Kayden observait, incertain, l’adresse qu’il avait noté lui-même sur un morceau de papier. Est-ce que c’était une bonne idée ce qu’il s’apprêtait à faire ? Il sentait qu’il allait rapidement le regretter. Était-ce parce qu’il était désespéré qu’il avait envie de croire à tout et n’importe ? C’était une possibilité. Au fond, qu’est-ce qu’il avait à perdre ? Passer pour un fou auprès d’un autre fou, ça ne changeait rien n’est-ce pas ? Son regard s’attardait sur les lettres mal écrites sans qu’il sache réellement ce qu’il espérait au final. Est-ce qu’il voulait vraiment faire ça ? Une partie de lui hurlait que ce n’était pas une bonne idée et qu’il allait se faire du mal pour rien. Une autre partie lui disait qu’il en avait réellement besoin et que ça pourrait peut-être l’aider à avancer. Il y avait une question très précise qui lui tournait en tête et sa femme était l’unique personne à pouvoir y répondre. Depuis quelques jours, il avait l’impression que tout le ramenait à son épouse. Que ce soit l’odeur de son parfum qu’il avait cru sentir en pleine forêt alors qu’il était complètement seul. Sa chanson préférée qu’il avait entendu dans la boutique de Joannie. Ses rêves où elle était présente et où elle lui semblait plus vivante que jamais. Est-ce qu’elle avait quelque chose à lui dire ? Ou c’était son cerveau qui lui jouait des tours pour le pousser à se raccrocher sur des vieux souvenirs ? Son cerveau était doué pour le torturer et il se plaisait bien à le faire depuis deux ans forçant souvent le quinquagénaire à imaginer le pire. Au nombre de fois où il s’était réveillé en larmes dans les derniers mois, car il avait fait des cauchemars sur Calliope. Bref, plus rien n’allait et il comptait sur ce Heathcliff pour soulager un minimum  sa conscience.

Sauf qu’il hésitait. Son regard était fixé sur son bout de papier qu’il avait depuis deux bonnes semaines maintenant. Il connaissait l’adresse par cœur maintenant à force de la regarder. C’était la première fois qu’il se retrouvait aussi près de son but, qu’il prenait la peine de s’arrêter à Castlerain. L’envie de faire demi-tour était réellement présente et c’est sans surprise que le petit bout de papier se mit à bouger sous ses tremblements. Kayden finit par refermer le poing sur l’adresse pour calmer sa main. Il ferma doucement les yeux et il respira profondément pour calmer la panique qui commençait à monter en lui. Kayden ne pouvait pas expliquer cette forte réaction. Une grande partie de lui voulait croire les rumeurs qu’il avait entendu et aujourd’hui, il se sentait près à franchir une barrière qu’il n’aurait jamais cru franchir. L’homme prit son courage à deux mains et il s’enfouit entre les rues de Castlerain jusqu’à l’adresse sur son morceau de papier. Il n’avait même pas eu besoin de le regarder à nouveau, son cerveau lui répétait les chiffres et les mots en boucle. Kayden s’arrêta devant la demeure en question. Il aurait pu hésiter une nouvelle fois, mais il avait pris sa décision. Lorsque sa décision était prise, il fonçait. Le soigneur rejoint la porte et il frappa trois coups fermes qui firent accélérer davantage son rythme cardiaque dans sa poitrine. Voilà. Il y était. Il allait savoir s’il avait fait tout ce chemin pour rien ou si la personne qui venait d’ouvrir serait en mesure de lui venir en aide. « Monsieur Heathcliff Pendragon ? » demanda-t-il d’une voix presque hésitante. Il pinça les lèvres à peine une seconde avant de reprendre. « Je suis navré de vous déranger, je… Je m’appelle Kayden et j’ai entendu parler de vos… dons… » Il hésita à nouveau. Est-ce qu’il avait employé le bon mot ou il allait vexer l’inconnu dès les premières secondes ? « Avez-vous un petit peu de temps pour moi..? » Pas question de faire machine arrière maintenant. Il était là et il était prêt à entendre ce que cet homme allait accepter de lui dire.

A quelques détails près, les dernières escapades d’Heathcliff s’avèrent concluantes. S’il se serait bien passé des retrouvailles humaines et familiales auxquelles il a eu le droit à l’ancienne Nathalia, les autres rencontres qu’il a faites compensent très nettement le tout et elles lui permettent de faire un bilan positif de son expédition. Nihasa et Naamah sont très douces contrairement à ce que leurs espèces respectives peuvent laisser penser. Shaïtan aussi est étonnamment courageux. Il n’y a guère que Valefor qu’il faut souvent recadrer afin qu’il ne détruise pas tout dans l’appartement. Et puis, il y a Dagon ; un spécimen aussi intéressant que surprenant. Heathcliff savait bien qu’éduquer un Fantyrm n’était pas de tout repos et quelque part, c’est aussi ce qui lui plaît dans ce défi mais il doit l’admettre : il ne s’attendait pas à ce que le sien ait un aussi mauvais caractère. Il n’est pourtant pas ignorant du concept de « sale gosse », surtout depuis qu’il vit réellement avec Laurine mais à côté du Pokémon, la jeune fille est un véritable cadeau en toutes circonstances. Cela étant, ce serait mal connaître le Pendragon que de croire qu’il va abandonner aussi aisément. Il compte bien garder le Fantyrm à ses côtés et pour ça, il faut qu’il soit ferme et qu’il lui montre qui est celui qui décide. Alors aujourd’hui, Heath se prend une journée de repos : pas de laboratoire, pas d’expérience, pas de prise de notes. Juste lui, avec ses partenaires ; dans son appartement de Castlerain. « Bon sang, Dagon, laisse Asmodée tranquille ! Tu vois bien qu’il n’a aucune envie d’être embêté ! », en effet, le petit Polichombr exprime très nettement son mécontentement lorsque le dragon spectre vient le chatouiller d’un peu trop près. Le scientifique pousse un long soupir lorsque le Fantyrm lâche enfin le Polichombr à la demande de son dresseur, sans pour autant avoir une plus grande réaction. Il se contente de se tourner, de darder son regard fixe sur un autre point et de flotter en direction de celui-ci. Super, ça commence très bien…

