Nous avons une équipe presque entièrement formée de psyhiques, aujourd’hui. J’imagine qu’Ardeur et Allégresse doivent se sentir un peu seuls dans leur situation. Depuis mon dernier passage aux Vieux Quartiers, j’ai d’autant plus solidifié mon intérêt pour les membres de ce type, devenus emblématiques du Havre. Ils me rappellent sans mal mon arrivée au centre de réadaptation, les traitements que j’ai reçus. Au début, je me souviens, j’avais un peu peur. Jusqu’à ce que je rencontre bien entendu la belle Paix qui m’a beaucoup aidé de ce côté. La Munna m’a appris à ne pas les craindre, à me laisser guider, à travers mon traitement par ces drôles de créatures. Certains peuvent paraître un peu froids ou même distants, c’est le cas par exemple d’Esprit qui aime mieux rester dans son coin que de fraterniser avec le reste de l’équipe. J’aimerais beaucoup lui dénicher un ami éventuellement, heureusement pour le moment il peut compter sur sa drôle d’amitié avec un autre Psy de l’élevage, Élan. Le gentil Chovsourir manque encore d’assurance, mais est déjà une présence positive au Havre. Il s’est très bien adapté à la vie auprès de nous et semble plus heureux au jour le jour.

Tout ce beau monde m’accompagne aujourd’hui. J’ai laissé sortir tout le monde, pour une sortie destinée à nous entraîner et à resserrer les liens entre nous. J’ai ainsi décidé de mélanger quelques nouvelles têtes avec d’autres plus anciens. Je me demande ce que cela va donner. J’ai une petite émotion dans tous les cas en voyant la clairière apparaître : c’est ici que j’ai fait la rencontre du Nidoran et d’Entrain ! Cela me semble si loin maintenant. J’ai au moins le sentiment d’avoir évolué depuis. Peut-être que cette visite sera l’occasion de constater à quel point c’est le cas… ou pas.

La clairière nous accueille avec son calme habituel. Je prends une grande inspiration comme pour m’imprégner de cet air frais, aux saveurs printanières. L’hiver durera quelques semaines encore, mais ici, loin de Jude’s Creek, il me semble retrouver quelque peu l’essence du printemps. Les rayons du soleil me réchauffent sous mon léger manteau, me le faisant presque regretter. On peut presque entendre les plantes se réveiller après le froid, tenter d’émerger du sol et tendre vers le ciel. Mes pas s’enfoncent dans un sol encore mou et boueux, il me faudra faire attention pour ne pas tomber. Pour ce qui est des Pokémon, c’est peine perdue. Ils finiront probablement bien sales, surtout Allégresse et Ardeur qui déjà se chamaillent un peu plus loin. Les autres, dotés de capacité de lévitation, m’effraient un peu moins. Heureusement, j’ai pensé mettre de bonnes bottes aujourd’hui, j’ai prévu le coup.

Je décide de partir de mon côté un moment, histoire de laisser les Pokémon interagir. Je veux mieux comprendre les dynamiques qui animent mon équipe. Celle-ci prend progressivement de l’expansion, si bien que j’ai moins de temps à consacrer à chaque individu. J’espère qu’ils ne m’en veulent pas. Malgré ces changements, pas encore de couples à proposer… C’est en partie pour cette raison que je me suis aventuré ici aujourd’hui. Je veux capturer encore, même si cela veut dire d’encore agrandir la famille. J’espère qu’ils ne m’en voudront pas trop…

À vrai dire, la transition se passe plutôt pas mal. Les nouveaux venus sont ceux qui pâtissent le plus je pense, pour le moment du moins. Par exemple, Élan. On voit bien qu’il aimerait passer plus de temps à mes côtés. Il a une grande curiosité pour ce que je fais à l’élevage, mais il n’ose pas souvent me rejoindre, peut-être par peur de me déranger ? Je pourrais commencer par lui, aujourd’hui tiens. Il est en train de jouer avec Hymne, sa grande amie. Remarquant que mon regard s’est posé sur lui, il fait volte-face pour me regarder avec curiosité… a-t-il fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? Je peux voir le doute passer puis s’estomper. Le Chovsourir se repère à l’odeur à bien des égards, ainsi un petit coup de nez en ma direction le rassure. Il n’a absolument rien fait de mal. Ainsi il se dirige vers moi à mon invitation d’un geste bienveillant. Il se pose dans ma main pour m’écouter avec une naïveté qui fait fondre mon cœur. Je ne le connais pas encore beaucoup, mais j’en sais assez pour savoir qu’il est absolument adorable.

