« Allez, tu me suis. »
Facile, il a des ailes, le petit bébé Minisange qu'Ismaël a récupéré quelques heures plus tôt, du côté de Lucinel. Il ne devait arriver que dans la soirée à Castlerain, puisqu'il avait plus ou moins prévu de faire du stop pour rejoindre la capitale mais, finalement, l'impatience a été la plus forte et il a appelé un taxi en songeant que ça lui permettrait de faire un peu d'exercice avant de rejoindre Mallory chez lui ; ce serait également l'occasion de tester l'agilité de son nouveau Pokémon. En jogging moche et tee-shirt un peu trop grand, le dresseur est tout équipé pour la séance de parkour qu'il se prévoit mais la concentration, elle, n'y est pas. Est-ce que Mallory va tenir parole ? Il a vraiment hâte de voir ça de ses propres yeux mais avant, c'est l'heure de l'exercice.

En tout cas, c'était ça le plan. Se retrouver sur le balcon du chanteur quelque chose comme un quart d'heure de course plus tard, c'était beaucoup moins prévu, mais puisqu'il est là... la baie vitrée est entrouverte, il n'a qu'à la pousser d'une main pour entrer dans l'appartement le plus naturellement du monde, couvert de transpiration et le souffle affreusement court. Son Minisange est toujours derrière-lui. « C'est moi ! claironne-t-il en entrant dans le salon, surpris de ne voir personne, sinon Sophie, qui apparaît devant-lui.
– Isma déjà là ? Mallory se douche.
– Parfait, j'avais besoin d'en prendre une aussi. Merci Sophie ! »
Il va gagner du temps, au moins, ça lui évitera de demander l'autorisation. « Isma a amené Lysa ? »
Le ton presque suppliant de l'Ectoplasma manque franchement lui arracher un sourire, mais il se reprend à temps pour afficher une fausse expression dépitée et triste. « Avant, tu me sautais dans les bras pour me dire bonjour. Maintenant y en a plus que pour elle, fait-il semblant de bouder.
– Sophie aime Isma, mais Sophie est amoureuse de Lysa.
– C'est un très bon argument, rigole-t-il, abandonnant sa fausse bouderie alors qu'il libère la Gardevoir. Allez, à plus tard ! »
Il est à poil avant même d'arriver dans la salle de bain et sa satisfaction est totale quand il constate que le chanteur n'est pas encore sorti de la douche. Ni une ni deux, il contourne le muret du compartiment et se colle dans le dos du chanteur, plaquant une main sur sa bouche pour l'empêcher de hurler. « Salut toi, ronronne-t-il pour qu'il arrête de se débattre. Désolé, j'ai un peu d'avance. T'es fâché ? »

Son plan est parfait, Mallory en est persuadé. Ismaël n'arrive pas avant ce soir, comment pourra-t-il savoir de quelle manière le jeune homme a filouté pour en arriver à ne surtout pas faire la cuisine ? Il a commandé, bien sûr, la veille au soir pour aujourd'hui, parce que perdre un combat ne doit absolument pas justifier de l'obliger à faire une chose qu'il ne veut pas. Et pourquoi, en plus ? Il ne sait pas faire la cuisine, Mallory. Il n'a jamais touché une poêle, il n'a jamais fait cuire quoi que ce soit autrement pour le réchauffer, n'a jamais ouvert un livre de cuisine, il n'a jamais utilisé quoi que ce soit d'autre que son micro-ondes et sa machine à café. Depuis qu'il vit seul, il s'est juré de ne jamais avoir à perdre son temps pour ça ; et il a réussi, au moins ses pokédollars lui servent à acheter la nourriture toute faite et il est sûr que ce sera bon. Ou presque, mais ça c'est un autre débat. Pourquoi Ismaël veut s'infliger ça, le jeune homme n'en sait rien. Un excès de masochisme ? En tout cas, pas question ; il se mettra à genoux pour lui faire plaisir s'il le faut autrement, mais pas comme ça.

Sous le jet brûlant de la douche, Mallory ferme doucement les yeux, satisfait de sentir ses muscles se détendre après une longue journée à l'arène. Heureusement que le psychiatre l'a autorisé à reprendre le travail, il serait devenu totalement frappadingue si on l'avait encore obligé à rester chez lui une semaine de plus. Parce que ça le hante bien sûr, cette nuit à la clairière, la journée qui a suivi et tout ce que cela veut ou pas dire ; surpris de recevoir un texto d'Ismaël ensuite, il a cru que cela n'avait de rapport qu'avec ce pari stupide avant de comprendre que non. Ils s'écrivent tous les jours depuis une semaine, et le garçon a bien du mal à ne pas se demander si ça veut dire autre chose, s'il peut espérer maintenant, croire, demander. Tu restes avec moi ? Juste avec moi ? Il n'aura pas le courage de le faire, bien entendu ; parce qu'il connait déjà la réponse, et cet abominable entre deux ne lui convient pas. Est-ce qu'il écrit aux autres, aussi ? Est-ce que ces hommes et ces femmes reçoivent les mêmes attentions que lui ? Sa gorge se serre à chaque fois qu'il y pense, quinze années à ne voir que lui, est-ce que c'est fini tout ça ?

Il n'a pas le temps d'y réfléchir plus ; surpris, puis franchement terrifié quand il sent une présence derrière lui, un mouvement, il n'a pas le temps de se retourner que déjà une main se pose d'autorité sur sa bouche, large, suivi d'un corps qui vient se lover contre son dos. Sans le moindre vêtement. La panique vient bien avant la raison, alors, où est Sophie, qui a-t-elle laissé entrer, est-ce que ça y est, on va finalement l'agresser chez lui ? Ses yeux s'écarquillent et il se débat aussitôt, le chanteur, de toutes ses maigres forces pour échapper à une prise ferme qui ne le laisse absolument pas faire. Non, non c'est pas possible c'est pas... « Salut toi, entend-il alors, et c'est le soulagement qui l'envahit quand il reconnait le timbre d'Ismaël, qui s'est tout simplement invité dans sa douche. Désolé, j'ai un peu d'avance. T'es fâché ? »

Pas qu'il soit arrivé en avance, non, et il ne pense ni à la cuisine ni quoi que ce soit d'autre quand il arrête aussitôt de se débattre pour que la main le relâche. Ensuite, et s'efforçant de cacher sa joie de le retrouver après quinze jours, il se retourne, le regard sévère. « Les gens civilisés sonnent à la porte et entrent pas dans les salles de bains sans autorisation, répond-il en poussant son torse du doigt, faisant ricaner ce grand imbécile qui sait très bien qu'il est le bienvenu chez lui. J'ai failli faire un arrêt cardiaque, espèce de grand abruti. » Mais c'est lui, il est là, et il sait qu'il va réussir à le faire rester, cette nuit ; et au pire il compte bien profiter des quelques heures qu'ils vont s'accorder, quand il attire son visage à ses lèvres, ferme les yeux, glisse une main dans ses cheveux déjà trempés. Tu m'as manqué. Cette nuit, la dernière fois, elle hante tous ses rêves depuis quinze jours. Repoussé doucement contre le mur, il sourit enfin Mallory, émerveillé quand il croise un regard brun, rieur ; peu importe s'il fait ça avec les autres, pour l'instant, il est avec lui et il n'a pas envie de penser à autre chose. « Je suis content de te voir. » De toute manière, il y a bien longtemps qu'il ne lui cache plus pourquoi.

Luttant déjà contre le rire lorsqu'il sent son amant se détendre en comprenant qu'il n'est pas en train de se faire agresser - ou si, mais par quelqu'un de malveillant du moins, et il va sans dire qu'un mot suffira à le faire reculer -, Ismaël relâche doucement sa prise pour permettre au jeune homme de se retourner pour poser sur lui un regard contrarié. « Les gens civilisés sonnent à la porte et entrent pas dans les salles de bains sans autorisation. 
– Ça veut dire oui ? répond-il en ricanant, amusé par ce doigt tout maigre qui se pose sur son torse. 
– J'ai failli faire un arrêt cardiaque, espèce de grand abruti.
– Je suis vraiment désolé, prétend-il sans scrupule, souriant déjà contre les lèvres du champion qui l'attire déjà plus près de lui. »
Il ne se pose pas de question, Ismaël, quand il sent son coeur s'emballer, qu'il pourrait même simplement rire de bonheur en voyant un sourire éclairer le visage de Mallory. Il devrait, sans doute, mais pour l'instant, il est tout simplement bien trop heureux pour ça. « Je suis content de te voir.
– Moi-aussi, Cha, répond-il en appuyant sa paume contre l'épaule du jeune homme pour le plaquer au mur. C'était long, ces deux semaines. »
Bien trop pour qu'il attende une seconde de plus, décrète-t-il en saisissant à nouveau ses lèvres pour forger sur sa bouche un baiser à en rendre froide l'eau qui couler autour d'eux.


« Alors ? demande-t-il en frottant vigoureusement ses cheveux dans une serviette réquisitionnée au sortir de la douche, alors que les deux garçons quittent la salle de bain. Qu'est-ce qu'on mange, ce soir ? »
Il est curieux, le baroudeur en caleçon qui sourit de toutes ses dents en traversant le couloir pour rejoindre la cuisine sur les talons de son amant. Il connaît les talents culinaires de Mallory et s'il n'a pas exigé ce repas pour se moquer, c'est quand même bien, un peu, pour le mettre en difficulté. « Tu l'as pas déjà préparé j'espère ? Je veux assister à ça. »

C'était long, deux semaines. Vraiment ? Il aurait pu venir avant, Mallory a proposé plusieurs fois, songe l'intéressé après une douche beaucoup trop longue, déposant sa serviette trempée sur la patère à l'entrée de la salle de bains. Il est tout à fait en forme maintenant, le seul souci, c'est qu'Isma est arrivé un peu trop tôt ; normalement, il était supposé arriver vers dix neuf heures et ce n'est pas du tout le cas. Donc lui qui prévoyait de tout faire réchauffer bien gentiment avant de tout balancer dans une casserole histoire de faire genre... c'est mort, hein ? Il va falloir qu'il trouve une solution, songe-t-il en se renfrognant en dépit de tout son corps perclu d'un sentiment de bien-être absolu. Il fait chier. Il l'a forcément fait exprès.

