Tu es nerveuse, Eos. Pour la première fois depuis bien longtemps, il y a une ride d’inquiétude qui est apparue sur ton visage alors que tu avances d’un bon pas, les sourcils froncés. Tes lèvres sont tirées vers le bas, et tu as l’air tout bonnement d’une sombre humeur. Pourtant, nombreux seraient ceux qui te diraient de ne pas t’en faire, de souffler et de passer à autre chose. Le truc, tu vois Eos, c’est que tu n’arrives pas à rester sage et calme quand il s’agit de ce sujet, particulièrement.

« Gou...pix ?
-Tout va bien, Natsu, il faut juste que j’aille à Thiapolis pour… vérifier quelque chose.
-Goupix ! S'énerve le petit renard de feu, à côté de toi.
-Je ne te fais pas la tête, voyons. Ni aux autres. Je suis juste… tracassée. Et tu t’arrêtes ma douce, au plein milieu de la Lande, pour regarder Natsu et Silver qui marchent avec toi alors que les autres sont en pokéball. Vous vous en faites pour moi, n’est-ce pas ? »

Les deux petits pokémons hochent la tête avec vivacité, et tu comprends Eos que tu n’es pas la seule affectée par cette histoire. Si tes pokémons ne comprennent pas ce qu’il se passe, ton humeur agit sur eux, et tu n’as qu’à voir le regard presque humide du Goupix pour comprendre qu’ils sont inquiets plus que de raison. Sans chercher à fuir comme tu le fais depuis ce matin, tu finis par t’accroupir et simplement leur ouvrir tes bras.

Les deux pokémons sautent contre toi aussi sec que tu te mets à leur niveau. Tu refermes tes bras sur eux et pendant de longs instants, tu ne fais rien de plus que les serrer contre ton coeur et enfouir ton visage contre leur pelage, en sentant leurs odeurs caractéristiques. C’est fou comme deux tout petit pokémon sont capable de t’apporter une bouffée d’air qu’il te fallait à ce point, Eos. Ce n’est pourtant pas ton genre de te laisser ronger à ce point.

Quand tu les relâches, tu as l’air… fatiguée. Pas d’une fatigue physique, encore plus qu’avec Ethan à la maison ces derniers temps, tu as pu souffler un peu sur les efforts. Non, tu es éreintée mentalement. C’est comme si, tout à coup tu te prenais en pleine face ton véritable âge. Il faut dire, Eos, que tu vis toujours comme si tu étais à l’aube de tes 20 ans, mais que l’année prochaine c’est à une dizaine supplémentaire que tu passeras.

« Ca vous dit qu’on prenne un peu plus le temps de marcher, finalement ? Que vous puissiez profiter de la promenade. »

Et tu n’as qu’à voir l’entrain des deux pokémons pour savoir qu’ils sont partants pour une vraie balade et pas cette ruade que tu tiens depuis que tu es partie précipitamment de la maison.

Franchement, Eos, tu peux bien ralentir le rythme, tu sais déjà que ça ne va pas bien se passer. Ou en tout cas que cette sensation de suffocation ne disparaîtra pas, même avec tes pokémons près de toi et la nature pour t’entourer. Tu vas continuer de te noyer, sans moyen de t’en sortir jusqu’à ce que tu ais le fin mot de l’histoire.

Et quelle histoire… Ce matin, alors que le facteur passait, tu as reçu une lettre qui a attiré ton oeil, parce qu’elle avait été passée aux douanes de la région. Un pli léger, une enveloppe blanche tout à fait normal. Et pourtant, tu n’as eu qu’à voir le sceau de Galar pour savoir que ça n’allait pas bien se passer. Tu aurais pu t’en douter, Eos, savoir qu’un jour où te retrouverait, tu n’y étais tout bonnement pas préparer. Et tu as si peur, si mal aussi, que tu as enfiler tes chaussures, un jean et une chemise boutonnée à la hâte, fourré l’enveloppe dans ta poche arrière, et tu es partie. Sur ton dos, il n’y a que ton mini sac à dos avec pas grand chose dedans. Quelques plantes, des encas, les pokeballs de tes pokémons et de l’argent.

