Les journées passent sans se ressembler, ai-je envie de dire, sous l’impulsion d’un cliché peut-être. On ne m’en tiendra pas rigueur, l’épuisement des dernières semaines et la vitesse folle m’ayant entraîné dans une routine chaotique affecte mes pensées même les plus simples. Une pause, mon corps en réclamait une depuis quelque temps. La fin de l’année amène toujours son lot de stress supplémentaire que je tâche de gérer du mieux que je le puis, mais il faut bien le nommer : ce n’est pas toujours facile. Heureusement, je peux compter sur mes compagnons pour adoucir mon quotidien, particulièrement mes nuits. Paix et Hymne dorment toutes les nuits à mes côtés, s’assurent de mon bien-être par leurs chansons et leurs songes positifs. Je n’en mérite pas tant. Je leur en suis profondément reconnaissant. Puis cette invitation est tombée juste au bon moment finalement. Ma collègue et amie Fairya m’a proposé une visite au parc Pokélover, lieu intéressant paraît-il pour capturer de nombreux Pokémon pouvant nous intéresser tous les deux. Si je ne me sens pas tellement le cœur à me lancer dans de grandes expéditions aujourd’hui, je dois avouer la distraction fort appréciable. Ainsi j’ai accepté, promettant de rejoindre la jeune femme au lieu convenu.

Pourtant j’ai traîné les pieds en partant de l’élevage avec ma voiture. Non pas que la perspective de cette sortie me rebute, bien au contraire. Cependant je peux bien sentir que mes réserves d’énergie s’amenuisent ces temps-cis. Ce phénomène entache ma motivation pourtant bien réelle. Il me faut sortir de ma routine, j’en ai parfaitement conscience. Un peu d’air frais me remontera certainement le moral. Ainsi j’émerge de ma voiture, me dirigeant vers le parc en faisant bien attention à ma traversée. Un sourire se dessine sur mes lèvres en voyant le parc urbain se dresser devant moi : j’ai toujours beaucoup apprécié ces petits havres de verdure au cœur des cités grises et froides. Ce n’est pas très juste d’en profiter seul, ainsi je fais appel à mes compagnons pour cette visite : Allégresse, Paix et Hymne. Hymne vient aussitôt se blottir contre mon épaule comme elle en a pris l’habitude. Je remarque qu’un lien de plus en plus fort nous unit. J’ai toujours trouvé la Korillon un peu lunatique, prisonnière d’un monde qui n’appartient qu’à elle et pourtant… elle est aussi dotée d’une grande sensibilité. Son affection pour moi ne fait aucun doute dans tous les cas. Son côté un peu envahissant pouvait m’indisposer par le passé; progressivement j’y prend goût tout en lui apprenant à canaliser son indomptable énergie. Voilà qu’elle bondit déjà vers l’avant pour rejoindre Fairya, qu’elle ne connaît pas beaucoup pourtant. Elle lui tourne autour avec moult bruits, ce qui bien sûr attire à elle les regards de tous autour. Je m’empresse de les rejoindre, attrapant l’hyperactive avant qu’elle ne fasse trop de dommages.

«Hymne, veux-tu calmer ton enthousiasme… Pardon Fairya, c’est cette petite elle est… Vraiment très énergique et démonstrative.»

Contrairement à moi qui suis tout de même plus réservé, du moins dans mon approche envers les autres. Le petit grelot continue de gigoter entre mes mains presque frénétiquement, m’attirant un nouveau soupir. Heureusement qu’elle est mignonne celle-là.

«Bonjour du coup !» je fais avec un sourire un peu amusé. «Il semblerait que nous soyons prêts pour un peu d’exercice aujourd’hui hahaha. Tu fais équipe avec Wendy aujourd’hui ?»

