Ça allait forcément arriver à un moment où l'autre, et à la réflexion Jim peut franchement s'estimer heureux de n'avoir pas été, pour une fois, en train de rouler à plus de cent cinquante kilomètres à l'heure dans sa belle voiture au gros moteur. À cette vitesse, un pneu qui éclate aurait pu être fatal, tant pour lui que pour ses Pokémon. Le Charbi qui l'accompagne et qu'il a affectueusement surnommé Godzilla a d'ailleurs eu la peur de sa vie, et s'il s'applique à ne plus trembler maintenant que le véhicule est arrêté, l'ancien médecin l'a tout de même distinctement entendu grince de terreur lorsque lui-même a poussé son juron le plus sonore, après avoir entendu le claquement caractéristique de la gomme qui se fend brutalement.

Il roulait vite, bien sûr, mais pas assez pour se foutre au tas à cause du déséquilibre de la voiture ; il n'a pas trop dérapé, ou en tout cas pas assez pour sortir de la route et se manger un arbre. Personne n'est blessé, et il a une roue de secours sous le tapis du coffre alors la situation n'est pas si dramatique que ça.
Soupirant tout de même pour le principe, l'homme propose à son passager à roulette d'en profiter pour se dégourdir un peu le charbon puis l'aide à descendre de la voiture avant de récupérer le matériel adéquat pour changer sa propre roue. Il avise avec circonspection la grande trace noire que son écart a laissée sur le goudron de la route ; visiblement le dérapage a été un peu plus musclé qu'il ne l'a réalisé.
Ce n'est pas son premier, loin de là, mais le précédent remonte à un certain nombre d'années, tout de même. Le temps où il faisait vraiment l'idiot en voiture et où il provoquait volontairement ce genre de choses lui paraît terriblement loin.

Enfin, peu importe, se dit-il en installant son cric ; ce n'est qu'un contretemps, il va bien s'en remettre. De ça, et des moqueries de Céléno qui vient de se pendre la tête en bas à une branche au-dessus de lui, et qu'il entend ricaner d'ici. Si elle volait derrière la voiture, elle n'a rien dû manquer de son petit exploit.

La forêt aux murmures est un endroit que j’apprécie tout particulièrement. Tout me plait dans  cet endroit, loin de toute l’agressivité des villes, au sein de tout un tas de Pokémon que je peux passer des heures à observer. C’est sûrement en grande partie cette forêt qui m’a toujours permis de me reposer et de supporter mes débuts difficiles dans mon métier. C’est également ici que Callisto se sent le mieux, pas étonnant pour un Teddiursa.
C’est donc ici que je me rends logiquement dès que mes journées de repos me le permettent, comme aujourd’hui.

Mais cette fois-ci, quelque chose se passe sur la route, alors que je me dirige vers un des nombreux parkings qui accueillent les randonneurs, je croise un homme en train de déboulonner l’une des roues de sa voiture, immobilisée au bout d’une trace de freinage ma foi plutôt marquée.. Naturellement, je m’arrête pour voir s’il a besoin d’aide. A première vue en m’approchant de la voiture, rien de trop grave, une crevaison, et de plus il semble savoir s’y prendre. Le cric est déjà placé, et il s'attèle à retirer la roue complètement dégonflée pour installer à la place sa roue de secours.
Il a l’air de bien se porter, mais je remarque qu’à côté de lui se tient un Charbi bien immobile, qui n’a pas l’air très rassuré. Je suppose qu’il était dans la voiture au moment du freinage et qu’il venait de découvrir ce qu’impliquait le passage de quelques dizaines de kilomètres heures à zéro en une poignée de secondes.

J’aborde alors l’homme qui semble avoir remarqué ma présence : “Bonjour, rien de cassé ? Il faut changer la roue c’est ça ? Je peux donner un coup de main ?”