« Alors ? Qu'est-ce qu'on mange, ce soir ? » Il fait vraiment chier. Il ne lâchera pas l'affaire, hein ? Comment un Osselait peut apprendre Requiem, ça l'a travaillé toute la semaine ensuite, parce que la défaite était très clairement douloureuse, et sa seule consolation est qu'il aura absolument tout donné pour tenter de se rattraper. Sauf qu'il a quand même perdu, et il lève les yeux au ciel, tout habillé là où son amant a visiblement décidé de jouer les mannequins pour caleçon, avant de passer dans le salon. Aurore est allongée sur un plaid près d'un Sun qui mâchouille sa onzième baballe toute bleue, et Stella est tranquillement installée sur le canapé. D'ailleurs, sa Bibichut aime beaucoup la télé. « Je me rappelle plus du nom, j'ai trouvé la recette sur internet, ment-il éhontément.
– Tu l'as pas déjà préparé j'espère ? Je veux assister à ça. »

Ah. Là il y a une ouverture, songe le jeune homme en se redressant, pour lever le menton, sourire, très insolent et beaucoup trop sûr de lui pour l'énormité qu'il va tenter de sortir, là. « En fait, si, répond-il tout à fait tranquillement, alors qu'un sourcil se hausse devant lui. J'ai tout préparé en début d'après midi, comme ça on était tranquilles pour ce soir. » Ah, ça ne lui va pas, il est déçu ? Tant pis, songe le chanteur en approchant, la démarche féline, un sourire moqueur aux lèvres tandis que son visage de lève pour approcher celui du baroudeur. « J'avais pas du tout envie de perdre du temps à cuisiner alors que tu restes pas toute la nuit avec moi, ronronne-t-il finalement, et c'est beaucoup trop gros, mais il prie pour que ça passe. Je fais tout réchauffer et on peut se caler sur le canapé si t'as envie d'être tranquille, sinon y'a une jolie vue sur la terrasse. Ça te va ? » Bon, Sophie et la Gardevoir ont déjà investi l'extérieur, mais peu importe.

« En fait, si. »
Oh, sérieusement ? C'est dommage, songe d'abord naïvement le baroudeur, sans se douter une seconde de la supercherie alors qu'il cherche des yeux son Minisange, totalement oublié dans l'intervalle. « J'ai tout préparé en début d'après midi, comme ça on était tranquilles pour ce soir. »
Il tourne la tête pour observer le garçon qui s'avance, et découvre alors une expression... bien commune, disons, sur le visage du champion. Ça, c'est la tête du sale coup qu'il veut planquer derrière des ronronnements. « J'avais pas du tout envie de perdre du temps à cuisiner alors que tu restes pas toute la nuit avec moi. Je fais tout réchauffer et on peut se caler sur le canapé si t'as envie d'être tranquille, sinon y'a une jolie vue sur la terrasse. Ça te va ?
– D'abord j'veux voir la bouffe, décide-t-il, les sourcils froncés, redressant tout son corps pour mettre son visage hors de portée de la fourberie du garçon. Pas d'entourloupe. »
Oh non non, bien sûr que non ; ce n'est pas le genre de Mallory de faire ce genre de chose, hein ? D'ailleurs le champion a l'air très très fier de lui quand il le mène assurément vers le frigo, qu'il ouvre pour dévoiler toute une série de tupperwares sagement alignés sur les étagères du meuble. Et ce qu'il y a dedans, c'est beau, terriblement appétissant... et ça a clairement l'air comestible. « C'est toi qui as fait ça ? demande-t-il, perplexe, sans se soucier une seule seconde de la possible vexation qu'il provoquera. Tout seul ? »
Il prétend que oui, Mallory. Et Isma, il ne le croit pas, alors il croise les bras sur son torse, plisse les yeux. « Promis ? »
C'était une hésitation, ça ? Il n'en sait rien, c'est vraiment frustrant de ne rien pouvoir prouver. Sources, preuves, hein ? Quel emmerdeur. Isma lui, il est sûr que ça, ça a été acheté. « Bon. Soit. C'est très impressionnant. Tu m'autorises un goûter, quand même ? dit-il en se détournant alors, l'air de rien, faisant semblant de renoncer. T'as des biscuits quelque part ? »
Oui, dans le placard ? Bien, il se sert, déchire le papier, s'approche de la poubelle et... bingo. « Du coup j'imagine que ça, ça c'est retrouvé là par pure coïncidence ? demande-t-il avec un petit sourire victorieux, quoique contrarié, quand il brandit sous le nez du garçon une brochette d'étiquettes balancées-là à la va-vite. Menteur. »

« D'abord j'veux voir la bouffe. » Et il recule Isma, il commence à les sentir ces choses-là ; quand Mallory est bien décidé à faire un coup fourré et qu'il ne recule devant absolument rien dans le mensonge et l'insolence pour ne pas être emmerdé. Certains petits sourires ne trompent pas. Le sien en l'occurrence, n'a pas du tout l'effet escompté, lui qui espérait le distraire vient tout simplement de se prendre le regard le plus méfiant du panel du baroudeur. Pas d'entourloupe.
– Mais non, répond le jeune homme en levant insolemment les yeux au ciel. Comme si c'était mon genre. » Non, ça va ; à quiconque le lui demanderait, il répondrait sans aucun souci que sa mauvaise foi ne l'étouffe absolument pas. D'ailleurs, le voilà qui le conduit presque fièrement à la cuisine ; tout est emballé dans des tupperwares, il n'y a absolument aucune raison pour qu'il se doute de quelque chose son beau dresseur, si ?

Alors il ouvre, Mallory, dégaine fièrement sa série de petites boites d'un resto en bas de la rue, spécialisé dans la bouffe végétarienne. C'est plutôt bon d'après ce qu'il a déjà pu en juger, et le patron est toujours très content de servir Mallory Edgerton en personne, donc en plus de gonfler son égo, ils vont bien manger. C'est super, non ? « C'est toi qui as fait ça ?Tout seul ?
– Oui, répond-il sans ciller. » Mais ça ne prend absolument pas. « Promis ? »
Bon cette fois peut-être qu'il hésite un tout petit peu, Mallory. Est-ce qu'il va se fâcher Isma, si ce n'est pas lui qui a préparé à manger ? Le truc c'est qu'il n'a pas idée du travail que cela lui demanderait, au chanteur ; un temps qu'il n'a absolument aucune envie de perdre, il n'a jamais aimé aller dans une cuisine, il ne sait pas faire et il a toujours obstinément refusé d'apprendre auprès de ses parents adoptifs.

« Bon. Soit. C'est très impressionnant. Tu m'autorises un goûter, quand même ? T'as des biscuits quelque part ? » Il en soupirerait presque de soulagement, le chanteur, très loin de se douter de la fourberie quand Isma se dirige vers le placard qu'il lui désigne. Il s'attend à le voir revenir vers le plat qu'il a même sagement ouvert... sauf qu'il ouvre la poubelle, et là il perd le peu de couleurs qu'il lui restait. Merde. Oh putain, merde. « Du coup j'imagine que ça, ça c'est retrouvé là par pure coïncidence ? » Pourquoi il n'a pas mis ça tout au fond de la poubelle, hein ? C'était une erreur de débutant, songe le champion un peu décomposé devant le sourire d'Ismaël, sa mine contrariée et la ribambelle d'étiquettes qu'il tient entre ses doigts. « Menteur. »

Bon. Il est pris la main dans le sac, il a plusieurs options ; la première étant de le supplier de lui pardonner et lui expliquer, mais il est bien évidemment hors de question de faire ça. Alors, il a a la réaction la plus futile et la moins appropriée du monde, Mallory ; il croise les bras, soupire bruyamment. « Oh allez quoi ! C'est super bon, tu sais hein. Je vois absolument pas pourquoi tu tiens à ce que ce soit moi qui fasse à bouffer. » A part une pulsion suicidaire, mais sinon il ne voit pas. « Je sais pas cuisiner, je sais pas en quelle langue je dois le dire. Je sais même pas faire cuire des pâtes, comment tu veux que j'fasse un repas digne de ce nom ? J'avais pas envie de faire un truc dégueulasse, c'est tout. » En tout cas c'était pas l'idée qu'il se faisait d'un rencard réussi, empoisonner son « mec ». « Crois moi que tu vas largement préférer manger ça. Je sais même pas m'en servir de ma cuisine, j'ai pas de livres et pas d'ustensiles, alors... » Alors c'est non. Voilà. Il croise les bras plus fort, lève le nez, tourne royalement la tête dans une posture défiante, infantile. « J'veux pas, je le ferai pas. »

Du coup là en théorie, c'est le moment où Mallory avoue ses crimes, s'excuse platement et se jette aux fourneaux pour qu'ils puissent manger avant minuit. Ou au pire, il continue de nier et prétend qu'il a acheté ça hier pour goûter, ça aurait peut-être vaguement eu une chance de passer. Sauf que bien sûr ça ne se passe pas comme ça parce que ce petit con est bien trop fier pour ne pas assumer sa connerie jusqu'au bout. Du coup, Isma a droit à la totale : les yeux au ciel, le soupir contrarié - d'où il est contrarié, c'est lui qui ment, bordel -, les bras croisés et la mine boudeuse. Un vrai gosse. « Oh allez quoi ! C'est super bon, tu sais hein. Je vois absolument pas pourquoi tu tiens à ce que ce soit moi qui fasse à bouffer. 
– Parce que c'était le pari ? » 
Mais c'est un détail hein, tenir ses engagements, jouer le jeu, les gens comme ce petit effronté sont bien au-dessus de ça après tout. « Je sais pas cuisiner, je sais pas en quelle langue je dois le dire. Je sais même pas faire cuire des pâtes, comment tu veux que j'fasse un repas digne de ce nom ? J'avais pas envie de faire un truc dégueulasse, c'est tout. »
Tant de mauvaise foi, ça lui fait presque de la peine, à Isma. Lui il n'a pour ainsi dire jamais mangé au resto de sa vie et pourtant il l'aurait invité s'il avait perdu ce foutu combat. Il est pas drôle sur ce coup-là, le chanteur. « Crois moi que tu vas largement préférer manger ça. Je sais même pas m'en servir de ma cuisine, j'ai pas de livres et pas d'ustensiles, alors... 
– J'savais pas que vous aviez pas internet à Castlerain, raille-t-il en réponse, lâchant les étiquettes traîtresses dans la poubelle qu'il referme. » 
Mais l'argument ne prend pas, bien sûr, et Mallory relève le nez pour camper encore plus sur ses positions. Nickel. « J'veux pas, je le ferai pas. 
– T'es un vrai gamin, soupire-t-il en fourrant son biscuit dans sa bouche, tant qu'à faire. Et t'es pas drôle. Un pari c'est un pari, si tu comptais pas l'tenir fallait renoncer avant. »
Là, c'est juste pas fairplay, puis c'est un peu dommage, quand même, mais bon. Bref. Ils vont pas rester là-dessus toute la soirée, hein ? Un soupir supplémentaire plus tard, le baroudeur va à nouveau inspecter le frigo. « Bon. Ça se garde jusqu'à quand tes trucs ? »
Encore deux jours ? « Bien. »
Et sans rien ajouter, il retourne vers le couloir, ramasse ses fringues et se rhabille sous l'heure un peu perplexe et... inquiet, apparemment, du chanteur. Est-ce qu'il a peur que son amant s'en aille ? La question le fait s'immobiliser une seconde, l'observer, la tête un peu penchée. Pour une raison qui lui échappe un peu, le constat l'attendrit et il ne peut pas s'en empêcher quand il sourit, finalement, et tend le bras pour balancer une ranger du jeune homme - abandonnée dans le couloir - directement dans ses mains. « Allez active, on a des courses à faire. J'vais t'aider. »

