La dernière fois qu’il est venu au fleuve Mongetimor, Jasper a passé l’après-midi à entraîner son protégé. Aujourd’hui, c’est presque seul qu’il a décidé de revenir sur les berges. Presque parce que comme à son habitude, il est accompagné de son fidèle Corvaillus - sans lequel il n’aurait pas pu faire un trajet comme celui-ci aussi rapidement - et puis, il y a également Narcisse, l’Archéomire qu’il a eu le malheur de sauver une fois et qui, depuis, refuse de le lâcher. Alors à défaut de pouvoir s’en débarrasser, il s’est fait une raison. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’un Verpom vienne lui tourner autour sans la moindre raison apparente. Agacé, Jasper entreprend de le chasser au moment où il aperçoit une autre personne qui accourt dans sa direction. Il n’a pas le temps de se poser la moindre question qu’il la reconnaît instantanément et sans le moindre mal. Angarad. Celle qu’il considère encore comme la seule personne qu’il ait réellement pu aimer. Celle qui, désormais, prononce son prénom avec l’attitude la plus froide possible. Une réaction qu’il mérite de recevoir en pleine figure. Pour ce qu’il lui a fait, pour la vie qu’il s’est permis de faire miroiter à cette femme avant de tout abandonner. Leurs envies, leurs rêves, tout ce qu’elle représente, elle dans son entièreté. Il ne fait même plus attention au Verpom qui retourne près de sa dresseuse quand elle l’appelle. Est-ce qu’ils ont des choses à se dire ? Oui, des tas, incontestablement. Est-ce qu’ils ont envie d’avoir cette conversation ? Pas Jasper. Ce n’est pas pour rien s’il a soigneusement évité toutes interactions possibles avec Angarad durant tout ce temps. Tant d’efforts gâchés par un malencontreux hasard. Que faire à présent ? Partir ? Oser adresser au moins une parole ?

« Bonjour, Angie. », c’est ainsi qu’il l’appelait à l’époque. Ce surnom qui sonnait si doux et si mélodieux à ses oreilles lui paraît bien différent aujourd’hui. C’est la première fois qu’il le prononce depuis toutes ces années et ça le ramène à une réalité qu’il avait choisi d’oublier. Un autre chemin de vie qu’il aurait pu choisir mais devant lequel il a préféré fuir. Devant Angarad, il reste de marbre, ne laissant rien transparaître de ses émotions ou de ses sentiments. Mais intérieurement, il bouillonne. Difficile cependant d’agir comme d’habitude devant la seule personne qui le connaisse réellement. La seule qui l’ait vu sans aucun artifice ni faux semblants d’aucune sorte. A l’époque, l’Oswald a ouvert son âme à celle qui se tient face à lui. Aujourd’hui cependant, il a l’irrespect de la traiter presque comme si elle était une inconnue. « Ça faisait longtemps... », laisse-t-il alors qu’elle le salue rapidement. Oui, plus de trente ans sans s’adresser la parole, c’est long. Très long. Il a commencé à la revoir quand il est devenu champion il y a maintenant bien plus d’un an et durant les réunions mais jamais il n’a pris la peine d’entamer une conversation avec elle. Il pourrait s’inventer tout un tas d’excuses pour justifier ça mais la vérité, c’est qu’il avait peur de cette confrontation. Peur d’affronter son regard, peur d’affronter la haine qu’il était persuadé d’y lire. Et maintenant qu’il est confronté à cet instant, il n’a envie que d’une seule chose : fuir. Une nouvelle fois. « Je ne savais pas que tu serais là mais je n’ai pas l’intention de plus te déranger. », une excuse. Toujours une excuse qu’il se trouve alors qu’il commence à reculer, suivi par Hermès et Narcisse. La lâcheté à son état le plus brut.

Jasper a l’habitude d’être dans le contrôle de tout : de sa vie, de ses émotions, de ses envies. Alors quand il se retrouve dans des situations comme celles-ci, il ne sait pas comment réagir. Il y a toujours une bonne façon d’appréhender un moment mais face à Angarad, c’est plus compliqué. Il n’est pas un couard, l’Oswald ; les problèmes, il les affronte en les prenant à bras-le-corps parce qu’il a un plan pour s’en sortir, pour faire tourner les événements à son avantage. Pourtant, aujourd’hui, devant cette femme, il sent cet amer sentiment de panique monter en lui. Devant la réalité de l’unique histoire inachevée de sa vie, le champion préfère passer pour un lâche plutôt que d’avoir une conversation avec elle. Ça ne sera jamais que la deuxième fois. Ont-ils seulement encore quelque chose à faire ensemble ? L’un comme l’autre, ils ont repris leur vie en main après cet après-midi là. Jasper est devenu celui qu’il aurait dû être dès sa naissance même si ça a fait mal, même si c’était difficile de ne pas penser à elle chaque jour qu’Arceus faisait. Mais il a réussi au fil des années à tourner la page, du moins s’est-il convaincu de cela. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi c’est précisément aujourd’hui que le destin vient remettre en doute les décisions de plus de trois décennies ? Il n’est pas prêt, Jasper. Sans doute ne le sera-t-il jamais, finalement. A ses yeux, la seule conclusion logique est alors de partir, encore une fois. Oui, c’est sûrement en partie de sa faute s’ils ne sont plus parlés depuis si longtemps, il peut être capable de le reconnaître. De là à s’en excuser, autant espérer un miracle, ce sera plus réaliste.

