Depuis sa dernière visite mouvementée dans les anciens quartiers de Nathalia en compagnie de Laurine, le Pendragon n’a pas pris le temps de revenir dans le coin. Pas par manque de motivation ; seulement, il s’est rendu ailleurs, a fait d’autres rencontres, d’autres retrouvailles. Parfois positives, parfois plus négatives. Mais à chaque fois, il a tiré certains enseignements personnels de ces différentes confrontations. Par exemple, il a appris que certaines personnes ne changent tout simplement pas au cour de leur vie et que c’est donc purement inutile de tenter d’avoir une discussion argumentée avec elles. A côté de ça, il n’oublie pas qu’il a pu savourer des retrouvailles dignes de ce nom avec Mallory, aujourd’hui le nouveau champion spectre de l’arène de Castlerain. Parfois, il se surprend même à penser qu’il irait peut-être l’affronter un jour. Pas nécessairement pour obtenir le badge mais uniquement pour le plaisir de se mesurer à un vieil ami pour voir ce qu’ils valent tous les deux. Heathcliff a beau ne pas être un combattant, il connaît tout de même les bases d’un affrontement Pokémon. Mais il n’y est pas encore et là, tout de suite, c’est pour continuer de satisfaire sa curiosité qu’il se dirige vers l’entrée gardée de la partie ancienne et dangereuse de la ville de Nathalia.

« Monsieur Pendragon, il y avait un certain temps que nous ne vous avions pas vu. », lance l’agent en charge de la sécurité du site d’une voix un peu trop guillerette aux oreilles d’Heathcliff qui ne peut s’empêcher de trouver ça étrange. « C’est vrai, j’ai eu à faire ces derniers temps. », il reste vague, se retient de lui demander ce qui lui vaut un air aussi joyeux tout en mettant son masque sur le visage. Il a pris le pli et il n’attend plus qu’on lui dise de le faire. Et puis au moins, cette fois, Laurine n’est pas là pour le forcer à enfiler cet horrible équipement qu’elle avait emmené avec elle. « Apparemment, vous étiez attendu. Quand vous passerez le barrage, il y a une femme qui vous attend et elle affirme vous connaître. », pardon ? Il hausse un sourcil sans comprendre. Qui est cette femme ? Il n’a donné aucun rendez-vous à personne, il en est certain. « Elle a donné mon identité ? », demande-t-il, prudent. L’agent hoche la tête de haut en bas ce qui n’est pas pour rassurer le scientifique. Il soupire longuement, remercie l’homme qui ne fait finalement que son travail puis, pénètre dans la zone des anciens quartiers.

« Eh bah, tu t’es fait désirer. Un peu plus et je montais ma tente dans les environs. », ah, c’est elle donc, la femme qui attendait Heathcliff. Il n’est pas certain d’apprécier son entrée en matière le concernant. Il grimace, fouille dans sa mémoire pour tenter de la reconnaître, sans résultat. Il faut dire que le masque qui cache une partie du visage n’aide pas pour visualiser une personne dans son ensemble. « On se connaît ? », la question est posée sans détour. Elle a peut-être envie de faire la maline mais ce n’est pas le cas du scientifique qui espérait pouvoir profiter des lieux sans être ennuyé et surtout pas de cette façon. Alors oui, il est un tantinet agressif dans ses paroles mais il n’aime pas être à ce point-là pris au dépourvu. Et puis, qu’il veuille l’admettre ou pas, cette femme le perturbe, c’est un fait. Il se fait clairement mener par le bout du nez actuellement et cette situation lui déplaît fortement.

Elle le regarde, sourire en coin et Heathcliff sent qu’il commence à s’agacer. Elle joue avec lui, avec ses nerfs ; il le comprend et ça le met mal à l’aise. Surtout que cette femme lui dit quelque chose mais il n’arrive pas à mettre un nom sur ce visage qu’il ne voit qu’à moitié. « Je n’ai aucune envie de jouer. Si vous n’avez rien d’autre à me dire, je vous demanderai de me laisser passer. », lâche-t-il, très nettement agacé. Il est prêt à poursuivre sa route, son fidèle Asmodée toujours dans son dos. Il fait quelques pas jusqu’à se retrouver avec l’inconnue placée derrière lui. « Je sais que le passage du temps n’a pas dû me laisser totalement indemne mais ça reste un peu vexant que tu ne reconnaisses pas ta grande sœur, Hit. », la bombe est lâchée. Ces quelques mots et ce surnom suffisent à figer net Heathcliff. Quelques secondes passent avant qu’enfin, il parvienne à esquisser un geste. Lentement, il se retourne pour faire de nouveau face à la femme ; les yeux écarquillés par la surprise de l’annonce.

