Jim était déjà venu à la Lumiclairière, quelques fois, avant que sa vie ne parte en steak six ans plus tôt. Il aimait le calme de l'endroit, ses lumières apaisantes, bien différentes de sa pourtant adorée Myrtha. L'harmonie qui existait alors entre humains et Pokémon le subjuguait de bien des manières, mais l'absence de l'Homme de cet endroit était étrangement reposant, ici. Il n'a pourtant jamais été misanthrope. Peut-être qu'il avait simplement besoin de souffler, de temps en temps.
Aujourd'hui, c'est la curiosité qui porte ses pas jusqu'à cet endroit. Il a envie de voir si son petit paradis a changé, et de tout cœur il espère que non. Myrtha n'est plus là ; il ne manquerait plus que le Système Gaïa ait empoisonné la Lumiclairière aussi.

C'est donc avec un soulagement certain que Jim traverse finalement le boyau rocheux qui permet de rejoindre la clairière, sous la cascade. Il secoue ses cheveux mouillés d'un geste distrait en parcourant l'endroit d'un regard émerveillé, exactement comme avant. Ça n'a pas changé, alors, se dit-il tandis qu'un sourire bienheureux vient étirer ses lèvres. « C'est superbe, hein ? dit-il à Céléno, qui l'a étrangement suivi jusqu'ici et qui vient même se poser sur son épaule, muette comme elle l'est rarement. Tu connaissais pas ? »
Pas de réponse, sans surprise. Il sourit de plus belle, et retire ses chaussures pour marcher pieds nus dans l'herbe tendre de la clairière, comme il le faisait jadis, en silence, en se laissant gagner par la quiétude des lieux.
Quelques minutes après son arrivée, l'homme ne tarde pas à entendre du remue-ménage un peu plus loin ; des aboiements visiblement joyeux, qui le surprennent pourtant. Il ne savait pas qu'il y avait des Pokémon canins ici, et on dirait clairement un Rocabot : les jappements sont rocailleux. Curieux, Jim se dirige vers l'origine des cris et s'il se satisfait d'abord d'avoir reconnu le Pokémon dont il est question, il s'immobilise de surprise en découvrant un garçon visiblement humain, roulant dans l'herbe avec le Pokémon. L'étonnement passé, il sourit, franchement attendri devant un tel spectacle ; la complicité entre ces deux-là est évidente et elle fait plaisir à observer. « Bonjour ! lance-t-il gentiment. Vous avez l'air de bien vous amuser tous les deux. »
Son intervention attire l'attention des deux individus et Jim sourit, aimable. Il s'étonne cependant de découvrir que le garçon est un peu jeune pour se balader ici tout seul, même avec son ami à quatre pattes. Et puis, pourquoi est-il aussi peu vêtu ? « Tu t'es fait voler tes vêtements ? »

Une chose était certaine, lorsqu’on les observait, c’était que Loup et sa sœur canine s’amusaient comme des fous, dans ce havre de paix et de nature qu’ils visitaient pour la première fois… Plus rien n’existait, si ce n’est eux. Eux, et leurs jeux, bien évidemment… Comme la famille qu’ils étaient, ils jouaient avec une complicité évidente. Une complicité qu’ils avaient depuis des années maintenant, et qui ne les quitteraient probablement jamais… Une complicité, également qui ne devait pas passer inaperçu aux yeux du monde extérieur. Même si, pour l’instant, le monde extérieur ne se composait que de Pokémon curieux qui s’approchaient d’eux pour voir ce que cet humain faisait avec leur congénère à quatre pattes, ou encore de Pokémons, plutôt craintifs de leur côté, qui préféraient s’éloigner de ce duo un peu trop bruyant pour eux. A moins que…

… A moins qu’une présence humaine ne s’invite dans ce cadre idyllique… En effet, alors que Loup s’amusait à rouler par terre avec Rocabot, se faisant au passage lécher le visage avec enthousiasme, une voix se fit entendre. Une voix qui, apparemment, tentait d’entamer une conversation avec l’autre représentant de son espèce qu’il avait en face de lui. Sauf que, comme d’habitude, le jeune garçon ne comprit pas un traître mot de ce qu’il lui était raconté… Alors, plutôt que de lui répondre, comme son interlocuteur s’y attendait probablement, il se redressa, à quatre pattes bien évidemment, et toisa l’homme du regard. Une position que la Rocabot adopta également mais, de son côté, cela paraissait peut-être un peu plus normal… En ce qui concernait Loup, l’humain qui lui avait adressé la parole ne s’attendait probablement pas à ce qu’un jeune garçon se mette à lui grogner dessus, comme s’il était un Pokémon lui aussi. Et pourtant, ce fut bien le cas… Méfiant, le Weaver adopta une position de défense et grogna en même temps que son Pokémon. Aucun mot ne sortit de sa bouche, seulement ce bruit guttural…