Le truc, Eos, c’est que maintenant que tu es dans la Lande, pas si loin de Thiapolis que ça, et bien tu n’oses plus vraiment avancer vers ton objectif. Tu as trop peur, tu es trop faible. Alors oui, tu préfères proposer à tes pokémons de profiter pour faire une balade.

Tes petits compagnons sont déjà en train de courir et de quitter le chemin quand tu te décides enfin à leur emboîter le pas. Si d’un oeil tu les gardes en vue, parce que tu n’es pas en état émotionnel de pouvoir en perdre un du regard et paniqué, tu finis immanquablement par te perdre dans tes pensées. Parce que cette lettre, elle a fait ressurgir nombre de choses en toi.

Tu avais à peine 20 ans quand tu as quitté la maison familiale, endeuillé de la perte de ton père qui n’avait pas pu supporter que sa femme le quitte et se retourne contre ses enfants. Une maison que tu détestais presque autant que ta vie là-bas. Vous possédiez une belle et grande demeure, sur plusieurs étages, dans un style typique de la région. C’était la fierté de ta mère, parce que vous aviez la plus grosse maison du quartier, dans un endroit où la richesse était visible.

Toi, Eos, tu n’as jamais aimé cette maison impersonnelle. Tu te souviens même des éclats de colère de ta mère quand elle avait découvert que tu avais tenté de décorer ta chambre. Tous tes dessins d’enfant de 5 ans avait fini brûlé, tes décorations à la poubelle. C’était probablement la dernière fois où tu avais essayé de faire de ce lieu ton “chez-toi”.

Ouais, tu peux bien y songer pendant des heures, Eos, tu n’arrives pas à associer ta maison ou ta famille a des souvenirs doux ou agréables, même si tu remontes très loin en arrière. Tu n’aimes juste pas toute cette partie de ta vie, à un tel point que tu es juste revulsée et ulcérée de devoir y repenser. Si on te laissait le choix, tu aurais brûlé cette lettre sans la lire, et tu aurais simplement continué ta vie en ignorant ça.

Vous avez quitté le chemin, et tu regardes tes deux pokémons s’avancer par petits bonds avant de revenir vers toi, comme pour vérifier que tu fais bien attention à ce qui t’entoure. Tu vois bien qu’ils s’inquiètent et qu’ils ne veulent pas te eprdre, autant que tu n’as pas envie de les égarer. C’est bien la seule chose qui apaise et réchauffe un peu ton coeur, ma douce. Vous vous aimez fort, tous ensemble. Au moins tu les as eu.

Tes poings se serrent à cette pensée et tu repenses juste à la première chose qui t’es passée en tête quand tu as vu l’enveloppe : prévenir quelqu’un. Avoir de l’air. Savoir quoi faire. Tu as des personnes qui auraient pu te soutenir, t’aider, peut-être même te guider. Mais à peine cette pensée se formait dans ta tête que tu l’as rejetée, Eos. Tu es seule, tu l’as toujours été quand il s’agit de cette ancienne vie, de ce fardeau qu’est ton passé. Alors oui, tu n’as prévenu personne, et tu n’en parlerais certainement pas après. Tu ne te rends pas compte, ma belle, que toi aussi tu mérites qu’on t’aide.

Etre seule. C’est dommage que tu penses comme ça, ma petite, parce qu’un jour, tu verras combien tu te fait du mal avec ça. Tu as déjà vu, à travers les yeux d’Ethan, de tes amis aussi, que tu ne prenais pas assez soin de toi. Tu as beau tenté, essayer de faire au mieux, et bien tu ne peux juste pas tout faire toute seule. Aucun être humain ne devrait le faire, mais toi, tu ne sais juste pas appeler à l’aide. C’est la triste ironie de ton histoire. Tu suis parfaitement ce que ta mère t’a appris : débrouille-toi seule, on est mieux servi par soi-même. Tu la hais, mais tu n’arrives pas à repousser le principe pour autant.

