Au départ, Mallory voulait entraîner Stella directement dans l'arène. C'est toujours de cette façon qu'il a fait avec ses Pokémon ; tous ensemble dans un lieu clos, de préférence un terrain de combat, et l'entraînement consistait à les faire combattre les uns contre les autres. De manière générale, ça fonctionne plutôt bien ; Sophie n'a jamais fait autant de progrès que depuis que Karma a rejoint l'équipe du champion. S'il a encore beaucoup de mal avec Rhaegal, il continue tout de même à nourrir de bons espoirs à son sujet ; la présence des autres pour le tenir à carreaux est terriblement bénéfique pour le dragon spectral au caractère de cochon. Dans le cas de la petite équipe qu'il a fini par constituer après sa promenade à la Lumiclairière, c'est différent, à commencer par Stella. Elle a catégoriquement refusé de s'approcher du terrain, quand les spectres sont arrivés, alors autant dire que l'affaire a été plus que compliquée.

Stella est un Pokémon beaucoup trop craintif pour être ainsi confronté à des spectres bien entraînés. Si Sophie a fait l'effort d'être gentille avec elle - comprendre : ne l'a pas agressée tout de suite - cela n'a pas été le cas des autres, qui ont vu l'arrivée de la petite fée comme la plus injuste et la plus anormale des intrusions. Elle n'était pas dans son élément, au coeur d'un endroit aussi sombre et terrifiant que son arène ; et Destiny ne l'y a absolument pas aidée, quand elle s'est pointée l'épée brandie, prête à en découdre. Stella a tellement eu peur qu'elle s'est réfugiée dans sa Pokéball fissa ; force a alors été de constater que Mallory ne pourrait pas l'en sortir, tout simplement. Il a donc fallu chercher un autre lieu et un autre moyen de l'entraîner ; il marche un peu à l'aveuglette, le champion, alors qu'il quitte le parking de la plage pour aller marcher un peu sur le sable.

Lathea est grande, et Mallory aurait pu aller partout pour se promener avec sa Bibichut, qui s'engage prudemment sur le plage comme si le sable allait la bouffer. Pourtant, seul lui sait très exactement pourquoi il a décidé de se rendre ici et non ailleurs ; là où il se réfugiait en temps normal dans la clairière au-dessus de Jaeda, aujourd'hui ses coups de volant l'ont porté dans un endroit où il a vu fleurir ce qu'il peut considérer comme la meilleure soirée de sa vie. C'est un peu comme revenir sur une tombe dans un cimetière, quand il pose les yeux sur la longue langue sablonneuse qui s'étend devant lui et qu'il ne reconnait rien. Rien du décor féérique et enchanteur qui les a accompagnés ce soir là ; rien de l'effervescence qu'il a ressenti si fort, dans les bras d'un homme qui lui a si cruellement mais justement rappelé qu'il n'avait aucune chance. C'est sans doute un élan de masochisme qui l'a porté jusqu'ici, finalement.

La mer gronde face à lui, et les embruns lui renvoient l'odeur salée de l'océan, qu'il a toujours profondément détesté. Les grandes étendues d'eau, Mallory n'a jamais supporté ça ; la faute à des professeurs un peu trop brutaux qui l'ont balancé dans la flotte quand il n'était qu'un gosse chêtif et maladroit et qu'il a bien manqué de se noyer. La peur qui en a résulté l'a conduit à ne jamais vraiment s'approcher des endroits où ses pieds ne pouvaient pas toucher le fond de l'eau ; de toute manière il n'a pas du tout l'intention de se baigner, aujourd'hui. Il est encore trop tôt pour que les premiers touristes envahissent la plage : une très bonne excuse pour s'éloigner dès maintenant de l'endroit le plus fréquenté. On lui a dit qu'il y avaient des criques, ici, non ? Alors autant en profiter pour avoir la paix, c'est tout ce qu'il demande.

A vrai dire, Mallory ne sait plus vraiment ce que c'est, la tranquillité. Pour lui, c'est un concept qui a toujours été nébuleux ; depuis ses huit ans, il alterne entre des phases terribles de délire et d'autres d'accalmie apathique durant lesquels il est comme anesthésié dans sa propre tête. Le reste du temps, c'est comme si le monde entier l'agressait ; son refus de prendre les traitements appropriés n'a absolument pas plu à Oliver, mais ce n'est pas tout à fait comme s'il en avait quelque chose à faire de son avis. Les médicaments amplifient son envie de ne rien faire d'autre que de subvenir aux besoins les plus simples et de là, comment poursuivre sa carrière, comment tenir une arène ? Il ne le peut tout simplement pas. D'aucun penseraient que s'enfoncer ainsi dans la résignation ne l'aidera jamais à s'en sortir ; et ils ont sans doute raison, ceux qui sont si merveilleusement normal que c'en est facile, de prétendre des choses aussi connes.

Mallory ne se souvient pas de l'époque où son esprit d'enfant était encore en pleine santé. Il était trop jeune pour s'en rappeler, tout au plus a-t-il gardé en mémoire quelques souvenirs sans vraiment savoir si son esprit les a inventés ou non. Une salle de classe perchée dans les arbres, une pièce toute en bois et les chants des Pokémon oiseaux, quand il était tout petit. Il se souvient d'une grande main féminine qui tenait la sienne, parfois, d'une voix rendue rauque par la cigarette mais étrangement douce quand elle lui parlait. Ce ne sont que des images, une envolée de cheveux blonds et de grands yeux très bleus, rien à voir avec son visage à lui, émacié, fin, maigre et creusé. Longtemps il s'est demandé si sa mère ressemblait vraiment à l'image qu'il en a toujours eu, jusqu'à ce qu'on lui montre une photo et constate que oui.