Dans la quiétude de la forêt, il est difficile de manquer le son d'un moteur de voiture qui s'approche à grande vitesse, quand bien même les moteurs en question auraient été repensés pour consommer le moins possible. Les voitures sont toujours aussi bruyantes et pour cause, rares sont celles qui roulent à l'électricité, les Latheens privilégiant depuis plus de dix ans maintenant les gaz générés naturellement par certaines espèces de Pokémon, commercialisés à bas coût par l'une des rares entreprises d'Enoville avec certaines notions d'éthique, et donc très économiques en plus d'être propres. Un bonheur, qui permet en plus de repérer rapidement l'arrivée d'un véhicule. Jim relève donc le nez tandis qu'il était occupé à déboulonner un par un les écrous de sa roue, après en avoir retiré l'enjoliveur avec beaucoup de délicatesse pour ne pas risquer de l'abimer davantage. Par chance, il n'a pas sauté lorsque le pneu a crevé.
La voiture s'arrête un peu avant de le dépasser, avec précaution et sur le bas-côté afin de ne pas gêner toute éventuelle circulation. Il en sort un jeune homme à l'allure soignée et aux épaules carrées, qui s'avance dans sa direction d'une démarche volontaire, sans hésitation. Alors qu'il s'approche, Jim se redresse en essuyant ses mains sales sur un chiffon sorti du coffre pour l'occasion. « Bonjour, rien de cassé ? Il faut changer la roue c’est ça ? Je peux donner un coup de main ?
– C'est gentil de proposer, répond Jim en souriant, reconnaissant, mais je devrais m'en sortir. Si vous êtes pressé, je voudrais pas vous retenir. »
Après tout, ce n'est ni la première, ni la dernière fois que ça lui arrive ; il aurait dû se douter que les pneus n'apprécieraient pas de rouler à nouveau après six ans d'immobilisation. La pression aurait dû être refaite, et il n'y a pas pensé. « J'ai réussi à reprendre le contrôle de la voiture alors tout va bien, personne n'est blessé, continue-t-il avant de baisser les yeux vers le Charbi toujours parfaitement immobile, fixant la roue crevée de son oeil jaune. Ce petit a juste eu la peur de sa vie, je crois. C'était sûrement sa première fois. »
Il ponctue sa phrase d'un petit rire en haussant les épaules ; après tout, ça n'a rien de très rassurant, ce genre de choses. Il faut bien l'admettre. « En tout cas ça fait plaisir de voir que la solidarité n'a pas entièrement disparu de la région ces dernières années. Si vous voulez aider je veux bien que vous jetiez un oeil aux autres pneus, par mesure de précaution, mais si vous n'avez pas le temps c'est pas du tout un problème. »

Le grand brun se redresse en souriant, et accueille mon aide avec une grande politesse « C'est gentil de proposer, mais je devrais m'en sortir. Si vous êtes pressé, je voudrais pas vous retenir. ». Je ne peux pas dire que je suis pressé, dans le pire des cas, je retarde ma petite ballade d’une demi-heure, on ne peut pas dire que ça me coûte grand chose. Je lui assure donc que j’ai le temps, et m’intéresse au freinage d’urgence, sur lequel il me rassure très vite « J'ai réussi à reprendre le contrôle de la voiture alors tout va bien, personne n'est blessé. » Cependant, il me confirme mon impression concernant son compagnon « Ce petit a juste eu la peur de sa vie, je crois. C'était sûrement sa première fois. »
En effet, le petit Charbi paraît effrayé, mais, comme je le constate en fléchissant les genoux pour l’observer de plus près, il n’est pas blessé.

Une fois la santé de tous les passagers vérifiée, il est temps de se mettre au travail. L’homme s’accroupit à nouveau pour retirer un dernier boulon en commentant « En tout cas ça fait plaisir de voir que la solidarité n'a pas entièrement disparu de la région ces dernières années. Si vous voulez aider je veux bien que vous jetiez un œil aux autres pneus, par mesure de précaution, mais si vous n'avez pas le temps c'est pas du tout un problème.
Je m’exécute et commence à faire le tour du véhicule tout en lui répondant
- Oh ne vous inquiétez pas, j’ai toute la journée, je venais marcher un peu, donc rien qui ne presse. Enfin, je ne vais pas vous contredire là-dessus, si vous saviez combien de gens peuvent passer devant une voiture en panne avant qu’on finisse par s’arrêter voir, au travail je vois ça toutes les semaines » Je marque une petite pause le temps de finir mon inspection, et je ne peux m’empêcher de remarquer quelques détails étranges sur la voiture. Outre le fait que les pneus sont tous sous-gonflés, elle semble bien encrassée, notamment par des toiles d’araignée et une poussière épaisse et tassée par endroits. Ma curiosité me pousse à évoquer discrètement le sujet « Les autres pneus n’ont pas l’air endommagés, par contre ils ont l’air en sous-pression. Elle est peut-être restée un moment à l’arrêt non ? »

