Ah ça fait du bien des jours de congés. J'attends ça depuis des semaines ! J'en ai par dessus la tête de ce laboratoire, de tous ces fragments de fossiles qui me donnent l'impression de faire des puzzle comme un gamin. J'en ai marre de ces tas de détritus qui me servent à créer des pokémon. Ou du moins à tenter de les créer à base de jus de poubelle. C'est dégeu ! J'en ai marre de tous ces cons, véritables petits rats de laboratoire insignifiants qui n'ont jamais mis les pieds dans une grotte ! Y'a-t-il seulement un scientifique qui vaille la peine ?!

Je sais que je suis pas facile comme ami, voire même juste en tant que connaissance. Je suis encore moins facile à vivre j'en suis persuadé. Même si les dernières personnes avec qui j'ai vécu sont mes parents et mes frangins y'a plus de quinze ans ! Ouais je suis pas évident et j'ai envie de crier :

"Et alors !"

Je mérite que les gens d'adaptent un minimum à moi et que je ne sois pas obligé de forcer ma nature à chaque interaction pour ne pas rebuter la personne en face de moi. Même si je dois avouer qu'il y a du progrès depuis mon arrivée sur Lathéa. Je peux même dire que je n'ai jamais eu autant de succès, notamment avec les femmes. J'ai pas de petite copine, hein faut pas exagérer mais j'ai au moins deux amies et une collègue qui m'a pas encore frappé ! C'est pas encore la richesse sociale mais j'y travaille. C'est bien ça le problème... J'y travaille...

Si toutes les femmes pouvaient ressembler à celle avec qui je correspond depuis des années sur Motismart. Une scientifique qui me demande jamais ce qui me passionne dans la vie de tous les jours et avec qui je n'ai que des conversations dites intellectuelles. Une scientifique aussi renommée que moi dans son domaine. Une femme qui ne me parle jamais de la météo ou encore qui ne me raconte jamais sa journée insipide. Et je ne sais même pas de quoi elle à l'air. La femme parfaite.

Le destin a voulu que je me balade sur les terres de ma correspondante. Jamais je n'aurais été assez entreprenant pour lui annoncer mon arrivée ou l'inviter à déjeuner. Je comptais plus ou moins la surprendre sur son lieu de travail et directement évoquer les raisons de ma présence à Lucinel. Car oui je suis en congé mais je ne me déplace jamais par hasard. J'ai en effet découvert une confiture de baies aux propriétés presque magiques et j'avais besoin de son avis sur la question. Ca et j'avais aussi envie de visiter les Grottes d'à côté. On se refait pas.

Lorsque mon Motismart vibre et que je jette un coup d’œil dessus, les bras m'en tombent littéralement. L’appareil vient violemment heurter le sol. Ma correspondante veut me rencontrer ? Nan je suis pas prêt ! Je hurle intérieurement et je peste aussi. Beaucoup. Je voulais la rencontrer selon mes propres termes pas les siens ! Qui sait dans quoi je vais m'embarquer. Je dois m’habiller comment ? Ce sera dans un cadre professionnel ? Je suis bien coiffé ? Je suis complètement paumé ! Mon cœur est à deux doigts de l'infarctus.

J'ai l'impression que mon cerveau s'éteint tout à coup. Je me mets à marcher en direction des Grottes comme un zombie ou un robot au choix. Je ressasse les premières phrases que je vais prononcer en boucle tout le long du chemin. Lorsque j'arrive dans la zone, je salue les agents comme un demeuré, stressé comme pas deux, à la manière d'un adolescent lors de son premier rencart. Lorsque j'aperçois une femme d'environ mon âge flanquée d'un Riolu je comprends que c'est elle.

Je m'approche et lorsqu'elle me voit enfin, je prends un air ahuri, comme un Cerfrousse pris dans les phare d'une voiture. Ne la mate pas, ne la mate pas. Je me répète dans ma tête. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi belle ! Je suis un peu vieux jeu, je l'avoue volontiers. Mais je m'attendais à trouver une femme qui paye pas de mine avec de grosses lunettes et une blouse pour cacher un corps rachitique. Ca doit être pareil pour elle remarque... Je rentre ma chemise dans mon pantalon et j'ajuste le col de mon pull-over. Mon énorme sac-à-dos dépasse largement de ma carrure de moucheron.

"Docteur O'Reilly ?"

Je demande en me redressant comme un I sans le faire exprès. Ouais les femmes c'est vraiment pas mon truc. Au moins j'ai pas bégayé...