« Théa ? », oh bon sang, il n’en revient pas et l’expression de surprise et de stupéfaction affichée sur son visage en est la preuve plus que flagrante. S’il y a bien une personne qu’il n’avait pas prévu de revoir un jour, c’est elle. Sa sœur aînée, la plus grande de la fratrie qui a décidé d’abandonner les siens pour des raisons qui échappent encore à la compréhension d’Heathcliff. Elle ne voulait pas être comme eux, elle ne voulait pas participer à ce qu’elle qualifiait de mascarade avec les Pokémon Spectres. Alors elle a pris ses cliques, ses claques et elle est partie. Son cadet lui en a toujours voulu pour cet abandon. Elle doit bien s’en douter et pourtant, aujourd’hui, elle se permet de réapparaître comme une fleur dans sa vie, sans même envisager que, peut-être, le médium n’en avait aucune envie. « Salut, petit-frère. », se permet-elle de répondre en souriant. C’en est trop pour le scientifique qui, une fois l'étonnement passé, laisse la colère s’emparer de lui. « Tu te fous de ma gueule ? Mais tu sors d’où, sérieusement ?! Tu es partie depuis vingt-deux ans. Vingt-deux putain d’années sans aucune nouvelle. Tu as abandonné maman, tu as abandonné nos frères et sœurs et... Tu m’as abandonné, moi. Et bordel, tu crois vraiment que tu peux te permettre de réapparaître comme ça dans ma vie ? Je ne t’ai rien demandé et je ne veux rien te demander. », il explose et ça s’entend dans ses paroles. C’est ça, le résultats de toutes ces années à avoir grandi en ayant à l’esprit que celle qui aurait pu être son modèle les a en fait toujours considérés comme des arriérés avec une mentalité dépassée.

« C’est vrai, je suis partie mais ce n’était pas contre vous. La façon de vivre de notre famille ne me convenait pas, c’est tout. », c’est tout, dit-elle comme si ça n’avait pas la moindre importance alors qu’en réalité, c’est tout le contraire. C’est même ça, l’origine du problème. Aux yeux d’Heathcliff, elle est partie parce qu’elle avait honte des siens et c’est ça qu’il a du mal à digérer ; c’est ça qui est particulièrement blessant pour lui. « Tu te doutais que ton départ n’allait pas être sans conséquence. Qu’est-ce qui te faire croire que c’est différent aujourd’hui, que je peux accepter - ou même que j’ai simplement envie - de te revoir ? Tellement d’années ont passé que nous n’avons plus rien en commun si ce n’est un nom. Et je ne suis pas certain de vouloir que ça change. », crache-t-il avec véhémence. « Je comprends que tu m’en veuilles mais tu es parti toi aussi. J’ai entendu dire que tu avais quitté Johto, notre famille et j’ai fait ce qu’il fallait pour te retrouver ici. Pour moi, ton départ était le signe que tu avais sûrement compris certaines choses. J’avais envie de voir ça par moi-même. »

Ah, c’est donc ça. Sans être calmé pour autant, Heathcliff voit désormais un peu plus clair dans les intentions de Théa ; dans cette démarche d’être venue le retrouver à Lathea. Il ne sait comment elle s’y est pris mais dans l’immédiat, ce n’est pas ce qui l’importe. « Tu penses que j’ai renié ce que je suis ? Comme toi tu l’as fait à l’époque ? », il est agressif sur ces questions qui n’en sont pas vraiment. « Pourquoi t’être exilé aussi loin, sinon ? », elle ose. Elle ose sans ciller et c’est ça qui fait vriller Heathcliff. Elle croit comprendre mais elle ne sait rien de la vie qu’il a mené durant toute cette période où elle s’est retirée de leur vie. Alors non, elle n’a pas le droit de faire celle qui sait, ni même d’émettre un jugement sur les choix d’Heathcliff. « Tu te trompes. Je crois encore fermement aux traditions de notre famille et tu le sais. Tu le sais parce dans le cas contraire, tu ne serais pas venue me chercher dans un tel endroit. », dit-il en montrant plus largement la vieille Nathalia par un grand geste du bras. « Contrairement à toi, j’accorde encore de l’importance à ma famille, à ceux qui m’ont élevé et permis de grandir. Je suis parti parce que je le devais et non par contradiction. Ne m’insulte pas en me mettant dans le même panier que toi. »

« Oui, je me doutais que tu viendrais dans un endroit aussi glauque que celui-là parce que c’est dur de changer ses habitudes mais au fond, tu es comme moi. », il n’en revient pas de l’aplomb avec lequel elle sort ces phrases, persuadée qu’elle est d’avoir raison. Pourtant, Heathcliff estime être encore celui qui se connaît le mieux et il ne supporte pas qu’une personne complètement absente de sa vie depuis plus de vingt ans revienne sans prévenir en se permettant de penser qu’elle le connaît mieux que lui-même. C’est insensé et complètement déplacé. « Je te l’ai dit : cesse de m’insulter. Je ne suis pas comme toi. Tu ne sais rien de la vie que j’ai mené tout comme je ne sais rien de celle que toi tu as mené et ça me va très bien. Si tu voulais vraiment renouer, il fallait revenir avant. C’est trop tard maintenant. », elle n’est plus légitime pour prétendre à cette place qu’elle pense encore avoir auprès de ceux qu’elle aurait toujours dû voir comme sa famille. Parce qu’à une époque, ils l’étaient encore. Entre temps, elle a pris un autre chemin ; à elle d’assumer les conséquences jusqu’au bout de son parcours.