La chose pouvait paraître étrange, pour cet humain qui semblait penser que Loup n’était qu’un jeune garçon jouant avec son Pokémon et ayant perdu ses vêtements, mais il allait probablement réaliser assez vite que ce n’était pas ce qu’il croyait… D’autant plus que, après avoir grogné, Rocabot et son "frère" se mirent à lui tourner autour, l’une reniflant avec méfiance l’homme tandis que l’autre observait chacune de ses réactions, essayant de savoir s’il leur voulait du mal ou si, au contraire, c’était un ami…

Jim est quelqu'un de sociable. Il lui est arrivé un nombre incalculable de fois d'avoir affaire à des individus très différents de lui, venus d'autres milieux, avec d'autres principes, d'autres valeurs, d'autres comportements. En tant que médecin, il a vu défiler tout un tas de gens de tout un tas de catégories sociales, et il a cette capacité qu'il juge lui-même admirable de communiquer de façon agréable et sympathique avec à peu près n'importe qui et peu importe l'avis qu'il a sur la personne en question.
Mais ça. Ça, ce qui se passe tout de suite, il ne l'avait jamais vu et il ne l'a très clairement pas anticipé. Adoptant exactement la même attitude dans une mécanique qui semble extrêmement bien huilée, le Rocabot et le garçon se dressent sur leurs quatre pattes, bien droits en face de lui, et le jaugent comme l'auraient faits deux Pokémon sauvages sur la défensive. Ils grognent, même, alors Jim est bien incapable d'empêcher ses sourcils de se hausser sous le coup de la surprise.
À vrai dire, il ne regarde même pas vraiment la créature canine qui s'approche de lui pour renifler ses mollets en restant à bonne distance ; il connaît bien les Pokémon, il sait que celle-ci n'aurait aucune raison de l'attaquer tant qu'il ne se montrera pas agressif ou inquiétant - et de toute façon, Céléno se tient sur ses gardes, elle-aussi : il a senti ses petites pattes se crisper sur son épaule.
Ce qui le choque bien plus que toute autre chose, c'est le garçon ; parce qu'il grogne lui-aussi et qu'il l'observe avec toute la méfiance dont pourrait faire preuve un véritable Pokémon. « Euh... y a un problème ? demande-t-il, gagné par la plus grande des perplexités. »
La question à poser serait plutôt "t'as un problème ?" mais la réponse semble évidente, à vrai dire. À moins que... mais oui, c'est sûrement ça. « Attends, je sais : c'est un numéro de cirque c'est ça ? Un spectacle, une pièce de théâtre ? suppose-t-il, plutôt soulagé d'avoir trouvé une explication rationnelle. C'est très réussi, félicitations, mais t'es pas obligé de continuer tu sais. Même les grands artistes ont besoin de prendre des pauses. »
Et accessoirement ce sera plus facile pour discuter.

Cirque ? Artiste ? Qu’est-ce que cet étrange humain chantait là ? Si Loup comprenait ce qu’il lui disait, il aurait probablement réalisé que c’était simplement un malentendu. Il aurait su que, en réalité, son interlocuteur ne s’attendait tout simplement pas à se retrouver face à un enfant sauvage. Sauf que voilà… Loup, en sa qualité d’enfant sauvage, justement, ne comprenait pas un seul mot du discours de l’homme. La seule chose qu’il savait, c’était qu’il était venu le déranger tandis qu’il s’amusait avec sa sœur adoptive, et qu’il tentait apparemment, comme beaucoup, de communiquer avec lui comme un humain normal. Ce qui expliquait probablement la méfiance dont le Weaver faisait preuve… Même si, en cela, le comportement du Pokémon sur l’épaule de celui qui semblait être son dresseur n’était pas des plus rassurant non plus… Ce n’était en tout cas pas lui qui allait rassurer notre cher Loup sur les intentions de son interlocuteur.

Mais, finalement, il n’y eut pas vraiment à se soucier du Sonistrelle puisque, souhaitant probablement protéger celui qu’elle considérait comme son frère, Rocabot se mit à l’observer du coin de l’œil, attendant probablement qu’il se décide à attaquer pour riposter. De son côté, Loup n’avait donc plus qu’à se soucier de celui qui lui sortait ces mots étranges qu’il n’avait entendu. Et justement, dans ce but, Loup s’arrêta finalement de lui tourner autour pour se placer juste en face de lui, puis grogna un dernier coup avant de s’asseoir par terre, le regard plongé dans celui de l’humain. De cette façon, il espérait l’intimider assez pour qu’il renonce à tenter de lui adresser la parole, ou tout du moins pour qu’il comprenne qu’il n’était pas face à un enfant ordinaire. Même s’il aurait déjà dû s’en rendre compte face à la tenue du jeune Weaver…

Mais peu importe ! Dans cette position, donc, le garçon ne bougea pas d’un pouce, attendant patiemment de voir comment l’homme allait réagir. Ou, tout du moins, il ne bougea pas d’un pouce, à part pour gratter son visage avec sa jambe… Rocabot, quant à elle, continuait de son côté à tourner autour du duo Sonistrelle – humain, le regard vissé sur le Sonistrelle, et elle ne semblait pas prête à les laisser s’enfuir, si du moins c’était ce qu’ils tentaient de faire. Même si elle était la plus jeune, c’était elle qui assurait le rôle de protectrice pour son "grand frère", si vulnérable sans certains sens qu’elle même possédait. En espérant que cela soit suffisant…

