Jim adorerait passer tout son temps devant la maison des Esperanza pour être sûr de ne pas manquer la moindre apparition de la femme de sa vie, mais il va de soi que ce n'est pas comme ça qu'il va réussir à lui faire comprendre qu'il ne croit absolument pas à son petit numéro de donzelle effarouchée ; même si elle ne l'admet pas, elle est sûrement soulagée qu'il soit de retour dans sa vie, et dans celle de sa famille : après tout, sa présence a toujours été une bénédiction pour eux, au moins autant que la leur en a été une pour lui. Il fait partie de cette famille, c'est comme ça, et ce n'est pas parce qu'elle est contrariée d'avoir dû assumer les conséquences de ses actes en vivant sans lui pendant six ans que ça va changer quelque chose.

Alors il a décidé d'aller se balader et de découvrir un peu les coins de la région qu'il n'a pas eu le temps de visiter malgré les longues années qu'il a passées ici. Lathea est son nouveau foyer, et il trouve ça désolant d'aussi mal en connaître les trésors. Ces grottes Charbi par exemple, elles ont l'air charmantes ! Plus que Castlerain en tout cas, qu'il n'a jamais supportée, lui qui aimait tant Myrtha. Il a aussi une affection particulière pour Nathalia mais ça, c'est sûrement sa tendance à vouloir ramasser tous les Ponchien écrasés qu'il croise. Ou presque. Enfin, il n'est pas devenu médecin uniquement pour le prestige de la profession, quand même, il faut un peu aimer son prochain pour décider de consacrer sa vie à soigner des gens, qu'ils en vaillent la peine ou pas.

Sa voiture de luxe s'arrête avec majesté sur le parking à l'entrée des grottes. Le coin est charmant, en bordure de la forêt, au sommet d'une falaise ; c'est inhospitalier tout comme on aime pour une balade tranquille. Enfin, on lui a assuré que le coin n'était pas dangereux, et il vaut mieux que ce soit vrai parce que l'ancien médecin n'a pas pris de Pokémon avec lui pour se protéger en cas de besoin - et il se trouve qu'il n'a plus d'arme avec lui puisqu'il n'est plus considéré comme militaire. Sa désertion lui a même sucré ses cotisations pour la retraite, si c'est pas du délire, franchement.
Bah, peu importe, de toute façon il ne veut absolument rien recevoir de ce système pourri jusqu'à la moelle, et même pas du fric. Il va se remettre à son compte, ça vaut mieux.

L'homme saute de la décapotable et s'assure de la refermer correctement avant de s'engager dans la première entrée qu'il trouve : il y en a un certain nombre ici, est-ce qu'elles correspondent toutes entre elles ? Il se pose la question et tombe sur la réponse presque aussitôt lorsqu'il réalise que le boyau de pierre dans lequel il s'est engagé quelques minutes plus tôt est purement et simplement un cul de sac ; peut-être que le couloir s'est effondré, ou peut-être que c'était juste comme ça et qu'il a choisi le mauvais trou. Enfin, ça arrive à tout le monde ; il faudrait voir à mettre un panneau à l'entrée histoire d'éviter de faire perdre leur temps aux honnêtes gens.
Il va faire ça, tiens. Une fois dehors, il va trouver un panneau et écrire attention cul-de-sac dessus.

Sauf qu'elle est bien belle son idée mais on ne trouve pas exactement des panneaux sous tous les cailloux qui passent ; il pensait qu'il avait de vieilles planches de bois dans son coffre mais visiblement ce n'est pas le cas, ou alors elles ont été récupérées par quelqu'un, peu importe. Au lieu du panneau, l'homme entreprend de récupérer des rochers pour boucher au moins partiellement cette entrée, histoire que les gens qui tombent dans le piège du cul-de-sac ne le fassent que parce qu'ils l'ont cherché en essayant de se faufiler malgré ses précautions.
Et puis, ça lui fait un peu les muscles, il n'a pas fait une seule séance de sport depuis qu'il est sorti de prison. Les rochers sont pris les plus gros possibles - juste assez peu pour qu'il puisse les transporter -, et placés devant l'entrée les uns après les autres.

C'est en attrapant justement l'un de ces rochers qu'il tombe, bien malgré lui, sur un Charbi vraisemblablement endormi, qui se met à remuer sous le coup de la surprise ; lui-même très étonné de sentir sa pierre bouger, le premier réflexe de Jim est de vouloir la lâcher, mais il comprend assez vite que ces grottes ne portent pas leur nom pour rien et se refuse alors à poser trop brutalement ce pauvre Pokémon par terre. Il le garde donc dans ses bras et, déséquilibré par les gesticulations de la créature, tombe lourdement sur les fesses en grognant. Le Charbi, sur ses cuisses, se débat toujours, et Jim le relâche sans attendre, peu désireux de le garder prisonnier contre son gré. « Ça va, dit-il, un peu penaud, t'as rien ? »
Le Pokémon a l'air désorienté mais pas blessé, c'est le principal.