Trois coups à la porte viennent soudainement interrompre cette petite séance d’éducation - ou du moins, de tentative. Heath n’attend personne aujourd’hui mais il hausse les épaules, se disant qu’il s’agit peut-être de Laurine qui revient plus tôt que prévu. Nonchalamment, le Johtien se dirige vers la porte qu’il ouvre... Pour tomber face à face avec un homme qu’il ne connaît absolument pas. Ou alors, Laurine a bien changé mais il en doute fortement. « J’imagine que si vous êtes là, c’est que vous connaissez déjà la réponse. », dit-il, quelque peu énigmatique. Généralement, il n’y a pas trente-six profils de personnes qui viennent se présenter directement sur le seuil de sa porte ; à vrai dire, il y a trois catégories qui lui viennent en tête : ceux qui ont besoin d’aide, ceux qui sont ses proches et ceux qui éventuellement peuvent en vouloir à sa vie pour diverses raisons. « Vous ne me dérangez pas. Enchanté Kayden, je suis bien Heathcliff Pendragon. Entrez, je vous en prie. », déclare-t-il en s’écartant du chemin de l’entrée et en désignant l’intérieur de son modeste habitat d’un geste du bras. Visiblement, cet homme fait partie de la première catégorie. C’est ce que le médium en déduit à l’instant même où l’inconnu lui dévoile avoir eu connaissance des dons particuliers qu’il possède et il va de soi qu’Heathcliff n’est nullement vexé par l’approche de l’autre homme. Les autres personnes qui viennent le voir avec cette même envie de faire appel à ses capacités l’interpellent plus ou moins tous de cette manière et il ne peut pas leur en vouloir. Comment pourraient-ils s’y prendre autrement ? « Asseyez-vous, mettez-vous à l’aise et parlez-moi de ce qui vous amène chez moi. J’ai tout le temps que vous voulez à vous accorder. », laisse-t-il en lançant un regard en coin et accusateur en direction de Dagon actuellement en train de « s’amuser » en flottant ; faisant des allers-retours dans la pièce avec le même regard vide.

En fait, non, Kayden ne connaissait pas la réponse. N’importe qui n’étant pas Heathcliff Pendragon aurait pu ouvrir cette porte. Le soigneur avait uniquement un nom et aucune idée de ce à quoi ressemblait l’homme qu’il recherchait. La personne devant lui pourrait lui faire croire qu’il était Heathcliff ou lui dire complètement le contraire. Kayden ne pourrait rien faire de plus que de faire confiance à cet étranger, car il ne savait pas… Néanmoins, l’homme semblait laisser sous-entendre qu’il était bien celui que Kayden recherchait. Le soigneur retint un soupir de soulagement. S’il s’était trompé d’adresse, il n’aurait sûrement pas eu le courage de tout recommencer et il aurait laissé ce projet de côté. Ce dernier lui tenait à cœur, mais il lui demandait également beaucoup de courage.

Après s’être officiellement présenté, l’homme invita le plus vieux à entrer et Kayden ne se fit pas prier. Il n’était pas encore totalement en confiance, mais il n’était pas prêt non plus à rebrousser chemin. Il voulait aller au fond des choses. Le regard curieux de soigneur parcourut l’intérieur de la demeure du médium. Il aurait pu être perturbé par les nombreux Pokémons qui s’y promenaient s’il ne faisait pas exactement la même chose lorsqu’il louait des nuitées à une auberge. Son regard s’attarda sur le Fantym. C’était bien la première fois qu’il en apercevait un et ce dernier était impressionnant malgré sa petite taille. Un dragon-spectre… Double type très intéressants, mais peut-être trop compliqué pour un homme comme lui qui n’avait jamais réellement eu de Pokémons à lui avant aujourd’hui. Il avait participé à élever Amber, mais elle restait le Goupix de sa fille. Elle n’était pas son Pokémon. L’homme fut ramené à la réalité et à la vraie raison de sa présence ici par Heathcliff. Le soigneur hésita un instant avant de se diriger vers la chaise près du médium. Une fois installé, il soupira. Est-ce qu’il allait réussir à mettre des mots sur ce qu’il souhaitait vraiment ? Ça lui semblait toujours aussi particulier et il avait l’impression d’être fou de vouloir croire à quelque chose d’aussi… surnaturel ? Bref, il continuait de se dire qu’il n’avait rien à perdre. Il risquait seulement de quitter cet endroit avec une énorme déception, mais il pourrait vivre avec. Ça ne serait pas une première pour lui. « Je… » Il bafouilla légèrement. C’était à lui maintenant de se confier. Heathcliff était peut-être médium, mais il ne pouvait pas tout deviner n’est-ce pas ? « Je ne sais même pas si vous allez pouvoir m’aider… Je… J’ai perdu ma femme il y a quelques années. Ça ne s’est pas passé ici, mais à Alola. Elle est tombée gravement malade subitement et tout s’est passé trop vite… Beaucoup trop vite. » Il avait terminé dans un murmure en baissant tristement la tête. En quelques jours seulement, il avait perdu sa femme. Il n’avait pas eu le temps de le voir venir. « Je… J’aimerais savoir si je pouvais, d’une manière ou d’autre autre, entrer en contact avec elle… Je ne sais même pas comment ça fonctionne, ni même si c’est réellement possible. » C’était sa façon de faire comprendre au médium qu’il ne connaissait pas les possibilité de ce milieu et qu’il était peut-être complètement à côté de la plaque. L’homme s’était présenté ici suite à des rumeurs, il ne savait même pas ce que Pendragon faisait exactement. Est-ce qu’il allait se moquer dans les prochaines secondes ? Peu importe, ça n’empêcha pas le soigneur de continuer : « Je n’ai pas d’objets qui lui appartient avec moi, je… J’ai uniquement une photo dans mon journal. Je… Mais j’ai la sensation que tout me ramène à elle… J’ai pu sentir son parfum en plein milieu de la Forêt des Murmures où j’étais complètement seul… » Peut-être qu’il allait se faire dire que ça venait de sa tête et il pourrait le croire. Il était tellement fatigué. Son cerveau pouvait lui jouer facilement des tours.