« T'es un vrai gamin. Et t'es pas drôle. Un pari c'est un pari, si tu comptais pas l'tenir fallait renoncer avant. » Mais il lui a déjà dit qu'il n'avait pas l'intention de faire à manger bon sang, c'est lui qui n'a rien compris. Ça l'emmerde de faire à bouffer, ce n'est pas du tout quelque chose qu'il a envie d'apprendre, c'est long, chiant, et parfaitement inutile quand, comme lui, on a suffisamment d'argent pour se payer le resto tous les jours. Ou en tout cas quand il a faim. Ismaël soupire et Mallory lève une nouvelle fois les yeux au ciel ; pour lui faire reconnaître ses torts, bon courage.

« Bon. Ça se garde jusqu'à quand tes trucs ?
– Encore deux jours, répond-il, un peu boudeur. Pourquoi cette question ? »
– Bien. » Bien quoi ? Il ne comprend pas très bien ce qu'il se passe, le champion, quand il regarde son amant s'éloigner vers le couloir pour ramasser un jogging et un gros pull, qu'il enfile très vite. Pourquoi ? Il s'en va ? Il a été trop loin ? Ce n'était qu'un pari, et puis il voulait vraiment lui épargner sa cuisine, si tant est qu'on puisse définir quelque chose comme tel étant donné qu'il ne l'a jamais fait. Mais il ne va pas partir pour ça, si ? Il est inquiet Mallory, bien sûr, parce qu'il n'a pas envie de le voir partir, il a attendu deux longues semaines avant de le retrouver, et maintenant qu'il a goûté cet étrange bonheur impossible à décrire, il n'a pas du tout envie de s'en passer, quinze ans, ça ne va pas continuer comme avant, si ? Il s'en fout, alors ?

Non, il sourit le baroudeur, avant de lui lancer une chaussure que Mallory rattrape par un réflexe miraculeux, toute verve envolée. « Allez active, on a des courses à faire. J'vais t'aider. » Donc il va quand même devoir faire la cuisine. Avec lui ? Il va l'aider ? Il est bien incapable de comprendre, le chanteur, mais il enfile quand même sa chaussure qu'il s'applique à lacer en silence, avant d'attraper la deuxième pour finalement saisir sa veste de cuir au vol, une paire de lunettes de soleil et hop, dehors. « Je comprends pas, dit-il finalement après quelques secondes de marche. Pourquoi tu tiens tant que ça à ce que ça soit nous qui fassions à manger ? » Ça le dépasse. Complètement, et alors qu'ils se dirigent vers le supermarché, et en dépit des gens qui croisent dont une bonne partie qui le reconnaissent, il hausse les épaules. « Je veux dire. Quand on a l'argent ça épargne cette perte de temps non ? C'est pas du tout amusant, c'est chiant, c'est long, et y'a toujours mieux à faire. » Parfois, Sophie fait la cuisine, parce que ça lui fait plaisir. Elle se débrouille bien même si c'est souvent beaucoup trop copieux et trop épicé, mais son effort est toujours salué par le chanteur parce que lui ne le ferait absolument jamais. « Tu vas m'aider, alors ? » Et peut-être que ses doigts se posent délicatement sur son bras pour s'en saisir, sans trop oser ; il ne sait pas trop s'il a le droit, à ces gestes d'affection en pleine rue. Tant pis. Il tente.

Et voilà, en quelques minutes ils sont dehors et se dirigent tranquillement vers le centre commercial le plus proche ; l'avantage en ville c'est quand même qu'il y en a relativement partout. Ils ne sont partis que tous les deux, puisque Sophie et Lysaria ont voulu rester à l'appartement ; seul le petit Minisange reste à proximité, en les suivant de plus ou moins loin, apparemment pas trop rassuré à l'idée d'être laissé loin de son dresseur trop longtemps. Ce petit est prometteur, il a très bien tenu le parkour tout à l'heure. 
Mallory, lui, est resté relativement silencieux depuis leur départ. Est-ce qu'il boude ? Ce serait un comble, quand même. « Je comprends pas. Pourquoi tu tiens tant que ça à ce que ça soit nous qui fassions à manger ? » 
Parce que c'était le pari, ça ne va pas plus loin que ça. Ce genre d'engagement, ça se tient, c'est quasiment une question d'honneur et puis... si ça ne l'avait pas mis en difficulté, pourquoi est-ce qu'il aurait demandé un tel gage pour le pari ? C'était justement le but du jeu, de lui faire faire un truc nouveau, d'essayer, de se casser un peu le cul. Est-ce que l'aspect amusant de la chose lui échappe à ce point ? « Je veux dire. Quand on a l'argent ça épargne cette perte de temps non ? C'est pas du tout amusant, c'est chiant, c'est long, et y'a toujours mieux à faire. 
– J'aimerais bien savoir d'où tu tiens des infos pareilles si t'as jamais essayé, répond-il simplement en haussant les épaules, avant d'allumer sa clope. 
– Tu vas m'aider, alors ? 
– Oui, c'est ce que j'ai dit. Et la plupart du temps je tiens parole. » 
Il pique, cherche, se moque un peu parce que quand même, c'est un peu frustrant de voir que ce petit con ne semble pas ressentir la moindre culpabilité. Ceci étant, il accepte quand même la main qui se pose sur son bras sans se poser de question et ramène même son avant-bras contre son ventre par réflexe, comme si tout ça était parfaitement normal. « C'est marrant, de faire la cuisine. C'était jamais qu'un défi que t'étais obligé de relever vu que t'avais parié, et si vraiment t'étais en galère fallait demander de l'aide au lieu de renoncer comme ça. J'trouve ça un peu con que t'aies pas essayé de jouer le jeu mais bon, ce sera plus marrant à deux au final. »
Il tire sur sa clope et tapote discrètement sa cendre sur le trottoir, observant du coin de l’œil les quelques passants qui les dévisagent. « J'ai un truc dégueu sur le visage ou ils ont jamais vu deux mecs ensemble de leur vie, ceux-là ?s'interroge-t-il à voix haute en jetant un regard un peu perplexe à on amant... qui ricane ? Ah, c'est juste que t'es trop célèbre ? Fais-moi signe si tu vois un appareil photo, j'voudrais pas avoir l'air con en première page des magazines. » 

« Oui, c'est ce que j'ai dit. Et la plupart du temps je tiens parole. » Oh ça va, ils ne vont quand même pas en faire un cake, si ? Pour un peu et il soupirerait Mallory, mais il est en tort alors autant se faire tout petit, songe-t-il, rassuré par le bras qui le ramène à la silhouette protectrice de son amant, en pleine rue. Il ne comprend rien. Il ne va pas s'amuser à chercher, pour le moment, ça lui va très bien. Pour ce soir, au moins. « C'est marrant, de faire la cuisine. C'était jamais qu'un défi que t'étais obligé de relever vu que t'avais parié, et si vraiment t'étais en galère fallait demander de l'aide au lieu de renoncer comme ça. J'trouve ça un peu con que t'aies pas essayé de jouer le jeu mais bon, ce sera plus marrant à deux au final. » C'est tout simplement parce que pour lui, il ne s'agit pas d'un jeu. Il ne voyait pas du tout ça comme un défi ; ce pari, c'était juste pour lui donner une bonne excuse pour revenir le voir, c'est tout, et force est de constater que ça a marché. La ruse a fonctionné, et même si Isma est désormais capable d'en voir certaines il y en a d'autres, un peu comme celle-ci, qui échappe à son observation et son entendement. Au vu du temps qu'il lui a fallu pour accepter une évidence vieille de quinze ans, il va falloir qu'il en comprenne certaines subtilités, maintenant.

« J'ai un truc dégueu sur le visage ou ils ont jamais vu deux mecs ensemble de leur vie, ceux-là ? » De quoi il parle ? Un sourcil étonné se hausse, près d'un Isma qui observe les passants, dont certains se sont arrêtés ; sauf que ce n'est pas vraiment lui qu'ils regardent, mais plutôt celui qui est accroché à son bras, et la pensée lui arrache un rire clairement amusé devant tant de naïveté. « Ah, c'est juste que t'es trop célèbre ? Fais-moi signe si tu vois un appareil photo, j'voudrais pas avoir l'air con en première page des magazines. » Et le garçon de lever les yeux au ciel, en dépit de son sourire ; parce que les photos, ça ne le dérange plus depuis longtemps alors peut-être qu'il en rajoute un peu en levant le nez vers lui, les yeux cachés derrière ses lunettes noires parfaitement inutile. « Je croyais que t'étais toujours beau ? » ronronne-t-il, bien content que le baroudeur ne lui en veuille que partiellement pour sa traîtrise. « C'est presque comme si t'allais me voler la vedette, mais j'ai bien dit presque. » Bien sûr qu'il en rajoute, il a au moins ça en commun avec Neskov ; la célébrité, il aime beaucoup ça. C'est quand même plein d'avantages. « Je vois d'ici les gros titres, tiens. C'est déjà arrivé qu'on me prenne en photo avec un mec ou deux et ils déliraient sur de grandes histoires romantiques alors qu'on rentrait juste à l'hôtel pour la soirée après un concert. » Ce n'est pas arrivé souvent. Ces bras dans lesquels il se lovait avaient la fadeur et l'amertume des actes manqués. Rien à voir avec ces mains-là, qui semblent faites pour soutenir les contours maigres de son corps. « Alors tu devrais pas trop te réjouir. De toute façon on est presque arrivés. »  