Il tourne les talons avec la ferme intention de mettre fin à cette conversation sans même réellement lui laisser l’opportunité de commencer. Il est capable de faire comme si ces quelques minutes n’avaient jamais eu lieu. Comme si ça n’avait été qu’un rêve. Il l’entend lui reprocher d’oser s’en aller une fois de plus. Il l’accepte, Jasper ; tout comme il encaisse la pique qui suit. Et puis... Trois phrases. Trois phrases de sa part qui le font s’arrêter net. Oh, autant il comprend l’attaque sur la sensation de déjà-vu. Autant, la suite passe mal. Elle le provoque tout en le rabaissant dans un seul discours et si ça n’avait pas été elle, il aurait sûrement déjà eu un geste parfaitement regrettable dans la mesure où personne ne s’adresse à lui de cette façon sans en payer les conséquences.. « Tu veux qu’on en parle ? », commence-t-il en se retournant lentement, la voix dure et sèche, l’esprit piqué au vif. « Tu en es sûre, Angarad ? Vraiment sûre ? », des choses à dire, il en a. Des reproches à faire, également. Certes, il est parti sans se retourner ce jour-là mais ça aurait pu se passer de bien des manières. « Très bien, parlons-en. », poursuit-il alors qu’une lueur de colère passe dans son regard et qu’un rictus agacé déforme ses lèvres. « Tu me reproches d’avoir laissé tomber trop vite, de ne pas avoir cherché à aller plus loin. De ne pas m’être battu pour toi ? », il n’a peut-être pas assez insisté mais dans ce récit, il n’est pas le seul à blâmer. « Mais où étais-tu quand je suis allé voir ton père ? Où étais-tu quand il m’a jeté de chez lui comme si j’étais le dernier des pestiférés ? », c’est facile de dire après coup qu’on aurait été prêt à fuir pour l’homme de sa vie. « Ne me reproche pas de ne pas être allé contre ma famille alors que le simple fait de me rendre chez vous était perçu comme un acte de rébellion par les miens. », elle ne sait pas, les risques qu’il a pris pour qu’ils puissent un jour être ensemble sans avoir à se cacher. « Je refuse que tu me mettes tout sur le dos, que tu me critiques de cette façon alors qu’il a fallu que je m’en aille pour que tu trouves la force de dire merde aux Weaver. »

Il n’irait pas jusqu’à dire qu’il a rendu service, ce serait pousser le culot à son paroxysme mais c’est ce que ses mots peuvent sous-entendre. Il est dur, Jasper mais c’est ça, sa vérité. Celle qu’il a fait taire durant tout ce temps. « Tu voulais que je m’exprime, non ? C’est pas ce que tu voulais me faire comprendre avec ta remarque ? Satisfaite ? », les fois où Jasper s’emporte se comptent sur les doigts d’une seule main. D’habitude, il reste maître de sa personne en toutes circonstances. Sauf actuellement, les piques verbales ajoutées à des sentiments indescriptibles et bouillonnants ont eu raison de son indifférence habituelle. Et il se déteste, le fier PDG ; il se hait de se sentir si faible face à cette femme. Il se trouve pitoyable de ne pas être en mesure d’user de sa carapace face à elle. Trente-cinq ans et il constate qu’à ce niveau, rien n’a changé. Elle exacerbe ses sentiments, les fait flamber pour qu’au final, ils se brûlent tous les deux.

Il n’aurait jamais dû lui parler, il le savait mais ça été plus fort que lui. Elle l’a poussé à bout et maintenant, ils s’embourbent dans une discussion qui est aussi douloureuse pour l’un que pour l’autre. Alors pourquoi elle l’a forcé à faire ça, bon sang ? Une fois de plus, tout aurait été beaucoup plus simple si elle l’avait laissé tourner les talons, si elle l’avait laissé repartir d’où il venait. Ils auraient pu continuer de faire comme s’il n’y avait jamais rien eu entre eux. Des amours d’adolescence qui ne durent pas, ce n’est pas si rare. Mais voilà qu’elle le force à se montrer violent verbalement. Il n’a jamais souhaité en arriver là mais elle ne lui laisse pas vraiment le choix. Alors il pique et ne mâche pas ses mots parce que c’est sa manière de se défendre. Il se doute qu’elle ne va pas apprécier mais franchement, à quoi s’attendait-elle ? A des excuses ? Elles n’auraient pas été sincères. Il faut qu’elle se fasse une raison : Jasper n’est plus cet adolescent qu’elle a connu. Il a grandi, a compris certaines choses et a renoncé à d’autres. A l’époque, il avait quinze ans et des rêves plein la tête ; aujourd’hui, il n’est que l’homme pragmatique que la vie a fait de lui. Il se doute qu’il en est de même pour Angarad, c’est pourquoi il estime que cette conversation est complètement stérile. Cette dernière ne va nulle part et il aurait été judicieux qu’Angarad s’en aperçoive. Mais non, elle le somme de l’écouter et s’il note l’utilisation de son identité entière, il ne s’en inquiète pas. « Je suis toute ouïe. », rétorque-t-il alors qu’elle se met à le réprimander comme elle l’aurait fait à un gamin. Il déteste ça, Jasper. Elle le prend de haut, ose exiger qu’il baisse le ton parce qu’elle a sans doute déjà oublié que c’est elle-même qui l’a invectivé et pas de la façon la plus agréable qui soit. Alors non, il n’a pas l’intention de baisser le ton. Jasper a passé l’âge d’être traité de cette façon. Il ne voit pas bien ce qu’elle essaye de faire mais quand elle s’avance de quelques pas, pointant son index dans sa direction, le champion ne bouge pas d’un iota. Si elle essaye d’être intimidante, ça n’a clairement pas l’effet escompté. Il n’est pas né celui qui fera, ne serait-ce qu’un tout petit peu, vaciller Jasper Oswald.