Il n’y a qu’un nombre limité de gens qui franchissent le seuil de la porte d’Heathcliff. Et en temps normal, c’est une situation qui lui convient à merveille ; néanmoins, lorsqu’une âme clairement en détresse prend le temps de frapper à sa porte pour quérir son aide, il n’a pas coutume de refuser ou de mentir. Tout simplement parce qu’il possède une certaine éthique qui, il l’imagine, lui vient principalement de son côté scientifique. Sans oublier qu’il a une certaine sensibilité et une empathie un peu plus exacerbée selon les histoires des personnes qui se présentent devant son appartement. Pour toutes ces raisons, il ne cherche pas à tromper Kayden sur l’homme qu’il est. Ce serait contre-productif pour l’un comme pour l’autre. Heathcliff s’écarte de l’entrée après avoir invité Kayden à pénétrer dans sa modeste demeure ; désignant d’un geste de la main un emplacement où il peut s’asseoir et se mettre à l’aise. Étonnamment, le brun s’installe sur une chaise alors qu’à côté trône un fauteuil bien plus confortable. Soit, c’est son choix et Heathcliff ne s’en formalise guère plus que ça. « Vous êtes surpris que ce soit aussi banal ? », demande-t-il, sourire aux lèvres ; avisant l’homme qui détaille son appartement du regard. Si on excepte les nombreux Pokémon déroutants pour la majorité des personnes, la demeure du Pendragon n’est pas excentrique en terme de décorations et c’est un choix qu’il assume pleinement. « Vous vous attendiez peut-être à quelque chose de... différent ? Une boule de cristal, des tissus pourpres en guise de rideau ? Ce sont plutôt les habitudes des vrais charlatans ça, de ceux qui ont besoin d’exagérer dans leur décor pour cacher leur incompétence. Ce n’est pas mon cas. », il est calme, Heathcliff, quand il fait part de cet avis. Il n’a aucune haine vis-à-vis de ceux qui font semblant même s’il n’approuve pas leur manière de faire.

A son tour, Heathcliff se pose sur un fauteuil face à Kayden, prêt à écouter ce qu’il a à lui raconter. Le médium laisse l’homme prendre son temps, parfaitement conscient qu’il ne doit pas avoir des choses faciles à dire, encore moins à l’inconnu qu’il est. Alors il patiente, jusqu’à ce que Kayden finisse par se lancer ; d’abord timidement puis, plus franchement. Et là, les premiers mots résonnent puissamment dans l’esprit d’Heathcliff. Il a perdu sa femme, dans des circonstances bien différentes de celles qui ont mené au décès de la partenaire de vie du Pendragon certes, mais... La douleur est la même. C’est celle de la perte d’un être cher, enlevé trop tôt pour des raisons qui ne sont pas toujours - rarement, en fait - claires. Et il ne peut que compatir. Il l’écoute religieusement, sans piper le moindre mot ou faire le moindre geste ; compatissant à sa douleur, à son mal-être ainsi qu’à son irrésistible envie d’en savoir davantage. Lorsque Kayden se tait, Heath ne parle pas tout de suite, prenant quelques secondes pour réfléchir. Il ne veut pas lui dire de bêtise, il n’en a pas le droit. « C’est possible. », dit-il en levant les yeux sur le visage de son interlocuteur. « Peut-être pas comme vous l’imaginez, il n’y aura pas d’interactions « directes » dans le sens où je ne peux pas la faire apparaître mais je peux faire quelque chose pour vous, si vous me faites confiance. », il a conscience que c’est beaucoup demandé d’accorder sa confiance à quelqu’un qu’il vient de rencontrer mais c’est important. Le Pendragon ne fait pas apparaître les fantômes mais il arrive que certains esprits daignent se servir de son enveloppe charnelle comme réceptacle, le temps d’une discussion avec le vivant. « Certains esprits étriqués pourraient expliquer votre sensation dans la forêt avec quelque chose qui ressemble à ce qu’on appelle l’impression de déjà-vu. Parfois des sons, des odeurs, des couleurs nous ramènent à des périodes antérieures de notre vie. En ce qui me concerne, je pense que si vous avez autant de signe, ce n’est effectivement pas pour rien. », il est tout à fait sérieux dans ses paroles, Heathcliff. Il n’y a pas la moindre trace de moquerie. « Je n’ai pas besoin d’objet qui lui appartienne, vous pouvez conserver votre photo. Et si vous êtes prêt, nous allons pouvoir commencer. C’est à vous de me dire si vous avez besoin d’un peu plus de temps. », cette expérience est nouvelle pour Kayden alors Heathcliff préfère s’assurer qu’il lui demande d’y aller une fois qu’il est certain d’être prêt. Il ne lui demande pas ça à la légère puisqu’une fois le processus entamée, il est compliqué de revenir en arrière.

