«On a pas des masses de temps, Djinn alors il va falloir faire ça vite. J’ai acheté un paquet de balles, alors on arrive, on capture ce qui passe et on revient à la maison à temps pour que je puisse prendre une bonne douche avant le match. Et… tu vas combattre. Oui oui, fais pas cette tête. J’ai assez lésiné sur ton entraînement comme ça.»

Je déteste quand Calypso se met des idées pareilles dans la tête. La suivre au quotidien n’est pas une mince affaire croyez-moi, même pour une bête aussi rapide que je puis l’être. Sauf que lorsqu’elle projette des sorties de capture et qu’en plus elle se met dans l’idée de faire de moi le combattant de ses rêves, et bien je suis dans la mouise. Je n’aime pas du tout combattre, pour la simple et excellente raison que j’y ai autant de talent qu’un aveugle qui se lance en peinture. Autant dire que mes capacités limitées me forcent plus souvent qu’autrement à m’en prendre plein la gueule. C’est bien pour Calypso, elle a le travail facile. C’est aisé de crier à tue-tête des ordres, mais combattre c’en est une autre. Et se prendre un Picpic dans la tronche aussi. Ha ! Au moins ici dans la lande, les hautes herbes me couvrent, m’offrant un faux sentiment de sécurité. Mais je me méfie. Je vais encore me prendre des baffes sur le pif moi. Je me sens déjà trembler en m’imaginant ce qui peut se cacher dans les parages, prêt à fondre sur moi.

Regardez comme elle est contente d’elle. Je te gage que ça lui rappelle ses années à Hoenn, quand nous avons fait la compétition, les Arènes, tout ça. Les pires années de ma vie ouais ! L’équipe perdait tout le temps et Calypso s’obstinait à persévérer tout de même. Abandonner tout ça a été la meilleure décision de sa vie, pourquoi doit-elle nous imposer cela de nouveau? Je sais qu’elle a en tête les Arènes de Lathea. Je peux le voir dans ses stupides yeux noirs. Dans la manière dont elle danse presque tandis qu’elle marche dans les herbes hautes. Les humains. On dirait qu’ils aiment le danger, particulièrement Caly d’ailleurs. Cette tarée aime se mettre dans d’impossibles situations, je le jure. En plus, elle a choisi un coin… À ce qu’il paraît, il y a plein de Pokémon Électriques qui grouillent ici. C’est pas elle qui va se faire zapper, noooon ! C’est bibi. Elle a promis de me montrer comment devenir fort mais j’en ai rien à foutre moi. D’ailleurs, j’entends quelque chose et déjà je peux sentir ma queue frémir d’angoisse. Pas déjà un combat ! Je me retourne en direction de ma dresseuse, comme pour la convaincre de laisser faire. Or, c’est un Débugant qui vient de paraître et déjà je sais qu’elle calcule les possibilités dans sa petite tête. Je me recule en faisant non de la tête… elle ne m’en voudra pas trop si je refuse, si ?

Alors qu’il s’approche je le vois un peu mieux. Il n’a pas l’air vraiment méchant, mais ouf ! Ces muscles ! Clairement, ce Débugant pourra m’assommer en un rien de temps et qui c’est qui aura encore l’air con hein ? Vraiment, c’est ça mon premier adversaire du jour ? Elle espère que je m’en sorte comment exactement ?

«Tu te souviens de ta fameuse attaque, Djinn ?»

Je la regarde sans comprendre. Quelle fameuse attaque ? Oh Arceus, je me sens paniquer. C’est moi ou l’air se fait plus rare ? Je tente de respirer mais rien n’y fait, mes poumons refusent de se remplir. Comment ça se fait que l’humaine ne ressent rien elle ? Je te gage que c’est un pouvoir de ce stupide Débugant qui me regarde avec un air narquois… Je vais mourir, ça y est, c’est ma fin. Calypso se penche vers moi, un sourcil redressé, tandis que ma respiration n’est plus qu’un hachis incontrôlé.