« Je croyais que t'étais toujours beau ? 
– Être beau et avoir l'air con, c'est pas la même chose, réplique-t-il en souriant. L'un n'empêche pas l'autre. » 
D'ailleurs Ismaël lui-même en est la preuve au quotidien mais ça va, il le vit bien, du moment que ce n'est pas en première page des magazines, justement. « C'est presque comme si t'allais me voler la vedette, mais j'ai bien dit presque. 
– Oh mais je te laisse la gloire, je t'en prie, rigole le baroudeur. Tu sais bien mieux quoi en faire que moi. » 
Lui, ça l'emmerderait bien plus qu'autre chose, d'être reconnu partout où il va et de ne jamais pouvoir avoir la paix. Il serait super malheureux s'il était aussi célèbre que son amant alors un sourire pour une photo, oui, mais de la renommée à ne plus savoir quoi en foutre ? Non. Le seul prestige qu'il voudra bien se voir reconnaître publiquement c'est celui lié à son niveau de Notoriété. « Je vois d'ici les gros titres, tiens. C'est déjà arrivé qu'on me prenne en photo avec un mec ou deux et ils déliraient sur de grandes histoires romantiques alors qu'on rentrait juste à l'hôtel pour la soirée après un concert. 
– Classique, ricane-t-il encore. Moi qui croyais que la presse people avait un peu évolué depuis le temps, apparemment j'y étais pas. » 
Il y a vraiment des gens qui s'intéressent à ce genre d'histoire ? Pour de vrai ? C'est vraiment triste, en fait. « Alors tu devrais pas trop te réjouir. De toute façon on est presque arrivés. 
– Tant mieux, j'commence à avoir la dalle, dit-il joyeusement en pressant le pas, tirant le chanteur avec lui. Allez, plus vite Chacha. » 


« Sophie, arrête, gronde le baroudeur en fronçant les sourcils. Lysaria, tu tiens ta meuf un peu s'te plaît ? »
Une seconde plus tard, le couteau qui volait tout seul pour éplucher les légumes retombe sur le plan de travail sous les yeux déconfits de Mallory qui est bien obligé de le reprendre en main. « J'savais même pas que c'était possible de mettre autant de mauvaise volonté dans quelque chose, dit-il cette fois à son amant qui maugrée dans sa barbe comme il n'a pas arrêté de le faire déjà dans le centre commercial. Si t'essayais de t'appliquer ça irait beaucoup plus vite. »
Pas aussi vite que Sophie et ses pouvoirs psychiques de télékinésie ou que de commander un truc tout fait mais quand même, un peu plus vite que quand on fait à peu près un geste toutes les quatre secondes. « Tu vas voir, c'est encore plus satisfaisant de manger un truc que t'as cuisiné toi-même. Et arrête de râler ou j'te jure que je te balance toute la farine à la gueule. »

Elle est formidable son Ectoplasma, toute en finesse, toute en discrétion, elle s'en sort terriblement bien pour ce qui est d'éplucher cette maudite courgette à sa place et lui il fait tout simplement semblant. C'est vraiment pénible, et d'ailleurs Mallory n'a pas pu s'empêcher de grommeler depuis le retour du supermarché ; ils ont acheté plein de trucs inutiles, en commençant par la bouffe jusqu'à ces maudits ustensiles dont il ne se servira jamais, et il le sait. A quoi bon, hein ? C'est du fric foutu par les fenêtres, et même s'il en a à ne plus savoir quoi en faire, ça emmerde clairement le chanteur de le dépenser pour ce genre de conneries. Alors que sa grosse compagne fait très bien le travail, et qu'Isma ne remarque rien. « Sophie, arrête. » Ou si. Et merde.
« Lysaria, tu tiens ta meuf un peu s'te plaît ? »

Sophie est bien obligée de s'arrêter de l'aider, sous le rire étincelant d'une Gardevoir qui l'attrape par le bras pour l'entraîner dans le salon ; le Pokémon est bien obligé de s'en aller après un dernier regard désolé, tandis que Mallory récupère l'objet dans un grommellement de frustration. Non sérieux, ça l'emmerde cette cuisine. « J'savais même pas que c'était possible de mettre autant de mauvaise volonté dans quelque chose. Si t'essayais de t'appliquer ça irait beaucoup plus vite.
– J'y arrive pas, geint-il en esquissant une pauvre grimace, dans l'espoir peut-être un peu fou d'attendrir son amant qui n'a pas du tout l'intention de lâcher l'affaire. » Il est vingt heures, et ils viennent à peine de commencer à préparer le repas, Mallory espère vraiment de toutes ses forces qu'ensuite, ils vont pouvoir se caler devant un film et s'envoyer en l'air toute la nuit. Qu'il bosse demain, il s'en fout. Totalement.

« Tu vas voir, c'est encore plus satisfaisant de manger un truc que t'as cuisiné toi-même. Et arrête de râler ou j'te jure que je te balance toute la farine à la gueule. » Et là, un sourcil se hausse ; ils sont donc supposés faire une tourte de légumes, et Mallory est à la découpe pendant qu'Isma prépare la pâte dans un saladier. Le sac de farine est à côté de lui, c'est beaucoup trop tentant pour que le chanteur n'esquisse pas un petit sourire clairement narquois. « Tu crois que tu me fais peur ? » Non parce que, s'il en veut de la farine, il va en avoir, son beau dresseur. Aidé par Sophie, qui malgré sa présence dans le salon n'a rien raté de la conversation, le jeune homme voit le paquet s'envoler aussitôt vers lui le temps qu'il se saisisse d'une bonne poignée qu'il envoie directement dans les cheveux de son amant. « Comme si tu pouvais me menacer sous mon toit. Tu parles à un champion, là. » Même si ça n'a aucun rapport, ça l'amuse beaucoup de faire le mec faussement fier devant son amant qui a soudain pris dix ans, les cheveux tout blancs. « Franchement, t'as pas... EH OH ! » Ce jet-là, il vient de le prendre directement dans la gueule, non ? Très bien, tant pis pour lui ; il veut de la farine, il va en bouffer, songe le jeune homme en saisissant le paquet dans un grand éclat de rire, le nez tout blanc, les sourcils recouverts de poudre, déterminé à lui en foutre plein la bouche. « Le Requiem de Than te sauvera pas cette fois, grand con ! »

« Tu crois que tu me fais peur ? » 
Oh, il sait que non, mais il sait aussi que Mallory devrait ; sauf que comme d’habitude le champion est bien trop sûr de lui. Il n'avait pas peur non-plus lors de ce combat la dernière fois et pourtant... Il a fini par perdre. Alors il a du mal à retenir les leçons, le garçon ? 
Apparemment, oui, puisqu'une fois de plus c'est bien sur ses Pokémon qu'il a l'air de compter. A moins que maintenant il arrive à faire voler les sacs de farine par la pensée ? Souriant, Isma secoue la tête... puis sursaute lorsqu'un nuage blanc lui arrive derrière la tête. Il a osé là, vraiment ? « Comme si tu pouvais me menacer sous mon toit. Tu parles à un champion, là. 
– Et c'est aussi un champion que j'ai battu à plates coutures à la Lumiclairière il y a deux semaines il me semble, réplique-t-il, piqué au vif en saisissant son saladier de farine, prêt à lui rendre la monnaie de sa pièce.
– Franchement, t'as pas... EH OH ! » 
Allez, c'est cadeau, et le baroudeur est déjà mort de rire quand il recule d'un bond, anticipant la prochaine attaque. Ce combat-là aussi, il compte bien le gagner. « Le Requiem de Than te sauvera pas cette fois, grand con ! 
– Méfie-toi que j'm'en serve pas pour empêcher Sophie de te sauver le cul encore une fois, répond-il en bondissant derrière le bar pour se mettre à couvert. Prends ça ! »
Mais lui-aussi il manque son coup, trop prévisible ; il va finir par lancer autre chose... cette éponge qui traîne là par exemple. Pleine face, et il éclate de rire le baroudeur, oubliant de se pencher pour esquiver la grande poignée de farine qui lui arrive dessus. Il doit ressembler à un bonhomme de neige mais il n'en a rien à foutre ; quand il réalise finalement que sa carrure beaucoup plus solide et visiblement moins vive que celle de son adversaire, ne lui permet pas d'esquiver aussi bien que lui, il change de technique et fonce dans le tas. « Allez tu m'énerves espèce de trouillard, branle bas de combat ! »
Et le voilà qui course le chanteur à travers la cuisine puis le salon, jetant des éclats de rire dans tout l'appartement entre deux grondement de frustration quand il se rend compte que Mallory, plus familier des lieux, parvient à lui échapper ; il renonce finalement plus ou moins en lui jetant tout ce qu'il trouve d'à peu près mou et pas trop dangereux... y compris cette petite balle bleue, qui rebondit sur le front du chanteur dans un petit toc aussitôt suivi d'une longue série d'aboiements et d'un son de cavalcade. Ça, ça doit être le jackpot. 

« Méfie-toi que j'm'en serve pas pour empêcher Sophie de te sauver le cul encore une fois. » Sauf que pas cette fois, cette fois Mallory est chez lui et il est parfaitement hors de question de perdre encore  une fois contre ce grand crétin  au moins aussi prétentieux que lui. Il est à l'affut le chanteur, alors qu'Ismaël se précipite derrière le bar pour échapper à une  nouvelle vague de farine ; il n'y arrivera pas longtemps, cet appartement a commencé à voir pas mal de batailles même s'il n'y est pas depuis très longtemps. Sophie adore jouer à cache-cache jusqu'à connaître toutes les pièces par coeur.
« Prends ça ! » Raté. Le jet de farine le rate de quelques centimètres, et il  éclate d'un petit rire triomphal Mallory... avant de se prendre  une éponge en pleine tête, incapable d'avoir vu le coup venir. « ESPECE DE... » ça ne se passera pas comme ça et il s'arme, le jeune homme, de tout ce qu'il peut avoir à portée ; torchons, emballages et épluchures de légumes, puisqu'il veut la jouer comme ça, très bien.