Le Charbi roule jusqu'au sol, faisant gronder de douleur un Jim qui apprécie assez peu de se faire littéralement rouler dessus, mais qui ne peut pas s'en plaindre puisqu'il allait l'utiliser pour combler un trou dans un mur et qu'en terme d'irrespect ça se place à peu près au même niveau. Il passe une main dans ses cheveux puis se masse les cuisses avant de se remettre debout, décrétant que son mur restera comme il est et que tant pis pour les gens qui voudraient quand même l'enjamber pour passer. « Désolé, dit-il au Pokémon, avant de s'éloigner. J't'ai pris pour une pierre, mais je te laisse tranquille. »
De toute façon il y a peu de chance pour que le Charbi ait envie que ce grand gêneur d'humain reste dans les parages ; en tout cas, c'est ce qu'il se dit, lui, en se dirigeant vers un autre trou pour essayer de visiter ces grottes.

Alors qu'il s'apprête à entrer dans un autre boyau rocheux, un battement d'ailes rapide se fait entendre derrière-lui, et s'il croit d'abord qu'il s'agit d'un Roucool qui s'est éloigné du bois, Céléno ne tarde pas à le contredire puisqu'elle se met à voleter autour de lui avec, visiblement, beaucoup d'impatience. « Salut toi, lui dit-il. Eh bah alors, je t'ai manqué ? »
Non hein, sûrement pas ; la petite Sonistrelle n'est pas vraiment du genre affectueuse, et d'ailleurs elle s'est déjà accrochée à sa ceinture pour attraper la sacoche qui y est pendue. De toute évidence, elle est à la recherche de bouffe, et s'il devrait sans doute s'exaspérer de n'être utilisé que comme garde-manger, il est au contraire plutôt attendri. De toute façon, ce n'est pas la première qui ne le fréquente que par intérêt ; il aurait vraiment dû l'appeler Eva, à la réflexion.

Soupirant d'un faux dépit, l'homme récupère la sacoche et l'ouvre pour y dégoter quelques friandises qu'il offre à Céléno sans faire semblant de protester ; de toute façon elle sait très bien qu'il finira par lui donner ce qu'elle veut et elle lui cassera les pieds jusqu'à ce qu'elle l'obtienne, alors autant ne pas la faire attendre. « Tu m'accompagnes ? propose-t-il ensuite. Je connais pas le coin, mais toi t'es sûrement déjà venue. J'sais pas trop ce que vaut encore mon sens de l'orientation, ça fait une paye que j'me suis pas baladé tout seul. »
Enfin, pas ailleurs qu'entre sa cellule, le réfectoire et la cour de la prison, s'entend ; et encore, tout seul, faut le dire vite.
La Sonistrelle lui répond par un piaillement qu'il devine ennuyé, mais s'engage tout de même le long du couloir rocheux. Ça doit vouloir dire oui.

Par voudrais-tu m'accompagner, Jim n'entendait pas exactement voudrais-tu partir toute seule devant en volant très vite pour me paumer dans les couloirs. Peut-être qu'il aurait dû être plus clair, ça aurait sûrement rendu sa pensée plus facile à comprendre. Enfin, Céléno le comprend très bien quand elle est décidée. Elle a juste décidé de partir toute seule devant parce que c'est une solitaire ; au pire elle viendra à son secours s'il se perd. Ou pas. C'est la surprise.
Enfin, ces grottes sont tout ce qu'il y a de plus banal, finalement. Des cailloux, des trous, quelques Pokémon. Rien qui soit véritablement intéressant, en tout cas pour l'instant. Est-ce qu'une sortie dee boyau donnerait directement sur le flanc de la falaise ? Ça ce serait vraiment chouette à trouver, il pourrait voir les hautes vagues de la mer de plus près.

Enfin, d'ici à ce qu'il trouve ça, il en a pour un moment à marcher ; d'autant plus qu'aucune issue de ces grottes n'est indiquée du côté de la falaise. Et puis c'est un endroit dans lequel on laisse les enfants se promener tout seul alors ça ne doit pas comporter le moindre risque de chute mortelle au pied d'une falaise sur laquelle se déchaîne la mer.
D'ailleurs, falaise ou pas, c'est totalement irresponsable de laisser des enfants se balader tout seuls là-dedans. Et s'ils se perdaient ? Après tout, les repères sont quand même assez minces ici, c'est facile de confondre un endroit et un autre, surtout quand on n'a pas de Pokémon pour nous guider. C'est même presque sûr que des adultes se perdent souvent ici. Ou de temps en temps, au moins. Lui il ne se perdra pas, mais ça doit arriver à d'autres.

Alors qu'il dépasse un autre agglomérat de stalagmites rocheuses, sûrement formées par le calcaire dont doit être constitué le sol au-dessus de sa tête, Jim entend comme du grabuge au fond du couloir dans lequel il progresse, et s'il s'affole d'abord d'imaginer Céléno aux prises avec un autre Pokémon sauvage qui aurait eu le malheur de la regarder de travers ou de respirer trop fort - quand il vous dit qu'elle ressemble à Eva -, il ne tarde pas à comprendre qu'il ne s'agit que d'un pauvre Crabicoque en train de se faire littéralement dévoré par un Charbi visiblement moins aimable que celui qu'il a croisé à l'entrée. Est-ce qu'il devrait intervenir pour sauver la proie ? Non, sûrement pas. Ce Charbi doit avoir faim. C'est la loi de la nature, et la nature est cruelle avec les faibles.