En revanche, elle se débrouille très bien pour accentuer un peu plus la colère qu’il ressent. Peu importe ce qu’elle cherche, ce n’est pas une bonne idée. Oui, il lui a balancé ses erreurs sans le moindre tact mais elle voulait qu’il parle et c’est ce qu’il a fait. Est-ce qu’elle peut seulement se targuer d’être mieux que son cadet quand elle se trouve une excuse pour ne pas l’avoir soutenu quand il est venu demander sa main à son père en ajoutant qu’elle au moins, elle n’a pas suivi les traces de sa famille ? « Tu as raison. », qu’elle ne se réjouisse pas ; le fait que Jasper accorde ce point n’est absolument pas positif. C’est une de ses stratégies : donner raison à quelqu’un pour mieux argumenter par derrière. « Je suis devenu le fils parfait que mon père attendait. Et tu sais ce que ça m’a apporté ? La stabilité. J’ai récupéré la charge de l’entreprise familiale que je gère d’une main de maître. Je suis devenu champion. J’ai tout ce dont j’ai besoin, Angie. », ils auraient fait quoi s’ils étaient, au hasard, partis vivre ailleurs, possiblement dans une autre région ? Dans un premier temps, ça aurait probablement été l’aventure. Et après ? Ils auraient fait le pari débile de vivre d’amour et d’eau fraîche ? Allons, ils ne sont plus des enfants qui rêvent au grand amour depuis bien longtemps ; l’un comme l’autre, ils savent que ça n’aurait pas été une vie décente. « Et toi... Tu as fait la seule chose qui s’imposait en rompant tes liens avec les Weaver. Ça t’évite d’être associée aux responsables de la plus grande catastrophe de ce siècle. Chacun a trouvé son compte. », les mots sont durs, claquants mais ils sont réalistes. Depuis dix ans, Jasper est convaincu de la responsabilité des Weaver dans le cataclysme qui a détruit l’ancienne capitale de la région, cette tragédie qui a ruiné des millions d’autres familles qui n’avaient rien demandé. Mais bien sûr, c’est Jasper qui n’avait pas l’intérêt de suivre le chemin proposé par les siens. Bien sûr, ce sont les Oswald qui sont haïs par plus de la moitié de la population de Lathea. Qu’elle ne sorte pas cette carte, c’est complètement inutile.

Oui, il voulait prendre la fuite. Si c’est son reproche, il n’a rien à ajouter. Couper court à cette conversation, c’était ce qu’il y aurait eu de mieux à faire mais il avait oublié, Jasper. Il avait oublié à quel point elle pouvait se montrer têtue. Et quand enfin, elle révèle ce qui maintenant la dérange, le Lathéen grince des dents. Il n’en revient pas de ce qui lui passe par la tête. Oh, elle a très bien compris qu’il n’avait pas la moindre envie de lui parler, qu’il faisait tout pour l’éviter à chaque fois. Ce n’est pas ça qui le surprend. Comment peut-elle penser que ce qu’il y a eu entre eux n’a pas compté pour Jasper ? Il hausse les sourcils. Évidemment, ça a si peu compté à ses yeux qu’il ne s’est jamais marié par la suite. Et il en a eu des prétendantes, ça n’a jamais été le problème. Il a tenté avec certaines, il en a repoussé d’autres. Seulement, quoi qu’il ait fait, ça n’a jamais marché. Pourquoi ? Simplement parce que même s’il n’a rien à reprocher aux demoiselles qui sont passées après Angarad, aucune n’a su embraser son cœur comme elle avait su le faire. Toutes ces années, alors qu’il était dans les bras des autres, il n’a pourtant jamais cessé de songer à cette beauté glaciale qu’il a aimé d’un amour bien trop fort, bien trop passionné. Mais Jasper Oswald est trop fier - ou trop con - pour admettre à haute voix cet état de fait, pour dire qu’aucune autre histoire n’a jamais autant compté que la leur. Il préfère la laisser penser qu’il la déteste, c’est beaucoup plus simple à gérer. « Pour quelqu’un qui dit avoir refait sa vie, tu te poses beaucoup de questions sur la relation que nous avions. », rétorque le champion, en donnant à ses mots l’illusion d’un aplomb et d’une indifférence qui en deviennent effrayants. Il peut comprendre que cette situation ne soit plus possible pour elle, il peut comprendre qu’elle souffre de son comportement incontestablement égoïste mais s’il l’évite depuis tout ce temps, c’est justement parce que leur histoire n’a jamais rien eu d’anodin. « Si tu attends quelque chose de moi à ce propos, dis-le tout de suite. », qu’elle ne se méprenne pas : qu’il laisse entrevoir l’éventualité d’une porte de sortie ne veut pas dire qu’il va accepter sa réponse.

