Skyler Bay offre une vue agréable sous un soleil printanier, tandis que Calypso s’en éloigne. Juchée sur sa bicyclette, elle peut déjà sentir ses cuisses chauffer agréablement devant l’effort nécessaire pour grimper les cotes naturelles longeant le fleuve. S’il lui était venu l’idée, elle aurait certainement pu emprunter la voiture de son voisin pour arriver à destination plus rapidement; or bien des raisons l’ont convaincu d’utiliser plutôt son fidèle vélo. La première est qu’elle déteste la conduite et tout ce qui s’en approche. Nerveuse au volant, la journaliste préfère largement le contact plus sportif de ce dernier moyen de transport, lui permettant à la fois d’admirer les paysages et d’ajuster son aventure comme bon lui semble. Car l’aventure est ce qu’elle recherche aujourd’hui, sans trop savoir quelle forme elle prendra. Déjà ses jambes s’activent dans une accélération qui fait naître une certaine excitation dans son ventre; elle peine à conserver son calme devant la beauté époustouflante du fleuve Mongetimor. Toute étendue d’eau a le don de provoquer chez elle une grande joie qu’elle exprime par un cri enthousiaste en dévalant une pente à toute allure. Un petit cri surgit dans son dos : son ami et seul Pokémon pour le moment, Djinn le Sovkipou, a toujours été moins aventurier que sa dresseuse et n’a pas beaucoup apprécié les folies de sa dresseuse.

La jeune femme s’arrête enfin sur les berges du fleuve, le souffle court et le sourire aux lèvres. Sous ce soleil sans pudeur, elle descend de son vélo et l’attache solidement à un arbre pour éviter de se le faire voler. Sa peau suinte de sueur, témoignage de son effort soutenu. Calypso s’approche donc du fleuve pour se rafraîchir à l’aide de l’eau du fleuve, encore fraîche à cette époque de l’année. Cet exercice bienvenue l’a énergisée d’autant plus malgré la fatigue qui s’est installée dans ses muscles. Se permettrait-elle de nager un peu dans les eaux du fleuve ? Peut-être un peu plus tard. Pour le moment, son regard s’affûte et ses sens s’éveillent. Parmi les raisons qui l’ont poussée à s’aventurer de ce côté, quittant son appartement pour quelques heures, celle de rencontrer de nouveaux Pokémon l’habite particulièrement. Cet endroit lui semble désert d’humains pour l’instant, ce qui fait bien son affaire. Avec un peu de tranquillité, peut-être les habitants du coin se montreront davantage.

Djinn quitte son dos à son tour, scannant les environs de son regard nerveux, restant à proximité d’une Calypso qui ne tient pas en place. Déjà, elle s’installe sur un rocher surplombant le fleuve pour manger un sandwich qu’elle a préparé le matin-même. Le calme de l’endroit ne suffit pas à apaiser son caractère allumé. Ses jambes oscillent dans le vide, suspendues entre ciel et fleuve. Comme toujours, être près de l’eau lui suffit à la rendre de très bonne humeur et rien ne pourrait l’en dissuader, du moins pense-t-elle. C’est sans compter l’arrivée d’une personne qui aussitôt lui semble familière. Il s’agit d’un homme probablement un peu plus âgé qu’elle, dont elle est certaine d’avoir déjà croisé la route. Oui, mais où ?

Puis les souvenirs s’installent, Calypso réalise. Cet homme, elle l’a croisé à un moment critique de son existence, alors qu’elle se trouvait à la croisée de plusieurs chemins. Cet homme, d’une certaine manière, l’a orientée vers une voie certes douloureuse mais nécessaire. Parmi les éléments qui l’ont permis de quitter la Team Aqua où elle ne trouvait plus sens, il en fait partie. Que fait-il si loin d’Hoenn ? Pourquoi reparaître sur son chemin aujourd’hui ? Calypso ne croit pas en la destinée et ne se questionne plus depuis longtemps sur la signification de ce qui se présente à elle. Tout ce qui l’habite est un sentiment de honte et de résistance à l’autorité que ce policier représentait lors de leur première rencontre. Elle détourne donc le regard rapidement, trop peut-être, pour ne pas trahir son ressenti par rapport à cette rencontre. Peut-être qu’avec de la chance il la laissera tranquille. Peut-être.

Une journée bien pénible pour moi. Mauvaise nouvelle, qui me brise le cœur. Nouvelle, avouons-le, que je ne m’attendais pas du tout à recevoir. Naomi est dans l’impossibilité de venir me rejoindre, toujours et encore des problèmes de famille. Seulement, cette fois, au lieu de garder une relation à distance, elle décide de me larguer, de mettre fin à notre relation. Je reste sans voix pendant quelques minutes avant de raccrocher sans dire un mot. Sans pouvoir dire un mot. Le cœur trop gros, les larmes aux yeux, je secoue la tête pour ne pas les laisser sortir. Après tout, je ne veux pas inquiéter ma petite sœur. Damon, mon riolu, reste tout près de moi, m’offre une fleur comme pour essayer de me remonter le moral. Je lui souris et la remercie en plaçant la fleur dans mes cheveux.

Décision impulsive, je décide de partir prendre l’air. Mon pokémon me trousse toujours, elle monte sans jugement dans la voiture. Je roule, je conduis sans vraiment réaliser la distance parcourue. Puis un fleuve se dessine à l’horizon. « Pourquoi pas » me dis-je. L’air frais peut me faire du bien et puis Damon pourra ramasser ses petites fleurs ou cailloux. Donc, je stationne ma voiture, la verrouille comme il se doit et nous la quittons pour marcher.

