Gaspar avait tout d'abord obstinément refusé de se rendre au casino ouvert par son cher et tendre père, par pur et simple esprit de contradiction. Le fait est qu'il en avait par-dessus la tête qu'on lui pose des questions à ce sujet comme s'il était parfaitement au courant des tenants et aboutissants ; à croire que personne ici ne savait qu'il avait coupé les ponts avec son père depuis des années maintenant. Pourtant, la presse n'avait jamais eu de scrupule quant à l'exposition de sa vie privée ; il n'y avait qu'à voir comment le coma de son mari était médiatisé. Bref. Toujours est-il que sa volonté n'a pas tenu très longtemps face à la perspective de se retrouver dans l'un des endroits les plus branchés de la région, entre l'alcool qu'il ne manquera pas d'y trouver et toutes les bonnes raisons du monde de claque inutilement son argent. Tout ce qu'il aime.
À la limite, l'état de son estomac l'attriste un peu ; il s'arrêterait volontiers pour manger quelque part avant de se perdre dans les machines à sous. C'est donc à la recherche d'un petit restaurant qu'il marche le long de la ruelle animée par le festival, les mains dans les poches et le nez en l'air. Autant dire que quand il se retrouve interpelé le plus poliment du monde par un parfait inconnu qui lui brandit son plat préféré sous le nez, il n'y réfléchit pas à deux fois, quand bien même serait-il tout surpris. Il faut savoir profiter des occasions quand elles se présentent, pas vrai ? Un tel repas offert, il ne va pas cracher dessus.
La chaise lui est tirée, et il s'assoit en regardant autour de lui comme un imbécile heureux, sans remarquer tout de suite que la table à laquelle on l'a installé est occupée par quelqu'un d'autre. Lorsqu'il s'aperçoit de la présence de l'inconnu, Gaspar sursaute si fort qu'il manque bien en tomber de sa chaise et si sa bouche s'ouvre comme pour pousser le plus strident des cris, la stupeur est telle qu'il ne peut échapper le moindre son. Une main plaquée sur le coeur, les yeux écarquillés, il demeure ainsi de longues secondes avant qu'il ne retrouve l'usage de son corps. « Vous... êtes là depuis le début. »
Ce n'est pas une question, il est juste en train de s'assurer qu'il comprend tout. « Comment vous savez que j'adore les côtelettes ? »