Et voilà, songe Eva avec satisfaction après avoir réussi à planter un jeune arbre à baies directement dans sa petite serre, à l'arrière de l'élevage. Passant une main pleine de terre sur son front pour écarter une mèche rouge, la jeune femme sourit en apercevant Solanum tourner autour avec curiosité ; le petit Rozbouton fait des tours un peu partout depuis qu'elle l'a installé avec Nerprun et Botula dans leur petit paradis personnel. Il y a encore pas mal de travail, bien entendu, le gazon commence tout juste à pousser, mais l'éleveuse en herbe a bon espoir. Il fait très bon à l'intérieur, et les lampes chauffantes diffusent une lueur très douce à l'intérieur ; les fleurs commencent à sentir, tout va merveilleusement bien se passer. C'est un très bon départ, songe-t-elle en quittant le terrain, prête à retourner travailler sur l'enclos boueux et immonde de son tout nouveau Pokémon. Elle commence à en avoir un petit paquet, et même si elle n'a pour le moment qu'un seul couple, c'est tout à fait prometteur.

Avançant dans les travées des enclos en construction, Eva jette un petit coup d'oeil autour d'elle. Le terrain qu'elle a acheté était il y a encore quelques mois un terrible embrouillamini de friches en tout genre et de mauvaises herbes empoisonnées ; si cela n'a pas énormément changé, désormais des clôtures sombres encadrent certaines parcelles de boue sale. Un endroit parfait pour les deux Tritox, qui se tiennent éloignés l'un de l'autre, pour le moment. Pour Belladone et Cyanure, il faudra sans doute un peu de temps. Accoudée à la rembarde de bois, la jeune femme observe leur petit manège. Cyanure est allongé sur le dos, les pattes en l'air comme pour prendre un bain de soleil ; si soleil il y avait eu, Nathalia est encore envahie par la brume. Elle n'aurait sans doute jamais imaginé s'installer dans un endroit aussi inhospitalier pour les humains, mais peu importe, Eva n'a jamais vraiment rêvé d'avoir une villa avec vue sur la mer à Jaeda, de toute façon.

Sans entendre les pas qui avancent jusqu'à elle, Eva pose ensuite les yeux sur Belladone. Cette dernière observe les jouets laissés là avec circonspection, comme si elle hésitait à s'intégrer à sa nouvelle vie, et pour cause ; la petite Tritox est une petite combattante, très énergique, pas du tout du genre à se laisser enfermer dans un enclos pour se reproduire. Pourtant, il faudra bien qu'elle intègre que sa nouvelle maison est désormais là, et qu'elle devra y passer un peu de temps avec son compagnon, mais Eva la gardera tout de même avec elle la majorité du temps. Ce serait dommage de se priver de compagnie et de rendre son Pokémon triste simplement pour du business.
Ce n'est que lorsqu'une voix bien familière - trop - la salue derrière elle qu'Eva se tourne, sans savoir si l'arrivée de Jim doit l'agacer ou non. Depuis sa petite mesquinerie de la dernière fois, l'éleveuse n'a pas eu de nouvelles. Elle en a déduit que Jim était vexé comme un pou, comme s'il n'avait pas mérité cette punition, hein ? Elle l'avait prévenu, pourtant, qu'il fallait la laisser. Mais l'homme semble ne pas vouloir lâcher l'affaire, en témoigne son grand sourire quand il s'approche d'elle et que déjà, son petit air lui fait lever les yeux au ciel. « Tu t'ennuies ? demande-t-elle déjà, abrupte, parce que Jim complique absolument tout depuis son retour et qu'accepter de le revoir, c'est marché dans un bourbier en risquant de s'enfoncer à chaque pas. Qu'est-ce que tu fous là ? »

Il a fallu batailler un peu avec le notaire, mais tout est finalement rentré dans l'ordre pour la propriété de Jim : son cabinet est toujours à lui, et il a récupéré le droit d'y aller et venir comme bon lui semble. Cette nouvelle l'a immédiatement fait venir à Nathalia ; à vrai dire il n'attendait qu'une bonne excuse pour cela, puisqu'il s'est dit que revenir sans excellente raison dans le périmètre proche d'Eva serait le meilleur moyen de se faire envoyer promener.
Jim a commencé à faire un peu de ménage dans les locaux de son ancien cabinet, laissant de ce fait la voiture dans le garage qui lui appartient, avant de se mettre en quête de l'élevage de sa chère et tendre, qui doit se tenir quelque part en extrémité de la ville, sûrement à la frontière avec la zone sauvage.

