C'est étrange comme il a l'air de l'attendre, le Pokémon fée qui l'observe, et qui pousse un petit cri joyeux alors qu'il boitille pour rejoindre le coeur de la clairière. L'endroit est absolument sublime, et bourré de Pokémon ; ça ressemble à un véritable havre, dans lequel seuls certains élus auraient le droit de se rendre. L'absolu de beauté qui se dresse devant lui est un véritable affront à la réalité, comme s'il venait de pénétrer dans une autre dimension. Au milieu de tout ça, il y a ce Nymphali qui l'observe, et qui regarde sa Pokéball d'un air approbateur. Lui, il ose esquisser un sourire. Alors, ça serait si simple que ça, finalement ? Il se souvient comme il a eu du mal à capturer son Moumouton et son Tortipouss, et là... là tout a l'air facile, lorsqu'il tend la main pour présenter l'objet à la créature qui le renifle, une fraction de secondes... avant d'entrer à l'intérieur. L'objet vibre, une fois, deux, légèrement ; puis s'éteint, sous le sourire émerveillé d'Oliver. Merde, il a un Nymphali.

Il pousse un drôle de soupir, Oliver, alors que sa main raffermit sa prise sur sa canne. Cherchant des yeux un endroit calme et bien éclairé, il finit par repérer un petit coin d'herbe tendre, au bord de la cuvette de la cascade. L'endroit est bruyant, mais ça ne le dérange pas ; un batteur comme lui se fout pas mal du bruit d'une cascade, sincèrement. Lentement, et à pas précautionneux pour ne déranger personne, Oliver s'avance, laisse glisser ses pas sur le sol moussu rendant sa marche parfaitement silencieuse. Près de lui, un chlorobulle s'approche pour renifler une Choupette qui ouvre de grands yeux admiratifs et joyeux devant la beauté des lieux ; avant de plonger tête la première directement dans le bassin d'eau grouillante, folle de joie. Il y en a au moins une qui s'amuse, songe le jeune homme avec un sourire attendri, avant de prendre appui sur sa canne pour s'installer au bord de l'eau. Maintenant, il va remplir sa gourde et passer un petit moment ici avant de rentrer.

Un Coxy passe devant lui dans un vrombissement d'ailes, tandis qu'Oliver se penche vers l'eau claire pour remplir sa gourde d'eau fraîche. Ça ne l'étonnerait pas du tout que l'eau de cet endroit ait des vertus thérapeutiques ; il ira se renseigner en rentrant, mais il sait déjà qu'il reviendra. Les lieux, enchanteurs, font battre son coeur un peu plus fort à chaque regard qu'il adresse aux immenses arbres centenaires et apparemment remplis de Pokémon ; quelque part, cela éveille en lui la naissance d'un désir déjà existant, qu'il croyait avorté avant même d'avoir pu le concrétiser. Est-ce que c'était ça, être un dresseur ? Vivre chaque jour pour voir un nouvel endroit comme celui-là, combien y en avait-il dans le monde ? Il a voyagé, Oliver, il a vu beaucoup d'endroits, beaucoup de villes, mais il n'a jamais eu le coeur à s'attarder dans des lieux comme ceux-ci et aujourd'hui, clairement, il regrette.

Dresseur, ça ressemble à une drôle d'utopie, à un avenir, un monde rêvé. Une façon de vivre en rendant absolument tout possible, ça doit se faire, non ? Il n'en sait rien, Oliver. Tout ce qu'il voit, c'est qu'un dresseur aurait l'occasion de voir des endroits comme ceux-là tout le temps. D'affronter mille dangers, d'approfondir les liens avec ses Pokémon. Oliver adore Choupette mais elle, est-elle heureuse ? Est-ce qu'elle rêve d'aventure ? Lorsqu'il ne sort pas d'un moment, elle devient infernale, elle tourne en rond, gargouille, pleure devant la porte. Est-ce qu'elle ne préfèrerait pas vivre comme un Pokémon sauvage, son dresseur à ses côtés ? Est-ce qu'il a bien fait, Isma, de la lui envoyer ? Ou peut-être l'a-t-il fait exprès. Si Oliver s'est toujours considéré comme quelqu'un de bienveillant, il sait qu'Ismaël le dépasse de loin. Et il a sans doute poussé la clairvoyance un peu plus loin.