Tu es complètement désarmée devant lui. En fait, on dirait pas comme ça, mais tu es pudique de ce que tu ressens encore et depuis des années pour cet homme, combien même il a changé et qu'il est parfois difficile de le reconnaître. Tu as pourtant tellement envie de lui crier que tu l'aimes encore, que tu as besoin de lui, de ses bras. La souffrance qu'il continue de te donner à chaque fois que poses ton regard sur lui, alors qu'il t'évite d'avantage, un peu plus chaque fois que vous êtes proches sur le plan spatial de l'un et de l'autre, cette souffrance qui te consume de l'intérieure, ces souvenirs qui brûlent, partent en fumée à chaque fois. Comment tu pourrais oublier ce qu'autrui qualifierait d'amourette d'adolescents. C'en était pas une, tu le sais. Pourtant, il se comporte comme si c'était le cas, et pour ça, tu le détestes. Tu le détestes autant que tu l'aimes finalement. Tu meurs d'envie de lui dire tout ce que tu ressens, mais... t'es convaincue qu'il va encore te piétiner le cœur. Il faut se rendre à l'évidence, bien que la vérité soit douloureuse, ce sont des sentiments qui ne sont plus partagés. S'il n'a pas refait sa vie, c'est bien parce que ces sornettes ne sont plus faites pour lui, autant que tu estimes qu'à 53 ans, c'est également trop tard pour toi. L'âge qui avance, le temps qui te consume. Tu n'es plus aussi belle qu'avant, et ça faut se le dire sincèrement. Ces dix dernières années ont été rude pour toi. Le deuil de ton défunt mari et le fait que tu te sois d'avantage inquiété pour Jasper à Myrtha que pour l'homme avec qui tu étais sensé partagé un amour parfait, fort et vrai. Tout a été remis en question. Tu t'en es voulu. Longtemps. Plusieurs années. Puis, les prétendants ont commencé à revenir. Cependant, aucun n'était à la hauteur des deux hommes qui ont été capable de te faire vibrer. Cela dit, tu as perdu ton mari, tu as cherché Jasper partout dans les décombres de cette foutue ville en miette... Ce n'est pas pour autant que tu as eu des nouvelles de lui outre qu'à la télé alors qu'il descendait ta famille, qu'il remettait ça sur eux. Peut-être qu'il a raison, peut-être qu'il a tort. Tu t'en fous, si c'est leur faute, ils paieront le jour où ça sera prouvé. Par chance le Système Gaiä ne t'a pas relié à eux et à ce que pouvait dire Jasper. Se rendait-il compte qu'il pouvait foutre ta vie en l'air ? Sa colère contre ta famille, contre toi... elle est compréhensible. Est-ce que ça vaut le coup de détruire des gens ? T'en doute. Cependant, la bave du crapaud chez qui il se cache un prince, n'a pas atteinte la blanche colombe des neiges que tu peux être. Et parlant de la bave du crapaud... Il se montre encore et toujours blessant. Il a tout ce qui lui faut. Entre son discours sur ses choix et celui sur tes choix, c'est bien cette phrase qui t'as foutu le cœur en cendre une fois de plus. Seulement, aujourd'hui, tu es plus forte et aucune larme ne montre le bout de son nez comme c'était le cas il y a trente cinq ans. Chacun a trouvé son compte. Il y a des comptes que tu aurais quand même bien voulu éviter. Et surtout, ça n'a jamais été complet. Jamais. « Chacun a trouvé son compte ? C'est vraiment ce que tu penses ? » Tu roules des yeux. S'il a tout ce qu'il lui faut, tant mieux pour lui. T'en es heureuse et tu n'espérais pas moins... bien que t'espérais qu'il lui manquait toi. Faut croire que non. Pourquoi, tu t'acharnes déjà ? Tu ne sais plus vraiment. T'es quelqu'un de têtue, ça n'a jamais été nouveau. Cependant, est-ce nécessaire ? Il veut visiblement plus du tout te parler, te déteste et se porte mieux sans toi. A quoi bon ? Tu déglutis, démontrant une souffrance que tu tentes de ravaler, bien que ce soit clairement difficile. Puis, tu reçois une pique sur tes questions sur votre relation de l'époque. Crétin. Qu'est-ce que tu aimerais lui mettre dans la tronche plusieurs choses... Cependant, si tu t'en empêches, la boule dans ta gorges fait également le travaille. Pourtant, tu as de la répartie qui fuse dans ta tête, notamment lui dire qu'à Myrtha tu l'as cherché, lui. Que si ça n'avait pas été le cas, tu ne serais peut-être pas veuve. Ta culpabilité se porte là-dessus. Mais à quoi bon lui dire de toute façon ? Il va te répondre quoi ? Que tu as été idiote ? Probablement. Il aurait sans doute raison, d'ailleurs. Pudeur sur tes sentiments sensés être disparu, c'est une solution. Si tu attends quelques choses de lui ? Tu pensais avoir été claire, bien que tu pourrais rajouter tellement de chose sur ce que tu attends de lui, de vous. Tu ne sais d'ailleurs même pas quoi répondre, parce qu'après tout... qu'est-ce qui pourrait bien le convaincre de ne plus t'éviter alors que tu ne sais même pas ce qu'il te reproche. « J'attends que tu me donnes une explication sur ce que tu peux bien me reprocher. Qu'est-ce que j'ai pu faire de si horrible, pour que même poser le regard sur moi, te répugnes ? » C'est la première chose. « Notre histoire a beaucoup compté pour moi, je n'ai pas la prétention de dire que j'en suis arrivée là où j'en suis toute seule. » Le choix du passé volontaire, la maîtrise de ta voix qui se veut tremblante est parfaite. « Je pensais simplement que s'ignorer c'était ridicule et qu'il s'agirait peut-être d'arrêter. » Mais vu que tu ne sais pas à quel point, il te hait, c'est compliqué de mettre des mots. Surtout lorsque ton cerveau est en train de fumer par le surplus d'émotion. « On a plus 15 et 17 ans. Sont loin mes 17 ans. » trop loin. Tu hausses les épaules, ta voix se fait clairement plus douces, bien que ça risque de ne pas durer, c'est quand même Jasper que tu as en face de toi, bien que ce soit également la raison pour laquelle ta voix est douce en ce moment même : Parce que c'est Jasper. « Il serait peut-être temps de se comporter un minimum comme des collègues. » Combien même la notion de collègues chez Jasper est surfaite, et tu le vois bien dans sa façon d'être avec Mallory. En fait, tu réclames un minimum de relation entre vous deux. Peut-il vraiment foutre en l'air ce qu'il s'est passé entre vous ? Après l'échange que vous venez d'avoir ? Tu t'y attends.