Il en faudrait plus pour le faire abandonner, bien sûr, que de lui poser un lapin et lui coller l'une des plus immenses fausses joies de sa vie ; pour autant, alors qu'il repère sans mal la silhouette d'Eva dans l'élevage qu'il a fini par trouver, il doit admettre qu'il est largement plus nerveux que la première fois qu'il s'est présenté devant elle une petite semaine plus tôt. Parce que ce qu'il s'est passé ne lui a pas fait plaisir du tout, qu'on se le dise ; il a eu très envie de se mettre en colère et de débarquer pour la confronter, et puis il s'est rappelé que ce n'était jamais une solution, de prendre Eva par ce bout-là. Alors il s'est calmé avant de revenir mais... ouais, il va falloir qu'il la joue un peu plus fine cette fois, sûrement. « Eh, mais c'est la plus belle ! lance-t-il avec un grand sourire pour attirer son attention.
– Tu t'ennuies ? réplique-t-elle presque aussitôt en se retournant, peu amène, sans surprise. Qu'est-ce que tu fous là ?
– Figure-toi que je passais dans le coin, répond-il, faussement tranquille. J'ai attaqué la rénovation de mon cabinet et comme j'ai terminé pour aujourd'hui je me suis dit que j'allais passer te voir. Je suis content de te voir. »
Il ose un nouveau sourire, plus petit, doux, puis détourne le regard pour observer les installations de l'éleveuse. « C'est impressionnant, tout ce boulot que t'as fait, dit-il gentiment. J'ai vu à quoi ça ressemblait avant que tu t'installes, y avait encore une photo sur l'annonce vendue à l'office notariale. Et t'as déjà un couple ? »
Il s'approche de l'enclos, qu'il a la satisfaction de trouver grand, même si l'un des Tritox n'est vraisemblablement pas content d'être là. Ce n'est pas le moment de l'emmerder, alors il n'en fait rien remarquer. « Tu chômes pas, hein ? reprend-il en se tournant vers elle pour lui sourire à nouveau. Enfin, je suis pas vraiment surpris. T'as toujours su te donner les moyens de réussir ce que tu entreprenais ; ça me fait super plaisir de voir que tu t'es lancée. »
Même s'il aurait préféré qu'elle le fasse plus tôt, bien plus tôt, mais bon.

« Figure-toi que je passais dans le coin, lui répond-il et une paire de sourcils fins se froncent ; il passait dans le coin, vraiment ? J'ai attaqué la rénovation de mon cabinet et comme j'ai terminé pour aujourd'hui je me suis dit que j'allais passer te voir. Je suis content de te voir. » Ah, alors il a sûrement fini de bouder alors, songe la jeune femme sans rien répondre, préférant reporter son attention vers Belladone qui abandonne tristement ses jouets pour faire le tour de son enclos, en évitant soigneusement l'endroit où Cyanure fait la sieste. Ça s'annonce vraiment compliqué, cette entente entre eux. Est-ce qu'elle devrait essayer de leur trouver de nouveaux compagnons ?

« C'est impressionnant, tout ce boulot que t'as fait. J'ai vu à quoi ça ressemblait avant que tu t'installes, y avait encore une photo sur l'annonce vendue à l'office notariale. Et t'as déjà un couple ?
– Un seul pour l'instant, accepte-t-elle de répondre en désignant d'un geste du menton les deux Tritox. Le mâle est couché sur le dos, et là-bas c'est la femelle. » Qu'elle va sûrement faire sortir pour le moment, d'ailleurs. Elle la remettra pour la nuit, mais pour le reste du temps, au moins autant qu'elle reste à Nathalia, Belladone va devoir apprendre à s'adapter à ce nouvel environnement.

« Tu chômes pas, hein ? Enfin, je suis pas vraiment surpris. T'as toujours su te donner les moyens de réussir ce que tu entreprenais ; ça me fait super plaisir de voir que tu t'es lancée.
– Merci, répond Eva, flattée tout de même ; Jim a beaucoup de défauts, mais il l'a toujours encouragée à partir. Tu veux faire un tour des lieux ? » Bien sûr que oui, hein ? Jim ne va certainement pas lui refuser une petite balade quand bien même ce serait au milieu de la fange et de la boue. Le sujet du restaurant, lui, semble parfaitement évité par l'homme qui lui emboite le pas alors qu'elle l'emmène vers les enclos en construction. « J'ai pas énormément de Pokémon pour le moment mais j'y travaille, commence-t-elle en désignant du menton les clôtures empilées, attendant d'être installées. J'ai capturé un Tadmorv il y a quelques jours. » Et il est installé dans l'enclos voisin de celui des Tritox, mais invisible ; caché dans une sorte de bassin visqueux et immonde, parfaitement camouflé. « Le Rozbouton et l'Ortide sont dans la serre, là-bas. Et figure-toi qu'ils sont très contents d'y être, reprend-elle en lui jetant un regard torve, parce qu'elle n'a absolument pas oublié la réflexion de Jim à ce sujet au parc. Papa m'a aidée, pour le jardin. J'ai réussi à lui faire lever son gros cul pour me donner un coup de main. » Tout le monde l'a un peu aidée, en fait ; mais c'est à elle tout de même, et elle en est très fière.