La poignée de farine suivante lui arrive en plein front, il en est recouvert maintenant Isma,  et Mallory éclate de rire avant de s'enfuir direction le salon ; le ménage va lerendre fou ensuite, mais tant pis, songe-t-il en esquivant  un projectile puis un autre, sur son terrain, plus mince et plus agile que le grand idiot qui essaie quand même, sans y parvenir. « Alors Esperanza, on sait plus viser ?
– Allez tu m'énerves espèce de trouillard, branle bas de combat ! » Et les voilà partis dans le couloir comme deux gamins qui auraient raté des années de leur vie à s'écharper sans la moindre raison, rattrapant les affres de leur adolescence manquée. C'est comme ça que ça aurait dû se passer, si Isma n'avait pas perdu tout ce temps avec Oliver, c'est comme ça qu'il aurait réussi, il en est sûr ; en étant lui-même, pour de vrai, l'esprit vide de toute souffrance, simplement heureux comme un  gamin qui saute derrière  le canapé pour éviter un torchon sauvage. Quand Isma a compris qu'il ne l'attraperait pas, il a donc opté pour les projectiles, et celui qui finit  par l'atteindre en pleine poitrine alors qu'il allait bondir pour changer de cachette... c'est la baballe de Sun. Oh merde.

Le pouic ! qui résonne génère aussitôt un terrible capharnaüm venu du couloir ; le Voltoutou, qui devait dormir tranquillement dans son bureau comme à son habitude, est en pleine forme quand dans  une série de raclements de griffes sur le parquet et d'aboiements de joie, il fonce dans le salon, droit vers son dresseur qui écarquille les yeux. Le Voltoutou est tellement surexcité que des arcs électriques passent entre ses oreilles  pointues. « Non non non  NON NON SUN NON » Mais si, un boulet de canon lui saute sur le ventre et le fait basculer vers l'arrière ; la cascade est magistrale,  son dos heurte celui du canapé, et dans une formidable galipette arrière pas du tout maîtrisée, il tombe sur le cuir noir, couvert de farine, le souffle coupé par le choc. Son Pokémon  vient de récupérer sa baballe ; et le voilà parti avec dans une série de grognements joyeux pour foncer vers l'un  de ses  paniers  pour aller la déchiqueter tandis que, étalé les jambes en l'air sur le meuble et la tête en bas, il aperçoit une paire de jambes qui lui court dessus. « NON TRICHEUR T'AS PAS LE AHAHAHAHAH NON NON » hurle-t-il face à l'abominable homme de farine qui fait impitoyablement courir ses doigts sur ses côtes. « Arrête arrête ahaha je peux plus respirer ARRÊTE TU TRICHES »

Ça aurait été un plan parfait, s'il avait été volontaire. Isma se sent bien chanceux, sur ce coup, quand il voit Sun débarquer en dérapant sur le parquet, courant comme un dératé pour foncer droit sur son dresseur parfaitement décomposé. Le baroudeur commence à sourire entre deux respirations haletantes avant même que le Voltoutou ne se jette littéralement sur le chanteur. « Non non non  NON NON SUN NON ! » 
Le choc couple le souffle de Mallory, mais Isma lui éclate de rire, sans attendre une seconde pour profiter de cette occasion beaucoup trop belle pour être manquée : en un instant, il a fondu sur le garçon désorienté, la tête à l'envers sur le canapé, et bien incapable de se défendre de l'attaque sauvage des chatouilles de la mort, face à laquelle il ne peut, de toute façon, pas grand chose. « NON TRICHEUR T'AS PAS LE AHAHAHAHAH NON NON » 
Et il gigote, le Chacripalgue, dans tous les sens, il se tord, tressaute en criant de panique, hurlant de rire en même temps alors qu'il bascule sur le canapé, tentant vainement de s'échapper de l'emprise impitoyable de son amant, beaucoup trop satisfait d'avoir vu la situation tourner à son avantage comme ça. « Arrête arrête ahaha je peux plus respirer ARRÊTE TU TRICHES 
– Je quoi ? jubile-t-il, un grand sourire aux lèvres, refusant de laisser le moindre répit à ce petit malin. Je triche ? Dis-le encore ? »
De toute façon c'est bien simple, il attend la supplique, parce qu'il a de la farine plein la bouche, plein les cheveux et plein ses fringues, et que Mallory doit le lui payer. Le pitié finit par arriver, et finalement il est aussi fatigué que le chanteur quand il se laisse tomber près de lui, un reste de rire épuisé aux lèvres. « Tu vois, articule-t-il en récupérant son paquet de clopes, tout tordu dans la poche de son jean. Je gagne à chaque fois, j'suis trop fort pour toi. »
Il sort une cigarette à peu près droite et la coince entre ses lèvres, avant d'en trouver une particulièrement écrabouillée, qu'il tend solennellement à Mallory. « Voilà pour toi. La cigarette de la défaite. »

« Je quoi ? Je triche ? Dis-le encore ? » Oh bordel il faut qu'il arrête il va mourir, il est tout simplement écarlate Mallory sous la farine qui lui couvre le visage, il se tord, se débat de toutes ses forces, fout de la poudre blanche absolument partout et il est bien incapable d'échapper à ces foutues mains qui ne lui laissent absolument aucun répit. « T'es un! T'es un tri, un trihahaha non nonarrêtearrête... » Il a les cheveux devant les yeux maintenant, il va complètement perdre son souffle à ce rythme et quelque chose lui dit qu'il n'arrivera pas à reprendre l'avantage et que son amant n'aura absolument aucune  pitié ; au bout de longues secondes de souffrance il renonce, sous le rire du baroudeur et les aboiements joyeux de Sun. Bien sûr qu'il a triché son amant, mais le dire tout de suite serait tout bonnement suicidaire alors il renonce, à deux doigts de mourir, les yeux écarquillés et les mains tremblantes crispées sur les bras d'Isma pour essayer de l'écarter. « Es... espèce de... NON PITIE PITIE je feraitout c'que tu voudras arrête... »

Et ce  n'est que lorsqu'il entend enfin la supplique que le dresseur le relâche ; visiblement très satisfait mais à peu près aussi crevé que lui, Ismaël finit par se laisser tomber sur le canapé, à bout de souffle. « Tu vois, je gagne à chaque fois, j'suis trop fort pour toi. » Il n'aurait absolument pas gagné s'il  n'avait pas usé de traîtrise, mais il est beaucoup trop mort pour répliquer, Mallory ; tout au plus d'accepter une clope toute tordue et se traîner jusqu'à ses genoux, sur lesquels il pose sa tête. « Voilà pour toi. La cigarette de la défaite.
– Oh, j'mérite pas ça, ricane-t-il en l'acceptant quand même. » Le cliquetis du briquet résonne au-dessus de  lui, et il soupire d'aise à la première bouffée qu'Ismaël lui allume, presque galamment. Recrachant la fumée vers  le plafond, il ferme les yeux, recouvre son souffle. Ils ont tous les deux de la farine plein la tronche. « Ça te fait les dents toutes jaunes quand tu souris, note-t-il, sourire au coin des lèvres en tendant les doigts pour chasser un peu de poudre blanche des sourcils du baroudeur. T'es moins beau que d'habitude. »

Pieux mensonge bien sûr, et son regard à lui dit tout le contraire quand il frotte son visage tout blanc contre le sweatshirt de son amant pour enlever le plus gros de la farine. « On est bons pour reprendre une douche avec tes bêtises. Au pire, on y retourne pendant que Sophie finit de faire à manger ? » Allez. Elle est pas mal cette proposition non ? Non, bien sûr, et il essuie un regard sévère auquel il répond en enroulant ses deux bras maigres autour de son ventre, au paradis. « D'accord, ça va. Je vais y mettre du mien. » Si ça lui fait plaisir au baroudeur, alors soit, songe-t-il en se redressant après quelques secondes à la caresse de quelques doigts dans ses cheveux. Son nez se lève pour croiser un regard brun, amusé ; est-ce qu'il l'invente, la tendresse qu'il lit dans ses prunelles ? Il n'en sait rien. « Tu restes dormir, dis ? »

« Oh, j'mérite pas ça. »
Bah, il a perdu, donc si, il la mérite ? Sur ce coup-là, Isma ne suit pas vraiment le champion mais c’est pas grave, parce que la clope est quand même acceptée. Il retrouve son briquet dans l’une de ses poches et allume l’embout du tube de tabac entre les lèvres du jeune homme étendu sur le canapé, la tête sur ses genoux. Mallory est plus mignon que jamais avec sa tronche pleine de farine, songe-t-il en souriant. « Ça te fait les dents toutes jaunes quand tu souris. »
Ou pas, donc. Pourquoi est-ce qu’il ne peut jamais s’empêcher de dire quelque chose de désobligeant ? se demande dramatiquement le baroudeur pas si vexé que ça, riant même doucement lorsqu’un nuage de farine tombe de ses sourcils frottés par le coupable. « T'es moins beau que d'habitude.
– Je suis sûr que c’est pas vrai, plaisante-t-il en glissant ses doigts dans les cheveux du jeune homme qui colle son visage contre son ventre pour y laisser une grosse empreinte blanche.
– On est bons pour reprendre une douche avec tes bêtises. Au pire, on y retourne pendant que Sophie finit de faire à manger ? »
Il s’apprêtait à répliquer, quelque chose comme comment ça mes bêtises ?! parce qu’après tout c’est Mallory qui a lancé la première poignée de farine ; mais la dernière suggestion lui fait froncer les sourcils, sévère. Il va pas recommencer ? Non, c’est bon, les bras qui s’enroulent autour de lui le font se détendre aussitôt et il s’applique à répandre un peu plus de poudre blanche sur le canapé en caressant doucement les cheveux du champion. « D'accord, ça va. Je vais y mettre du mien.
– Merci, j’aime mieux ça, répond-il en souriant. »
Et voilà le garçon qui se contorsionne pour lever le nez vers lui, les yeux plein d’étoiles, à nouveau. « Tu restes dormir, dis ?
– J’avais absolument pas l’intention de retourner à Enoville ce soir, répond-il en riant doucement, frottant de son pouce la pommette toute blanche de Mallory. J’plaisantais, et comme tu prenais ça au sérieux j’ai continué, c’est tout. »
Il se penche à son tour, étirant son dos pour réussir à donner quelques petits coups de nez sur le front du jeune homme, moqueur et affectueux. « Si tu veux tout savoir j’ai même posé ma journée pour tes beaux yeux. J’me disais qu’on pourrait aller se balader, si t’es libre. »  

« J’avais absolument pas l’intention de retourner à Enoville ce soir. » C'est vrai ? Alors pourquoi est-ce qu'il lui a dit qu'il bossait le lendemain ? Il ne comprend pas Mallory, il n'est pas vraiment coutumier à comprendre toutes les plaisanteries, bien au contraire. Mais ça veut dire qu'il va rester, non ? Cette façon qu'il a d'enlever la farine de sa joue toute blanche, c'est un geste affreusement tendre, adorable, et il en ferme les yeux au moins autant de contentement que de soulagement. Tout va bien, alors. Il va rester, ce soir il sait qu'il dormira aussi bien que la dernière fois, entouré par ses bras, noyé dans l'inespéré sans se douter qu'il risque de se casser la gueule. Il s'en fout. Il est là. Il est plus là qu'il ne l'a jamais été. « J’plaisantais, et comme tu prenais ça au sérieux j’ai continué, c’est tout.
– T'aurais pu me dire que tu plaisantais, grommelle-t-il, à peine boudeur mais incapable de le rester bien longtemps quand il sent un nez tout fin sur son front. » Est-ce qu'il rêve ? Comment les choses ont-elles pu basculer aussi vite, quand est-ce qu'il va tomber ?