Il ne sait pas vraiment s'il regrette cette époque ou non, au final. Il ne connaissait pas la femme qui l'a mis au monde, il n'a jamais eu cette opportunité. Pour elle, il était sans doute un gêneur, un gosse malade et fatigué qu'elle avait sur le dos et qu'elle était incapable de gérer ; qui sait quelles horreurs il lui a balancé quand il était petit ? Il se souvient assez bien de ce qu'il a pu infliger à Cassandre et Kyle, quand ces derniers l'ont recueilli après la défection de Marie Edgerton. Si son enfance a été baignée par la patience et la douceur du couple, cela n'a pas été le cas de son adolescence perturbée, troublée par ses problèmes qui n'ont fait qu'enfler et grandir. Il ne sait pas trop pourquoi il pense à ça maintenant, Mallory. Peut-être parce que perturbé, c'est exactement ce qu'il est en ce moment.

Cela étant, il est assez rare qu'il ne le soit pas, Mallory. La paix est tout simplement un sentiment qu'il ne connait pas, et il a fini par apprendre à vivre avec ça. La seule chose qu'il a du mal à supporter, songe-t-il un peu malgré lui en relâchant Patafix directement dans la mer, pour aller jouer avec un Otaquin d'une drôle de couleur. Stella, elle, reste soigneusement à côté de lui, trépignant même pour monter sur son épaule ; Mallory l'observe, le regard sévère. « Il va falloir que t'apprennes à marcher sans moi, ma grande. » Parce que Stella est une petite brute, une vraie boule d'affection ; à la maison tout va bien, mais dehors c'est une autre affaire. La petite Bibichut craint absolument tout et tout le monde, alors autant faire preuve de prudence. Elle couine, pleurniche lorsqu'un Ramoloss baille la gueule ouverte droit devant elle ; au moins, la distraction lui permet de penser à autre chose que ses foutus problèmes.

Après quelques minutes de marche, Mallory finit par s'éloigner doucement de la partie la plus fréquentée de la plage. Les pieds dans le sable il dépasse doucement les passants, les promeneurs, quelques dresseurs et les rochers faisant office de barrière naturelle. Grimpant du mieux qu'il peut, accrochant de ses doigts maigres les cailloux coupants et glissants. Ses pieds dérapent sur la roche humide, l'odeur de vase et d'iode le prend au nez ; mais la crique est de l'autre côté, il va falloir escalader un peu. Finalement, c'est presque arrivé en haut qu'il glisse, et qu'il sent la chute proche... au moins jusqu'à ce qu'il soit surpris par une poigne qui saisit soudainement son avant bras tendu vers le haut. « Accroche toi ! » Et cette voix, il la reconnaîtrait entre mille, le chanteur. Il a un peu de mal à y croire mais la priorité est d'arriver en haut sans rien se casser ; alors il grimpe, Mallory, aidé par la poigne qui le maintient fermement.

Lorsque le champion arrive en haut, c'est le nez levé et les yeux écarquillés par la surprise que le jeune homme dévisage les traits familiers de celui qui se tient là, en haut du tas de roches, un léger sourire aux lèvres. Une barbe mange son visage mais il reconnait sans aucun mal ses immenses yeux aussi sombres que les siens, dotés d'une lueur douce et réconfortante. C'est sans doute pour cette raison qu'il l'a aimé, Mallory, d'une certaine façon et aussi fort qu'il a pu le croire, au moins avant de se rendre à l'évidence. Lorsqu'ils se sont séparés, il l'a regretté, le champion. Le voir partir a été une terrible déchirure, qui a laissé des stigmates au moins aussi forts que la défection de Gaspar et celle d'Ismaël. Mallory n'a jamais supporté l'abandon, et quand il le reconnait, Hydris, les larmes lui montent immédiatement aux yeux. T'es là.

Hydris, c'était son repère, sa bouée à une certaine époque, le seul qui était capable de lire et de détecter tous les troubles qui grandissaient dans son esprit malade. Si Oliver a toujours été doté du même type de clairvoyance, le ranger, alors bassiste d'Asylum avant que Geof' arrive, avait ce talent particulier de glisser doucement sa main dans la sienne au premier signe de nervosité. C'est sûrement pour ça qu'il l'a choisi à l'époque, lui plutôt qu'un autre qui aurait dû tenir cette place ; pour ça qu'il s'est trompé aussi Mallory, et qu'il lui a tout simplement brisé le coeur. Il est parti aussi vite qu'il est arrivé Hydris, et ça ne s'est pas fait sans heurts. Ce jour-là, Mallory a cru qu'il ne s'arrêterait jamais de pleurer. « Alors, toi. Si on m'avait dit que j'allais te trouver là... »

Il n'aspiraiti qu'à la solitude Mallory, et pourtant le voilà en haut de ce fichu amas de rocher, à se jeter dans les bras de celui qui, durant une période, a été un baume extraordinaire pour son coeur blessé, fracassé. Hydris, il ne peut pas dire qu'il ne l'a pas aimé, ce n'est pas vrai ; il s'est senti rassuré pendant quelques temps par la douce présence qui l'enveloppait quand les choses allaient trop mal. Alors peut-être qu'il sanglote un peu maintenant, parce qu'il a reçu beaucoup de lettres du ranger, il avait des nouvelles mais le retrouver ici, par hasard, c'est plus qu'inespéré. « Tu m'as manqué, entend-il près de son oreille et ses pleurs redoublent à Mallory, bien impossibles à réfréner.
– Toi aussi, toi aussi tu m'as manqué. »
Parce que les choses se sont finies dans les larmes mais ils se sont faits une promesse, tous les deux ; un jour, toi et moi, on se reverra.