« Merci, répond Eva, de quoi agrandir le sourire de l'homme à l'origine du compliment, ravi qu'elle l'accepte sans protester. Tu veux faire un tour des lieux ?
– Avec grand plaisir, dit-il. »
En vérité, il n'attendait que ça, évidemment. Les mains dans les poches de son jean tâché de poussière, l'homme emboîte le pas à la femme de sa vie, non sans égarer un regard discret sur sa silhouette en se demandant pourquoi elle n'est pas venue au restaurant l'autre soir, puisque cette fois elle n'a pas l'air d'avoir à tout prix envie de l'envoyer sur les roses. « J'ai pas énormément de Pokémon pour le moment mais j'y travaille. »
Suivant son indication du regard, Jim avise les clotures qui ne sont pas encore montées. Est-ce qu'elle aura besoin d'aide pour ça ? Sans doute pas, puisqu'elle a toujours été très débrouillarde, mais il proposera quand même, plus tard, quand il aura réussi à faire disparaître toute hostilité dans l'attitude de la jeune femme. « J'ai capturé un Tadmorv il y a quelques jours. »
L'enclos voisin à celui des Tritox semble adapté pour un Pokémon comme celui-là, oui, se dit-il en observant la marre de boue. Il est sûrement caché dedans. « Le Rozbouton et l'Ortide sont dans la serre, là-bas. Et figure-toi qu'ils sont très contents d'y être. »
Ou alors ils sont résignés, mais Jim décide de ne pas répondre : il n'a aucune envie de se faire jeter dehors. D'ailleurs, à l'évocation du Rozbouton, il sent quelque chose s'agiter dans la poche de son manteau ; c'est sûrement celui qu'il a récupéré ce fameux jour et qui ne l'a pas quitté depuis - un matin, il l'a trouvé au fond de sa chaussure. « Papa m'a aidée, pour le jardin. J'ai réussi à lui faire lever son gros cul pour me donner un coup de main.
– Ça a pas dû lui faire de mal, dit-il avec une petite grimace. Depuis que j'suis arrivé, il a quitté le fauteuil pour autre chose que manger et aller se coucher seulement pour me montrer son potager. »
Enfin, ce n'est pas vraiment surprenant ; c'était déjà comme ça, avant son départ. Et pour la mère, eh bien... elle a l'air d'avoir été un peu revitalisée par son arrivée en fanfare, mais de toute évidence ça ne va pas durer longtemps. Pour autant, Jim évite le sujet ; Gloria est remontée contre sa fille pour tout un tas de raison et il n'a aucune envie de se trouver au milieu aujourd'hui. « J'ai revu Isaïah d'ailleurs, on est allés se promener au bord du Fleuve. Ça m'a fait plaisir de le revoir et il avait l'air content, lui-aussi. »
C'est dit sans reproche, il n'a pas l'intention d'utiliser le fait que toute la famille sauf elle l'ait accueilli à bras ouverts pour la faire culpabiliser ; de toute façon il est presque sûr que ça ne marcherait pas. Peut-être, cependant, qu'il essaie de lui montrer qu'il retrouve ses marques, lui-aussi, et qu'il est sincèrement heureux d'être de retour. « Tu peux me montrer la serre ? »

« Ça a pas dû lui faire de mal. Depuis que j'suis arrivé, il a quitté le fauteuil pour autre chose que manger et aller se coucher seulement pour me montrer son potager. » Le jardin, c'est bien la seule chose que le père d'Eva a toujours aimé, à vrai dire, et ce depuis la disparition d'Eden. Les Esperanza ont sûrement les plus belles fleurs de Castlerain, les voisins leur ont déjà fait la réflexion ; mais à quel prix, exactement ? Il ne prend plus soin de sa famille, et le chômage lui donne suffisamment de revenus pour ne plus chercher le moindre travail. Sa mère est arrêtée depuis dix ans pour une dépression chronique, et c'est plutôt une bonne chose que chaque enfant ait fini par décider de voler de leurs propres ailes. Des frais en moins pour cette petite famille brisée, dans laquelle Jim est en train de se greffer de nouveau, après six ans de disparition. Quelque part, elle est bien contente que quelqu'un ait décidé de foutre les pieds dans la merde à sa place mais ça, il faudra se lever tôt pour l'entendre l'admettre.