« Si tu veux tout savoir j’ai même posé ma journée pour tes beaux yeux. J’me disais qu’on pourrait aller se balader, si t’es libre. » Oui, il est libre, et peu importe ce qu'il devait faire demain parce qu'il s'en moque totalement maintenant, et quand il se redresse, les yeux brillants d'une joie infantile, c'est pour mieux saisir une joue râpeuse et blanche d'une main pour un baiser, puis un autre et encore un autre, jusqu'à perdre totalement le compte. C'est bien plus fort que tout ce qu'il a connu, Mallory, quand bien-même a-t-il su, à une époque, être heureux avec cet ersatz de relation que lui donnait Hydris pour lui faire oublier son terrible échec. C'est l'impression d'avoir des papillons dans le ventre, de ne vivre qu'à la merci d'un regard ou d'un sourire, dans l'attente douloureuse du suivant. C'est sentir ses os brûler et sa chair gelée au contact de ses mains, comme un miracle autant que la plus belle et la plus belle des malédictions. Il est un poison Ismaël, et s'il a cru qu'il s'était injecté suffisamment de son souvenir pour résister à toutes les tempêtes, il n'aurait jamais pu prévoir cette affreuse tendresse, toutes ces choses qu'il a envie de promettre. A chaque baiser, il considère sa chance, renforce son espoir. Tout en haut de la falaise sur laquelle il a passé sa vie à s'accrocher, il y a cet étrange oiseau de feu qu'il a toujours admiré, et dont il a, aujourd'hui, le droit d'effleurer les ailes.

Et quand il recule, c'est pour mieux poser son front contre le sien, sourire ; ne pas penser aux jours d'après, seulement à ce soir, à demain. Il se loverait bien dans ses bras, tout de suite, mais c'est un gargouillement de son ventre qui le rappelle à ses devoirs, et le fait reculer en souriant, bien plus disposé à faire un effort, maintenant. « On ira où tu veux demain, alors, murmure-t-il en effleurant son nez du sien. Et en attendant je crois que tu étais en train de m'apprendre à faire à manger, nan ? » Et oui, ça l'emmerde, il serait volontiers retourné à la douche ou mieux, dans un bain ; tant pis, plus tard. Apparemment, ils ont aussi demain pour tout ça.

Et quand il reprend le couteau, c'est avec un peu plus d'entrain ; il s'applique même à bien couper les oignons comme il lui montre, Isma, en dépit des yeux qui piquent horriblement au bout de quelques minutes. « Putain, voilà exactement pourquoi j'ai horreur de faire la cuisine, pleurniche-t-il en s'essuyant avec sa manche, par miracle intacte. Il faut faire quoi après, je peux regarder ? » Le livre de cuisine flambant neuf lui est tendu, et lui, il fronce les sourcils. « Faire revenir les oignons dans une poêle. Moi j'veux bien mais ils sont pas partis... arrête de rigoler. »

Alors, est-ce que ça va le tenter ? Il en aurait envie, le chanteur ? Isma se sent un peu stressé à l'idée de devoir reprendre le taxi demain matin pour rentrer parce que son amant aurait autre chose de prévu ou simplement, n'aurait pas envie de le voir ; il serait déçu, simplement, il a réservé sa journée pour lui sur un coup de tête, alors... Mais au pire, ils auront d'autres occasions de se revoir. Voilà ce qu'il se dit de façon tout à fait inconsciente pour se rassurer, pour délégitimer, quelque part, les sentiments dont il ne prend en compte ni la présence ni la mesure et dont il ignore tout ; les mécanismes de déni du baroudeur sont bien rodés, et c'est exactement la raison pour laquelle il n'a pas demandé à Mallory ce qu'il faisait hier, quand il n'était pas dispo. Après tout, le jeune homme fait bien ce qu'il veut avec qui il veut, hein ? Ne pas poser la question, c'était ne pas légitimer le fait que ça ne lui ait pas du tout plu : lui, il n'a rien à dire. 
Et d'ailleurs il ne dit rien non-plus quand il voit Mallory se redresser sans avoir répondu, acceptant simplement de suivre cette main qui attire son visage jusqu'au sien pour un baiser dont la ferveur le surprend, mais à laquelle il n'a absolument pas l'intention de se dérober. Ses yeux se ferment et, comme l'autre fois à la Lumiclairière, il oublie de réfléchir pour laisser simplement un bien-être d'un autre genre hérisser sa chair et accélérer les battements de son cœur. Ses propres mains viennent encadrer le visage du champion, épousant sa mâchoire puis sa gorge pour s'assurer qu'il ne quittera pas ses lèvres trop vite, mais il n'a en aucun cas besoin de lutter pour obtenir ce qu'il veut. Quand finalement ils reculent l'un et l'autre, c'est pour mieux rester à l'orée de leur souffle, et pour mieux taire ce que leurs yeux se disent sans qu'Ismaël ne soit en mesure de le comprendre. « On ira où tu veux demain, alors. Et en attendant je crois que tu étais en train de m'apprendre à faire à manger, nan ? 
– Une tourte aux légumes, plus exactement, sourit-il, attendri sans vraiment saisir le pourquoi du comment. Allez, on s'étalera dans ce canapé plus tard. »
En toute honnêteté, il n'aurait pas dit non à un bain, mais renoncer maintenant reviendrait à laisser Mallory gagner et de ça, il n'en est pas question.

C'est un peu moins laborieux quand on y met du sien, et si Mallory a pu le constater dans les premières minutes qui ont suivi leur reprise du labeur, maintenant il est en train de se confronter à l'une des rares activités culinaires vraiment pénible ; bien sûr, il saute sur l'occasion pour recommencer à pleurnicher. « Putain, voilà exactement pourquoi j'ai horreur de faire la cuisine. Il faut faire quoi après, je peux regarder ? » 
Bien sûr qu'il peut, et c'est avec un petit sourire que le baroudeur tend le bouquin de cuisine à son amant, commençant déjà à ricaner par anticipation. « Faire revenir les oignons dans une poêle. Moi j'veux bien mais ils sont pas partis... arrête de rigoler. 
– Revenir ça veut dire que... ahah putain, désolé. Il faut les faire cuire dans une poêle pour qu'ils grillent un peu. Mets un peu de graisse pour éviter que ça brûle et secoue régulièrement, c'est vraiment pas sorcier. »
Par contre eux, ils ne vont pas manger tout de suite, au rythme où ça va, se dit-il en souriant, aussi amusé qu'attendri par les râleries du champion.


« J'ai bien fait de la poser, ma journée de demain, sourit Isma en soufflant la fumée du joint vers le plafond de la chambre de Mallory. Enfin, d'aujourd'hui, je devrais dire. J'ose pas imaginer l'état dans lequel j'aurais été au boulot. »
Il rigole doucement, amenant un peu plus étroitement contre lui le corps de son amant qui récupère la tige d'herbe incandescente. Quelle heure il est, maintenant ? Quatre heures, cinq ? Le moindre de ses muscles est tremblant d'épuisement mais lui ne se sent pas du tout fatigué. « T'avais rien de prévu toi ? Je chamboule pas tes plans ? Des répètes, des gens à voir, j'en sais rien moi... »

Si Mallory s'écoutait, là, maintenant, il se réfugierait contre l'épaule du baroudeur et s'endormirait dans la seconde. Quelle heure est-il, le chanteur n'en sait absolument rien et il s'en moque. La soirée a été incroyablement douce, ils ont mangé devant un film un peu nul qu'ils n'ont même pas terminé. Un bain, long, brûlant et c'est sans vraiment se concerter qu'ils se sont précipités en courant dans sa chambre dans une série de grands éclats de rire. Il était vingt trois heures. Ensuite, ils se sont appliqués à découvrir chaque parcelle de leur peau, jusqu'à se perdre eux-mêmes.
L'accalmie lui fait du bien pourtant, et il n'entend même plus les bruits de la ville qui l'indisposent en temps normal, trop occupé à savourer le silence dans la chambre, le calme absolu dans lequel ils baignent depuis une poignée de minutes. Tout va bien. Il est là, Ismaël, alors tout va bien. Même s'il peine sincèrement à y croire.

« J'ai bien fait de la poser, ma journée de demain. Enfin, d'aujourd'hui, je devrais dire. J'ose pas imaginer l'état dans lequel j'aurais été au boulot.
– T'as bien fait, parce que j'aurais absolument pas culpabilisé. » Ricane doucement le chanteur en récupérant le joint allumé, qu'il porte à ses lèvres. Il pourrait encore les sentir, ses mains sur sa peau, ses paumes enfermant ses hanches osseuses, la caresse piquante de ses baisers dans son cou et la tendresse incroyable de son regard. C'est comme s'il nageait dans le plus beau de ses délires, tout ce dont il a rêvé trouve une concrétisation, maintenant, et s'il n'avait que la confirmation que ça ne s'arrêterait pas, Mallory serait entièrement heureux. Seule cette incertitude le fait encore plonger dans la perplexité.