L’amour, ça n’a jamais aidé Jasper à avancer dans sa vie. Ça n’a jamais été essentiel dans sa progression. Ou alors, peut-être s’est-il inconsciemment convaincu que c’était sans importance. Dans ce cas, pourquoi se sent-il aussi perdu face au regard de cette femme ? Pourquoi perd-il son temps à lui répondre alors que dans d’autres circonstances, il n’aurait pas eu la moindre hésitation pour tourner le dos et envoyer balader tout ça d’un simple geste de la main. Il y a cette sensation qui lui vrille l’estomac lorsqu’il est en face d’elle. Cette impression qu’il préfère nier plutôt que de chercher à comprendre. Il n’aime pas ce qui se passe en sa présence, il n’aime pas parce que ça remet trente-cinq ans de sa vie en question. Il s’est répété durant des années que ça n’avait été qu’une amourette adolescente comme il y en a plein, se forçant à nier toutes les autres pensées susceptibles de traverser son esprit. Il avait un objectif clair qu’il se devait d’atteindre et pour ça, il n’y avait pas de place pour les distractions. Apprendre, se former pour être le digne héritier de son père. C’était la seule chose qui comptait. Son avenir était tout tracé pour peu qu’il y mette un peu de bonne volonté et c’est ce qu’il a fait. Il est devenu le prédateur, le requin dans l’océan qu’est le monde des entreprises parce que c’était ça ou se faire manger. Il a très rapidement fait son choix. Et tout ça, ça lui convenait... Jusqu’à ce qu’il la revoit à la présentation des champions et qu’il se prenne une violente claque dans la gueule. Elle était toujours aussi belle et il n’a pas fallu longtemps pour qu’il la reconnaisse. Néanmoins, Jasper étant ce qu’il est, il a décidé de faire comme si de rien n’était et aujourd’hui encore, il continue dans cette idée. Quitte à être cassant, quitte à être blessant. Certains le considèrent comme un monstre, il le sait très bien. Et parfois, ils n’ont pas tout à fait tort. « Je dis toujours ce que je pense, Angie. », menteur. Cette simple phrase est la preuve qu’il manie les mots au gré de ses envies et de ses besoins. Un politicien, un businessman, c’est ça sa véritable apparence à l’heure actuelle. Il maquille ses pensées, utilise le verbe pour formuler une semi-vérité : matériellement parlant, il ne manque de rien ; sentimentalement parlant, il n’a même pas conscience qu’il refoule tout. Depuis le temps qu’il vit ainsi, il a appris à s’en accommoder. Alors oui, c’est peut-être dur à entendre mais pourtant, chacun a trouvé son compte. C’est comme ça, que ça plaise ou non.