«Hé oh, ça va, respire Djinn. Tu vas pas mourir là, alors fais-moi plaisir et calme-toi un peu. Je parlais de ton Aqua Jet. Je sais qu’il est pas tout à fait à point mais… je suis certaine que tu peux y parvenir. Rappelle-toi de bien t’entourer d’eau avant de t’élancer et surtout fais-toi confiance, ça ira très bien !»

Ça ira très bien, bien sûr. Mon dieu, y’a vraiment des jours que je la hais.

Aqua Jet est, comme qui dirait, ma bête noire. Je maîtrise l’essentiel, c’est-à-dire la mécanique de l’attaque. S’entourer d’eau, se projeter de l’avant… c’est bon, j’y parviens. Par contre parvenir à toucher ma cible et le faire avec assez de conviction pour lui infliger le moindre mal, alors là c’est autre chose. J’ai vécu tant d’échecs avec cette attaque qu’à présent je n’essaie même plus. Pourquoi pas utiliser Survinsecte ? Ou un bon gros Jet de Sable dans la tronche pour que je puisse prendre la poudre d’escampette ? Non ? Mes négociations ne fonctionnent pas. Déjà ma dresseuse me pointe mon adversaire en insistant, avec ces gros yeux là… Je ronchonne, m’entourant de mon eau sans trop y croire, me propulsant sans grande conviction et… AÏE. J’ai touché ? Oui ! Le Débugant a reculé, avec une grimace. Ça ne semble pas lui avoir fait bien mal mais au moins j’ai l’air un peu moins con là hehehe. Je me recule aussitôt vers Calypso, lui faisant signe. Elle voulait le capturer, eh bien c’est l’occasion. Après, c’est lui qui combattra à ma place. Oui voilà super plan. Caly lance sa Poké Ball et bientôt, le tour est joué. Mon calvaire est enfin terminé.

Tandis que la brune sourit de manière satisfaite, moi je me recule en soupirant. Arceus soit loué, c’est terminé. Maintenant qu’elle a capturé un truc, elle pourra me laisser tranquille un peu. Je suis déjà complètement épuisé par ce combat, il ne faut pas pousser mémé dans les orties tout de même. Calypso s’élance pour récupérer la balle de son nouveau Pokémon tandis que je gronde d’un air taciturne, me cachant dans les herbes hautes à nouveau. L’humaine donne une attention particulière à la sphère contenant le Débugant avant de se retourner vers moi.

«Mais… qu’est-ce que tu fais ? On a pas terminé hein ! Cet Aqua Jet était satisfait tout au plus, il faut le travailler encore. Tu vas faire les Arènes avec moi un jour monsieur, alors arrête de faire l’andouille et suis-moi. Je pense avoir vu autre chose par là.»

Mais je rêve ! Puis quoi encore ? Les Arènes? Elle ne sait pas ce qui s’est passé la dernière fois ? Si, elle a juste oublié, ou du moins s’efforce de le faire. Nous avons tous les deux été humiliés. Pourquoi s’impose-t-elle ce supplice alors ? Franchement je ne comprendrai jamais les humains.

Malgré mes protestations, nous poursuivons notre chemin sur un petit sentier qui zigzague entre les autres herbes. Le soleil brille avec intensité au-dessus de nos têtes. Déjà, je me sens m’assoiffer. Calypso a beau dire qu’elle est un type Eau, la vérité est qu’elle est pleine de nouilles ramen. C’est de la foutaise. Elle ne ressent pas la morsure du soleil comme moi, malgré mon armure. Je soupire. Je pensais qu’à ce stade-ci cette excursion serait terminée, mais il semblerait que non. Caly me jette un énième regard mi-agacé mi-amusé tandis qu’elle marche aux devants.

«Mais vas-tu arrêter de faire cette tête ? C’est normal que je veuille capturer plus de Pokémon Djinn, il nous faut une équipe pour la compétition. Il faudra trier parmi les candidats intéressants et tout. Même si je n’ai pas énormément de temps aujourd’hui, j’aimerais tout de même rentrer avec un peu plus de compagnons.»