« J'ai revu Isaïah d'ailleurs, on est allés se promener au bord du Fleuve. Ça m'a fait plaisir de le revoir et il avait l'air content, lui-aussi.
– De te voir ? C'est étonnant, répond-elle en haussant les épaules. Isa a pas très bien réagi au retour d'Ismaël, j'imaginais que tu prendrais le même genre de réflexions. » Mais Jim a été en prison, il a dû lui raconter qu'il est resté éloigné d'eux contre sa volonté, hein ? Jim l'a toujours défendue face à sa famille et a souvent rappelé aux autres sa très lourde implication dans les affaires familiales, mais s'il faut trouver un coupable à son départ, sans doute Eva est-elle la victime idéale pour se dédouaner de ses responsabilités. La pensée l'énerve, bien entendu ; mais elle n'a pas envie de se disputer avec Jim tout de suite. Si elle reste cordiale, il repartira peut-être de son plein gré ? En tout cas, s'il a retenu la leçon que sa petite traîtrise a amenée, devant un restaurant où il a dû rester planté comme un con pendant une heure.

« Tu peux me montrer la serre ? » Eva hoche doucement la tête en réponse, puis bifurque sur le petit chemin de terre jusqu'au fond du terrain. La serre est placée à côté de la maisonnette délabrée qu'elle occupe depuis quelques jours ; elle n'a pas encore ramené toutes ses affaires de Castlerain, mais elle craignait un peu trop une confrontation avec l'énergumène à côté de lui pour s'y risquer. En silence, et en quelques pas, ils finissent par rejoindre la serre, et lorsqu'elle ouvre la porte branlante pour le faire entrer, c'est une pointe de fierté presque familière maintenant qui l'envahit lorsqu'elle avise les arbustes fraîchement plantés, les parterres de fleurs, le gazon en train de pousser. A l'intérieur, s'égayent joyeusement trois Pokémon, dont Solanum qui s'approche aussitôt en sautillant, dans un piaulement joyeux, ravi. « Ça a été un sacré boulot, commente l'éleveuse en désignant l'endroit d'un geste de la tête, avant d'attraper le petit Pokémon agité qu'elle prend dans ses bras. Il a fallu installer des lampes chauffantes, des bâches isolantes... et recréer une prairie en plein milieu de Nathalia, mais bon. Pour l'instant, tout le monde a l'air content. Tiens là-bas c'est Botula, enchaîne-t-elle en désignant la petite Nidoran, qui gratte le sol au fond de la serre. Le copain d'Isma me l'a échangé contre un Melo. Elle prend ses marques mais je pense que je vais pas tarder à lui trouver un mâle. T'en penses quoi ? » Non pas que son avis soit très important, mais bon.

Jim s'étonne du scepticisme de sa femme au sujet de sa rencontre avec Isaïah ; il savait que le retour d'Isma ne s'était pas très bien passé, mais il n'a pas vraiment envisagé qu'on puisse s'attendre à ce qu'il soit reçu de la même façon. Il n'a pas cherché à mentir ou à se trouver des excuses, la priorité était de faire savoir au jeune garçon qu'il lui avait manqué, qu'il était heureux de le revoir et désolé d'être parti. Apparemment, ça a suffi. Jim ne sait pas comment Ismaël s'y est pris mais de toute évidence, ce n'était pas la bonne façon de faire.
Pour autant, il ne répond pas, préférant suivre la jeune femme jusqu'à la serre qu'elle lui a indiquée. Il n'a rien à prouver, après tout, et les doutes d'Eva sont plutôt cohérents avec sa première réaction lorsqu'elle l'a trouvé sur le pas de sa porte. Sans doute espère-t-elle, quelque part, qu'il soit rejeté par les autres comme elle a essayé de le rejeter lui. Pourquoi, la question demeure, mais elle est trop délicate pour être abordée maintenant.