La curiosité était un vilain défaut n’est-ce pas ? Kayden s’était un petit peu fait prendre la main dans le sac ce qui le fit rougir légèrement. Négativement, il secoua la tête à la question de l’homme. Le soigneur n’était pas comme cela. Il ne jugeait pas à l’apparence. Il serait mal placé pour le faire avec l’état dans lequel il se trouvait lui-même. Il vivait pratiquement une vie d’itinérant depuis un an. Son regard se plongea dans celui de l’homme qui se mit à lui parler de boule de cristal et de charlatans. Le quinquagénaire allait vite regretter d’avoir dérangé cet homme. Malgré le ton calme utilisé, le brun avait l’impression de l’avoir énervé seulement en observant un petit peu autour de lui. Son regard avait dû s’attarder trop longtemps sur le Pokémon spectre ce qui avait donné une mauvaise image au médium. Un léger rire presque nerveux s’échappa des lèvres du soigneur alors qu’il levait une main pour pointer le dragon. « C’est surtout votre Fantyrm qui a attiré mon attention. Je n’avais jamais eu la chance d’en voir en vrai. Je suis navré pour ce malentendu. » L’homme ne mettait pas en doute quoi que ce soit sinon, il ne serait pas là. Il n’aurait pas gaspillé son temps ni celui de l’homme s’il n’avait pas eu un véritable intérêt. Certes, Kay’ avait des doutes sur ce qui allait se passer dans les prochaines minutes et surtout sur la manière dont ça allait se passer. Mais c’était seulement la crainte de la nouveauté. Les doutes n’étaient pas dirigés vers l’homme et sa profession.

Les minutes suivantes ne furent pas les plus simples pour le Weaver. Il ne parlait pas beaucoup de la perte de sa femme et encore moins avec des étrangers. Le soigneur prenait le temps de bien choisir ses mots, hésitants sur certains. Il était persuadé qu’il allait passer par un idiot auprès du médium. Est-ce que ce dernier allait lui faire comprendre que son impression était fausse et qu’il s’était seulement fait des idées ? Et pourtant, ce n’est pas ce qui se produit. Heathcliff lui précisa qu’il pouvait faire quelque chose pour lui si Kayden lui faisait confiance. Intrigué, le brun pencha légèrement la tête sur le côté en attente de détails qui ne vinrent pas pour l’instant. L’homme lui confirma plutôt que les impressions que Kayden avait eu n’étaient pas un total hasard. Était-ce de la naïveté de la part de Kay’ de le croire ? Ou c’était un besoin de vouloir le croire ? Dans un moment aussi compliqué, était-ce normal de vouloir retrouver un certain confort auprès de celle qu’il avait aimé ? L’homme ne savait pas trop. Il remettait constamment ses choix et ses décisions en doute ces temps-ci. Pourtant, sa présence ici n’était pas précipitée. Il y avait bien réfléchi et il avait une raison précise à ce besoin de s’adresser à sa femme. « Je… » fut la première hésitation de Kay’ lorsque le Pendragon lui précisa que c’était à lui de dire quand il souhaitait débuter. Encore plus que les minutes précédentes, Kayden sentit le doute ainsi que la nervosité prendre place dans son estomac. « Pouvez-vous juste… m’expliquer ce qui va se passer ? » Le soigneur ne cherchait pas à retarder le moment, il cherchait à comprendre dans quoi il s’était embarqué et surtout, ce qui allait se produire. L’homme lui avait dit qu’il n’y aurait pas d’interactions directes. Qu’est-ce que ça serait ? Est-ce que sa femme allait lui envoyer des nouveaux messages ? Il se doutait qu’il ne verrait pas sa femme apparaître devant lui, bien qu’il aurait été plus simple pour lui de réellement croire à tout cela. Il voulait y croire, vraiment, mais ce monde nouveau avait quelque chose d’impressionnant qui le poussait à rester sur ses gardes. « Est-ce que je vais pouvoir lui poser des questions..? Enfin… Au moins une question. » L’homme en avait des tonnes de questions, mais si le temps était limité, il savait exactement la question qu’il voulait poser à sa femme. Une chose plus importante que les autres qu’il avait besoin de savoir pour pouvoir poursuivre – ou non - sa quête.

