A l'époque, ils n'étaient que des gosses qui avaient soif d'aventure ; ils parlaient déjà de musique et de succès, mais surtout, ils parlaient de Pokémon. Erèbe n'en avait pas encore et Mallory avait tout juste obtenu Sophie et les quelques autres qui l'accompagnaient ; lui, il avait Allumette. C'est d'ailleurs l'excuse qu'il a sorti à son père, quand il a fallu leur expliquer le soit et devant les flics où et pourquoi ils avaient passé la journée seuls à un si jeune âge. D'un geste du doigt, Oliver caresse doucement la gravure. M, E, O, J. Mallory, Erèbe, Oliver, Jill. Chacun avait gravé sa lettre à côté d'une autre, chacun s'était promis qu'ils ne s'abandonneraient jamais. C'est resté vrai pendant un temps, et les trois garçons sont toujours ensemble ; Jill, en revanche, ne les a pas suivis il y a dix ans. Elle lui manquerait presque, si ce sentiment n'était pas teinté d'une rancoeur injustifiée. Tu t'es tapée Gaspar, sans déconner.

Mais tout ça n'existait pas, il y a quinze ans. Ils étaient innocents, ils ne savaient pas encore quelles épreuves les attendaient, ils vivaient à Myrtha, qui était alors un véritable paradis dans la région, le bijou de Lathea ; ils rêvaient de courir sur les routes et de devenir des dresseurs, des rangers, des sauveteurs. Ils avaient gravé ces lettres après une demi-journée d'exploration, et il ne comprend pas, Oliver, comment il a pu oublier ça. L'âge et l'amertume, sûrement, pourtant c'est la douceur de ce souvenir qui le prend, maintenant, quand il sourit un peu comme un con devant le O maladroitement taillé dans la roche. Ce sont ces souvenirs-là qu'il aurait dû garder de son ancienne vie plutôt que se morfondre pour Myrtha, comme un grand abruti. A l'époque, il avait ses deux jambes, et le gosse qu'il était ne s'imaginait pas une seule seconde finir comme il a fini.

Au bout de quelques minutes, Oliver décide de s'asseoir et de s'allumer une cigarette. Tranquille, le jeune homme se pose sur le vieux banc, croit se rappeler qu'ils se sont retrouvés là, tous les quatre ; chacun a juré de ne jamais laisser les autres, et a fait la promesse de réaliser son rêve. Celui de Mallo, c'était de guérir, de devenir champion et de conquérir le monde entier avec sa musique. Trois voeux en un seul, et il en na réalisé deux ; c'est plutôt honorable, songe le batteur avec un sourire au souvenir du visage fatigué de son meilleur ami adolescent, qui avait encore la force de réclamer de l'aide. Maintenant, Mallo est une star, son nom est connu de tous à Lathea, et il a pris la place de l'ancien champion, alors que demander de plus ? Guérir ? D'après lui, c'est en bonne voie. Le souci, et tout le monde le sait, c'est qu'on ne guérit jamais vraiment de ces maux là.

Erèbe, lui, rêvait de faire le tour du monde. Il rêvait d'évasion, de nouveaux paysages, il n'avait pas vraiment envie d'être un dresseur mais il voulait que son nom soit connu dans le monde de la musique. Il leur avait fait une démonstration de rap au milieu de la grotte, et c'était tellement raté qu'ils avaient tous hurlé de rire comme si le temps s'était arrêté. Erèbe aussi l'a réalisé, quelque part, son rêve. Il est devenu quelqu'un lui aussi, personne ne doute plus de son talent, même si pour ça il a fallu partir avec eux et abandonner son père pendant dix ans. Aujourd'hui, et si on l'écoute, il ne regrette rien. Et tous les trois, ils sont toujours ensemble. Il sourit doucement Oliver, revoyant presque les jambes maigres de ces pré-adolescents qu'ils étaient tous et qui n'avaient pas encore rencontré la bande en entier.

"Et toi Oliver ?" se souvient-il alors, un sourire aux lèvres. Moi, j'veux devenir dresseur. J'ferai toutes les arènes et j'irai affronter le conseil 4 pour devenir maître. Il se rappelle, comme ça avait fait marrer tout le monde à l'époque. On lui disait que tout le monde avait essayé sans jamais y parvenir ; que le maître n'avait pas été détrôné depuis très longtemps et qu'il était, de toute manière, beaucoup trop puissant pour qu'on ose essayer. Obstiné, le jeune homme avait dit que si, lui il y arriverait ; il arriverait à vaincre les arènes, à passer tous les obstacles. Il se savait assez fort et assez travailleur pour ça, il avait prétendu alors qu'une fois que le groupe marcherait, il les laisserait pour partir de son côté et réaliser ses propres ambitions. Et il l'aurait fait, hein ? S'il n'avait pas rencontré Gaspar, aurait-il seulement eu le courage de le faire ?