Les deux fiancés passent près d'une petite maison à l'aspect un peu miséreux, comme tout ce qui se trouve dans les alentours de Nathalia. Jim s'inquiète un peu d'imaginer que c'est là-dedans que la femme de sa vie habite, mais il se garde de tout commentaire pour l'instant et passe par la porte un peu grinçante qu'ouvre Eva sur leur passage afin de pénétrer dans la serre. La verdure naissante de l'endroit le surprend ; il ne pensait pas qu'il serait possible de faire survivre des plantes ici. « Ça a été un sacré boulot, lui explique Eva, et il n'a pas de mal à la croire. »
Cet endroit va sans doute demander un entretien régulier et intensif pour éviter que la toxicité des sols n'envahisse la végétation ; Eva aura sans doute besoin d'un Pokémon capable d'absorber le poison, d'ici peu, pour faire survivre la verdure.
Alerté par une série de piaillements, Jim baisse les yeux vers le Rozbouton qu'il reconnaît aussitôt, et se garde du moins commentaire, une fois de plus, lorsqu'Eva le prend dans ses bras. Il n'a effectivement pas l'air malheureux. « Il a fallu installer des lampes chauffantes, des bâches isolantes... et recréer une prairie en plein milieu de Nathalia, mais bon. Pour l'instant, tout le monde a l'air content. Tiens là-bas c'est Botula.
– Tu as appelé un Pokémon Botula ? s'étonne-t-il en haussant les sourcils. »
Ce n'est pas très flatteur, quoique objectivement de circonstance pour un Pokémon poison, mais bon. Botula, quoi. « Le copain d'Isma me l'a échangé contre un Melo. Elle prend ses marques mais je pense que je vais pas tarder à lui trouver un mâle. T'en penses quoi ? »
Oh, oui, le fameux copain d'Isma dont il a fait la connaissance au restaurant, donc. La pensée étire un sourire légèrement acide sur ses lèvres mais il s'emploie aussitôt à le faire disparaître. « Franchement, je suis particulièrement impressionné par la serre. C'est incroyable que tu aies réussi à isoler assez pour préserver les sols de toutes les merdes qui a tout envahi dehors. Et ma foi, tes Pokémon ont effectivement l'air contents. »
On ne peut pas en dire autant du Rozbouton dans sa poche, cela dit, et d'ailleurs il va de soi que les cris de son congénère ne tardent pas à le faire sortir de sa cachette pour entreprendre de sauter jusqu'à Eva ; Jim l'attrape juste à temps pour qu'il ne se blesse pas en tombant sur le sol. « Ah, oui, il se peut que ce petit soit resté avec moi après la dernière fois, au fait, indique-t-il avec un petit sourire piteux. Il a pas voulu retourner au Parc. J'me suis dit que s'il voyait que son ami allait bien alors il pourrait plus facilement euhm... passer à autre chose, je suppose, si c'est la seule solution. »

Si Eva pose la question, Jim a toutefois plutôt intérêt à prendre garde à ce qu'il va dire. Elle est du genre pointilleuse maintenant qu'il s'agit de son élevage ; bien entendu qu'il ne paye pas de mine, mais quand même, elle s'en est bien sortie, non ? Les Pokémon qu'elle a installés ont l'air tout à fait heureux, en témoigne Solanum qui s'agite joyeusement dans ses bras pour dire bonjour. Elle les aime bien, ses Pokémon plante, ils diffusent un parfum plutôt agréable si on excepte l'affreuse odeur de son Ortide, mais bon ; on ne peut pas réussir dans tout, hein ? Et c'est quoi ce drôle de sourire qu'il a, Jim ? Quelque chose à redire encore, comme d'habitude ?

« Franchement, je suis particulièrement impressionné par la serre. C'est incroyable que tu aies réussi à isoler assez pour préserver les sols de toutes les merdes qui a tout envahi dehors. Et ma foi, tes Pokémon ont effectivement l'air contents. » Oui, ils le sont, ça ne servait donc à absolument rien de lui péter sa petite scène à la con pour une histoire de captures interdites dans le parc. D'ailleurs, c'est ce qu'elle s'apprête à répondre, quand un mouvement dans la veste de Jim attire son attention ; sous ses yeux surpris, un autre Rozbouton jaillit de l'intérieur et bondit sur le sol dans un piaulement surexcité. Celui-là, il ressemble beaucoup à celui que le médecin a pris au parc, non ? « Ah, oui, il se peut que ce petit soit resté avec moi après la dernière fois, au fait, lui dit l'intéressé avec un deuxième drôle de sourire. Il a pas voulu retourner au Parc. J'me suis dit que s'il voyait que son ami allait bien alors il pourrait plus facilement euhm... passer à autre chose, je suppose, si c'est la seule solution. »

Ah tiens, songe la jeune femme en haussant un sourcil. « Ça valait bien le coup de me faire des grandes leçons de morale sur l'interdiction de capturer des Pokémon au parc si c'est pour que t'en embarques deux, tiens. Le Voltoutou aussi, j'imagine ? » Oui, hein ? « Fais ce que je dis, pas ce que je fais, ricane-t-elle en secouant la tête. Typique. » Non, elle n'a pas peur ni de l'agacer ni de le décevoir ni de lui faire de la peine ; qu'il discute avec Isma, Jim, il se rappellera sans peine qu'elle est du genre rancunière, son ex-fiancée.