Il a l'air volontaire, cet homme ; à peine Jim a-t-il formulé sa demande que l'inconnu commence déjà à faire le tour du véhicule. Jim le suit des yeux une seconde, un léger sourire approbateur au bord des lèvres. Il aime cet état d'esprit. « Oh ne vous inquiétez pas, j’ai toute la journée, je venais marcher un peu, donc rien qui ne presse. Enfin, je ne vais pas vous contredire là-dessus, si vous saviez combien de gens peuvent passer devant une voiture en panne avant qu’on finisse par s’arrêter voir, au travail je vois ça toutes les semaines. »
Ah oui ? Et qu'est-ce qu'il peut bien faire comme boulot, cet homme ? se demande l'ancien médecin tandis qu'il saisit la jante de la roue à pleines mains pour l'extirper pour de bon. À peu près n'importe quoi qui nécessite de bouger, en fait, ou bien dans tout ce qui relève de l'assistance aux personnes en situation d'urgence. Pompier, peut-être ? « J'étais médecin, avant, répond-il avec un sourire sans joie, parce que l'égoïsme des gens ne l'a jamais franchement amusé. Vous avez pas idée du nombre de patients qui finissent dans des états catastrophiques parce que personne n'a jugé utile de les alerter sur leur état ou de leur donner un coup de main au bon moment. Je vois parfaitement ce que vous voulez dire. »
Jim porte la roue décrochée jusqu'à l'arrière de la voiture, et la laisse sur le sol tandis qu'il emporte la roue de secours jusqu'à l'angle avant droit du véhicule. L'inconnu qui lui vient en aide, lui, semble avoir fini son inspection. « Les autres pneus n’ont pas l’air endommagés, par contre ils ont l’air en sous-pression. Elle est peut-être restée un moment à l’arrêt non ?
– Hm, oui, répond Jim en se redressant pour dévisager l'inconnu par-dessus le toit de la voiture, les sourcils légèrement haussés sous le coup de la surprise. Vous avez l'oeil, c'est impressionnant. »
Il sourit, puis hausse les épaules avant de se pencher à nouveau pour installer la roue de secours à la place de la précédente. Sa voix est légèrement crispée par l'effort lorsqu'il continue : « Six ans, en fait. Je l'ai laissée dans un garage quand je me suis engagé dans l'armée puis j'ai fait quatre ans de prison alors j'ai pas vraiment eu l'occasion de la promener ces dernières années, plaisante-t-il naturellement. J'aurais dû vérifier la pression avant de prendre le volant pour un voyage aussi long. Enfin, c'est trop tard pour les regrets. »
De quelques coups fermes de sa paume sur la jante, il enfonce la roue tout au fond du rotor et récupère sa clé pour serrer les boulons. « Vous vous y connaissez, en bagnoles, ou vous êtes juste perspicace ? »

L’Homme ne me contredit pas concernant ma plainte sur l’altruisme, bien au contraire, il continue la discussion à ce propos tout en retirant enfin la roue « J'étais médecin, avant, Vous avez pas idée du nombre de patients qui finissent dans des états catastrophiques parce que personne n'a jugé utile de les alerter sur leur état ou de leur donner un coup de main au bon moment. Je vois parfaitement ce que vous voulez dire. ». Cela dit, son exemple est bien plus tragique que le mien.
Mais ce n’est pas ce à quoi je pense. Un médecin ? Sans que je comprenne encore pourquoi, je me questionne à ce sujet tandis que je remarque l’état de son véhicule. Un Homme grand, musclé, au visage exprimant quelque chose de dur, avec une voiture manifestement inactive, je ne l’aurais pas vraiment désigné comme un médecin au premier coup d'œil.
Ma méfiance ne fait que s’accentuer quand il se montre quelque peu surpris, voire gêné par mes questions « Hm, oui, Vous avez l'œil, c'est impressionnant. »

Mais il ne laisse pas planer le doute plus longtemps, et ne tarde pas à dissiper tout doute en faisant preuve d’une franchise admirable « Six ans, en fait. Je l'ai laissée dans un garage quand je me suis engagé dans l'armée puis j'ai fait quatre ans de prison alors j'ai pas vraiment eu l'occasion de la promener ces dernières années ». A vrai dire, je suis même gêné de lui avoir forcé la main sur le sujet. Je voudrais m’excuser, mais il enchaîne rapidement, ne me laissant rebondir qu’après une question supplémentaire « J'aurais dû vérifier la pression avant de prendre le volant pour un voyage aussi long. Enfin, c'est trop tard pour les regrets. Vous vous y connaissez, en bagnoles, ou vous êtes juste perspicace ?
-  Euh… Je suis de la police en fait… Mais je voulais pas… Enfin je suis désolé, c’est votre histoire, j’avais pas vraiment à m’en mêler. Le métier qui veut ça je crois, ça donne de mauvais réflexes... ».