Elle espérait sans doute une autre réponse, une qu’il n’est pas en mesure de lui apporter. Du moins, il ne l’est plus. Jasper n’a plus rien à voir avec le garçon qu’elle a connu autrefois. Ce serait bien plus raisonnable qu’elle s’en rende compte et surtout, qu’elle l’accepte. Pourquoi ne veut-elle pas se faire à l’idée qu’il est satisfait de la vie qu’il mène actuellement ? Pourquoi faut-il qu’il en vienne à la faire souffrir pour qu’elle se détache ? A la piquer un peu plus ? Pour qu’elle accepte l’évidence : c’est fini. L’idée semble avoir du mal à faire son chemin alors il accorde une dernière faveur : la possibilité de s’exprimer à son tour, de lui dire ce qu’elle attend. « Les vieilles blessures ont la peau dure, tu le sais. Te regarder, c’est me tourner vers un passé qui n’est plus, c’est voir l’échec cuisant d’un chemin que j’ai failli prendre alors que j’ai maintenant un avenir clair devant moi. Ce n’est pas ta faute, seulement celle de la tournure des événements. », c’est revoir ce que j’ai abandonné ce jour-là et rester incapable de te dire que tu ne me répugnes pas. « Tu devrais t’attribuer les mérites. », tu as été l’histoire la plus importante de ma vie et tu peux être fière de ce que tu as fait, je pense sincèrement n’avoir pas grand-chose à faire là-dedans. « Arrêter ? Pour avoir plus souvent ce genre de conversation ? Ce n’est agréable pour aucun d’entre nous, tu le vois bien. », à échanger à qui hurlera le plus fort ? A qui sera plus douloureux envers l’autre ? Il n’a pas envie de ça, Jasper ; pas avec elle. « Justement, nous ne sommes plus des adolescents depuis bien longtemps. En plus d’un demi-siècle de vie, nous avons changé. », il voit où elle veut en venir mais ses pensées égoïstes refont rapidement surface : il ne veut pas prendre le risque d’instaurer un lien entre eux même si l’idée est d’essayer de partir sur des conversations bénignes. Même si elle s’adresse à lui de cette voix douce qui le faisait chavirer à l’époque, même si sa propre voix s’est naturellement adoucie en entendant Angarad. « A mon sens, c’était déjà ce que nous faisions. », il aurait pu faire pire que l’ignorer. Il n’y a qu’à voir comment ils se critiquent avec Mallory ou comment Shade le regarde - lorsqu’elle daigne le faire. Dans l’immédiat, il n’y a guère que Cléora qui arrive à le supporter. Quant à ses collègues de bureau, Jasper n’est pas tendre avec eux dans la mesure où il exige l’excellence. Non vraiment, elle ne veut pas qu’il la traite comme une collègue. Ce serait la pire des choses.

C'est malheureux de devoir reconnaître que tu n'as jamais pu tirer un trait sur votre relation. Jasper a été extrêmement important pour toi, et vous voir vous comporter des inconnus consume ton cœur un peu plus chaque jour. Ce cœur de glace qui ne peut rivaliser face à la destruction du cœur d'acier. Cette relation qui a toujours eu de l'importance à tes yeux, cette relation qui n'est plus et qui t'a brisé sans avoir la possibilité d'une reconstruction efficace. Bien sur ton mari a tenté de ramasser les morceaux, et tu étais heureuse avec cet homme. Jusqu'à ce que la catastrophe de Myrtha te l'arrache, jusqu'à ce que tu te surprennes à t'inquiéter en priorité pour cet abruti en face de toi, qu'à celui qui avait promis d'être là pour toi pour le mieux ou pour le pire. Qu'à fait Jasper lui ? A la première difficulté, il a provoqué le pire en partant. Et depuis ? Le silence complet. Pas même des mots échangés lors des réunions des champions, chacun faisait comme l'autre n'existait pas. Bien qu'il dit toujours ce qu'il pense, que ça te plaise ou non. Sauf qu'il se trompe. « TU as trouvé ton compte. Tant mieux pour toi. » Dis-tu en roulant des yeux. Egoïste ? Ce n'était pas ton souvenir de lui, mais faut croire que si les blessures ont la peau dure, elles provoquent surtout des changements déplaisants. Tu l'écoutes, jusqu'au bout, sans le coupé. Ta mâchoire se contracte au fur et à mesure que les mots de l'homme d'acier sortent de sa bouche. Piquée, blessée, peinée, déçue... tu étais à peu de chose de laisser une larme coulée le long de ta joue mais, il est hors de question que tu t'abaisse à ça. Plus maintenant. « Bien. » C'est en déglutissant que tu parviens enfin à sortir un simple mot. Ravalant tes émotions, aussi difficilement que ça puisse être. Tu l'as entendu, tu l'as compris. Le chemin vers toi n'est plus ce qu'il veut. Qu'il en soit ainsi. Associé votre relation à un échec, est ce qui est le plus blessant, surtout dans sa façon de le dire. « Continuons de nous comporter comme des inconnus. De toute façon, je ne te connais pas. Je ne te connais plus. » Mots durs à dire comme à imprégner dans ta mémoire. Il est peut être temps de tirer un trait sur ce que tu as connu et sur ce que tu voudrais retrouver : ça ne sera jamais pareil et surtout, cet homme n'existe plus. Une amitié même ne serait pas possible. Tu n'as rien d'autre à ajouter finalement, il a gagné. T'abandonnes. « Et ce n'est pas un compliment. » Oh non, tu n'aimes pas vraiment cet aspect d'égoïste, de lâche et encore moins sa froideur qui ne lui ressemble pas. « Et surtout, je voudrai pas gâcher ta vie en reprenant un semblant d'amitié. T'es seul, t'es bien seul, alors restes-le. J'ai passé l'âge de courir après qui que ce soit. » Ton cœur se brisant de nouveau, tout ce qui avait pu être recollé retombant en morceau en mettant ce fait en évidence. « Je t'en prie, fais ce que tu as à faire. » Vas t-en. Encore. Sans te retourner.