Eva hausse un sourcil devant son explication et malgré son sourire accroché sur ses lèvres, Jim se tend légèrement. Il connaît cet air, ce mélange de moquerie et de satisfaction, et il sait que ça ne va pas lui plaire du tout. « Ça valait bien le coup de me faire des grandes leçons de morale sur l'interdiction de capturer des Pokémon au parc si c'est pour que t'en embarques deux, tiens. Le Voltoutou aussi, j'imagine ? »
Il perd son sourire et fronce les sourcils, sans répondre. « Fais ce que je dis, pas ce que je fais, renchérit-elle avec un ricanement méprisant, absolument odieux, et qui le vexe en plus de le blesser. Typique.
– D'accord, donc en fait t'as juste décidé de devenir une garce, c'est quoi le plan là ? s'agace-t-il en quittant des yeux le Rozbouton qu'il a finalement posé sur le sol pour foudroyer la jeune femme du regard. J'ai pas utilisé la moindre pokéball quand on était dans le parc, ce petit je l'ai pas capturé il a juste refusé de repartir et le Voltoutou m'a suivi tout seul alors c'est complètement hors de propos. »
Tout se passait très bien aujourd'hui, il n'a pas vu le moindre signe avant-coureur qui aurait annoncé ce revirement et qui balaye en une seconde tous ses espoirs de voir cette rencontre se passer paisiblement. « Franchement, je t'ai même rien dit pour le restau alors que j'aurais largement eu de quoi, alors ça sort d'où, qu'est-ce que j'ai fait exactement pour que tu te mettes subitement à être odieuse ? »

« D'accord, donc en fait t'as juste décidé de devenir une garce, c'est quoi le plan là ? » Et voilà, la machine est lancée ; Eva s'en doutait bien, que ce petit sourire de circonstance finirait par disparaître si elle avait l'audace d'élever un peu plus le ton, ou simplement d'exagérer. Sans dire qu'elle est satisfaite, elle songe au moins que l'énerver le fera peut-être partir plus vite ; Deklan va arriver, il doit passer la prendre dans une heure et cet imbécile doit absolument être parti avant. Sa soirée d'anniversaire a failli être un désastre à cause de son foutu retour, alors qu'il la foudroie du regard s'il veut, cela ne fait plus d'effet à Eva depuis bien longtemps. « J'ai pas utilisé la moindre pokéball quand on était dans le parc, ce petit je l'ai pas capturé il a juste refusé de repartir et le Voltoutou m'a suivi tout seul alors c'est complètement hors de propos. »

Sans doute, sauf qu'il a quand même embarqué avec lui deux Pokémon alors que c'est interdit. Qu'il joue avec les mots si ça l'amuse, il n'empêche que ça valait bien le coup de lui faire la leçon ; surtout alors qu'il revenait d'une absence longue de six années. « Franchement, je t'ai même rien dit pour le restau alors que j'aurais largement eu de quoi, alors ça sort d'où, qu'est-ce que j'ai fait exactement pour que tu te mettes subitement à être odieuse ?
– Oh, t'aurais eu de quoi, vraiment ? répond-elle en croisant les bras, un horrible sourire aux lèvres. Mon pauvre chéri, t'as pas aimé te retrouver comme un abruti devant ce restaurant ? » Non, bien sûr que non. Jim déteste être pris pour un con. « Comme si tu m'avais laissé le choix, tiens. Je t'avais dit non trois fois, je t'ai dit que je voulais plus de toi, et t'as posé ton sac dans ma chambre comme si de rien était en me forçant  la main pour aller au resto, j'ai vite compris que dire oui était la seule solution pour que tu me foutes la paix. Alors non, t'as absolument rien à dire là-dessus, t'as qu'à remettre un peu en question ton comportement d'abruti si tant est que t'en aies déjà été capable un jour. »

Il a compris, c'est bon ? Doucement, Eva repose son Rozbouton au sol, puis entreprend de quitter la serre : elle avait du travail aux dernières nouvelles, avant que cet idiot vienne interrompre son programme. « Mais tu sais, si je suis une garce insupportable, personne ne t'oblige à rester ici, hein. Tu peux repartir d'où t'es venu, en plus tu fais ça très bien. Mon mec vient me chercher dans une heure, de toute manière t'es supposé avoir détalé d'ici là. »