Perdu dans mes pensées, je ne réalise pas tout le trajet accompli. Je ne remarque pas non plus mes joues devenues humides par cette tristesse qui habite mon cœur. Par les larmes ruisselant, sans cesse. Continuant à marcher, observant une fois de temps en temps mon riolu, m’assurant qu’elle est sans danger, je m’aperçois finalement que je ne suis pas seul. Une jeune femme est assise non loin, détournant le regard rapidement trop rapidement pour que je ne le remarque pas. J’essuie mes joues, mes yeux et je prends sur moi. (Tiens, elle me dit quelque chose.) Beaucoup plus âgée, elle me rappelle une jeune fille arrêtée il y a des années. Une jeune fille me donnant du fil à retordre pendant des semaines voire des mois. Mais est-ce vraiment elle ? Ou tout simplement quelqu’un qui lui ressemble ? Après tout, elle est loin de Hoen. Sans trop y penser, je m’approche avec un sourire affiché et un regard triste, reflétant ma situation actuelle.

— Vous ressemblez étrangement à quelqu’un que j’ai croisé dans le passé. Dis-je en me fourrant les mains dans les poches.

Le temps a été généreux avec lui. À l’époque, Calypso le trouvait déjà de son goût; malgré la relation d’autorité qu’il avait sur elle et les quelques années en plus, l’adolescente qu’elle était ne se gênait pas pour le draguer. L’audace ne lui a jamais manqué il faut dire. Ses tentatives maladroites et déplacées de flirt n’ont pas permis de la sortir des mauvais draps, pourtant le jeune homme l’avait traité avec fermeté et compassion. À présent, le temps qui passe a laissé son lot de fatigue sur ce visage sans toutefois l’enlaidir. Au contraire. La journaliste y retrouve un charme, une forme d’assurance et de bonté qui déjà le caractérisait alors. Il fait facilement une tête de plus qu’elle, possède une bonne stature, des yeux doux et bienveillants. Sans ce passé commun, la jeune femme n’aurait probablement pas hésité à retomber dans ses vieilles habitudes de flirt incorrigible; or sa présence la rend nerveuse. Comme si elle avait fait quelque chose de mal. Comme si elle lui devait quelque chose… mais quoi ? Calypso se sent mal à l’aise, car cet homme lui rappelle qu’alors elle avait pour désir de devenir une meilleure personne. Y est-elle parvenue ? Ce policier, d’une manière, est une des rares personnes qui pourrait en juger selon elle. Il fut placé sur son chemin pour en altérer la course alors, malgré la nature brève de leur rencontre. Aujourd’hui il reparaît et Calypso ne peut s’empêcher de croire qu’il ne peut qu’y avoir une bonne raison.

Une qu’elle aimerait bien éviter.

Calypso n’est pas assez cultivée; de ce fait elle fait des liens souvent erronés dans son esprit trop créatif. Si cet homme reparaît dans sa vie, alors c’est pour y changer quelque chose à nouveau non ? Ou pour rendre un verdict quelconque sur l’existence qu’elle a mené depuis ? En tout cas, il se souvient d’elle. Sa voix s’élève et la jeune femme frémit, ce qui alerte Djinn. Le petit Pokémon n’a pas vraiment l’habitude de voir sa dresseuse aussi angoissée après tout.

«Ah bon? C’est la première fois que je vous vois, pourtant.» elle ment. Mal. «Oh vous savez, j’ai un de ces visages plutôt communs, puis vous m’avez probablement vue à la télévision sur la chaîne Gaïa X, je suis dans le domaine et je commente les matchs tous les jeudis et mardis.»

Par réflexe plus que volonté, elle redresse la tête vers lui. Il y a dans son regard une tristesse à laquelle Calypso n’était pas préparée. Elle l’atteint de plein fouet, la forçant à conserver son regard sur lui. Des rougeurs dans ses yeux et sur ses joues trahissent la présence de larmes qui, bien que chassées par leur propriétaire, ont laissé des vestiges clairs d’une grande détresse. La journaliste pivote sur son rocher et se redresse quelque peu pour le dévisager, comme à la recherche de la réponse à la question qui malgré elle l’habite. Pourquoi ? Pourquoi cette tristesse, ces larmes ? Son regard est distrait un instant par la Riolu à ses côtés, adorable créature qui aurait tôt fait de l’enthousiasmer si l’état de son dresseur ne la préoccupait pas autant. Malgré son inquiétude, la jeune femme connaît ses limites pour écouter et soutenir. Le policier demeure un étranger, elle n’a pas beaucoup d’espoir de lui venir en aide convenablement.

«Votre Riolu est adorable en tout cas. Ce genre de Pokémon fait des ravages dans les compétitions et les Arènes. Vous combattez ?»

Calypso ne peut s’empêcher de ressentir une grande vague de honte la traverse. Voilà tout ce qu’elle trouve pour distraire le jeune homme de sa peine ? Car si elle est de mauvaise écoute et de mauvais conseil, la brunette est habituellement douée pour distraire les autres de leurs misères, particulièrement les hommes. Or, l’idée ne lui traverse pas même l’esprit. Elle se contente de se relever, les bras ballants de chaque côté de son corps, hésitante et un peu confuse.

«Hum… ça va vous ? Enfin, vous êtes pas obligé d’en parler mais c’que vous avez une tête de…» bonjour la délicatesse, Calypso, bien joué. «… enfin disons que vous avez l’air de quelqu’un qui a besoin de se changer les idées.»

Voilà qui la fait se sentir mieux. Au final, peut-être n’est pas là pour avoir un impact sur sa vie à elle, mais plutôt l’inverse ? Peut-être le destin les a-t-il réunis pour qu’elle lui vienne en aide ?