Il n'avait jamais vraiment pris le temps d'y réfléchir jusqu'à maintenant. Allumette, il a toujours été un peu couillon, c'était pas un aventurier. Les rares fois où ils sont partis en balade ensemble, le Goupix s'est toujours démerdé pour se foutre dans les situations les plus connes possibles ; combien de fois a-t-il dû le sortir du pétrin, il ne les compte plus vraiment. Dans le cas de sa Mucuscule, c'est un peu différent. D'abord, parce qu'il doit encore apprendre à la connaître. Elle n'est pas timide, mais il l'a depuis beaucoup trop peu de temps pour avoir pu lui déterminer un véritable caractère. Il sait qu'elle adore l'eau, comme tous les autres Pokémon de son espèce, mais ça s'arrête là. En tout cas, elle a l'air heureuse aujourd'hui, elle regarde autour d'elle avec au moins autant d'émerveillement que son dresseur ; ce qui est une bonne chose, songe-t-il avec un petit sourire, avant de tendre la main pour passer sur sa grosse tête.

Oliver se souvient bien de ce qu'Isma lui disait, quand ils étaient ensemble. Pourquoi tu te casses pas, Ollie ? Si c'est à cause de Mallo, c'est pas la bonne raison. Si c'est à cause de ta jambe non plus, même en fauteuil j'pourrais continuer à voyager, tu sais. Mais Oliver n'a jamais eu l'esprit aventureux de son ancien amant ; il se prenait souvent à en rêver, mais Gaspar avait tué cette envie dans l'oeuf. Maintenant qu'il regarde autour de lui, il se demande peut-être un peu s'il n'a pas raté quelque chose, s'il n'aurait pas dû la saisir, l'occasion, quand elle se présentait. S'il avait quitté Myrtha avant la catastrophe, il aurait gardé ses jambes. Il serait devenu Dresseur, il auraiit peut-être pu oublier Gaspar, il n'en sait rien. Maintenant, c'est un peu tard pour les regrets ; et de toute manière, Mallory a beaucoup trop besoin de lui pour qu'il décide de tout abandonner.

Ça ne sert à rien d'espérer inutilement, de courir après des chimères ; c'est d'ailleurs ce qu'il n'a pas manqué de dire à Isma, un nombre de fois incalculables. Un esprit aussi libre que celui du garçon n'avait pas pu comprendre à l'époque, et ne comprendrait sans doute pas plus aujourd'hui pourquoi il ne décide pas de sauter le pas, de tout plaquer et de suivre ses foutus rêves. Parce qu'il n'y a aucune constante, aucune garantie, et s'il se cassait la gueule ? S'il perdait l'amitié de Mallory ? A coup sûr, ça le rendrait dingue, et il a déjà beaucoup trop perdu pour prendre le risque de voir les rares personnes avec qui il est encore proche s'éloigner jusqu'à disparaître. Ismaël ne l'a pas écouté à l'époque, et c'est peut-être bien cette divergence d'opinion qui les a séparés, en plus de tout le reste.

C'est quand même dingue, cette façon de vivre dans le passé comme s'il n'y avait rien d'intéressant dans le présent ; quelque part, ce n'est peut-être pas faux. Après tout, qu'a-t-il entrepris Oliver, qu'a-t-il réussi ? Il est devenu musicien pour suivre son meilleur ami, il a rejoint le groupe d'un garçon qui l'a abandonné, puis il est revenu la queue entre les jambes avant de... suivre le mouvement. Pendant dix ans, il a suivi sans jamais accomplir, et les compositions qu'il a proposées à Mallory ne peuvent pas compter dans cette redoutable équation. Il n'a rien fait par lui-même, il n'a rien créé, il n'a pas eu une seule idée originale qui lui permette d'échapper à la profonde banalité de sa vie. Il vit dans un monde en noir et blanc, en demi-teintes de gris et quand la couleur lui apparaît enfin, dans un endroit comme celui-ci, Oliver comprend qu'il est passé à côté de beaucoup trop pour prétendre en ressortir indemne.

D'ailleurs, le constat est horrifiant, à bien y réfléchir. Il a cru pendant dix ans que sa vie était toute tracée, et qu'il était parfaitement heureux comme ça ; c'est à dire, dans cette fausse vie qu'il vivait pour les autres, et pas du tout pour lui. Bien sûr, il adore la batterie, il adore les concerts, il adore composer, enregistrer, il adore passer du temps avec le groupe, c'est sa famille. Mais pour lui et lui seul ? Il le sait Oliver qu'il est chiant, les soirées qu'il ne passe pas chez Mallory, il va emmerder Erèbe et sa copine, et quand il se retrouve seul, il s'abrutit devant la télévision, un joint au bec. Il ne fait rien pour sa pomme à lui, et peut-être que ce qu'il est en train de faire maintenant diffère de tout ce qu'il a entrepris d'autre. Cette fois, il est seul, et ça va pas trop mal, étonnamment.