« Oh, t'aurais eu de quoi, vraiment ? »
Bien sûr que oui ; elle l'a complètement pris pour un con, elle lui a menti, ça donne quand même une sacrée bonne raison de lui faire un reproche, merde. « Mon pauvre chéri, t'as pas aimé te retrouver comme un abruti devant ce restaurant ? »
Et en plus, elle a l'audace de lui sourire ? Pour un peu, Jim serait choqué ; il n'est pas loin, vraiment pas loin de lui demander si elle a mangé quelque chose d'hallucinogène ces dernières heures. Pour qui elle se prend bon sang, pour lui cracher à la gueule comme ça ? Qu'est-ce qu'il a bien pu faire pour mériter ça, hein ? « Comme si tu m'avais laissé le choix, tiens. Je t'avais dit non trois fois, je t'ai dit que je voulais plus de toi, et t'as posé ton sac dans ma chambre comme si de rien était en me forçant  la main pour aller au resto, j'ai vite compris que dire oui était la seule solution pour que tu me foutes la paix. Alors non, t'as absolument rien à dire là-dessus, t'as qu'à remettre un peu en question ton comportement d'abruti si tant est que t'en aies déjà été capable un jour. »
Il en a le souffle coupé, l'homme qui était si sûr de lui lorsqu'il a débarqué à la maison familiale il n'y a pas une semaine ; ses yeux sombres sont écarquillés de stupeur, c'est presque comme s'il était en train d'assister au spectacle le plus insupportable qu'on pourrait imaginer et, pour quelqu'un comme lui, ce n'est pas loin de la vérité. Elle ne veut vraiment plus de lui. « Mais tu sais, si je suis une garce insupportable, personne ne t'oblige à rester ici, hein. Tu peux repartir d'où t'es venu, en plus tu fais ça très bien. Mon mec vient me chercher dans une heure, de toute manière t'es supposé avoir détalé d'ici là. »
L'ancien médecin ne porte pas la moindre attention aux deux petits Rozbouton qui sont visiblement ravis de s'être retrouvés ; il suit des yeux la jeune femme qui s'éloigne vers la sortie, en se demandant si elle lui ment aussi pour cette histoire de mec, ou si c'est vrai. Ça pourrait être vrai, finalement. Après tout, si elle avait été seule, elle aurait sans doute accepté ce rendez-vous, non ? Elle était avec lui ce soir-là. Elle était avec un autre homme le soir où il l'a attendu comme un con devant le restaurant, son bouquet de fleurs dans les mains, le coeur débordant de joie à l'idée de retrouver sa vie, de retrouver la femme qu'il aimait, elle était avec un autre homme.
Son sang ne fait qu'un tour et sa paume large s'écrase sur le battant qu'Eva entreprenait d'ouvrir pour le rabattre contre la chambranle dans un grand bruit de claquement. « T'étais avec lui ce soir-là, alors ? gronde-t-il, les yeux luisant de colère pour cacher son coeur tremblant au bord de ses lèvres. Il existe vraiment ce type ? »

Est-ce qu'il a compris, cette fois, Jim ? Qu'il est arrivé beaucoup trop tard, qu'il n'a plus rien à chercher de son côté, qu'il est parti trop longtemps et qu'elle n'a pas l'intention de le lui pardonner ? Est-ce qu'il a compris qu'elle a beaucoup trop pleuré ce départ-là et qu'elle n'a plus de larmes à lui consacrer, qu'aussi perturbant puisse être son retour, Eva n'a pas du tout l'intention de le laisser revenir prendre une place qu'il croit lui revenir de droit ? Elle n'en sait rien, mais peut-être bien que ça lui ferait plaisir, oui, de le voir comprendre et s'en aller autant que cela ferait sûrement éclater son coeur une seconde fois. Elle a prétendu que ça lui faisait plaisir, de l'imaginer attendre comme un idiot devant la porte de ce restaurant, mais la vérité c'est qu'elle a préféré éviter d'y penser le plus possible durant toute la soirée qu'elle a passé avec Deklan. Il va tout compliquer, et maintenant qu'elle a craché suffisamment de venin pour le laisser complètement coi devant elle, elle va s'en aller.

Ou du moins, elle va essayer, songe-t-elle en sursautant lorsque la paume de son ancien fiancé vient frapper la porte de la volière qu'il ferme dans un claquement sonore, à en faire trembler presque tout l'édifice encore fragile. Aussitôt la surprise passée, elle lève le nez pour l'observer ; ses yeux verts brillent de défi, quand elle lit dans ceux de Jim un départ d'incendie familier et habituel. Cette colère-là, Eva la connait par coeur. « T'étais avec lui ce soir-là, alors ? gronde l'homme qui la surplombe de toute sa hauteur, maintenant qu'il comprend enfin ce qui se passe. Il existe vraiment ce type ?
– Oui, il existe. Je te l'ai dit, sussure-t-elle presque en le provoquant du regard, parce qu'il ne lui fait pas peur, il ne lui a jamais fait peur. Ils en ont fait des conneries, mais Jim ne lui a jamais levé la main dessus. Il s'appelle Deklan et j'ai fêté mon anniversaire avec lui pendant que t'imaginais encore que je t'avais attendu pendant six ans. »

Maintenant, au moins, il a compris. La rage qu'elle voit briller dans ses yeux, elle est réelle ; Jim n'a jamais su lui mentir. « On est ensemble depuis trois mois. Oh, et, tu sais, le petit corset noir ? Celui que tu m'avais offert pour mes vingt-cinq ans. » Elle croise les bras. Sourit. « Il a adoré. »