Mais le bras qui l'enlace un peu plus étroitement le rassure, maintenant, et il ferme doucement les yeux en glissant son nez dans le cou de son amant, recrachant la fumée devant lui. S'il devait choisir dans quel paradis il pourrait se retrouver par miracle, il sait que ce serait avec lui. « T'avais rien de prévu toi ? Je chamboule pas tes plans ? Des répètes, des gens à voir, j'en sais rien moi... » Sans comprendre le sous-entendu derrière la question, Mallory secoue doucement la tête. « Rien de plus important qu'une ballade avec toi demain, ronronne-t-il, affectueux, perdu entre les endorphines et les vapeurs de drogue qui le submergent. » Il avait prévu une après midi de répétition, mais il a déjà envoyé un message pour prévenir le groupe que cette dernière serait reportée. L'avantage d'être le meneur, c'est sûrement que personne ne conteste jamais ses décisions. C'est en grande partie grâce à lui, après tout, qu'Asylum a autant de succès.

Et de toute manière, il n'a pas du tout envie de penser au groupe tout de suite. Enveloppé de chaleur, joint au bec, sourire aux lèvres et cheveux devant les yeux, il savoure simplement cette quiétude tranquille dont il n'a que si rarement pu profiter. « J'aimerais bien que le temps s'arrête, maintenant, chuchote-t-il doucement, sans vraiment réfléchir aux conséquences de tous ces aveux. Que le jour se lève jamais. J'ai pas envie que tu repartes, même si c'est plus tard demain. » Quand se reverront-ils ? En aura-t-il seulement envie Isma, ou préfèrera-t-il fuir ? « J'avais déjà formulé ce souhait-là il y a sept-huit ans, mais bon. » Au matin, Isma avait disparu. Sur son lit, il avait trouvé l'oeuf de Sun et avait compris qu'il ne le reverrait pas ; quelque part, il avait même espéré ne jamais le revoir, c'était moins dur à envisager que toutes ces années où il s'était condamné à le regarder évoluer loin de lui, et de tout ce qu'il aurait voulu lui donner.

« Rien de plus important qu'une ballade avec toi demain. » 
Il faudrait expliquer à Ismaël comment c'est possible que son amant soit aussi mignon ; parfois, il se demande sincèrement si c'est possible que ce garçon-là soit le même que celui qui essayait de le rabaisser chaque fois qu'il en avait l'occasion lorsqu'ils étaient adolescents. Ça semble tellement incroyable. Si Mallory a toujours ressenti pour lui ce qu'il ressent ce soir, comment a-t-il pu se comporter de la sorte et se regarder dans le miroir, à l'époque ? Comment on peut supporter d'aller à ce point à l'encontre de ce qu'on ressent ?
S'il avait su, à l'époque, ça aurait changé beaucoup de choses. C'est une certitude, maintenant. Peut-être que, moins amer qu'il ne l'est devenu, il aurait accepté ce qui lui semble désormais inconcevable. Un vrai couple, de vrais sentiments... mais ce n'est pas la peine de s'étendre là-dessus, pas plus que ce n'est la peine d'imaginer la vie qu'il aurait eue, s'il était resté avec eux durant ses huit années d'exil. La vérité à ce sujet, il ne la connaîtra jamais, et puis... ce qu'il a aujourd'hui lui convient parfaitement, se dit-il, serein, en glissant distraitement ses doigts dans les cheveux noirs de Mallory, qui murmure : « J'aimerais bien que le temps s'arrête, maintenant. Que le jour se lève jamais. J'ai pas envie que tu repartes, même si c'est plus tard demain. » 
Ah bon ? Mais pourquoi ? se demande le baroudeur en observant le visage de son amant se lover contre son torse. Rester enfermé ici pour toujours ? C'est une idée de merde, clairement. « J'avais déjà formulé ce souhait-là il y a sept-huit ans, mais bon. 
– Alors par contre, répond-il en se redressant sur un coude, un tout petit sourire aux lèvres alors qu'il force Mallory à rouler sur le dos. Premièrement, tu l'as pas formulé à voix haute, ce qui fait quand même une sacrée différence. »
Non parce qu'Isma veut bien ne pas être le dernier des cons mais au bout d'un moment il ne s'appelle pas non-plus Madame Irma. « Ensuite, excuse-moi hein mais ta technique d'approche n'était pas des plus explicites, énumère-t-il non sans appuyer furtivement son doigt sur le nez du chanteur, qui maugrée quelque chose d'inintelligible. Et enfin, tu m'enfermeras jamais dans un appartement comme ça, en pleine ville alors qu'on voit même pas les étoiles. Même pour tes beaux yeux, c'est non. »
Faut pas déconner non-plus, hein. « J'aime bien ton appart et je suis fan de la baignoire, mais ce serait le dernier endroit que j'choisisrais pour rester bloqué dans le temps. Si tu veux arrêter le temps... déjà j'suis pas trop fan du concept de passer l'éternité dans un seul endroit mais admettons. Choisis un moment où on est dans un endroit mieux. Genre l'autre soir à la Lumiclairière ou sur la plage. Là c'était parfait pour arrêter le temps, on avait les étoiles, la lumière de la lune, on avait le vent et... les bruissements des Pokémon autour. »
Il sourit, et se laisse descendre pour lover son visage dans le cou de son amant, insouciant et parfaitement inconscient de la portée des mots qu'il prononce. « T'es bien mignon Chacha mais si on s'embarque dans un délire spatio-temporel comme ça faut faire des compromis hein, moi j'veux pas de toit sur la tête, y m'faut des étoiles. C'est pas compliqué : toi, et des étoiles. »

« Alors par contre. Premièrement, tu l'as pas formulé à voix haute, ce qui fait quand même une sacrée différence. » Ismaël se redresse sur un coude, fait basculer le jeune homme sur le dos ; perché ainsi au-dessus de lui, il doit sûrement pouvoir recouvrir de son ombre protectrice la silhouette frêle de Mallory. Et s'il l'avait dit ce soir-là, qu'est-ce qui aurait changé ? S'il s'était allongé contre son épaule, s'il avait levé le nez, s'il lui avait demandé de rester, son amant l'aurait-il fait en dépit de la haine qu'il lui crachait depuis des années ? Chaque mot, dur, était comme un coup de poignard dans sa poitrine, à chaque fois qu'il le rejetait il avait l'impression de recevoir des coups. Mais la douleur, Mallory était habitué, il avait toujours considéré que tout serait beaucoup plus simple de cette façon. Et maintenant, peut-il seulement encore le prétendre ?

« Ensuite, excuse-moi hein mais ta technique d'approche n'était pas des plus explicites. » Un doigt appuie sur son nez et il fronce les sourcils, l'intéressé, grommelant dans sa barbe quelque chose comme ouais, t'es marrant toi comme si c'était facile. Quelque part, ça l'était ; il aurait simplement aimé avoir le courage de le lui dire plutôt que de l'avouer sous la contrainte, à cause de son sale petit con de frère. Un soir comme à la clairière, peut-être qu'il aurait trouvé le courage de tout lui avouer. A la plage, il l'avait presque fait. « Et enfin, tu m'enfermeras jamais dans un appartement comme ça, en pleine ville alors qu'on voit même pas les étoiles. Même pour tes beaux yeux, c'est non. »
Il sait. Il a toujours su, et c'est pour cette raison en grande partie qu'il l'a toujours aimé. Parce qu'Isma est libre comme l'air, parce qu'il est beau, parce que rien, ni les intempéries ni les frontières n'auraient pu l'arrêter dans sa route. Alors il sourit, Mallory ; pourtant, la perspective de passer le reste de son existence dans ce lit avec lui est plutôt alléchante, à son goût à lui.

« J'aime bien ton appart et je suis fan de la baignoire, mais ce serait le dernier endroit que j'choisirais pour rester bloqué dans le temps. Si tu veux arrêter le temps... déjà j'suis pas trop fan du concept de passer l'éternité dans un seul endroit mais admettons. Choisis un moment où on est dans un endroit mieux. Genre l'autre soir à la Lumiclairière ou sur la plage. Là c'était parfait pour arrêter le temps, on avait les étoiles, la lumière de la lune, on avait le vent et... les bruissements des Pokémon autour. » Et ils ont failli se noyer. Mais il n'a pas du tout envie de plaisanter là-dessus, Mallory ; ces deux nuits là étaient incroyables, et oui, peut-être qu'il aurait aimé arrêter le temps dans un moment comme celui-là. Sous le ciel nocturne, au milieu des Pokémon, dans la lumière irréelle de la forêt, caché, protégé par des bras qui lui ont toujours été refusés et heureux, plus que jamais il ne l'a été. Ses mains glissent dans d'épais cheveux bruns, quand Ismaël trouve un étrange refuge contre son épaule maigrelette et alors, Mallory aurait souhaité de toutes ses forces être quelqu'un d'un peu moins fragile, simplement pour lui jurer qu'il serait toujours capable de lui rendre ce que cet homme incroyable serait prêt à lui donner.

« T'es bien mignon Chacha mais si on s'embarque dans un délire spatio-temporel comme ça faut faire des compromis hein, moi j'veux pas de toit sur la tête, y m'faut des étoiles. C'est pas compliqué : toi, et des étoiles. » C'est bien plus que tout ce qu'il espérait entendre, Mallory. Toi, et les étoiles. Oliver a-t-il eu la chance d'entendre des phrases pareilles ? Et ceux qui sont venus après ? Est-il le seul à qui il fait ces étranges aveux ou non ? Pourquoi à chaque fois qu'il a l'impression que rien ne pourrait aller mieux, ces questions reviennent, intrusives, insupportables ? Il ne veut pas, il n'a pas envie de se les poser, il aimerait être capable de ne recevoir que l'instant et rien de plus. Juste ça. Pourtant, il ne le peut pas. Sans doute l'aime-t-il beaucoup trop fort pour se contenter de ce qu'Isma est en mesure d'offrir. Le nez dans ses cheveux, le jeune homme ferme les yeux, et soupire. « Moi tant que ça va, chuchote-t-il, peut-être un peu trop coupable. Ces deux soirs-là, tout allait bien. » Mais après la plage et avant la clairière, il y a eu Nathalia, l'hôpital. Et ce n'était rien comparé à d'habitude.