«Je me disais qu’on pourrait passer un peu de temps tous les deux à faire connaissance. Tu serais d’accord ?»

Le petit se met aussitôt à voleter autour de moi, tournoyant avec enthousiasme. Je prends cela pour un «oui» !

Je peux voir, un peu plus loin, l’approbation d’Ardeur. Depuis son évolution sous la forme d’un Chimpenfeu, le singe a acquis une sorte de sagesse bienveillante dont il couvre tous les membres de cette équipe, même les plus récalcitrants comme Esprit. C’est entre-autres grâce à lui qu’une cohésion lentement s’installe entre nous tous. Je crois qu’au sein de l’équipe, personne ne l’apprécie pas au moins un peu, y compris l’Abra. D’ailleurs, je peux voir que la bête de feu tente de convaincre le Pokémon Psy à se joindre à son jeu de chamaillade qu’il échange avec Allégresse. La Pérégrain a dans l’œil une lueur joueuse, presque affamée. Il faudra penser la faire combattre, elle. Pour le moment, je reporte mon attention sur le petit Chovsourir, qui a repris un peu de son calme pour voleter autour de moi. Je peux sentir ses efforts pour conserver mon rythme tandis que nous marchons. Cet environnement doit être bien différent de celui dans lequel il a grandi maintenant que j’y pense.

«Désolé pour le côté un peu chaotique de l’équipe… Je suis encore en train de me faire à votre arrivée à tous. Mais ça ne veut pas dire que je ne vous apprécie pas tous, individuellement. Je voulais que tu le saches, Élan. Tu es très positif pour l’élevage. En tout cas, je suis content qu’Hymne puisse compter sur un ami aussi dédié que toi.»

La chauve-souris émet un petit son satisfait. Ce que je lui dis semble le toucher. Il vient se poser sur mon épaule, obtenant ainsi une vue privilégiée de la vallée qui se dresse devant nous. Je n’ai pas réalisé avoir pris un sentier qui lentement nous éloigne des autres. De toute manière je ne crains pas beaucoup pour eux, je sais qu’en temps et lieux ils pourraient se défendre. Puis Paix veille sur eux, que pourrait-il leur arriver ? Élan est un jeune Pokémon. Toutefois, il est beaucoup plus calme que Hymne ne l’est. Il a un côté plutôt timide, que je trouve adorable. Je me souviens encore de la manière dont il a accepté de nous aider, alors que nous oeuvrions dans les quartiers abandonnés de l’ancienne Myrtha, comment il a pris son courage à deux mains pour nous sortir de ce labyrinthe. Je ne me perdrai jamais en sa compagnie, me dis-je. Grâce à son flair, nous pourrons toujours nous retrouver. D’ailleurs, plusieurs fleurs se sont mis à émerger du sol dans cette région de la Lumiclairière, encouragés par les rayons du soleil printanier. Il en émane un doux parfum qui me rappelle certaines huiles essentielles utilisées en aromathérapie.

«Ça sent bon par ici, hein ? On devrait cueillir des fleurs pour Hymne. Je pense qu’elle aimerait beaucoup ça.»

Élan aussitôt prend son envol, quittant mon épaule. Je crois que l’idée lui a plu.

Il faut dire qu’il y a du choix. Malgré la précocité de la saison, on peut en voir différentes espèces, de toutes sortes de couleur. Je n’ai pas grand intérêt à cueillir des fleurs à vrai dire. Je n’aime pas arracher ces plantes pour rien. Cependant je suis certain que l’activité pourrait plaire à mon ami, ainsi je ne rechigne pas trop lui l’exercice. Je prends un soin à sélectionner des fleurs qui iraient bien ensemble, pour créer un agencement plutôt joli. Pour ce qui est du Chosourir et bien… disons qu’il mise plutôt sur la quantité que la qualité. Après avoir passé un petit moment à se rouler dans les fleurs, il émerge avec une touffe un peu écrasée de fleurs.