Plus le temps passe, plus l’acier est un élément qui correspond de mieux en mieux à Jasper. Aussi solide et froid que ce métal, l’industriel n’a aucun mal à asséner des mots douloureux sans laisser paraître la moindre trace de scrupule. Malheureusement aujourd’hui, c’est elle qui en fait les frais et de tout coeur, il aurait préféré ne pas avoir à en arriver là avec Angarad. Elle est importante pour lui, elle et tout ce qu’elle représente mais dans la configuration actuelle de sa vie, il n’y a pas de place pour leur histoire. C’est ce qu’il tente de lui faire comprendre depuis le début de leur conversation ; en usant de mots violents, il en a conscience mais Jasper sait aussi que c’est le seul moyen pour qu’elle lâche prise. Pour qu’elle cesse de s’accrocher à ce passé et qu’elle accepte de le laisser où il est. C’est bien ce qu’elle a réussi à faire durant un temps, non ? Alors le champion ne comprend pas pourquoi maintenant, ce serait différent. Pour Jasper, c’est illogique, il n’y a aucune raison qui puisse justifier qu’elle ait voulu qu’il cesse de se murer dans son silence. Et d’un autre côté... Il ne sait pas. Même s’il est parti à l’époque, il ne peut pas totalement affirmer que la championne glace le laisse de marbre, bien que ce soit ce qu’il s’évertue à faire croire. « Tu penses que je suis le seul ? Tu as refait ta vie, pas vrai ? Et c’était sans doute la meilleure chose à faire. », on pourrait croire qu’il essaye de se rassurer mais ce n’est pas le cas. Seulement, il ne voit pas Angarad être restée célibataire éplorée. Une battante a toujours sommeillé dans l’esprit de cette femme, il en est convaincu. Qu’elle sous-entende qu’à l’heure actuelle, elle n’a pas tout ce qu’elle pourrait désirer, il a du mal à l’entendre.

D’aucuns diraient qu’il en avait une image idéalisée à l’époque mais Jasper est certain du contraire. Lui a changé, de par son travail qui lui a permis de comprendre que ses propres profits sont souvent plus importants que le reste. Peut-être que le jeune adolescent de quinze ans qu’il était ne serait pas fier de constater ce qu’il est devenu désormais mais le fait est que l’Oswald s’en contente à merveille. Il assume ses faits et gestes sans un quelconque souci. Il répond aux interrogations d’Angarad tout en sachant que les réponses ne sont pas celles qu’elle aurait aimé entendre mais pourtant, c’est bien l’avis de Jasper. C’est bien sa version des faits et il l’admet, ce n’est pas facile à entendre mais c’est comme ça. Finalement, la réponse d’Angie le surprend : elle accepte ses mots, difficilement - il ne manque pas de le souligner intérieurement - mais elle n’insiste plus sur l’idée de retrouver des discussions. Enfin, il a l’impression qu’elle commence à se faire au fait qu’il a grandi en prenant une autre direction et que même si le passé est ce qu’il est et que leur relation a compté, il ne voit pas comment ça pourrait fonctionner aujourd’hui - ou peut-être qu’il ne veut simplement pas faire l’effort. « J’ai jamais caché que je n’étais plus le même. », pourtant, même s’il n’en laisse rien paraître, ces mots prononcés par Angarad font mal. Il les a cherchés et il sait pouvoir les encaisser mais ça ne change rien à la violence qu’elle lui renvoie de manière légitime. Évidemment que ce n’est pas un compliment, il l’a perçu dans sa voix. « Il vaut mieux être seul que mal accompagné. », elle ne lui apprend rien, ça fait des années qu’il avance à l’aide de ses propres forces. Il n’a jamais rien attendu de personne et c’est une leçon de vie que chacun devrait connaître. « Tu me laisses partir ? Tu as eu les réponses que tu attendais ? », partir sans se retourner, il l’a déjà fait et il peut recommencer.