Pfff. Je devrais être heureux. Qui dit plus d’autres Pokémon, dit qu’elle me laissera un peu tranquille avec tout ça. Pourtant je ne peux m’empêcher de me sentir un peu triste… J’aime bien l’avoir pour moi tout seul aussi, cette tête de linotte. Je soupire à nouveau en pressant mes pas vers elle.

On dirait que l’univers l’a entendu d’ailleurs. Car tout juste en m’avançant vers elle qu’un TRUC me saute dessus ! Je me mets aussitôt à couiner, me débattre et m’enfuir, pour lui échapper. Pourtant, la petite chose semble bien déterminée à rester là où elle se trouve. Calypso, alertée par mes cris d’agonie, tente de m’aider en nous poursuivant. Je ne sais plus du tout où je fonce, tout ce que je ressens est la panique totale. Finalement, je me sens plonger vers l’avant là où un trou dans la terre nous fait culbuter. J’atterris lourdement sur le sol argileux, le souffle coupé. Heureusement, cette chute m’a débarrassé de mon parasite, que je peux enfin observer. Il s’agit d’une espèce de tique jaunâtre aux grands yeux naïfs. Ha ! Un Statitik. Je lui gronde après. À sa taille, elle ne me fait pas bien peur, mais je préférerais tout de même éviter ses éclairs. À cet instant, ma dresseuse parvient enfin à notre hauteur, se ruant sur le sol pour mieux observer ce qui s’est passé.

«Djinn mon dieu ça va ?! Ohh tu as trouvé un Statitik !»

Je l’observe, outré par son enthousiasme pas du tout dissimulé. Elle pourrait faire un effort pour éviter de me froisser franchement.

En plus il a une tête atroce ce Statitik. Il me regarde avec de grands yeux naïfs, ou plutôt «elle» car il s’agit d’une femelle. Dans tous les cas, elle est trop collante à mon goût. Qu’elle reste dans son coin là, à se prendre toutes les attentions de ma dresseuse. Calypso avance des doigts imprudents vers l’araignée et je ferme les yeux pour m’éviter le spectacle de mon amie qui se fait zapper par cette chose. Or, je n’entends rien de suspect. En rouvrant un œil je constate que tout se passe bien. Effectivement, la jeune femme offre des caresses à la petite chose qui accepte avec plaisir. Elle grimpe ensuite sur son bras et se juche sur son épaule, où elle fait mine de s’endormir. Je rêve, quelle diva celle-là. Son subterfuge fonctionne bien avec Calypso. Autant dire que c’est comme pêcher à la dynamite avec elle. Elle fond misérablement devant la Statitik.

«Trop cute. Elle vient avec nous celle-là aussi. Un Pokémon électrique ce sera super dans notre équipe ! Bon, aller, on continue, et cette fois arrête de paniquer et de courir partout, Djinn hein. Ça sert à rien, faut respirer par le nez.»

Respirer par le nez mouais. Je grogne pour donner mon avis, tandis que l’atroce araignée se pelote tout contre elle, la faisant gazouiller de joie. Je le jure, ces deux là se méritent amplement. En tout cas, je décide, pour lui prouver de ma bonne foi, de m’extirper le premier de ce trou. Je remonte maladroitement la pente avant de me secouer pour retirer toute trace de terre sur moi. Il n’y a pas à dire, je préfère le sable à cette terre humide et collante. Le sable ah ! Chaud et agréable… Combien ça me manque. Tandis que les autres me rejoignent, je parcoure les environs du regard. On n’y voit pas grand-chose avec ces hautes herbes.

«Je pense que j’ai vu un troupeau de Frisons pas loin, on pourrait s’en capturer un non ? Un de moins parmi le lot, ça ne fera pas une grande différence. Regarde ils sont là Djinn ! Lequel tu veux affronter ?»

Lequel je veux… mais quoi ? Elle est sérieuse là ? Ces trucs font au moins dix fois ma taille et mon poids et elle elle s’imagine que je vais choisir ma «victime» parmi eux ? Non mais elle est timbrée, tout simplement timbrée.