« Feuri, feuri !
-Hm ?
-FEURISSON ! »

T’as pas le temps de comprendre ce que ta petite compagne qui a fait son évolution il y a quelques temps et est devenue une belle et grande Feurisson, te dit. Tu es ailleurs, embrouillée et engluée au fond de toi. Tu loupes la première marche minérale de là où les deux pokémons t’entrainent de leurs cris. Comme d’habitude, on te dira, non ? La différence, cette fois-ci, c’est que tu n’y es pas préparée et que tu finis par rouler bouler en sentant deux masses chaudes te sauter dessus.

Les deux pokémons se sont jetés sur toi en hurlant pour tenter de t’arrêter dans la chute. Et bien entendu, toi tu réagis en conséquence. Tes bras les happes et tu les serres au plus fort contre toi, en tentant de rouler la tête dans tes épaules, le dos en rond pour finir la chute sans les écraser ou les blesser.

Et franchement, quand ça s’arrête, tu comprends tout de suite que tu t’es bien amochée le visage à cause des branchages des buissons à travers lesquels tu es passée. Si tu roules sur le côté pour te mettre sur le dos et que tu relâches aussi vite tes bras, et bien tu n’as pas la réaction habituelle. En faite, tu ne te mets pas à rire ou râler, à te relever en prétendant que tout vas bien. Non, Eos, tu restes silencieuse, les yeux sur le ciel grisonnant.

« GOUPIX !
-Feurifeurisson ! »

Tes deux pokémons te laboure la poitrine et les bras pour venir te regarder, et essayer de te faire bouger. Et toi, Eos, tu les vois, tu les entends même très bien, mais tu n’arrives plus à bouger. Tu as la sensation qu’une main te compresse la cage thoracique et, tout à coup, ça explose. Des torrents de larmes se mettent à jaillir de tes yeux fatigués.

C’est soudain, comme crise de larme, et surtout c’est d’une violence que tu n’imaginais pas. Pendant quelques instants, il ne se passe plus rien, même tes deux pokémons se sont figés de surprise. Tu pleures en silence, il y a juste des torrents humides sur tes joues. Et puis, tout à coup, comme si tu avais ouvert la porte à tout ce monstre de ténèbre au fond de toi, tu te mets à sangloter. Fort. De plus en plus fort. Ta main agrippée à ta chemise au niveau de ta gorge, de douleur, tu t'effondres complètement, Eos.

Et tu vois, tu ne sais plus vraiment ce qu’il se passe pendant quelques temps. Juste que tu pleures et que dans ta détresse, tu roules sur le côté, en boule, pour pleurer tout ton saoul. Tu oublies que tu es dehors et qu’il y a des pokémons sauvages autour de vous. Tu repousses l’idée qu’un inconnu puisse t’entendre et te trouver. En faite, tu rayes jusqu’au monde en entier, pour ne pas avoir à te reprendre trop vite. Pour la première fois depuis 9 ans, tu craques et tu as cette volonté, parfaitement égoïste, qu’on te laisse vider l’océan de détresse, avant de te demander de te remettre sur tes deux jambes.

Les secondes passent et elle se muent lentement en minutes qui s’empilent les une au dessus des autres, dans cette mer de larmes que tu viens poser sur le sol pourtant déjà bien humide et meuble. Toi, Eos, tu ne vois plus rien, tu t’es complètement décrochée de la réalité, tu es juste une épave à la dérive. Et c’est en sentant la chaleur qui vient s’insinuer contre toi, droit dans ta poitrine que tu commences à revenir à la réalité. Tu es une épave, mais soudainement on vient allumer un petit soleil dans la tempête et ça te montre une amarre que tu n’avais pas envisagé.

C’est tes deux pokémons qui sont venus se blottir tout contre toi. Mieux encore, ils ont réussi à passer entre tes bras refermés sur toi-même, pour que leurs chaleurs te touche directement. Tu le sens et quand tes larmes se réduisent un peu en intensité, que tu arrives à les essuyer sans que d’autres ne les remplacent aussi sec, tu découvres les deux petits chéris qui se sont collés à toi et te regardent avec de grands yeux.