Peut-être, oui. Si Myrtha ne s'était pas mise en travers de sa route, si la catastrophe n'avait pas terminé de détruire tous ses espoirs, peut-être qu'il se serait lancé dans l'aventure, tout seul. Ou peut-être avec Isma. Quelque part, la seule chose qu'il regrette, c'est sûrement que deux autres initiales ne figurent pas sur ce mur ; celle des deux hommes que la fatalité a laissée derrière lui, et qui ne figuraient plus que, jusqu'à récemment, au registe de ses pensées oubliées qui le rattrapaient le soir quand il était seul. Aujourd'hui, et même si les choses vont vers le mieux, même si Gaspar est revenu dans sa vie, quelque chose lui manque ; la présence de Jill, quand bien même il lui en veut, et celle de l'Esperanza qui a fini par tourner le dos au monde entier. Ça lui arrive souvent d'y penser, quand il regarde Choupette.

Enfin, ça ne sert à rien de remuer tout ça ; il va quand même prendre une photo pour son Motismart, comme ça il pourra la montrer aux garçons. Il ne sait pas comment ils vont réagir, on dirait presque que c'était dans une autre vie, tout ça ; mais peut-être fera-t-il remonter ce souvenir là comme ça lui est revenu, à lui. Ensuite, il se lève, cale con mégot dans un petit cendrier de poche avant d'attraper son sac, de regarder ses deux Pokémon. La Malosse a gagné la bataille, elle a profité de l'accalmie pour se caler près de Meleys, qui a l'air de tolérer sa présence pour le moment. C'est plutôt une bonne chose, songe Oliver avec un grand sourire, tandis qu'il se redresse en s'étirant, avant de les regarder toutes les deux. « Allez, on y va ? » Est-ce qu'il va aller voir un peu plus avant dans la grotte avant de rentrer ? Allez.

Et visiblement, il a bien fait de prendre cette décision, d'ailleurs. A peine Oliver pénètre-t-il dans le couloir de la grotte qu'un grondement menaçant se fait entendre ; devant eux, à peine éclairé par les gemmes du couloir, se dresse l'ombre d'un petit Pokémon bien campé sur ses deux pattes, qui visiblement n'apprécie pas du tout la présence d'un dresseur sur son territoire. Il n'arrive pas à très bien voir Oliver, plisse les yeux mais non ; le Pokémon n'avance pas, il se contente simplement de râler en les décourageant d'avancer. Il est tout petit, mais c'est trompeur, songe le jeune homme en haussant un sourcil. « Meleys, éclaire-moi s'il te plaît. » La Salamèche n'apprécie pas du tout d'être menacée, et se serait avancée de toute manière ; mais c'est assez satisfaisant de la voir lui obéir, avançant de quelques pas pour éclairer... un Draby. Oh merde.

Un Draby. Il avait bien dit qu'il ne capturait plus Oliver, mais là merde, il faut quand même bien reconnaître qu'il ne va pas passer à côté d'un Pokémon aussi rare, non ? Il est presque fébrile le jeune homme, quand il l'observe, et qu'il sait que, de toute manière, le Pokémon sauvage ne les laissera pas passer. Celui-là, il ne se contentera pas d'une baie pour se laisser attraper, il va falloir attaquer, et ça tombe bien : Meleys a l'air parfaitement en condition, au vu de l'air menaçant qu'elle arbore en avançant de quelques pas, faisant redoubles les grondements furieux au bout de la galerie. « Allez on y va ma grande, attaque Griffe ! » s'exclame le jeune homme, un peu surpris de se sentir aussi grandi, simplement en donnant un ordre à son Pokémon ; c'est encore mieux de la voir obéir, quand elle se précipite vers le Draby pour lui démonter la tête.

Le coup de griffe monstrueux destiné à faire du mal au Draby n'atteint pas sa cible ; le Pokémon recule d'un bond dans un cri furieux, avant de se précipiter sur Meleys et lui envoyer une patate qui la fait valser directement jusqu'à ses pieds. « Meleys ! Ça va ? » Demande le jeune homme, la voix vibrante d'inquiétude ; mais oui, ça va, et alors qu'elle se redresse en grommelant, c'est un cri qui lui fait relever la tête ; le Draby vient de se prendre la Malosse de plein fouet, visiblement bien décidée à protéger sa dulcinée. Affaibli, au sol, il grogne pour la forme tandis qu'un jet de flammes triomphal est rejeté par la gueule du Pokémon sauvage ; enfin plus si sauvage que ça, puisqu'il jette deux Pokéballs à la fois Oliver : une pour la Malosse, définitivement adoptée, et une pour le Draby, qui ne bouge plus, pris au piège.

Un peu haletant, Oliver esquisse un sourire en ramassant son butin ; super, il a réussi, et c'est avec fierté qu'il range les deux Pokéballs dans sa poche, avant de tourner la tête vers une Meleys qui entreprend de ranger soigneusement sa dignité. Il sourit de toutes ses dents quand il lui fait signe de rebrousser chemin ; la bagarre est terminée, il est temps de rentrer à la maison. Sa hanche commence à lui faire mal, et de toute manière, s'il reste, il va encore capturer beaucoup trop de Pokémon. En chemin, et tandis qu'il repasse à l'intérieur de la caverne principale, son regard s'attarde peut-être un peu longuement sur la gravure qu'il aperçoit, de l'autre côté de la pièce. Il sourit, avant de caler ses mains dans ses poches ; il en est sûr, Mallory appréciera de revoir ce truc-là, quand bien même ne serait-il pas guéri comme il se l'était promis. Les gens changent, c'est sûr.
Mais les liens, eux, resteront à jamais indéfectibles.