Alors sa prise sur le corps solide de son amant se resserre, un peu. J'ai tellement peur de te perdre. « S'il te reste un peu d'optimisme dans ton gros sac de voyage, j'aimerais bien que tu m'en donnes un peu, confesse-t-il, d'une petite voix. J'suis un peu trop sérieux quand je parle d'arrêter le temps. » C'est débile, et il ne devrait pas pleurnicher maintenant alors que tout va bien mais c'est un fait. Il s'inquiète. « Tous ces moments-là me font appréhender ceux où ça ira pas. C'est comme des grosses vagues, et elles emportent tout. » Le joint a été sagement reposé sur le cendrier. Ils le termineront tout à l'heure, parce que le baroudeur a relevé la tête maintenant, pour croiser ses yeux sombres. « J'ai pas envie qu'elles t'emportent toi. »

Un soupir retentit au-dessus de la tête d'Ismaël, et le surprend légèrement. Qu'est-ce qui se passe, est-ce qu'il a dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? « Moi tant que ça va. Ces deux soirs-là, tout allait bien. » 
Est-ce qu'il parle de sa maladie ? Sans doute ; quand il prend ce ton affligé, Mallory parle toujours de sa maladie. C'est sans doute le sujet avec lequel le baroudeur est le plus mal à l'aise, puisqu'il ne comprend absolument pas ce qui se passe durant les période compliquées, comme il dit. Quand tout ne va pas bien. Alors il ne répond rien et laisse simplement le bras fin de son amant s'enrouler un peu plus étroitement autour de lui. « S'il te reste un peu d'optimisme dans ton gros sac de voyage, j'aimerais bien que tu m'en donnes un peu. J'suis un peu trop sérieux quand je parle d'arrêter le temps. » 
De l'optimisme, il en a à revendre, mais le problème c'est que ça ne peut pas venir de lui. Mallory a toujours eu du mal à voir le bien autour de lui, il a un regard systématiquement négatif sur ce qui l'entoure et chaque exception s'est imposée en le faisant changer d'avis ; à part peut-être les Pokémon et... et lui, sans doute. Changer son regard sur le monde est un travail autrement plus long et compliqué que de lui refourguer un peu d'optimisme. « Tous ces moments-là me font appréhender ceux où ça ira pas. C'est comme des grosses vagues, et elles emportent tout. » 
Et de quoi il a peur, le chanteur ? se demande Isma en relevant la tête pour le dévisager. Qu'est-ce qu'il craint, exactement ? « J'ai pas envie qu'elles t'emportent toi. 
– Ça sert pas à grand chose de te torturer en ayant peur de ce qui pourrait arriver, tu sais, répond-il doucement en glissant le dos de ses doigts sur la joue de son amant. On sait jamais ce qui peut s'passer et la plupart du temps on peut pas l'éviter alors... s'inquiéter ça sert à quoi, à part te pourrir les moments où ça va bien avec tout un tas de peurs et de questions ? »
Lui, il a renoncé à tout ça il y a longtemps, quand il s'est rendu compte que sa rancœur envers Oliver le rendait encore malade des mois après son départ, quand il repensait à Eden, à ce qu'il aurait pu faire, à ce qu'il aurait dû changer. À part lâcher prise, il n'y a rien à faire. « Toi, t'as besoin d'apprendre à profiter de l'instant présent. C'est pas la première fois que j'me le dis mais là... ça devient urgent. »
Il sourit. Ça ne lui fait pas peur à lui, ça. Bien au contraire. « On ira dans la Lande demain. Les petits plaisirs, ça se savoure, et y a rien de mieux pour arrêter de s'inquiéter que... de savoir profiter de ce qui se passe au moment où ça se passe. C'est un peu comme ça. »
Et son sourire, malicieux, se dépose sur la bouche du jeune homme, qu'il sent distinctement tressaillir et à lui, il ne lui en faut pas plus, quand sa paume brûlante se dépose sur les côtes de son amant. « Ou ça, continue-t-il alors, joueur, en embrassant son cou, ponctuant ses gestes de ou ça et ça quand bien même Mallory aurait déjà parfaitement saisi l'idée. »

« Ça sert pas à grand chose de te torturer en ayant peur de ce qui pourrait arriver, tu sais. » A n'importe qui d'autre, le chanteur aurait grincé quelque chose comme facile à dire ça, quand on a pas l'impression d'être plusieurs dans sa tête la moitié du temps, mais pas au baroudeur. Parce que ses doigts glissent doucement sur sa joue, parce que ce soir, chaque geste est tendre et patient, et parce qu'il n'a pas encore envie de l'entendre lui dire qu'il s'apitoie trop  sur son sort. Délégitimiser ses angoisses, Isma a toujours très bien su le faire et il n'a pas envie de se pourrir la vie avec ça aujourd'hui. Pas ce soir, effectivement, pas maintenant.

« On sait jamais ce qui peut s'passer et la plupart du temps on peut pas l'éviter alors... s'inquiéter ça sert à quoi, à part te pourrir les moments où ça va bien avec tout un tas de peurs et de questions ? » Tu comprends pas, toi, c'est beaucoup plus fort que moi, ça va bien plus loin que tout ce que t'imagines. Là où chez le commun des mortels, les angoisses vont et viennent sous la forme de pensées qu'il est parfois difficile de chasser, chez un garçon  comme Mallory, c'est comme si quelqu'un chuchotait dans sa tête, comme si une personne lui murmurait que ça n'irait pas, que ça n'irait jamais. Personne  ne peut se figurer ça, pas tant que l'expérience n'a pas été vécue.

Mais il n'a pas envie de débattre là-dessus ; tout au plus peut-il prier pour que ces épisodes ne reviennent pas trop vite, parce qu'Isma ne pourra pas les assumer. La dernière fois à l'hôpital, c'était simplement  un petit miracle. Un peu comme maintenant. « Toi, t'as besoin d'apprendre à profiter de l'instant présent. C'est pas la première fois que j'me le dis mais là... ça devient urgent. » Oh, il apprend, Mallory, quoi qu'il en dise et quoi qu'il en montre ; il n'avait jamais passé des heures à regarder les étoiles, il n'avait  jamais profité de deux nuits dehors avec quelqu'un, il a toujours trouvé ce genre de choses stupides et inutiles, et pourtant. Depuis quelques temps, il se surprend à prendre quelques heures pour sortir avec Sophie plus longtemps, s'attarder sur des choses qu'il n'aurait pas regardées avant. Une grande fleur colorée, les lumières du soleil filtrant à travers les feuilles d'une forêt, le ciel tout bleu, la forme originale de certains nuages. Tout ça, il sait à qui il le doit.

« On ira dans la Lande demain. Les petits plaisirs, ça se savoure, et y a rien de mieux pour arrêter de s'inquiéter que... de savoir profiter de ce qui se passe au moment où ça se passe. C'est un peu comme ça. » Mallory voudrait protester qu'il ne le pourrait pas, quand un sourire éclaire le visage de l'homme qu'il aime, et qu'il le dépose sur ses lèvres en faisant violemment frissonner sa peau. C'est comme s'il se savait incapable de se rassasier de cette peau, de ces mains, de cette  bouche, de tout ce qu'il est, ce qu'il représente, comme si rien n'avait plus d'importance que ces étreintes durant lesquelles il a le sentiment d'être adulé entre les bras qui le serrent. « Ou ça, »et chaque geste sur sa peau le fait frissonner, puis rire quand son visage descend dans son cou, qu'il passe les
paumes dans un dos griffé, que chaque  baiser, chaque caresse est ponctué de ou ça et ça... « Arrête, répond-il dans un petit rire en oubliant une grande partie de sa peur, serrant entre ses bras le corps qui le surplombe, qu'il est prêt à adorer et à aimer aussi longtemps qu'il voudra de lui. » Il n'est pas Oliver, Mallory ; ses promesses, il se sait prêt à les tenir à condition qu'Ismaël soit capable de les entendre. « Sinon c'est reparti pour un tour et j'suis convaincu que t'as clairement plus la force, hm ? »

D'ailleurs il le repousse doucement bien qu'à regrets, se contorsionne pour rallumer le joint abandonné. « La Lande, c'est pas mal comme destination, dit-il en passant un doigt sous son menton. Bon, c'est un peu classique, quoi. » Mais c'est un bon début, songe-t-il en roulant sur le côté pour glisser une main sur le ventre de son amant. « J'aurais cru que tu me proposerais quelque chose d'un peu plus risqué, dit-il finalement, moqueur, en haussant les épaules. J'sais pas, un trail le long des falaises près de Lencliff par exemple... »

« Arrête, rigole Mallory, sans grande crédibilité avec ses membres frémissants et ses protestations trop faibles. Sinon c'est reparti pour un tour et j'suis convaincu que t'as clairement plus la force, hm ? 
– Parle pour toi, réplique le baroudeur en toute mauvaise foi alors qu'il se laisse repousser pour s'étaler sur le matelas. Moi je suis infatigable. »
C'est totalement faux, il est complètement mort, mais de là à ce qu'il le reconnaisse...  « La Lande, c'est pas mal comme destination... Bon, c'est un peu classique, quoi. » 
Peut-être bien, mais c'est ce qu'il y a de mieux s'il veut récupérer son amant en un seul morceau pour ce qu'il a prévu de faire. La pensée le fait doucement ricaner alors qu'une main un peu froide se pose sur son ventre. « J'aurais cru que tu me proposerais quelque chose d'un peu plus risqué. J'sais pas, un trail le long des falaises près de Lencliff par exemple... 
– Un jour, peut-être, répond-il du tac au tac, moqueur. Quand tu seras assez solide je t'emmènerai peut-être là-bas, mais puisque j'ai pas l'intention de te tuer par l'effort tout de suite, on va attendre un peu. »
Il chipe le joint à Mallory, rigole devant sa tête offusqué et roule de l'autre côté du matelas pour anticiper une contre-attaque sauvage et vicieuse - d'ailleurs le champion est probablement la seule personne au monde à pouvoir coupler ces deux adjectifs. « On verra déjà comment tu t'en sors demain, ça m'étonnerait pas que tu demandes grâce avant la fin de l'après-midi. »
Mais qu'est-ce qu'il a donc en tête, le Johtien ? Très bonne question, et si Isma est sûr d'une chose, c'est que Mallory ne devinera pas : « Tout ce que j'peux te dire, tease-t-il en soufflant sa fumée, c'est qu'on a intérêt à dormir un peu avant de partir si on veut pas finir pour les rotules. »
Il tend la fin du joint à son amant, puis cale son dos contre le matelas moelleux, ouvrant le bras pour accueillir la silhouette toute frêle du jeune homme. Ils ont du chemin à faire, mais ça ira, il en est sûr. Et en attendant, il va profiter de l'étreinte tendre du chanteur, parce que demain, quand il lui révélera son plan, ça risque de se passer bien autrement.