Un choix judicieux, puisque je crois qu’on peut trouver des membres de cette espèce dans les parages. En levant les yeux, je vois qu’il y en a un au loin, près de quelques arbres. Allégresse, depuis ma jambe, l’observe comme en y voyant sa prochaine victime. Il me faudra la faire combattre un peu si je veux éviter qu’elle ne se jette sur le premier venu.

La réaction tranquille de l’éleveuse ne me surprend guère. Hymne ne mérite probablement pas autant de gentillesse et de considération au vu de sa brutale entrée en matière, néanmoins je me ravis que Fai ne soit pas trop ébranlée par la personnalité colorée de la Korillon. Le Pokémon musical se met à tinter de bonheur devant les présentations douces de la jeune femme, lui offrant une mélodie pour souligner leur rencontre. Malgré moi, je m’attendris devant ce spectacle. Il y a quelque chose de profondément bon chez chacune d’entre elles. À ce moment, je me sens privilégié de les compter parmi mes amies; clairement en leur présence je peux me permettre d’être moi-même sans trop craindre au sujet des apparences, sans trop me mettre de pression inutile. Ce rapprochement entre les deux me tient pensif quelques instants, si bien que je dois reprendre mes esprits devant les salutations adressées par ma collègue, cette fois à mon endroit. Je la salue d’un geste de la tête en gratouillant celle d’Hymne.

Les paroles de Fairya me laissent d’ailleurs pensif. Ce n’est pas la première fois que j’entends parler des difficultés de l’éleveuse à connecter avec le Toudou. Pensant que la situation se résorberait d’elle-même, je n’y ai même pas réfléchi en évoquant Wendy. Ce problème persistant me laisse à croire qu’il faudra probablement une aide supplémentaire à la blonde pour parvenir à trouver un terrain d’entente avec la fée récalcitrante; une aide externe et neutre. Comme toute relation, celle qui lie un humain avec son partenaire Pokémon ne peut être forcée. Du moins il existe certainement des moyens pour apaiser certaines tensions et favoriser les rapprochements. Si leur expérience au fleuve a permis de les rapprocher quelque peu, peut-être que cette escapade en plein air aura le même effet… J’y réfléchis alors que Fairya sollicite mon aide, si je puis le faire. Parmi mes abondantes lectures de la dernière année, j’ai appris qu’il existe des intervenants capables d’intervenir dans les relations entre les Pokémon et leur dresseur, une sorte de thérapeute de couple si on veut, mais évidemment différent. J’ai trouvé l’idée intéressante et tenté d’en lire plus sur leurs principes, histoire de m’en inspirer dans ma pratique.

«Tu fais bien de ne pas baisser les bras, même si j’imagine que ça peut être frustrant par moments. Tu ne m’ennuie pas, je vais essayer de voir comment je peux vous aider aujourd’hui. En passant un peu de temps avec Wendy, j’apprendrai mieux à la connaître et je pourrai voir, peut-être, ce qui la bloque ?»

Un observateur externe, oui, voilà ce dont elles ont besoin. Analyser la relation, faire des observations objectives. Nous discuterons de moyens ensuite. Si nous n’arrivons pas à identifier le problème, rien ne sert de proposer des solutions qui, au final, pourraient d’autant plus troubler leurs efforts pour se rapprocher. Je m’extirpe de mes pensées devant le petit son produit par Paix devant les caresses de Fairya. Elle aussi apprécie énormément mon amie. Ses pattes se secouent de joie, mais déjà elle s’éloigne un peu pour explorer les alentours, curieuse d’en découvrir plus sur ce fameux parc.

«Allons-y, ma marmaille est impatiente de découvrir cet endroit.»

Fairya a repris sa bonne humeur. Elle est probablement prête à travailler sur sa relation avec Wendy, ainsi je n’oublie pas d’y repenser. De toute manière, je n’aurais guère l’occasion de le faire, puisque sitôt entrés dans le parc que la première occasion d’observer leur relation se présente. Je souris, sans réaliser que de son côté, Allégresse nous a fait faux-bon pour aller combattre un Poichigeon derrière nous.