Voilà typiquement le genre de situation qui mène à des quiproquos. Immédiatement, Heathcliff se sent un tantinet idiot lorsque Kayden lui explique que ce ne sont pas les murs qui ont retenu son attention mais bien les Pokémon qui se promènent librement en plein milieu de l’appartement ; surtout un en particulier que l’invité pointe du doigt. « Oh, je vois, je m’excuse à mon tour si je vous ai semblé impoli. Ce n’était pas mon intention. », dit-il avec l’espoir que ça désamorce définitivement cette situation quelque peu embarrassante. « Je peux vous comprendre, Dagon est aussi le premier Fantyrm qui m’accompagne et avant lui, je n’avais qu’entendu parler de ce Pokémon. », explique le Pendragon en coulant un regard désabusé en direction du Pokémon spectre et dragon qui tourne et vire en flottant dans la pièce sans réel but précis. Il l’aime déjà énormément son Fantyrm mais il a conscience que ça risque d’être l’un de ses plus gros challenges en terme d’éducation. Du reste, Heath n’en veut absolument pas à Kayden et même ses remarques précédentes n’étaient pas dites sous le coup de l’énervement. Il donnait simplement son point de vue et il espère que le brun ne s’est pas senti trop « agressé » par les réflexions du médium. Au grand soulagement du Pendragon, il semble que ce ne soit pas le cas puisque le dénommé Kayden finit par réussir à s’ouvrir à Heathcliff qui le laisse prendre tout son temps pour s’exprimer comme il peut.

Sincèrement touché et ému par l’histoire personnelle de son client - bien qu’il n’aime pas beaucoup ce terme -, le Johtien laisse plusieurs secondes s’écouler après que Kayden ait terminé d’ouvrir son âme. Il imagine très bien à quel point ce n’est pas simple de raconter tout ça pour l’homme qui lui fait face. Heath lui-même ne parle quasiment jamais de cette perte tragique. Parce que c’est trop difficile, trop douloureux et qu’il ne se sent tout bonnement pas prêt pour le faire de manière aussi complète et détaillée. Alors rien que pour ça, il est admiratif de cet homme qui est venu à la rencontre d’un parfait inconnu pour lui ouvrir en grand la porte de son jardin le plus secret. A aucun moment, Heathcliff ne le prend pour un idiot ou un malade et encore moins lorsqu’il prend son temps pour sélectionner ses mots. Le Pendragon fait d’ailleurs de même en choisissant sa réponse avec minutie afin d’être le plus correct possible sans pour autant donner un surplus d’espoir à son interlocuteur. Le médium connaît son métier, il sait ce qu’il doit faire ; c’est pour ça qu’il précise à Kayden que c’est à lui de dire lorsqu’il est prêt. Il faut qu’il soit certain car s’il est encore possible de faire marche-arrière, ça risque de ne plus être le cas lorsqu’il aura donné son approbation définitive. Kayden hésite une première fois mais qu’importe, Heath n’ajoute rien et n’esquisse pas le moindre geste afin d’éviter de le presser. « Comme je vous l’ai dit, je ne peux pas faire apparaître les esprits, d’où le fait que ce ne soit pas direct. Si ça fonctionne, votre femme parlera à travers mon corps. Ce sera sa voix et non la mienne. En gros, je serai son réceptacle dans notre monde et de ce fait, il est plus que probable que je ne me souvienne pas de la conversation qui aura lieu entre vous et elle. Après tout, ça ne concerne que vous mais si vous avez des questions personnelles, je ne pourrai pas y répondre une fois redevenu moi-même. », il explique le processus en toute transparence. Il n’a rien à cacher à Kayden et puis, il lui a posé la question poliment et Heathcliff comprend très bien la nervosité qui doit commencer à envahir l’homme. Pour des personnes non-habituées, l’expérience peut être éprouvante. Bien entendu, Heathcliff ne va pas avoir soudainement les yeux qui brillent mais en faisant attention, certains changements sont perceptibles même pour des yeux qui voient ça pour la première fois. « Vous le pourrez, oui. Néanmoins, je me dois de vous mettre en garde : certaines réponses sont loin d’être limpides et peuvent être sujet à différentes interprétations. Je vous conseille également de choisir vos mots avec soin. », des précisions importantes afin que Kayden ne soit pas trop dérouté au moment d’obtenir ce qu’il cherche. S’il a d’autres interrogations, il est toujours temps de les poser. Dans le cas contraire, ils vont pouvoir commencer.

On pouvait dire que tout de cette rencontre était étrange. En commençant par le côté curieux de Kayden qui valut un malentendu dès le début. Le soigneur secoua négativement la tête lorsque l’homme s’excusa. Au fond, il pouvait le comprendre d’être sur la défensive. Sa profession ne devait pas être simple et elle devait soulevée beaucoup de doutes et de questionnements autour de lui. « Il est magnifique en tout cas. » confirma le brun ne préférant ne pas s’attarder davantage sur l’erreur commise. Au fond ce n’était rien. Ça n’avait rien à voir avec le sujet de leur rencontre aujourd’hui.