Peut-être qu'il devrait faire ça un peu plus souvent, alors. Aller dans un bel endroit, rester quelques heures, capturer des Pokémon ou simplement observer la faune. Cela lui permettrait peut-être de voir ce qu'il a raté avec Allumette, qui n'est jamais vraiment beaucoup sorti des villes ; s'il avait été un peu plus en contact avec l'extérieur, peut-être aurait-il préféré venir avec eux aujourd'hui plutôt que de taper la sieste de sa vie dans son salon. Cela dit, il peut bien comprendre le Goupix, de vouloir profiter de la paix que lui offre son dresseur. Choupette est remuante, jeune et énervée, et Allumette n'a jamais eu de patience ; ce n'est pas l'âge qui lui en a donné. Si ses deux Pokémon s'entendent très bien en temps normal, Ollie a bien compris que son Goupix avait besoin de souffler ; tant pis pour la promenade, il l'emmènera une autre fois. Parce qu'autre fois il y aura.

Ce n'est que maintenant qu'il s'en rend compte, Oliver, que l'agitation des villes ne lui va pas. Il n'est pas à l'aise avec le bruit, les moteurs, les cris, le mouvement perpétuel, ça le mettait déjà très mal à l'aise à Myrtha ; et à Myrtha, il y avait des Pokémon en liberté partout, ce qui n'aidait pas du tout à participer au calme général. Un Ramboum dans une ruelle, et c'était tout un quartier qui ne dormait pas ; si à Castlerain, le problème est un peu régulé, cela n'empêche pas que ce silence, là, ponctué seulement des gazouillis des Pokémon, il ne l'a connu nulle part ailleurs. Est-ce que c'est ça qu'il veut faire, alors ? Vivre reclus, est-ce que c'est ce qu'il aurait préféré ? A vrai dire Oliver n'en sait absolument rien. Il y a bien des années qu'il ne s'est pas demandé ce qu'il voulait vraiment faire de sa vie, après tout.

Quand il était gosse, il voulait être dresseur. C'était bien plus une vocation qu'une simple orientation, il voulait faire ça de sa vie, il se souvient d'avoir passé des heures dans le bureau de ses parents, à feuilleter les albums photos de leurs voyages. Sa mère venait de Kalos, elle avait passé une grande partie de sa vie à Illumis avant de déménager à Lathea ; elle avait sillonné les routes de sa région avec une équipe de six Pokémon, mais s'était faite écraser par Valériane, et elle avait renoncé. Sur la route elle avait rencontré un voyageur venu de Lathea ; Kyle Porter était un jeune homme plein d'entrain à l'époque, et tout était devenu beaucoup trop évident pour qu'elle décide de rester, et d'insister. Il se souvient très bien des photographies, des zones sauvages, des Pokémon qui les accompagnaient ; si la plupart avaient succombé à l'âge, d'autres étaient encore bien là. Irae, la Lugulabre de son père, profitait de sa retraite en éclairant les pièces du manoir familial.

Sa mère, elle, avait eu un Feunard, la mère d'Allumette. Au souvenir du garçon, Maka avait toujours eu un horrible caractère, et Cassandre avait été absolument inconsolable au moment de son décès. Par la suite, elle avait longtemps refusé d'avoir de nouveaux Pokémon, mais c'était un cadeau de son mari qui lui avait redonné goût au dressage, et si maintenant son travail ne lui permet pas de s'en occuper autant qu'elle le voudrait, Oliver sait que son affection pour son Milobellus n'a plus aucune limite. Ça avait beaucoup fait marrer tout le monde, la tronche qu'avait tiré sa mère lorsqu'elle avait reçu pour son anniversaire une Pokéball contenant un affreux petit Barpau, mais son bonheur avait comblé la petite famille quand, à force d'affection et de bons soins, Liréa avait fini par évoluer. Sa mère a carrément fait creuser un bassin immense pour l'y installer, et l'emmène régulièrement dans l'Oeil de Lathea. En somme, ses parents n'ont aucun regrets à avoir de leur jeunesse ; et lui ?