«On dirait qu’elle a besoin de ton aide, c’est bon signe qu’elle se retourne vers toi comme ça, ça veut dire qu’elle a confiance en toi d’une certaine manière. Qu’est-ce que tu vas faire ?»

Pour le moment, je la laisse gérer les choses, je veux observer sans intervenir après tout. Paix, Hymne et moi les observons avec grande attention, sans se rendre compte que cela pourrait être un peu intimidant pour les deux.

Ce n’est pas la première fois qu’on sollicite mon aide pour ce genre de situation, mais j’avoue qu’à chaque fois je me creuse toujours les méninges pour tenter d’améliorer les choses. Je connais bien Fairya, mais assez peu Wendy finalement. Je ne peux me fier qu’à mes observations limitées sur ses désirs. Et peu importe sa réponse, ce petit regard en dit long sur les intentions de la Toudoudou ! Qu’elle le veuille ou non, elle a besoin de sa dresseuse dans certaines situations. Je retiens l’information, curieux de voir comment se déroulera le reste de leur échange. Malheureusement, les choses ne se passent pas exactement comme prévu. Au lieu de faire ce que la bleuette demande, la petite exécute une attaque Berceuse ma foi très réussie, qui suffit à mettre son adversaire au tapis le temps de quelques ronflements. Je peux sentir le découragement de la jeune femme, alimenté je me doute par bon nombre d’autres échecs tels que celui-ci. Je ne me départis pas de mon sourire encourageant pour autant, si les choses avaient été aussi faciles alors l’éleveuse de types Fée ne m’aurait pas nécessité mon aide après tout.

«Le mot confiance était peut-être mal choisi, effectivement. Je voulais dire que si elle te regarde comme ça c’est que quelque part, à cet instant, elle s’est soucié de ton opinion. C’est bon signe. Peut-être que c’était un peu trop vif de lui donner un ordre… Si elle doit combattre à nouveau, tentons plutôt de l’encourager ensemble ? Ainsi elle se sentira peut-être moins contrainte. Ça n’arrive pas souvent ce genre de relations tendues, mais ça arrive. Capturer un Pokémon est tout de même un acte très contraignant, sa vie a totalement changée à ce moment-là après tout. C’est normal qu’elle mette du temps à se réchauffer à ton contact, mais ne te décourage pas.»

J’ai posé une main sur son épaule avec un sourire. Hymne en profite pour faire de même, câlinant la jambe de la jeune femme pour lui apporter tout son soutien. Ce qu’elle dit ensuite me fait réfléchir. Je me recule pour mieux observer Wendy.

«Personne n’a parlé de s’en séparé, doucement ! Ce que tu viens de me dire me donne une idée. Comme on vient de voir, tenter de lui imposer quelque chose ne fonctionnera pas mais… On peut lui suggérer certaines choses. J’ai une idée, dis-moi ce que tu en penses. Je crois que dans ce parc, il y a un piano public. Je pourrais jouer et nous pourrions chanter. Histoire de lui donner envie de nous rejoindre ! C’est important de miser sur ses intérêts, peut-être que ça pourrait fonctionner. Puis Hymne pourrait se joindre à nous, elle est aussi très musicale !»

Autant dire que l’idée a énormément plu à la petite Korillon qui s’est mis à danser sur place pour témoigner de son contentement. Évidemment, cela produit un petit vacarme qui me tire un nouveau sourire mi-amusé, mi-dépassé.

«Ça pourrait m’aider aussi à canaliser son énergie, c’est là où moi j’ai du mal avec elle.» je soupire, faisant un geste en sa direction pour la calmer. «C’est comme avoir un bambin au quotidien, je le jure.»

Pourquoi ne pas nous entraider sur nos difficultés respectives après tout ? Je suis certaine qu’à deux têtes ce sera toujours mieux qu’une.