La suite des choses n’avait rien de naturelle pour Kayden et pourtant, il réussit à s’ouvrir légèrement à l’homme sur les véritables raisons de sa présence ici. N’ayant pas d’informations sur les pratiques, le Weaver ne se sentit pas de se lancer directement et il demanda quelques éclaircirent sur ce qui allait se passer dans les prochaines minutes. Il n’avait pas l’intention de faire marche arrière maintenant. Peu importe la réponse d’Heathcliff, Kayden avait fait son choix dès qu’il avait frappé à la porte du médium. Il voulait seulement éviter d’être pris de court lorsque les choses allaient se produire. Très attentivement, le soigneur écouta l’homme lui expliquer honnêtement et franchement les choses. De quoi mettre le Weaver en confiance. Heath’ savait exactement de quoi il parlait et il n’hésitait pas à le partager où d’autres auraient pu laisser planer un doute et du mystère. Aussi près du but, Kayden n’avait pas besoin de mystères et de secrets. Il avait besoin de concret et c’est exactement ce qu’il obtenait de la part du Pendragon. De quoi le conforter dans cette décision d’avoir choisi cet homme précisément. « Est-ce que ça vous fait souffrir ? » Ce fut la première question qui traversa l’esprit de l’homme. Elle pouvait sûrement paraître étrange dans le contexte, mais Kay’ avait une âme de soigneur, il pensait toujours aux autres en premier. Pour lui, ça lui semblait normal de savoir si l’homme allait souffrir pour l’aider.

Il avait qu’une seule question. Kayden ne voulait pas abuser de la gentillesse de cet homme et encore moins du surnaturel. Malgré les nombreuses questions qu’il risquait d’avoir, l’homme saurait rester précis dans sa demande. Enfin… Ça c’est ce qu’il souhaitait. En pratique, ça serait peut-être autre chose. Il ne pouvait pas prévoir comment il allait réagir devant l’esprit de sa femme, surtout à travers le corps d’Heathcliff. Il y avait de quoi déstabiliser n’importe qui. « Bien. Je le ferai. » Choisir ses mots avec soin, c’était dans ses cordes. Sa question était déjà claire dans son esprit, il espérait sûrement réussir à la formuler le moment venu. Il espérait aussi avoir une réponse plus ou moins précise. Il en avait réellement besoin afin de continuer de se battre. Une certaine crainte se forma dans son ventre. Au fond, la réponse lui faisait peur. Elle serait très déterminante pour lui et pour son avenir. Un profond soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’il posa ses deux mains sur table. « Je suis prêt. Nous pouvons y aller. » Heureusement que les paumes de ses mains étaient posées sur du solide, car il sentait que ses membres tremblaient. « Quand vous voulez. » Il déglutit. Il tâchait de se montrer le plus confiant possible, mais la peur était bien présente dans son regard et dans son langage corporel.

« Merci. », dit-il quelque peu embarrassé par la maladresse dont il vient de faire preuve. Kayden n’a pas l’air d’en vouloir à Heathcliff même si ça ne l’empêche pas de se sentir mal à l’idée qu’ils soient tous les deux partis du mauvais pied à cause d’une telle broutille. Néanmoins, ce serait mentir que de dire qu’il n’apprécie pas le compliment fait à l’encontre de son Fantyrm. Pas sûr que son compagnon le mérite, cependant, vu les galères dans lesquelles il est capable de le mettre sans en avoir rien à faire. Quoi qu’il en soit, le plus sage est de ne pas rester bloqué sur cet évident malentendu et c’est bien ce qu’Heathcliff a l’intention de faire. Il vaut mieux ne pas s’attarder là-dessus et repartir correctement ; d’autant que ça n’a finalement pas grand-chose à voir avec la raison de la venue de Kayden. S’il est présent, c’est pour que le médium l’aide et honore les dons octroyés par la Nature. Nul besoin d’être sur la défensive dans ce cas-là, bien au contraire. Kayden est là pour obtenir des réponses, pas pour juger le Pendragon sur ce qu’il est alors que les deux hommes ne se connaissent finalement pas. Alors le Johtien se détend, prêt à passer à ce qui est réellement important aujourd’hui. La première étape, c’est l’écoute, ni plus, ni moins ; être attentif et respectueux quand les gens ont le courage de parler de ce qui les ronge au quotidien. Et ça, Heath sait le faire ; à défaut d’être capable d’évoquer ses propres tourments, il a appris à se montrer conciliant - et parfois admiratif - envers ceux qui parviennent à le faire. C’est le cas de Kayden que le pré-quarantenaire pense honnête dans sa démarche et dans ses paroles.

Alors quand le plus âgé en vient à lui poser des questions sur le déroulement de ce procédé, Heathcliff lui répond de bon cœur, en essayant d’être le plus compréhensible. Si c’est évident pour lui, ça ne l’est pas obligatoirement pour les autres et s’il faut consacrer quelques minutes pour informer, ce n’est pas un problème. Et puis, c’est très important qu’il comprenne bien les tenants et les aboutissants car certains en viennent à se rétracter lorsqu’ils se rendent compte de ce que ça implique. La voyance, peu importe la forme qu’elle revêt, n’est pas un jeu qu’il faut prendre à la légère et malgré ça, beaucoup font quand même l’erreur de le penser. Cette petite mise au point permet donc également à Heathcliff de voir en partie à qui il a à faire et après cet échange, il estime que Kayden est capable d’assumer ce qui va très prochainement se produire. C’est aussi pour ça qu’il n’a absolument aucun intérêt à mentir à ceux qui viennent le voir et qui lui posent des questions. Comment savoir si quelqu’un est fin prêt pour la suite si soi-même, on ne donne pas les bonnes informations dès le départ ? Heathcliff n’est pas un homme dénué de logique et son aspect de scientifique est perceptible dans son côté « irrationnel » tout comme l’inverse. Il explique, donne les détails, est concret dans un domaine malheureusement encore très embrumé.