« Et Arceus me l'a repris. » Rétorques-tu sur un ton sec et froid comme pour clôturer le fait que tu n'as pas trouvé ton compte. Et puis quoi ? Il va insister sur le fait que tu l'as trouvé ? Tu sais quand même mieux que lui si tu es heureuse ou pas, te semble-t-il. Tu roules des yeux agacés par son comportement à t'en demander pourquoi tu as lancé un sujet de conversation avec Jasper. Au delà le fait que Jasper passe son temps à t'esquiver, ce qui te blesse un peu plus chaque jour depuis 35 ans, on ne peut pas dire que tu as tout ce que tu souhaites. Ton rêve d'être un jour maman s'est envoler quand les médecins t'ont que ça te serait impossible, puis une deuxième fois quand Myrtha s'est écrasé sur ton époux. Il ne te reste plus qu'une chose : faire enrager les Weaver restant. Après tout, tu commences à douter concernant la vie de ton jumeau, à le chercher, tu t'imagines le retrouver mort dans un fossé. Et l'autre abruti en face de toi, insinue que tu as tout ce que tu veux. La naïveté n'a visiblement pas d'âge. Les mots de Jasper continue d'être poignant et blessant. Et en fait, au lieu de te blesser, il commence surtout à t'agacer. Tu essaies de garder ton sang froid, mais il a ce don de te faire sortir de tes gonds. Mal accompagné ? Oh très bien. « Je ne voudrai pas mal t'accompagner, Jasper. » Dis-tu en haussant les sourcils et levant le menton en direction du chemin derrière lui. Il veut se casser, bah qu'il le fasse. Tu ne tourneras pas les talons la première, c'est son domaine et tu lui laisses avec plaisir. « Pour avoir ma réponse j'ai ma réponse. Ma conclusion, je vais te la dire. » Tu souris rapidement en coin avant que ton visage se referme. Oh parce que ta conclusion lui plaira pas. « T'es un crétin. » Non ce n'est pas tout, et tu vas piquer là où ça fait mal dans quelques minutes. « Et il est bien plus agréable de parler avec le champion de Castlerain que celui de Lencliff. » Meilleure conclusion. Tu apprécie Mallory, c'est un bon gamin. Cela t'exaspère que Jasper s'en prenne à lui comme si le champion d'acier avait 15 ans. Tu n'as rien à ajouter et en fait tu ne sais pas s'il va décider de partir là, ou s'il va rétorquer. Tu supposes qu'il serait parti si tu n'avais pas parlé du fait que Mallory est sans aucun doute plus agréable que lui. Bien que le bon comportement serait de partir avant de dire des choses que Jasper pourrait regretter, mais vu l'abruti qu'il est devenu, tu doutes qu'il fasse la bonne chose.

Jasper ne peut pas prétendre connaître les détails de la vie d’Angarad, pas depuis qu’il l’a quittée ce jour-là. En cet instant, il ignore jusqu’à quel point la catastrophe de Myrtha a pu atteindre la Weaver. Néanmoins, le champion de Lencliff comprend qu’il a peut-être minimisé les souffrances de celle qui lui fait face lorsqu’elle annonce qu’Arceus a repris ce qu’elle a pu construire. Pourtant, extérieurement, il reste de marbre face au ton sec et froid employé par la championne de Jude’s Creek. A la base, Jasper n’avait pas envie d’avoir cette discussion, c’est pourquoi il n’a pas l’intention d’insister sur des sujets sur lesquels ils ne vont de toute façon pas être du même avis. Du reste, si ses mots ne plaisent pas à Angarad, il se persuade qu’elle ne peut en vouloir qu’à elle-même. Après tout, elle est à l’origine de ces retrouvailles chaotiques. Même si mettre fin à trente-cinq années de silence ne pouvait, de toute manière, pas se faire dans le calme et la sérénité. Peut-être était-ce aussi pour ça que Jasper repoussait constamment cette conversation. Il savait que ça allait tourner au vinaigre et au fond, il n’avait probablement pas envie de l’assumer. Désormais, c’est trop tard : dedans jusqu’au cou, il se montre cassant et blessant envers cette femme pour laquelle il a pourtant toujours eu beaucoup de respect. Oui, il se comporte comme un abruti avec elle mais à ses yeux, c’est le comportement le plus approprié.

Évidemment, la conclusion logique de tout ceci ne tarde pas à arriver jusqu’à lui. Ses mots agacent la championne glace qui ne manque pas de le lui faire comprendre par ses gestes. Comment lui en vouloir de réagir ainsi alors qu’il lance lui-même des mots auxquels il ne croit pas un seul instant ? A une époque, il ne se serait pas vu avancer sans elle, sans sa compagnie. Aujourd’hui pourtant, il fait tout pour qu’elle reste la plus éloignée possible. Alors même si la réponse d’Angarad fait mal, il l’encaisse parce que c’est ce qu’il a cherché. Il n’ajoute rien, Jasper ; le mouvement du menton de la policière en direction du chemin lui fait comprendre qu’ils approchent de l’épilogue de ces retrouvailles mouvementées. Si elle a peur de tourner les talons en première, ce n’est pas le cas de l’Oswald qui aura tôt fait de se convaincre qu’il n’a aucun remord en agissant ainsi. Néanmoins, il prend la peine d’attendre qu’Angarad termine de s’exprimer suite aux réponses obtenues. Sa conclusion, donc ? Jasper est un crétin. Même si entendre ça venant d’elle n’est pas agréable, il s’y attendait et à vrai dire, c’est une autre réaction de la part de la championne qui aurait été surprenante. Quoi qu’il n’était pas franchement préparé pour la pique qui suit. « Dans ce cas, tu devrais aller tenir la jambe à Mallory plutôt que de perdre ton temps avec moi. », rétorque le champion acier, un rictus désapprobateur affiché sur les lèvres. Elle le fait exprès. Elle sait que les deux hommes ne se supportent pas. Leur vision des choses est diamétralement opposée alors forcément, lorsqu’ils se rencontrent, c’est tendu. Et s’il arrive que ça vienne de Jasper, ce n’est pas toujours lui qui entame les hostilités avec le champion spectre. « Je crois que nous avons tout dit, Angarad. », achève-t-il froidement, n’ayant guère envie de pousser cette conversation plus loin et d’avoir davantage de regrets. Alors comme pour faire écho au passé, Jasper réitère le même geste exécuté il y a trente-cinq ans : lentement, il tourne les talons, faisant dos à Angarad avant de s’éloigner sans se retourner une seule fois...