«Oh… Élan, je pense que tu devrais revoir ta technique… Tu as un peu écrasé ton bouquet là.»

Je lui montre ce que j’ai réussi à produire, en prenant mon temps et en m’appliquant. Le petit vient le renifler. J’oublie qu’il est pratiquement aveugle avec ses yeux ainsi couverts de ses poils. Néanmoins il a bien vu, je crois, puisqu’il lâche son propre bouquet avec une évidence déception.

«N-non mais ton bouquet est très bien hein ! J-juste qu’il faut y aller plus doucement. Essaie d’entre prendre une à la fois, je vais t’aider.»

Mon sourire semble lui redonner un peu d’aplomb et c’est concentré qu’il se remet à chercher autour de nous.

Je l’ai échappé belle. Je réalise que mon cher Élan a un orgueil plus important que ce que je le pensais au départ. Il me faudra faire attention pour ne pas le froisser à l’avenir. J’ai un nouveau petit sourire désolé avant de surveiller ses gestes. Le petit est plus maladroit que ce que je le croyais au début. Ses mouvements manquent de la coordination nécessaire pour attraper les fleurs avec la délicatesse dont il a besoin pour notre petite expérience. Je le vois à plusieurs reprises tenter sa chance, rater la fleur ou tout bonnement l’écraser. Je n’ose rien dire, lui laissant tout l’espace pour se concentrer sur sa tâche. Rien ne sert de le faire à sa place, même si la tentation est grande. Il doit apprendre, c’est tout, et utiliser ce moment pour se pratiquer. Après quelques minutes, je peux voir la frustration lentement s’installer sur ses traits habituellement si doux.

«Tu peux le faire, Élan. Tu as seulement besoin d’un peu de pratique, ne t’en fais pas.»

Je l’entends soupirer. Jusqu’à présent, il n’a réussi qu’à amasser une petite poignée de fleurs dont l’état est acceptable. J’ai fait le tri et l’encourage désormais en brandissant ce qu’il a ramassé. Les couleurs sont jolies, vibrantes ! Il a du goût.

Malgré mes encouragements, le petit progressivement perd foi. Je l’entends grogner puis se laisser tomber dans les fleurs. Couvert de pollen, avec son air découragé, il ne pourrait être plus mignon. Néanmoins j’imagine que c’est la dernière chose qu’il veut entendre en ce moment… Je viens donc m’asseoir près de lui, lui offrant un petit sourire compatissant. Au début, il fait presque mine de m’ignorer, vexé par sa performance. Il comprend cependant assez vite que je ne suis pas là pour me montrer paternalisant, que je veux juste être un soutien. Je peux comprendre mieux que quiconque les frustrations qui viennent avec le fait d’échouer. À force, je suis passé maître dans l’exercice.

«Je comprends que tu te décourages. Tu n’as pas besoin de réussir du premier coup. Par contre si tu veux vraiment réussir tu ne dois pas abandonner. Et en attendant, tu peux toujours compter sur les autres pour te venir en aide. Il n’y a pas de honte à ça.»

Le petit émet un petit son adorable pour signifier sa déception. Je lui caresse doucement la tête pour le rassurer. À cet instant, nous redressons la tête à l’approche d’une créature dans les sous-bois. Est-ce là notre première rencontre sauvage de la journée ? Je scrute l’endroit d’où provient ce son, sentant le Chovsourir se crisper quelque peu.

Élan ne met pas longtemps à se détendre. C’est seulement Ardeur qui est venu nous rejoindre ! Le Chimpenfeu nous observe, un peu surpris de nous voir ainsi étendus parmi les fleurs. Je lui offre un petit sourire amusé en guise d’explication tout d’abord.

«Tout va bien, Ardeur ? Pas trop de chamaillade par là-bas ?»

Le singe me fait signe que non, or je vois bien qu’il y a quelque chose qui le tracasse un peu. Comme il ne semble pas non plus affolé ou insistant, je prends le temps de lui expliquer la situation qui nous incombe. Je suis certain qu’il pourra remonter le moral de notre cher ami ici présent.

«Élan est un peu découragé car il a du mal à faire un bouquet de fleurs. Penses-tu que tu pourrais nous aider ?»