Surpris par la question de son interlocuteur, le Pendragon hausse les sourcils. C’est bien la première fois qu’on se soucie de ce qu’il peut endurer dans ces moments-là en lui posant une telle question. D’ordinaire, les gens ne sont pas aussi empathiques envers sa personne et s’il ne s’en offusque pas, il doit bien admettre qu’il apprécie le geste du brun. Du moins, une fois un minimum remis de son étonnement. « Les âmes sont immatérielles. De plus, il s’agit d’un prêt de ma part et non d’une possession. En ce sens, je donne mon accord, ce qui permet que tout se passe en douceur alors non, je ne souffre pas. Cela dit, je vous remercie de vous en soucier. », sincèrement. Il ne sait pas d’où vient une telle empathie de la part de Kayden alors que leur rencontre est encore très récente mais ce serait idiot de cracher dessus. Sourire léger aux lèvres en guise de remerciements, Heathcliff attend quelques secondes supplémentaires afin de voir si Kayden a d’éventuelles autres questions. En constatant que ce n’est pas le cas, il lui donne des instructions de dernière minute et hoche la tête lorsque le brun lui fait comprendre qu’il a saisi le message et l’importance de ne pas dire les premiers mots qui passent par la tête. Le médium lui laisse ensuite le temps de définitivement se préparer. Il ne juge pas la manière dont Kayden s’installe ; chacun fait selon ce qu’il estime être le mieux. « Très bien, je me lance. », posture droite sur son fauteuil, mains jointes et doigts croisés, yeux fermés, Heathcliff se concentre. Les quelques lumières qui nimbent la pièce vacillent un instant avant de se stabiliser. Quelques secondes passent avant qu’Heathcliff n’ouvre de nouveau les yeux, une lueur différente dans les pupilles. « Bonjour, Kayden. », la voix qui s’exprime possède encore quelques notes de celle du médium. Cependant, elle donne aussi l’impression d’être lointaine, comme bloquée à un endroit tout à fait différent et inaccessible. Une voix qui semble également plus douce malgré l’effet de grésillement qui l’accompagne. Une voix d’outre-tombe.

Pour Kayden, sa question avait été posée naturellement. Est-ce que l’homme assis devant lui allait souffrir pendant le procéder ? Si c’était le cas, Kay’ pourrait reculer, se demander si ça valait vraiment la peine de faire souffrir un homme pour quelques secondes avec un esprit. Sa femme lui manquait, oui, il avait envie de lui parler, il n’allait pas mentir là-dessus, mais pas à n’importe quel prix. Même si la perte de son épouse avait été très soudain, l’homme avait réussi à faire son deuil avec les années. Il ne pourrait jamais l’oublier, il ne voulait pas non plus, mais il ne voulait faire souffrir personne pour ses propres besoins. Heureusement l’homme lui répondit par la négative tout en lui précisant pourquoi il n’allait pas souffrir dans le processus. Une nouvelle fois, Kayden le sentit honnête avec lui et il se retrouva en totale confiance. Il voulait aller plus loin. Il ne savait pas s’il était réellement prêt pour ça, mais il était trop tard pour tourner les talons. Kay’ était déjà allé trop loin dans le processus et il ne pourrait pas dormir la tête tranquille en sachant qu’il avait abandonné aussi près du but, sans savoir ce qui se passait de l’autre côté. Est-ce que sa femme allait seulement répondre à l’appel ? C’était une autre crainte qu’il avait. Kayden ne savait pas comment il réagirait dans cette situation. Bien sûr, il n’en voudrait pas à Heathcliff, ça ne serait pas de sa faute. Le soigneur n’avait pas l’impression que cette homme lui disait n’importe quoi seulement dans l’optique de lui soutirer son argent. La preuve, ils n’en avaient même pas parlé. Beaucoup auraient demandé dédommagement avant, mais ce n’était pas le cas de l’homme devant lui. « C’est normal. » rétorqua le soigneur avec un léger haussement d’épaules lorsque l’homme le remercia de se soucier de lui. Enfin, c’était normal pour lui, peut-être pas pour les autres ? La surprise de l’homme n’avait pas échappé au Weaver qui avait supposé que cette question n’était pas un automatisme pour tout le monde.

