cantonnée dans ta partie du monde, à l’Est, au centre, au Sud. C’est en voyant la différence du paysage que tu te rends compte à quel point tu connais mal cette terre sur laquelle tu es venue te réfugier. Et c’est là, au cours de cette marche en passant par un pont au dessus d’une magnifique rivière, que tu prends la décision de tout voir. Tout, chaque recoin. Si on t’en laisse le temps et le droit, Eos, toi qui n’a jamais trop regarder ce système de notoriété, et bien tu y mettras définitivement le nez pour avoir le droit de tout voir.

C’est une sacrée résolution, ma belle. C’est juste dommage que tu la prennes à l’orée d’un changement majeure dans ton quotidien. Si l’un de ces emplois te rappellent, tu vas travailler en permanence. La pension, l’élevage et un autre job la nuit. Tu ne sais même pas quand tu pourras manger et dormir, et te voilà à te rajouter des challenges fous dans la tête. Le truc, tu vois, c’est que tu es quelqu’un comme ça. Tu décides et ensuite tu te débats pour réussir, alors c’est à ne pas douter qu’un jour, tu atteindras ce but, oui.

Il te faut chercher, tourner, réfléchir pour trouver l’entrée de la Lumiclairière. Tu n’y es jamais venu, tout ce que tu sais dessus, ce sont d’autres personnes qui te l’ont dit. On t’a parlé de la rivière et d’un chemin caché. Et toi, Eos, tu n’es pas bonne pour suivre un plan alors tu y es clairement venu sans rien. Au talent que l’on dit. Pendant un long moment tu tournes en rond patiemment, sans même sembler inquiète de perdre des minutes et des minutes sur cette tâche. Tu te dis simplement qu’il faut mériter ton passage alors tu continues de errer.

Et il arrive ce qui t’arrive toujours. Tu te perds. C’est probablement la meilleure chose qui t’arrive ce jour-là, parce que contrairement à beaucoup tu ne paniques jamais quand ça arrive. Au contraire, tu cesses de regarder où tu vas et tu te mets à papillonner. Ce sont des plantes qui attirent ton regard en premier. Tu ne les connais pas, ou pas assez pour prendre le risque de les récolter, mais tu pas un long moment à les observer et quand tu te redresses et te tournes, pour repartir et bien il est là. Le passage que tu cherches depuis une grosse heure t’attendait sagement.

« Nous y sommes presque. Que tu souffles en récupérant tes pokéballs dans ton sac. »

Tu fais quelques pas dans le tunnel avant de te décider à relâcher tes pokémons. Il paraît que ceux de la clairière sont extrêmement pacifistes et curieux, alors tu sais qu’ils oseront sûrement approcher les tiens. C’est en connaissance de cause que tu ne laisses que Silver, Natsu et Zmeï sortir, au départ. Ce sont les plus doux et calmes de ta troupe, tu es certaines qu’ils seront content de se faire de nouveaux amis.

« Coucou mes mignons. Tu viens poser un genou au sol pour les serrer contre toi en récoltant une bonne dose d’amour au passage. On est presque arrivé. Par contre, vous allez me promettre, tous les trois, d’être gentils avec les pokémons que l’on va croiser. Ils seront curieux, alors ils vont approcher. Et tes yeux se tournent vers le Goupix, qui te regarde avec ses grands yeux sombres. Surtout toi, Natsu, pas de grognement sur eux. Ce sont des pokémons sauvages, il ne faut pas leur faire peur. »

Et tu vois que ton petit renard de feu hésite, réfléchit puis finit par accepter en venant par contre se blottir dans tes bras. Quand tu te remets en jambe, tu ne l’as pas lâché et c’est peut-être aussi simple comme ça. Au moins, dans tes bras, Natsu ne fait jamais de faux-pas.

Te voilà donc à avancer avec les trois pokémons. Silver et Zmeï se sont coller à tes jambes et à chaque pas que tu fais, tu dois veiller à ne pas les écraser ou bousculer. Tu sais qu’ils agissent comme ça parce qu’ils ne connaissent pas les environs et que tu es leur point de repère, alors tu ne dis rien. Tes yeux relevé vers l’avant, tu te surprends à retenir ton souffle quand une brise plus fraîche vient s’emparer du tunnel dans lequel tu avances. Vous y êtes presque.

C’est lorsque vous entrez dans cet endroit particulier qu’est la Lumiclairière que tu découvres toute l’envergure du phénomène. Ici, la nature est reine, maîtresse et déesse. Les arbres sont luminescences et d’immenses fleurs te donnent aussi vite envie d’aller y mettre ton nez. Pourtant, tu ne te précipites pas, parce que les trois pokémons se sont tendus. Tu t’arrêtes, à la sortie du tunnel de pierre, et pendant de longues minutes tu attends qu’ils prennent tous les trois leurs marques. Ce n’est qu’en voyant Zmeï se remettre à avancer le nez levé et les yeux curieux que tu en fais de même en entraînant Silver avec toi.

Il faut dire, quand même, Eos, que l’endroit est tout bonnement spectaculaire.

Lentement vous avancez tous ensembles sur un petit sentier recouvert de mousse un peu humide. Quelque chose vient te perturber, et c’est en t’arrêtant pour regarder tes deux pokémons au sol avancer que tu comprends. Il n’y a presque pas de bruit de votre présence. La mousse agit comme une semelle végétale et vous ne venez presque pas gêner la nature qui se repose encore un peu.

Un mouvement d’yeux vers le ciel t’apprend qu’il fait beau, et que le temps se maintiendra mais aussi que le soleil n’est pas encore à son zénith. Tu as bien fait d’emmener un repas, Eos, parce qu’avec un peu de chance, tu vas pouvoir profiter vraiment de l’endroit. Ton objectif c’est de dormir ici, juste une nuit et maintenant que tu y est, tu sais que tu vas probablement passer la plus belle nuit de toute ta vie.