L'inconnu répond immédiatement, d'une voix qui paraît incertaine à Jim, comme s'il était mal à l'aise. De là où il est placé, à genoux sur le chemin en train de serrer ses boulons, l'ancien médecin ne peut pas voir son visage, mais il l'écoute attentivement. « Euh… Je suis de la police en fait…
– Oh, lâche-t-il sous le coup de la surprise, les yeux légèrement écarquillés, sans avoir ni le temps ni l'envie d'ajouter quoi que ce soit.
– Mais je voulais pas… Enfin je suis désolé, c’est votre histoire, j’avais pas vraiment à m’en mêler. Le métier qui veut ça je crois, ça donne de mauvais réflexes... »
D'où le malaise. Il comprend mieux, et à vrai dire il est légèrement pris de court. Entendre parler de la police lui inspire immédiatement une certaine répulsion, et c'est un réflexe dont il ne peut pas vraiment se séparer. Cependant, rien n'obligeait cet homme à lui donner son corps de métier, surtout après avoir entendu une petite bribe légèrement problématique de son histoire. Sans doute a-t-il cherché à éviter que Jim ne l'apprenne par hasard et l'accuse ainsi de ne pas avoir été honnête. C'est tout à son honneur. « Je vois, grince-t-il malgré tout, le ton bourru. »
Pour être honnête, Jim ne sait pas non-plus comment réagir maintenant. Il devrait sûrement lui dire de s'en aller maintenant qu'il s'est assuré que les passagers allaient bien et que la voiture pourrait repartir ; il n'a pas vraiment envie de fricoter avec un représentant de la loi. Pourtant il hésite ; le malaise du flic ne doit pas venir de nulle part. L'ancien médecin réfléchit, en silence, serrant ses boulons les uns après les autres. Le blanc qui s'installe dans la conversation a quelque chose de franchement gênant. Repousser cet inconnu venu lui apporter son aide au prétexte qu'il appartient à la mauvaise catégorie de personnes serait stupide et il le sait ; maintenant c'est à lui de faire la part des choses avec ses a priori. « Ça doit pas être facile d'avoir un tempérament comme le votre et de bosser pour ces enfoirés du gouvernement, dit-il ensuite, sans pouvoir vraiment s'empêcher d'avoir un ton rêche, un poil désagréable. Vous avez l'air d'être quelqu'un de sympa. »
Un dernier coup de clé achève de serrer le dernier boulon et il se relève en époussetant son pantalon, levant le nez pour dévisager l'homme par-dessus le toit de la voiture. « Rien vous obligeait à vous arrêter ni à me dire tout de suite que vous étiez flic. J'apprécie votre honnêteté, mais vous devez entendre que c'est difficile pour moi de savoir à quoi m'en tenir maintenant que vous savez ce que vous savez. »
Se serait-il arrêté s'il avait su qu'il avait affaire à un taulard fraîchement libéré ? Les probabilités ont vraiment un drôle de sens de l'humour, parfois.

Ma révélation fait, comme je pouvais m’y attendre, son petit effet. Un peu comme si je venais d’annoncer à quelqu’un qui sort de prison qu’un flic était en train de l’aider à changer sa roue, en fait. Une envie de fuir en vitesse apparaît même en entendant le ton sur lequel il lance « Je vois ». Je n’ai pas grand chose à répondre à une telle réaction, lui demander s’il a encore besoin d’aide puis partir ? Apparemment ce ne sera pas nécessaire, il reprend de lui même le dialogue « Ça doit pas être facile d'avoir un tempérament comme le votre et de bosser pour ces enfoirés du gouvernement. Vous avez l'air d'être quelqu'un de sympa. ». Compliment ou reproche ? Bonne question. Mais je joue le jeu et lui répond tout de même « Oh vous savez, on aurait pas grand monde en bleu si c’était juste une question d’aimer le gouvernement. Vous m’avez dit avoir fait l’armée, je pense que c’est quelque chose que vous pouvez comprendre. »
Je réalise d’ailleurs en prononçant cette phrase que le passage de la case “médecin militaire” à “prison” est assez inhabituel, mais je ne pense pas qu’il soit très intelligent dans ce genre de situation de poser la question. De toute façon, c’est mon interlocuteur qui continue à diriger la discussion « Rien vous obligeait à vous arrêter ni à me dire tout de suite que vous étiez flic. J'apprécie votre honnêteté, mais vous devez entendre que c'est difficile pour moi de savoir à quoi m'en tenir maintenant que vous savez ce que vous savez.
Malgré moi, je hausse le ton pour lui répondre
- Je me suis pas arrêté parce que je suis flic vous savez, je me suis arrêté parce que j’imaginais que vous aviez besoin d’aide. De toute façon, j’ai pas l’écusson sur ma veste, je suis pas en service, donc le côté flic, vous pouvez même l’oublier. Je sais pas ce qu’il vous est arrivé à l’armée pour que vous détestiez les uniformes, mais je pense pas que tous les gens que vous avez rencontré là-bas étaient des enfoirés qui justifient ce dégoût. »