«Elle veut encore sortir…»

«Moi ça me plaît ! Ça change de son appartement, puis j’aiiiime l’aventure !»

Pourquoi je m’adresse à cet idiot moi ? J’aurais dû le sentir venir quand même, monsieur mignon avec mes grands yeux naïfs. C’est que Calypso l’aime bien le môme, elle dit que je pourrais m’en inspirer un peu niveau courage. Pfff. Si le gamin est un casse-cou c’est son affaire, moi je suis prudent c’est tout. Le pire chez ce Debugant de pacotille, c’est que je ne peux pas vraiment lui en vouloir. Ouais parce que c’est vrai qu’il a son charme. Surtout, il est inoffensif, pour le moment du moins. Il obéit, il est doux, et majoritairement, il ne m’embête pas trop. Néanmoins nous sommes fondamentalement différents, ce qui fait en sorte qu’il n’est pas toujours ma compagnie favorite. Il me tape sur le système la majorité du temps, comme maintenant alors qu’il déborde d’enthousiasme à l’idée de parcourir cette grotte où on crève de chaud, puis en plus on n’y voit absolument rien malgré les torches aux murs. J’aime pas ça. Je suis bien loin de chez moi dans cet environnement qui, dans mon imagination fertile, est hostile et peu rassurant. Mais vous connaissez Calypso. Elle se félicite de son idée d’être venue ici pour dénicher encore de nouveaux Pokémon. Franchement je m’ennuie du temps où on faisait autre chose de nos weekends…

Bon, pas comme si Calypso avait un jour été sédentaire. À mon grand dam, elle a toujours adoré trotter un peu partout et toucher à tout. Ce n’est pas la première fois que nous visitons le coin, la dernière fois je me suis fait pincer par un Pokémon du coin. Je n’ai jamais su qui d’ailleurs et je ne compte pas le découvrir. Eskel entre ici pour la première fois lui, et ça se voit. Il ne regarde pas trop où traînent ses pieds et menace de tomber dans le piège d’un des fourbes du coin à tout moment.

«Méfie-toi quand même. Les Pokémon ici sont pas sympas.»

«Oh ? Okay d’accord monsieur Djinn. Je vais faire attention. Oh regarde, c’est un Kungfouine ! Alloooo Kungfouine !»

Je me lance sur lui pour l’empêcher de parler. Il est timbré ou quoi ?

«Non mais ça va pas ? Je viens de te dire de faire attention ! Il nous a vus maintenant il se dirige vers nous !»

Et surtout Calypso l’a vu. Ce qui signifie que d’ici peu, l’un d’entre nous devra le combattre. Super… La brunette pose les yeux sur lui, mais il ne semble pas bien courageux, se reculant.

Oh ça y est. On y est. Je vais devoir combattre encore. Au moins cette fois, c’est pas contre un stupide mouton électrique qui va me zapper. Non, c’est contre une fouine apeurée qui n’a pas trop l’air consentante. Calypso ne voit pas bien entendu le non-verbal du nouveau venu. Elle n’y voit qu’une occasion de s’entraîner. Je soupire, prêt à affronter ma destinée, quand finalement le doigt de la jeune femme désigne le Debugant à mes côtés. Heureux d’avoir été choisi, le môme sautille sur ses jambes avant de s’avancer vers le Kungfouine, non sans avoir lancé un regard plein d’admiration à notre dresseuse. Je lève les yeux au ciel… Quel enfant celui-là. En tout cas, je suis bien heureux de ne pas être celui qui doit se lever, alors tant mieux si ça lui fait plaisir.

«Vas-y gamin, montre-lui hein.» je fais d’une voix qui se veut enthousiaste.

Le petit s’élance avec son fameux Bluff, une attaque je dois avouer impressionnante pour l’avoir subie moi-même lors de nos entraînements. Il s’en suit un sentiment de peur intense. C’est ce que vit le Kungfouine qui se met à couiner. Il n’a même pas la chance de riposter que le petit, avec agilité et énergie, avec son Mach Punch. C’est suffisant pour terminer ce combat, aussi rapidement qu’il a commencé.

«Bien joué petit.» je fais d’une voix terne.

Je dis surtout «merci d’avoir combattu à ma place car j’en avais pas trop envie en fait». Le petit n’y voit que du feu. Écoutez, tant mieux si ça peut lui faire plaisir. Il revient vers Calypso avec son grand sourire naïf et je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. Lui, il y prend goût à combattre visiblement. Je me demande quand même comment il se débrouillera face à un adversaire un peu plus dégourdi. Ce Kungfouine quand même me semblait peu motivé. Enfin ! Les deux échangent moult câlins et félicitations, provoquant mes grognements. N’en pouvant plus de ces effusions inutiles, je m’éloigne pour m’engager dans une galerie tranquille et sombre. Je m’éloigne sans plus porter attention à mes pas, ne réalisant pas que je me suis éloigné des deux autres. Toute cette histoire d’Arènes tout de même me dérange. J’ai l’impression que la petite vie que Caly et moi menions à deux va s’éclipser au profit de ce projet que je juge insensé. Surtout j’ai peur, peur qu’elle revive les mêmes déceptions. Ou qu’elle place trop d’espoir en moi. Torturé par ces pensées, je fais finalement demi-tour pour voir où sont mes compagnons.