Je suis si content que mes paupières n'arrêtent pas de s'agiter. Comme si je faisais une petite attaque cérébrale. J'ai la gorge sèche et le ventre noué. Ca fait tellement bizarre de poser les yeux sur une personne qu'on connait depuis si longtemps sans jamais l'avoir vu. J’ai beau me dire de ne pas la mater. Je suis tellement figé sur place que je n'ai pas d'autre choix. J’ai l'impression d'être une statue de cire. Une belle statue avec les pommettes cramoisies. Je secoue la tête sans un mot l'air embarrassé lorsqu'elle me dit qu'elle croyait que j'allais lui mettre une vent. L'idée m'a traversé l'esprit mais je me garde bien de le dire...

"Je ne te ferai jamais un coup pareil. Je ne m'attendais pas à ce que tu sois si... resplendissante."

Je mens effrontément de manière légèrement saccadé et robotique, me rappelant tout juste des conseils de ma mère sur la manière de complimenter les femmes. Je suis en galère mais Nolwenn me donne un moyen de me tirer de ce guet-apens en me présentant son Riolu dont j'ai si souvent entendu parler. Je m'agenouille alors qu'il prend peur et vient se réfugier derrière les jambes de sa maîtresse. Je ne me vexe pas, en pensant à ma propre Bombydou qui se cache dans ma chemise. Je m'approche lentement et je sors éventuellement une boîte tupperware dans laquelle se trouve des baies. Les Riolu ne sont pas des pokémon que je connais bien alors je choisis une baie plutôt neutre, ni trop épicée, ni trop acide et plutôt sucrée. Sans attendre de savoir s'il l'avale, je me redresse à moins d'un mètre de Nolwenn. trop près, trop près je hurle intérieurement en reculant de quelques pas.

"Niveau professionnel, je suis bien évidemment curieux de savoir ce qui se cache dans cette région ! Tu sais comme j'aime visiter de nouveaux endroits. Et Lathéa promet beaucoup !"

Je réponds en la regardant droit dans les yeux, visiblement très excité à cette perspective. Un comportement que Nolwenn connait bien. Si je ne m'emballe rarement pour des gens ou pour la vie mondaine des Moumoutons qui peuplent le monde, lorsqu'il s'agit d'exploration et de pokémon, je peux me montrer passionné comme un gamin. Je détourne éventuellement le regard. Ma main se porte à mon oreille et commence à la triturer. Ma voix se fait plus menue.

"Si tu veux parler d'une vie sociale... Disons que c'est en meilleure voie que d'habitude."

Si je suis maladroit en présence de femmes et qu'il m'arrive même d'être rouge comme une pivoine et de bégayer comme c'est pas permis, dès que le sujet s'oriente vers quelque chose qui m'attire et me passionne, je deviens tout simplement un autre homme. Un transformation qui peut choquer. Mon regard azuré se fixe et je bois littéralement les paroles de mes interlocuteurs. Lorsque Nolwenn évoque Myrtha, mes yeux s'écarquillent alors que la conversation avec Oliver me revient en tête.

"Non je n'ai pas encore eu la chance et le privilège de visiter les ruines de Myrtha à proprement parler. Par contre, le système m’autorise depuis peu a en visiter les abords, les vieux quartiers en périphérie de l’ancienne capitale. Je te raconterai."

Je lui fait un clin d’œil, les yeux pleins de malice avant de jeter un bref coup d’œil à son Motismart et à la photo de la raison de sa présence en ces lieux. Un champignon. Je m'en serais douté. Contrairement à certains collègues par le passé, je n'ai jamais émis la moindre réserve sur le travail de Nolwenn. J'estime que tous les sujets sont bons du moment qu'on y consacre du temps et qu'on est passionné. Je serais mal placé pour dénigrer en plus, sachant que je suis un spécialiste des pokémon Insecte reconnu. Je hoche la tête et lui emboîte le pas. Je finis par évoquer le sujet qui hante mes pensées ces derniers temps.

"Je crois qu'elle ne porte pas les insectes dans son cœur. Mais ce dernier est assez grand pour s'adapter et englober tous les pokémon."

Je roule des yeux à la mention de mère des insectes. Même si je suis proche de mes compagnons, je ne me considère pas comme leur père. D'ailleurs, il existe très peu de père dans le monde des insectes qui s'intéresse à leur progéniture. Mais j'ai compris ce qu’elle voulait insinuer. J'ai appris à faire la part des choses au fil des années en dépit de mon asociabilité. Nolwenn en est d'ailleurs une des raisons principales. L'entendre prononcer le mot amie réchauffe mon petit cœur solitaire.

"Si tu parles de mère pondeuse comme chez les insectes, on n'en ai pas encore là. Et toi de ton côté. As-tu trouvé celui ou celle capable de dompter ton esprit conquérant et de te suivre vers les sommets ?"

Je demande sur le ton de la plaisanterie. Le même que le sien. Mine de rien, je ne l'avais jamais rencontré mais je la connais bien, Nolwenn. Je la comprends aussi, souhaitant moi-même avoir du succès. Et pas qu'avec les femmes...