Il est hors de question que je m’approche de ces trucs. En plus, ils sentent mauvais, berk, je peux le sentir d’ici. Calypso insiste de son regard si grave, mais cette fois elle peut aller se rhabiller, car je refuse tout bonnement de lui obéir. Elle se penche alors vers moi avec un soupir, son petit sourire en coin caractéristique sur les lèvres. Elle va me sortir un de ses discours encore je le sens.

«Djinn… tu sais que la taille n’a aucune importance ? Il faut que tu arrêtes de te comparer, ça nuit à tes compétences. Tu trouveras la force de tout réussir une fois que tu vas arrêter de regarder les autres et que tu te concentreras sur toi et ce que tu peux faire avec tes talents. Tu es peut-être petit, mais tu es rapide. Si tu utilise cet avantage, alors tu devrais pouvoir vaincre ton adversaire même s’il est plus puissant. Je vais te montrer comment. Tu as confiance en moi non ?»

Oui. Même si elle m’énerve cette brunette, j’ai confiance en elle. Elle veille sur moi depuis que je suis tout petit et jamais elle ne m’a placée dans une situation où j’étais trop en danger. C’est plutôt moi qui le fais en prenant peur à chaque fois. Je regarde le troupeau, l’œil inquiet, avant d’attarder mon choix sur un jeune Frison qui semble plus petit, énergique mais distrait. Je devrais pouvoir me mesurer à lui. Enfin j’espère.

Le bison, il est motivé. Mais moi aussi. Calypso est derrière moi et elle me micro-manage à chaque mouvement, ce qui est très rassurant. Je n’arrive pas toujours à m’exécuter avec brio et je fuis le combat à quelques reprises lorsque les sabots du truc me passent trop près de la tête. Sauf que Caly n’a pas l’intention d’abandonner, même devant mes pleurnichements pathétiques destinés à la convaincre de me laisser abandonner. Je préfère utiliser Survinsecte cette fois et Jet Sable aussi. Je parviens ainsi à aveugler mon adversaire et beugle avant de tenter un coup de corne en ma direction. Heureusement j’ai de bons réflexes nerveux et je lui échappe in extremis. Il me poursuit en criant de plus belle et j’en profite pour décrire des cercles autour de lui. Il s’épuise et s’étourdit tout seul cet idiot ! Alors qu’il tombe au sol, sonné et éreinté, Caly en profite pour compléter la capture, comme si de rien n’était. Fatigué, je me repose à ses pieds, dans l’attente de ses câlins qui ne tardent pas à venir. Je proteste pour la forme avant d’émettre des cliquetis qui ressemblent à des ronronnements si on veut.

«T’as été formidable Djinn, c’est exactement ce que je te disais. Tant que tu es en mouvement, tu deviens difficile à toucher. Bon, la prochaine fois essaie de ne pas échapper au combat tout de même.»

Bon, quand même, je suis assez fier de moi, même si je me suis enfui à quelques reprises. Je ne pensais pas pouvoir mettre des bâtons dans les roues à une créature pareille. En tout cas, Calypso semble vraiment très heureuse de ma performance, ce qui me gêne autant que me fait plaisir. Je ne veux pas qu’elle se fasse de fausses idées à mon endroit et que ses attentes deviennent démesurées. Je ne serai jamais un grand combattant, même si elle le souhaite ardemment. Je serai juste Djinn, le Sovkipou un peu débile qui la suivrait partout, y compris à l’autre bout de la terre. Je la regarde avec embarras avant de me remettre à déambuler, sous l’œil un peu moqueur de la Statitik. Pfff. Celle-là elle va savoir comment je m’appelle, à s’accaparer ma dresseuse. Elle m’offre un petit sourire avant de se blottir de plus belle contre Calypso.

«Bon, on te déniche encore un ou deux adversaire Djinn puis je pense qu’il faudra partir, l’heure tourne mine de rien.»

Je soupire de soulagement. Mon calvaire s’achève donc. Motivé à la perspective de quitter sous peu, je me mets à chercher un nouvel adversaire parmi les hautes herbes.