Il n'arrive pas à y croire, elle se moque de lui c'est ça ? Elle veut le rendre dingue pour se venger de son absence dont elle le tient pour responsable, elle lui dit ça pour lui faire du mal mais ce n'est pas vrai, elle invente, Arceus faites qu'elle invente. « Oui, il existe. Je te l'ai dit, répond-elle d'une petite voix mielleuse, qui lui arrache un frisson d'indignation. Il s'appelle Deklan et j'ai fêté mon anniversaire avec lui pendant que t'imaginais encore que je t'avais attendu pendant six ans. »
Non, c'est ce qu'il se dit en premier, bien sûr. Jim n'a jamais été très doué pour composer avec les vérités trop difficiles à encaisser, et celle-là en est une, indéniablement. Sauf qu'il ne peut pas nier, elle ne ferait pas durer un mensonge pareil uniquement pour l'emmerder ; c'est la vérité, elle a quelqu'un, et ce fait est au moins aussi douloureux que son mépris. Pendant que t'imaginais encore que je t'avais attendu pendant six ans. Ouais, il l'imaginait effectivement. Parce que tout ce qu'ils ont un jour ressenti l'un pour l'autre a toujours été réciproque, tout, de l'amour à la colère, de la peur à la douleur, tout. Et lui, il l'aurait attendue. Il l'aurait attendue. « On est ensemble depuis trois mois, assène-t-elle encore, impitoyable devant ses yeux écarquillés de rage et son visage défait d'hébétude. Oh, et, tu sais, le petit corset noir ? Celui que tu m'avais offert pour mes vingt-cinq ans. »
Il se souvient oui, elle en a parlé l'autre jour. « Il a adoré. »
Eva a toujours eu des yeux magnifiques, se dit-il au pire moment possible. Toujours, et quoi qui y brille ; de ces lueurs assassines qui l'ont toujours rendu dingue quand ils se disputaient à l'amour indescriptible qu'elle ne lui exprimait jamais mieux que par ce regard émeraude hypnotisant. Quoi qu'il se passe et quoi qu'ils se disent, quelles que soient les horreurs qu'ils se jetaient au visage ou les mots d'amour qu'ils échangeaient, il l'a toujours trouvée incroyable. Incroyablement belle, intelligente, dévouée, bornée, insupportable ; incroyablement sienne, aussi.
Il ne peut pas. Non, il ne peut pas l'imaginer poser sur un autre ces regards qu'il adorait plus que tout au monde, il ne peut pas imaginer d'autres mains que les siennes se poser sur sa peau ou sur le satin de ce putain de corset, il ne peut pas, c'est tout. « Tu te fous de ma gueule, lâche-t-il dans un grognement quasiment animal, vibrant d'une violence qu'il ne laissera pas éclater ici. Dis-moi que tu te fous de ma gueule. »
C'est un regard défiant, provocateur qui lui répond ; l'un de ses regards à elle, de ceux qu'elle n'avait que pour lui et qu'il s'insupporte d'admirer encore. Est-ce qu'elle se dispute avec l'autre, est-ce qu'elle le regarde comme ça, est-ce qu'elle lui dit ce qu'elle lui disait, est-ce qu'elle le touche comme elle le touchait ? Est-ce qu'elle l'aime ?
La pensée le glace, l'échauffe, fait bouillir son sang dans ses veines et gronder dans sa gorge l'écho d'une féroce protestation. Elle n'avait pas le droit. « Ça t'amuse, hein ? »
Il siffle sa question là où il voudrait hurler qu'elle est à lui, il s'oblige au calme parce qu'il sait bien que sa colère ne trouvera en guise de réponse qu'un mépris déjà abominablement douloureux. « Ça te fait plaisir de me dire ce genre de trucs ? C'est de mon départ dont tu te venges ? »
Sa grande main se pose sur l'épaule de la jeune femme, la force doucement à reculer tandis qu'il se glisse entre elle et la sortie, penché vers elle, les dents quasiment en avant tant il lui semble que la rage qui s'est emparée de ses entrailles lutte contre chaque pore de sa peau pour sortir de son corps et éclater de quelque manière que ce soit. « C'est toi qui m'as dit de partir, c'est toi qui m'as foutu dehors, qui as saboté tout ce que j'ai entrepris pour revenir plus vite et maintenant que je suis là, tu me reproches d'avoir mis trop de temps, tu me... nargues comme la dernière des... »
Il pince les lèvres et ferme les yeux une courte seconde, prenant une inspiration sifflante pour retenir les franches insultes qui lui brûlent les lèvres. « Pourquoi tu fais ça ? reprend-il en ouvrant les paupières. Qu'est-ce que tu veux, hein ? Ça t'amuse, tu prends ton pied, c'est QUOI que tu cherches ?! »