« Est-ce que je vous ai déjà dit combien vous êtes les deux petits les plus adorables que ce monde ait porté ? Tu murmures d’une voix tremblante en venant les caresser maladroitement. Je vais me reprendre, ok ? »

Et ils acceptent. En faite, Eos, tu ne le vois pas mais tu pourrais leur demander bien des choses que ces deux petits pokémons accepteraient, pour toi. Parce que tu leur donnes tellement qu’ils sont prêts à te rendre la pareille. Et toi, bien entendu ma fille, tu n’en as absolument pas conscience, parce qu’on a implanté des idées bien formatées dans ta petite tête. Du genre où il faut qu’il faut donner mais ne pas réclamer. Que tu ne mérites pas. Qu’il faut se débrouiller. Que demander de l’aide c’est être faible. Comme quoi, elle en a fait un beau travail ta mère.

« Pfiou, je crois que je me suis bien cognée la tête… »

Ca aussi, c’est ta mère. Ne pas dire qu’on est faible, trouver une excuse. Et tu ne t’en rends même pas compte. Tu finis par te remettre assise, difficilement, en terminant d'essuyer tes yeux qui coulent encore un peu et tu mouches ton nez humide. Quand tu es un peu plus acceptable, tu viens déposer un baiser sur la tête des deux pokémons, avec une affection que l’on ne peut pas renier.

C’est en passant la main sur ton visage que tu comprends que, en effet, tu as bien cogné, roulé, boulé. Parce que lorsque tu écartes ta main de ton visage, avec une grimace de douleur, il y a du sang qui tâches tes doigts usés par le travail manuel.

Tu viens ouvrir ton sac, récupérer une petite glace dans laquelle tu essaies de te faire présentable le matin et que tu es en balade. Tu observes ton visage, et pendant quelques instants, Eos, tout ce que tu vois c’est les sillons des larmes sur tes joues et tes yeux rougis et gonflés. Tu as une sale tête ma fille, voilà ce que tu te dis. Et puis tu finis par te secouer pour découvrir que tu as la lèvre ouverte, des petites égratignures qui disparaîtront dans un jour ou deux sur les joues et une balafre sanglante dans le cuir chevelu, juste au dessus de l’oeil droit. C’est ça qui saigne tant.

« Et merde… Que tu marmones, en prenant un tissu et de l’eau pour nettoyer tout ça. Ensuite, tu te penches sur le miroir. S’il faut que je rase pour refermer ça avec de la suture, je crois que j’aurais vraiment tiré le pompon. »

Et tu râles, au moins ça c’est plus normal. Tu regardes la blessure, tu appuies dessus un moment avec ton linge et quand tu finis par retirer le tissu imbibé de sang, la plaie te semble moins rouge. Avec un haussement d’épaule, tu viens prendre une poignée de farine de chataigne dans un de tes sachet pour en tapisser la plaie et laisser la farine se coaguler en pansement.

« Hmmm, Zmeï serait content, je sens bon. Ca me donne envie de me manger. Tu souris un peu en sentant tes mains et en les faisant sentir à tes pokémons.

Quand tu es à peu près réparer, au moins physiquement, tu finis par te remettre doucement sur tes jambes. Tu découvres que cette rupture des barages, de tes nerfs au passage, ca t’a laissé dans un drôle d’état de fatigue. Tu oscilles sur tes jambes, et pendant quelques instants, tu te dis que tu n’as qu’à forcer, pour reprendre ta route, quand les deux pokémons se mettent à piailler. Ils ont trouvé un petit coin à l’ombre, sous un pommier qui croule de fruits bien mieux.

« J’ai bien le droit à une pause, j’imagine. »

Tu les rejoints tant mieux que mal. Et si Silver s’empresse d’engloutir une pomme que tu lui cueilles, Natsu n’est visiblement pas tenté par la même chose. Enf aite, il vient te rendre le fruit à chaque fois que tu le luis poses devant lui. Des petits coups de nez dedans te mettent sur la piste, et quand tu lance le fruit, pas très loin, tu as la drôle de surprise de le voir bondir après la pomme et lui sauter dessus pour te la ramener comme… une balle ?