« T'aime bien cet endroit, Mallo. »

Décidément, Sophie a toujours eu le chic pour énoncer un certain nombre de vérités élémentaires, et pour cause ; c'est la troisième fois que le duo se rend à la Lumiclairière, en moins d'une semaine. C'est peut-être un peu stupide, et cela n'a pas énormément de sens, mais ici, le champion se sent bien ; bien loin des endroits lugubres et sombres qu'il a eu l'habitude de parcourir pour rencontrer les Spectres qui constituent son équipe à l'arène, ce lieu respire une étrange forme de sérénité qui joue considérablement sur ses nerfs chauffés à blanc presque en permanence. Du roulis de la cascade à la présence douce des Pokémon qui peuplent lieux, le jeune homme éprouve un étrange sentiment d'aise à chaque fois qu'il passe sous le rideau aqueux pour rejoindre le terrain moussu de la Lumiclairière. Contre toute attente, c'est également le cas de Sophie ; l'Ectoplasma qui l'accompagne en permanence sous la forme d'une jeune adolescente  blonde au sourire inhumain a l'air parfaitement à l'aise avec son environnement. Il lui semble, d'ailleurs, qu'il n'a encore jamais rencontré de Pokémon comme elle, dont les lieux les plus familiers et les plus  naturels restent les espaces fangieux, dangereux ou les villes mortes, les cimetières... mais qui préfère considérablement le soleil ou les espaces féériques dans le genre de l'endroit où ils se trouvent.

Sophie s'est assise près de lui, alors qu'il fume tranquillement une cigarette au bord de l'eau. Autour de lui, tout n'est que calme et silence, et c'est un long frisson qui parcourt son échine alors qu'il relève le nez pour regarder autour de lui, bienfaisant. Personne ne pourrait comprendre ce qu'il se passe dans la tête du malade, personne n'a la moindre idée des tourments qui le dévorent à longueur de journée ; de ce qui envenime sa raison en permanence, de ce qu'il perçoit, entend, et que personne ne comprend. Lorsqu'il est seul, et lorsqu'il est ici, c'est un peu comme si on déposait avec douceur un baume sur son coeur abîmé ; tout semble s'en aller, disparaître progressivement, et s'il laisse toujours ce sentiment derrière lui lorsqu'il quitte les lieux, la bouffée d'air bienfaisante qui l'envahit ici lui permet, au moins, de connaître une soirée plus calme lorsqu'il rejoint l'antre de son appartement à Enoville. Ici, il est de meilleure humeur. Ici il se sent mieux, et s'il avait pu laisser une maison dans le coin, sans doute l'aurait-il fait. Mais soucieux de ne rien abîmer, Mallory sait qu'il vaut mieux laisser cet endroit en l'état ; il ne doit pas être le seul à se délester du poids de sa vie entière, quand il pénètre en ces lieux. Peut-être qu'elle est vraie, cette histoire débile de Célébi chromatique, qui sait. Il y a peut-être un gardien invisible, qui veille sur cet endroit.

« Quelqu'un qui vient. » Sophie a relevé la tête, à l'arrêt ; quant à Sun, qui jusque là était couché aux pieds de son dresseur, il se redresse vivement en aboyant comme un sauvage, aussitôt qu'il aperçoit, lui aussi, la silhouette d'une dresseuse qui pénètre dans la clairière. De prime abord, Mallory s'agace en silence ; il aurait aimé être seul aujourd'hui, mais il n'est pas vraiment une référence en la matière. Après tout, il a toujours aimé être seul. Ce n'est pas du tout le cas de ses deux Pokémon, qui s'avancent vers l'inconnue, accompagnée, elle aussi. Un Héricendre, c'est assez original ; quelque part, ça lui rappelle un peu Ismaël et son Typhlosion, le père du Voltoutou stupide qui s'en va accueillir les nouveaux venus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Avec un soupir, et choisissant de se redresser au moins pour s'excuser du vacarme provoqué par son Pokémon - et par le sourire effrayant et beaucoup trop large de Sophie pour être  humain - Mallory prend appui sur ses genoux malingres avant de se mettre debout, pour dévisager l'inconnue.

D'abord, il marque une légère pause : ce visage, il le connait. L'ennui, c'est que Mallory a rencontré beaucoup de monde au cours de ses voyages ; par chance, c'est Sophie qui a la réponse, tandis qu'elle s'avance en emboîtant le pas à son dresseur. « Astrid la Triste fille de Johto. » Astrid. Oui, ce nom lui revient ; à la sortie d'un concert, il y avait cette fille au visage marqué, à qui il a vaguement signé un autographe. Lorsqu'elle lui a dit qu'elle était de Lathea, il a tiqué ; deux enfants du pays à l'étranger, cela a suffi pour démarrer un échange. Elle lui avait parlé d'une fille laissée derrière, il avait mentionné un homme, lui, du bout des lèvres ; ils s'étaient quittés comme ils s'étaient rencontrés, simplement. Il l'avait bien aimée. Elle avait l'air malheureuse. « T'as raison, dit-il en esquissant un sourire, avant de s'avancer vers la dresseuse. Alors, t'as fini par revenir au pays ? » Il ne se doute pas qu'elle l'a reconnue ; sa gueule est partout à chaque promotion d'album, donc  bon. « C'est assez marrant de te croiser là. Qu'est-ce que tu d'viens ? » Est-ce qu'elle est revenue la chercher, la fille qu'elle avait laissée derrière elle ?