« Je n’ai pas quitté Rosalia pour revenir. », précisément, alors sous prétexte qu’ils sont dans une région différente, elle pense que ça change quelque chose à ce fait ? Heathcliff soupire, secoue la tête de gauche à droite. « Et tu penses qu’être ici, à Lathea, peut t’octroyer le droit d’envisager un nouveau départ ? », laisse-t-il, froidement. Elle n’a pas besoin de répondre. Il lit clairement dans son regard que c’est ce qu’elle pense et ça le fait grimacer. « Alors laisse-moi te dire une chose : ce n’est pas le cas. Je ne sais pas comment tu peux espérer pouvoir rattraper vingt-deux ans d’absence simplement en commençant par débarquer à l’improviste en proférant des paroles sans fondement. », il est plus calme mais le ton reste sec et sans appel. Il est venu dans cette région pour des raisons personnelles qu’il n’a aucunement l’intention de lui révéler. « Sincèrement, arrêtons les frais là. »

« J’ai des preuves pour parler de cette manière mais tu n’es simplement pas prêt à les entendre. », plaît-il ? Non mais elle se fiche de lui ? Il hausse un sourcil, circonspect. « Je ne suis pas venue ici pour repartir comme ça, je viens avec toi, quoi que tu aies à faire dans le coin. », alors là, c’est la cerise sur le Charmilly. De quel droit elle se permet de lui imposer ainsi sa présence ? L’ancienne Nathalia est un lieu de détente, d’apaisement et de tranquillité pour Heathcliff ; cependant, il doute que ces quartiers abandonnés demeurent dans son top trois des endroits paisibles s’il doit composer avec cette femme. « Ce n’est pas mon problème. Je sais que tu n’aimes pas ces lieux et je ne te demande pas de te forcer pour moi. Il y a d’autres zones paisibles qui devraient mieux te correspondre. Pourquoi ne pas essayer du côté du fleuve Mongetimor ? », il est sarcastique sans trop l’être, pour le coup. Dans un premier temps parce que le nom de ce lieu est évocateur et dans un second temps parce que c’est un fait, elle a plus de chance de trouver son bonheur là-bas. Même si ce n’est pas comme si ça intéressait réellement le scientifique.

« C’est marrant que tu le proposes parce que j’y suis allée avant de venir ici. », dit-elle sans se départir de son sourire. Et tu aurais dû y rester, pense Heathcliff tellement fort qu’il ne serait pas étonné qu’elle ait pu l’entendre. « Je ne changerai pas d’avis, je veux faire cette excursion avec toi. », elle est têtue. Elle l’a toujours été aussi loin que le médium s’en souvienne. Autrefois, il pouvait considérer ça comme une qualité mais dans l’état actuel des choses, ça ne fait que le desservir. Il n’a aucune envie qu’elle le suive toute la journée. Il pourrait hausser les épaules et se mettre à marcher en se contentant de l’ignorer ; si seulement il ne savait pas que c’est impossible. S’il fait ça, elle va sans doute passer son temps à lui parler de tout et de rien jusqu’à ce qu’il finisse par craquer. Non, il n’a aucun moyen pacifique de se débarrasser d’elle et ça le met dans une position bien inconfortable. « A mes yeux, nous nous sommes tout dit mais j’imagine que ce n’est pas suffisant pour toi et que quoi que je dise, tu vas me suivre. »

Elle hoche la tête et il grommelle, Heathcliff. Il n’a définitivement aucune envie de l’avoir dans ses pattes mais il a bien compris qu’elle ne lui laissait pas le choix. Alors il avance, soupire quand il entend les pas derrière lui. « Tu as conscience que ta présence m’importune ? », demande-t-il sans même prendre la peine de tourner la tête pour lui adresser le moindre regard. « Je le sais et toi, tu as conscience que ça ne va pas me faire rebrousser chemin ? », elle rétorque, affichant très certainement un air fier qu’Heathcliff est bien content de ne pas pouvoir voir. « Pourquoi tu fais ça ? Je n’ai pas besoin que tu viennes piétiner ma vie plus que nécessaire. », j’ai assez d’emmerdes sans que tu ne viennes en rajouter une couche., pense-t-il sans le dire à haute voix. Elle n’a pas besoin d’être au courant et surtout, il ne veut pas avoir à se confier à une personne qu’il avait accepté de rayer de sa vie.