C’est à ce moment que j’entends un grognement dans les ténèbres. Le son suffit à m’immobiliser; il est rauque et hostile. Oh non… Dans quels sales draps je me suis encore fourré moi. Je ne parviens pas à voir d’où ce son provient, tout ce que je sais c’est que son auteur n’est pas bien content de ma présence. Finalement, une silhouette se dessine à la lueur des lampes. Un crâne dégarni semble m’observer de ses prunelles creuses, tandis que ses véritables yeux me toisent avec hargne. Un Malosse. J’ai pénétré sur son territoire, et j’ai l’impression que je vais en payer le prix. Ici, il n’y a personne pour faire le combat à ma place, personne pour m’encourager. Je suis à la merci de ce prédateur, et moi sa proie. Calypso me dirait probablement que j’ai contre lui tous les avantages au niveau de type, mais mon cerveau paniqué ne parvient pas à se rassurer en ce sens. Tout ce qui m’habite est une peur incommensurable à laquelle je réponds par la fuite. C’est vrai, je suis rapide. Cet avantage pourra me servir pour distancer ce chien des enfers. Ou du moins est-ce que je crois, puisque d’un bond il m’a rejoint, posant une de ses pattes sur ma queue pour me retenir. Oh par Arceus, je vais mourir !

J’ai deux choix. Rester figé ainsi et me faire dévorer lâchement (ce qui serait dommage tout de même soyons honnêtes…) ou me battre pour ma survie. Je décide d’opter pour la seconde option, tout de même. Le tout se fait naturellement, sous l’impulsion d’un réflexe. Je me sens m’entourer d’eau, celui de mon Aqua Jet. J’aurais probablement désigné une autre attaque si j’avais pu y réfléchir : sans l’étau de mes pensées c’est la meilleure solution qui s’impose à moi plutôt que celle où je suis certain de réussir. La puissance de l’attaque fait reculer le Malosse et, ainsi libéré de sa prise, je lui fonce dessus en fermant les yeux. Il est trop près ici pour esquiver, ainsi mon attaque touche. Je ne m’arrête pas quand je l’entends couiner derrière moi. Je me laisse entraîner par la propulsion naturelle de l’attaque histoire de mettre le plus de distance possible entre le chien et moi. Heureusement j’ai pensé m’orienter vers la bonne direction, celle d’où je suis venu ! J’entends des pas… oh non me dites pas que ce Malosse a une meute non loin ! Paniqué, je me crispe d’autant plus, poursuivant ma course effrénée, quand j’entends une voix familière.

«Djinn ?!»

Par tous les dieux Pokémon, c’est Calypso ! Elle a dû suivre ma trace dans le tunnel où je me suis enfoncé, et la voilà qui paraît non loin, avec toujours le petit Eskel à ses basques. Enfin, je m’arrête, menaçant de foncer tout droit dans les jambes de la jeune femme. Je m’arrête juste à temps pour éviter le drame. Mon cœur est toujours complètement affolé, j’ai les larmes aux yeux et la queue qui se balance de tous les côtés, signes évidents d’une grande détresse. Caly se penche vers moi pour me prendre dans ses bras et j’y tremble comme une feuille. Je peux sentir sa confusion devant mon état dramatique, mais surtout son inquiétude.

«Mais qu’est-ce qui se passe Djinn ? T’as vu un truc qui t’a fait peur ?»

Je ne lui fais pas dire. Incapable de lui répondre, je me contente de me blottir contre elle, abandonnant mes réserves habituelles. Elle me caresse le dos ce qui a le don de m’apaiser, un peu. Mais je sais qu’au bout de ce couloir, il y a toujours ce Malosse. Je ne sais pas trop dans quel état je l’ai laissé et je n’ai pas envie de le savoir.

«Viens Eskel, on va voir ce qu’il y a là-bas qui a fait si peur à Djinn.»

QUOI ? Mais elle est FOLLE. Tout simplement tarée. Je viens de lui dire qu’il y a un truc là-bas de pas sympa et elle, elle fait quoi ? Elle se dirige droit dessus. Je me mets aussitôt à protester avec un langage plutôt coloré d’ailleurs, me débattant dans ses bras pour lui faire connaître mon mécontentement. Franchement je me demande comment elle aligne deux pensées celle-là. Elle n’a absolument aucun instinct de survie. Aucun. Et moi je suis prisonnier de ses bras, puisqu’elle nous dirige en cette direction malgré toutes mes protestations.