Je crois que le Chovsourir acceptera plus facilement l’aide de son compagnon que la mienne. Il a relevé la tête vers Ardeur, qui accepte avec plaisir. Le singe s’empare du petit et le hisse sur sa tête. Tous les deux vont à l’assaut des fleurs, histoire de dénicher la perle rare ensemble.

Je me cale bien sur place pour mieux les observer faire. Ardeur a toutes les qualités d’un grand frère tendre et sensible. Il est génial avec les clients du centre, il le serait tout autant à l’élevage où c’est plutôt Chaleur qui a pris la place de gardienne et de mère de suppléance pour les œufs que nous accueillons. Malgré tout, il demeurera toujours cette présence positive et paternelle pour les autres Pokémon. En tout cas, Élan a retrouvé son sourire, émettant de petits cris aigus pour diriger sa monture vers les plus jolies fleurs. Sous ses instructions, le Chimpenfeu s’empare des plantes et les rassemble dans mes mains, où elles s’accumulent beaucoup plus vite. Il prend le temps aussi d’enseigner des façons de faire à son jeune ami, patient et attentionné. Bientôt, le bouquet est complété et les deux se tournent désormais vers moi pour placer le tout de manière acceptable. Pourtant, j’ai un autre plan pour ces fleurs. Je les tresse une à une sous leurs yeux attentifs, pour former deux couronnes que je dépose à chacun sur leur tête. Les deux sourient à pleine dents, ce qui me rend fier de mon initiative.

Soudain, un nouveau bruit. Il émerge des fleurs, à quelques pas. Une tête brandie de longues oreilles apparaît. On dirait qu’il s’agit d’un Pikachu, un Pokémon souris plutôt populaire d’ailleurs. Je peux comprendre pourquoi d’ailleurs. Avec ses joues rouges bien rebondies et ses grands yeux bruns naïfs, il pourrait faire fondre le cœur de n’importe qui. Il semble intéressé par ce que nous faisons, particulièrement les couronnes de fleurs. Serait-il jaloux par hasard ? C’est vrai que mes alliés bénéficient d’une coiffe très à la mode ! Je fais signe au nouveau venu d’attendre tandis que je récupère de nouvelles fleurs pour lui en faire un, à lui aussi. L’exercice, devenu plus rapide avec les deux précédentes pratiques, ne prend pas beaucoup de temps. Je peux ensuite lui tendre. Il s’approche ainsi un peu plus, malgré tout prudent, avant de se laisser coiffer. Il se met à applaudir, tout heureux de ce généreux présent. Adorable. Élan et Ardeur s’échangent un regard, avant d’inviter la souris à se joindre au jeu auquel ils s’adonnaient pendant que je m’occupais de fabriquer leurs chapeaux à tous les trois. Le Pikachu, un mâle, hésite un moment avant de se joindre à leur jeu-poursuite. Il est rapide !

Pour ma part, je me laisse tomber dans les fleurs pour observer le ciel. Je n’avais pas réalisé à quel point un petit moment de pause était devenu nécessaire. Ma tête est lourde contre le sol et la fatigue engourdi mes membres. Ce serait si facile de se laisser entraîner dans le sommeil… Cet endroit est aussi paisible que mon centre il faut le dire, sauf qu’ici j’ai l’occasion de me centrer sur moi-même plutôt que sur tout le monde autour de moi. J’aime m’occuper des autres, mais prendre du temps pour soi est tout aussi important. Je ferme donc les yeux pour mieux écouter les sons de la Lumiclairière. Le chant des oiseaux, le vent dans les branches. Je me sens presque seul au monde, si ce n’est de trois chenapans qui se rapprochent à mon insu pour mieux m’observer faire. Finalement, je sens un poids atterrir un peu lourdement contre ma poitrine, me tirant ainsi brusquement de mes rêveries. C’est Élan qui voulait me réveiller, avec un petit sourire malicieux. Il a bien fait d’ailleurs car à ce rythme j’aurais tôt fait de glisser dans le sommeil ! Le cœur battant encore à la chamade, je fais mine d’être fâché pour mieux courir après les trois responsables, qui joyeusement se mettent à courir pour éviter mes foudres.