D'accord, ça devient vraiment bizarre ; non seulement le gosse ne répond pas, mais en plus son Rocabot le fixe d'un air de plus en plus agressif, bien qu'il ou elle ne semble pas décidé à passer à l'attaque le premier. Tant mieux. Lui, il n'a pas l'intention de se battre ; l'ennui c'est qu'il ne sait absolument pas quoi faire, là. Il serait sûrement impoli de s'en aller maintenant, mais quoi qu'il fasse il ne réussira pas à être aussi grossier que quelqu'un qui se gratte le visage avec sa jambe, hein. Comme un Rocabot. C'est super bizarre et à moitié dérangeant, concrètement, mais bon.
Jim soupire. La situation est d'une étrangeté dérangeante ; le gamin s'est assis sur les fesses mais son Pokémon continue de lui tourner autour, et aucun d'entre eux ne semble comprendre le moindre de ses mots.
Comment on communique avec quelqu'un sans saisir une seule phrase de sa langue ? Jim n'en sait rien, il a toujours eu le contact facile tant avec les gens qu'avec les Pokémon mais dans le cas de cet énergumène-là... enfin, si, se dit-il soudain. Il y a bien un langage qui soit universel, et il va le tester tout de suite, en commençant par le Rocabot parce que si celui-ci continue comme ça il va lui donner le tournis.

Jim s'accroupit donc au ras de l'herbe verte et lâche ses chaussures pour fouiller dans sa sacoche à la recherche de quelques baies qu'il ne manque jamais de garder avec lui. Pour la première fois depuis qu'il la connaît, Céléno ne se met pas aussitôt à piailler ; elle doit surveiller le Rocabot. Jim donne tout de même une baie à la Sonistrelle pour qu'elle se détende, puis en place quelques-unes dans le creux de sa main avant de tendre celle-ci en direction du Pokémon canin. « Eh, j'te veux pas de mal, dit-il gentiment au Pokémon, un petit sourire au bord des lèvres. Tu as faim ? Tiens, c'est pour toi. J'en ai plein. »

Toujours aussi méfiant, Loup restait assis sans rien faire. Il se contentait d’observer chacun des gestes de l’humain en face de lui, près à s’enfuir – ou à s’en prendre à lui – au moindre mouvement suspect. Rocabot, quant à elle, faisait la même chose, mais vis à vis du Sonistrelle posé sur l’épaule de l’homme… Tout était mis en œuvre pour éviter le moindre évènement risquant de mettre en danger la fratrie humano-canine. Mais danger il n’y eut pas. Au contraire, même, après un certain temps de réflexion, ce fut plutôt une tentative de contact qui fut tentée par l’homme étonnée. Bien entendu, lorsqu’il s’agenouilla, le Weaver et sa sœur ne purent s’empêcher de grogner une nouvelle fois, en chœur… Mais, en voyant ce qui était tendu, ce fut plutôt un jappement joyeux qui s’échappa des lèvres de la Rocabot… Intriguée, elle s’approcha lentement de la main de l’humain et renifla les baies, essayant probablement de savoir si elles étaient effectivement comestibles. Et, puisque cela était apparemment le cas, elle s’en empara de quelques unes qu’elle dégusta joyeusement. Puis, sans hésiter une seule seconde, elle attrapa les dernières dans sa gueule et les apporta à celui qu’elle considérait comme son frère…

Loup, de son côté, assistait à tout cela sans vraiment comprendre le changement de comportement de la Pokémon. Ou, tout du moins, ce fut le cas jusqu’à ce qu’elle dépose les baies devant lui. En effet, à ce moment-là, intrigué à son tour, le Weaver les renifla lui aussi puis, à son tour, les dégusta avec appétit. Et, immédiatement, toute la méfiance qui le caractérisait jusqu’à maintenant disparut… Il considérait à présent cet humain comme un ami. Un ami qui lui avait donné à manger et était gentil avec la Rocabot qui l’accompagnait… C’est donc tout naturellement que, se redressant sur ses 4 "pattes", notre cher jeune garçon s’approcha de ce nouvel ami pour tenter de lui réclamer d’autres friandises. Mettant en œuvre toutes les techniques qu’il avait apprises en vivant avec "maman Lougaroc", il frotta son museau sur les jambes de cet homme qui ne devait probablement rien comprendre à ce qu’il se passait, lui lécha la main, puis alla ensuite se coller à sa jambe en faisant ce que l’on pourrait appeler des yeux de Chacripan Potté. Loup espérait ainsi l’amadouer suffisamment pour qu’il lui donne encore plus de baies…

Quant à la Rocabot, elle semblait être suffisamment rassasié puisque, à présent, elle aboyait en direction de la Sonistrelle pour la pousser à venir jouer avec elle. Loin de ce climat de méfiance qui régnait entre les deux Pokémons depuis leur rencontre, il semblait maintenant régner une confiance un peu plus prononcée qu’avant. Du moins était-ce le cas du côté de la Rocabot, qui avait donc arrêté de surveiller la pauvre créature volante…