« Incroyable… Tu es à côté d’un de ces arbres lumineux et tu poses une main sur l’écorce doucement. C’est tout bonnement incroyable. Je me demande si c’est un champignon parasite qui te fait luir comme ça, mon ami, ou si tu as développé une mutation relative à cet endroit, mais c’est tellement beau. J’aurais bien aimé ramené un de tes fruits chez moi… mais il faut savoir laisser vivre les choses là où elle fleurissent, n’est-ce pas ? »

Tu continues ton inspection des environs. Des arbres, tu passes aux fleurs et tu viens observer leur corolle, regarder la hauteur de pousse, tester la douceur des pétales. Quand tu te penches sur une première pour humer, tu te laisses entraîner dans une odeur qui te chavire les narines et le coeur, Eos. Tu as l’impression que ça te rappelle quelque chose, chose parfaitement impossible nous en sommes d’accord. Pourtant, on ne peut empêcher le cerveau de faire des associations et en te penchant pour la seconde fois sur la belle et grande fleur rouge, tu finis par ramener à ta mémoire un sourire de toi, enfant.

Ta nourrice était encore à tes côtés et tu te promenais dans le jardin. C’est flou Eos, et il te faut te pencher encore pour humer l’odeur en fermant les yeux pour que la suite de ce souvenir revienne. Dehors dans le jardin, c’était un après-midi, et il y avait eu une ondée en fin de matinée, t'empêchant de sortir jouer dehors. Après ton cour de piano et de chant, avec un professeur strict et désuet, tu avais convaincu ta nourrice de te laisser sortir. Toutes les deux, main dans la main, vous aviez fait le tour du jardin et tu t’étais penchée sur une fleur, tout petite et palotte avec tristesse. L’odeur qui en sortait s’associe visiblement à celle que tu sens à l’instant et tu te souviens juste des mots de ta nourrice.

« Elle est petite et elle a besoin de soleil, mais un jour ce sera une grande fleur magnifique… comme toi sauterelle ! »

Sauterelle. C’était l’un de tes surnoms à l’époque, tu n’as jamais bien su pourquoi. Mais quand ta mère à congédié ta nourrice, il n’y a jamais plus eu personne pour te dire que tu en étais une ou que tu grandirait. Toi qui était une petite fille chétive, tu as passé des années à craindre de rester petite et maigrelette toute ta vie. Autant dire que la puberté a au moins chasser cette peur de toi. Tu as grandi d’un seul coup, et ta mère ta donné sa bonne génétique côté physique. En moins d’une année, tu es devenue une superbe adolescente, sur le point de devenir une jeune femme. Et tu t’es toujours dit que ta nourrice avait raison après tout.

Tu viens enfin te décrocher de l’immense fleur avec un sourire un peu triste et un peu rêveur sur les lèvres. Ton enfance n’a rien eu de bien glorieux mais tu peux au moins te targuer d’avoir été aimée quelques années. Tu as eu cette chance que certains n’ont jamais, même si celle qui t’aimait n’avait aucun lien par le sang avec toi. Elle a été bien plus ta maman que ta propre mère et c’est tout ce qui compte pour toi, Eos.

Tu te secoues, Eos, et tes cheveux châtains viennent cascader sur tes épaules avec un poids presque rassurant. Tu n’es plus une petite fille, tu es une adulte, maintenant Eos. Et tu peux être fière, probablement, de ce que tu es devenue. Même si tu as fait des erreurs et que tu as eu du mal à t’en sortir, tu as quand même réussi à le faire. Et tu es là par ta propre volonté. Tu n’as plus besoin d’une mère, juste de tes pokémons.

Tes yeux glissent de la corolle rouge pour chercher du regard les deux petits qui jouent sur le sol. Quand il t’appercevoir, c’est Zmeï qui a une attitude absolument trop adorable. Tu le vois venir vers toi, tendre les bras et tu comprends. Tu attrapes le reptincel contre toi avant de le tourner face aux fleurs hautes sur pied et lui permettre de venir sentir l’odeur. Il se penche et tu le vois renifler à plein nez les odeurs, attirant un peu de pollen dans ses narines. Avant que tu ne puisses le voir venir, il est pris d’une quinte d’éternuement et tu es obligée de le reposer en riant toute seule.

« Moins fort, mon grand. C’est doux une fleur, il faut inspirer normalement, ça suffit pour sentir tous les arômes. Ca va quand même ? »

Le reptincel hoche la tête plusieurs fois et tu comprends que ce n’était rien de grave. IL revient tendre ses bras et cette fois-ci il y met doucement son nez. Natsu, qui s’est perché son ton épaule en profite pour en faire autant. Et bien entendu, Eos, quand tu reposes Zmeï, Silver te regarde avec de grands yeux. Il vient aussi faire un passage dans tes bras pour sentir les grande fleurs avec un air étonné et curieux. Et puis tu le reposes et Natsu accepte enfin de descendre au sol par la même occasion.

Ensemble, vous vous remettez en route sur le sentier de mousse vers le coeur de la Lumiclairière, tu n’en doute pas. Et mine de rien Eos, c’est assez fou de voir comme tes pokémons agissent comme toi. Ils sont calmes et doux. Leur caractère reste là, bien présent, mais ils ont développé le même amour que toi pour la nature, et ce respect des choses qui fait qu’ils n’enflamment pas tout ce qui les entourent. Sans le vouloir, Eos, tu as fait naturellement ressortir ce qu’il y a de meilleur en chacun. Et peut-être que tu pourrais le faire aussi sur des humains.

Tu es douée pour apporter le bon, voilà la vérité.