«Ça ira Djinn. Je suis là pour te protéger, tu n’as pas à t’en faire. Puis je dois avouer que je suis curieuse de voir ce qui t’a tant effrayé. Te connaissant ce n’est sûrement pas grand-chose.»

Elle ne m’écoutera pas. À ses pieds, Eskel me regarde sans comprendre ma réaction, curieux et un peu secoué par mon langage grossier.

«Allons Djinn, ça ira, tu vas voir je vais te défendre s’il y a quoi que ce soit.»

Stupide enfant, stupide dresseuse. Nous arrivons finalement au lieu où le combat a eu lieu, pas très difficile à trouver avec la traînée d’eau que j’ai laissée derrière moi. Là gît le Malosse, complètement sonné.

«Ben… pourquoi t’as fui comme ça Djinn ? T’as vu ? T’as complètement assuré dans ce combat, ce Malosse est hors d’état de nuire.»

J’aime son ton appréciatif. Mais je ne parviens pas à réaliser ce qui s’est passé. C’est vraiment moi qui a fait ça ? Dans ma panique, j’imagine que ma force a été décuplée. Dans tous les cas, elle a raison. Je me penche vers l’avant depuis ses bras pour le voir : le pauvre chien n’a pas fait long feu devant l’intensité de mon Aqua Jet. Oh. Eh bien ! Tant mieux, je me dis. Un sourire se dessine sur mes lèvres, à moitié assumé. Je suis encore tout remué par cette rencontre, mais je dois avouer que de voir le cabot comme ça sur le sol a quelque chose d’immensément satisfaisant. Calypso sort quelque chose de sa poche et je vois l’objet métallique qui brille dans sa main un instant.

«Quoi ? Noooon ! Aller Caly, il va vouloir me bouffer quand il va se réveiller celui-là, t’es sûre que c’est une bonne idée ?»

Stupides humains qui n’y comprennent rien. Elle ne m’écoute pas et lance sa balle sur le chien-chien qui y disparaît sans protester.

Je vais devoir partager ma vie avec un Malosse maintenant. Great. À Hoenn, j’en ai déjà croisé et je n’ai jamais apprécié l’expérience. Alors cohabiter avec une de ces créatures ne me plaît pas du tout. Pour montrer mon désaccord, je quitte les bras de ma dresseuse avec un grognement, atterrissant auprès d’Eskel. Évidemment, lui, il est enchanté complètement d’avoir un nouvel ami.

«Tu as super bien combattu Djinn woah ! J’aimerais être balèze comme toi ! Puis grâce à toi on a un nouvel ami.»

Ouais, me le rappelle pas toi. À mon grand dam, le petit vient me donner un câlin qui aussitôt me crispe. J’aime bien les câlins, mais c’est selon mes termes. Et seulement Calypso. C’est l’avantage qu’elle a mérité après s’être occupée d’un boulet comme moi pendant toutes ces années.

«C’est bon, c’est bon, recule kiddo, j’aime pas trop qu’on me touche. Puis ce Malosse ce sont de mauvaises nouvelles. Y’a pas plus fidèle qu’un cabot, alors elle aura tôt fait de t’oublier toi et de négliger ton entraînement. C’est toujours pareil avec les humains. Ne t’emballe pas.»

D’ailleurs Caly poursuit déjà son chemin, savourant sa victoire intérieurement.

Mince. Je me suis vraiment mis les pattes dans la bouche moi. Voilà que j’ai fait de la peine à ce cœur d’artichaut de Debugant. J’ai beau ronchonner la majorité du temps, le faire pleure ce n’était quand même pas mon intention. Disons seulement que je me passerais, une fois de temps en temps, de son enthousiasme un peu trop débordant à mon goût. Mais ce n’était pas ce à quoi je voulais faire référence. Je voulais remettre les choses en perspective chez lui, pas causer cette détresse qui me rend mal à l’aise… Qu’est-ce que je suis supposé faire maintenant ?

«Écoute, j’ai été grognon, ne fais pas attention à ce que je dis, ça n’en vaut pas la peine.»

Je me rapproche de lui, mal à l’aise, ne sachant quoi faire pour l’apaiser. Lui, il pleure sans retenue, comme un enfant, ce que j’oublie parfois qu’il est dans les faits.

«Sincèrement, elle t’aime beaucoup, kiddo. Des fois je suis un peu jaloux, ça me fait dire des choses comme ça. Pleure pas okay ?»

Les pleurs, heureusement, s’atténuent progressivement. Il semble reprendre le dessus sur sa contenance. Il sèche les larmes de ses petites joues pour me regarder.