Le moment était venu. Kay’ se sentait de plus en plus nerveux. Il ne pouvait pas dire la dernière fois où il avait autant stressé. Peut-être le jour de son mariage ? Ou de l’arrivée de sa fille ? Non, à côté de ces deux événements majeurs, ça allait encore. L’homme n’avait pas l’impression de frôler la crise de panique et de remettre sa vie entière en question. Le Weaver hocha doucement la tête lorsque l’autre affirma qu’il se lança. Ça ne servait à rien de repousser le moment fatidique. Le soigneur laissa les choses se produire sans rien ajouter. Fixant Heathcliff dans un premier temps, il détourna les yeux seulement lorsque les lumières se mirent à vaciller. Kayden les observa quelques secondes et lorsqu’il regarda à nouveau le brun, son expression avait changé. Son regard n’était plus le même. Kay’ sentit son rythme cardiaque s’accélérer devant cet éclat qu’il arrivait à reconnaître malgré le corps – très – différent devant lui. « Bonjour, Kayden. » Le soigneur se sentit frissonner. Même si la voix n’était pas exactement comme dans ses souvenirs, il y avait des intonations très similaires à celles de la femme qu’il avait aimée. C’était quelque chose que Heathcliff ne pouvait pas savoir. Ce qui se passait devant les yeux de Kay’ n’était pas une arnaque, il était en train de se produire quelque chose. Cette voix, ce regard… Tout lui semblait si loin et si près à la fois. Il était difficile pour Kayden de décrire exactement ce qu’il ressentait. Tout se mélangeait en lui. « Bonjour Sweatheart. » Ça lui était venu naturellement et il se sentit rougir légèrement. Même si l’homme lui avait dit qu’il n’aurait peut-être aucun souvenir, il aurait dû choisir ses mots différemment… Et pourtant, il arrivait à se sentir encore plus proche de Heathcliff qu’il avait pu l’être de son arrivée ici. « Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps… Je… » Il se coupa. Lui qui pensait réussir à garder le contrôle, il se sentit rapidement submergé par ce qui passait. Sa gorge se noua et ses yeux se remplirent de larmes. Il y avait tellement de choses qu’il aimerait lui dire, mais il ne pouvait pas se le permettre. Personne ne savait vraiment combien de temps son épouse allait rester. « Je… J’ai besoin de savoir si… Callie est avec toi ? » À cette question, l’homme sentit son cœur frapper encore plus fort dans sa poitrine et une larme s’échapper de son regard. Il la retira du revers de la main. Cette réponse lui faisait beaucoup plus peur que tout ce qu’il était en train de traverser. Cette réponse pouvait changer complètement sa vie. Cette réponse allait lui permettre de savoir s’il se battait dans le vide ou s’il devait continuer son voyage. En espérant seulement que l’esprit de son épouse ait vraiment quelque chose à lui donner.

C’est probablement triste à admettre mais ce qui est évident pour un homme comme Kayden ne l’est certainement pas pour la majorité des gens. Durant son parcours et ses séances, Heathcliff a croisé nombre de personnes et aucune n’a jamais vraiment eu l’air de se soucier de ce qu’il pouvait ressentir dans ces moments aussi particuliers. Peut-être parce que la grande majorité considère que c’est un dû, que s’il est là et qu’il propose ce « service », c’est qu’il en est capable et qu’il a l’habitude de l’endurer. Ou d’autres encore peuvent penser que c’est du vent et qu’il n’a donc rien à craindre. Chacun est libre après tout et Heathcliff n’en a jamais voulu à personne sur ce sujet. La voyance est un domaine qui reste libre d’interprétation. Ce n’est malheureusement pas une science exacte et ça, même le Pendragon l’admet. Quoi qu’il en soit, le médium rassure rapidement Kayden en affirmant qu’il ne souffre pas et en expliquant pourquoi. Encore une fois, il se montre parfaitement transparent avec son interlocuteur. Pour que le processus fonctionne sans accrocs, il vaut mieux que les deux hommes soient en confiance. Et maintenant que c’est engagé, il n’est plus question de revenir en arrière. Pour le Pendragon, l’homme est prêt ; du moins, c’est ainsi qu’il le ressent. Bien sûr, il peut se tromper mais il ne pense pas que ce soit le cas. Alors il respire un coup, ne doutant pas que tout se passe bien. La surprise passée, Heathcliff adresse un dernier sourire à l’homme suite à ses mots avant de faire ce pourquoi Kayden est venu le voir aujourd’hui : avoir une conversation avec sa femme.

A l’instant où il dit se lancer, il faut quelques minutes supplémentaires à Heathcliff pour que des résultats un peu plus concrets pour Kayden n’arrivent. En quelques secondes et en deux mots prononcés, il semble évident qu’Heathcliff n’est plus lui-même. Si les traits de son visage sont les mêmes, ses expressions, ses mimiques, son regard qui brille d’un nouvel éclat, son sourire et sa gestuelle d’une manière générale évoquent clairement une autre personne. Une autre personne que le brun connaît particulièrement bien. La voix donne une impression étrange, comme si elle parlait à travers une vieille radio mais l’intonation féminine permet de comprendre que c’est bien elle qui s’exprime à travers le corps du médium. Un sourire plus grand et plus doux encore étire les lèvres du corps intermédiaire lorsque Kayden la salue à son tour, utilisant le plus naturellement du monde ce surnom qu’il ne réservait qu’à elle. Même quelque chose d’aussi banal que de le voir rougir l’amuse bien qu’elle n’en dise rien. « Je t’écoute. », reprend-elle doucement, un peu plus sérieuse devant les difficultés de l’homme qu’elle a aimé et qu’elle voit particulièrement fragile en cet instant. Ils n’ont pas beaucoup de temps mais doivent-ils pour autant mettre de côté les sentiments provoqués par ces retrouvailles ? En le voyant ainsi perdre pied, elle ne peut s’empêcher d’utiliser les mains du médium pour les poser doucement sur celle de Kayden. Là, tout de suite, le temps d’un instant, elle est là et voir cet homme si cher à son cœur qui se laisse submerger par ses sentiments, ce n’est pas ce qu’elle veut. Kayden est fort, il l’a toujours été. Elle ne lui reproche pas ses larmes mais il n’a pas le droit de s’effondrer maintenant. « Callie n’est pas là, mon Amour. Crois-moi, la présence de notre fille ne m’aurait pas échappé. », répond-elle tendrement, en serrant un peu plus la main de Kayden tout en prenant garde à ne pas lui faire de mal.