Je ne veux pas avoir l’air de m’en plaindre. J’aime énormément la Korillon. Néanmoins, de tous mes Pokémon, elle est définitivement celle qui sollicite le plus d’énergie et de soins, et ce de loin. Je comprends qu’elle est plus jeune que beaucoup d’entre eux aussi, ce qui parfois me laisse à me questionner : où étaient donc ses parents la journée où je l’ai rencontrée dans les vieux quartiers abandonnés ? Pourquoi se trouvait-elle seule ? Elle n’avait pas l’air bien malheureuse, mais il est aussi vrai qu’elle n’a pas attendu une seule seconde pour suivre un parfait étranger. J’observe la petite Hymne, qui n’a rien saisi du sens de mes paroles et se contente de voltiger autour d’une Paix qui a probablement beaucoup plus de patience que moi. Un jour, elle prendra un peu en maturité et ce ne sera pas aussi difficile. Malgré tout, j’espère qu’elle conservera son grand cœur et ce petit côté enfantin qui la caractérise tant. On m’a dit que certains Pokémon changeaient drastiquement au moment de leur évolution… J’espère que ce ne sera jamais le cas pour elle. Car toutes ces choses qui rendent le fait de la côtoyer un peu pénibles sont aussi mes aspects favoris d’elle. Je ne veux pas qu’elle change.

Pour le moment, j’ai d’autres préoccupations, à commencer par cette fameuse Wendy. Ma proposition a illuminé l’éleveuse de type Fée : elle approuve l’idée. Je sens une chaleur envahir ma poitrine : je suis bien heureux que cela lui plaise ! La jeune femme est de ce genre de personnes qu’on aime gâter. Je me félicite encore de notre amitié tout autant que notre partenariat. Si je peux l’aider alors je ne m’en porte que mieux. D’ailleurs, un sourire un peu gêné étire mes lèvres alors qu’elle me questionne sur une passion chez moi dont elle ignorait l’existence.

«Oui, je joue depuis… Eh bien fort longtemps à vrai dire ! Depuis l’enfance. Je ne suis pas des plus doués mais j’aime énormément la musique. J’avais un piano dans mon ancien appartement d’Enoville mais je l’ai laissé derrière moi quand je suis parti vivre à Jude’s Creek. Du coup je n’ai pas l’occasion souvent de pratiquer, nous serons donc deux à devoir nous échauffer un peu.»

Aux remerciements de Fairya, je sens la chaleur envahir ma poitrine à nouveau. Faire plaisir aux autres est devenu une véritable obsession chez moi, particulièrement chez mes proches. Je me satisfais donc de l’enthousiasme suscité, mais aussi de l’espoir que j’ai pu faire naître chez elle. En espérant que cela durera et que ma solution fonctionne… Seul l’avenir nous le dira.

«Ça fait plaisir. Il n’est pas très loin d’ici il me semble, je crois être en mesure de le retrouver.»

Comme de fait, l’instrument de musique se dresse bientôt fièrement, peint de teintes multicolores. J’y prends place tandis qu’il est libre, laisse mes doigts courir contre les touches en guise d’échauffement. Les gestes reviennent, mécaniques, naturels, ancrés dans ma mémoire. On n’oublie pas ce genre de choses. Je ferme les yeux en jouant un air simple, goûtant avec plaisir au contact de la musique. Impressionnée, Hymne s’est posée sur le piano et les vibrations de l’instruments la font très doucement teinter. Elle n’ose pas bouger, le regard rivé vers moi, concentrée sur la mélodie. Je lui souris avant de reporter mon attention sur la bleuette.

«As-tu une idée de chanson qu’elle aime ? J’ai tout de même un bon répertoire, peut-être qu’on trouvera quelque chose d’intéressant à jouer. J’ai hâte de t’entendre chanter aussi.»

Puis je ne la laisserai pas seule, j’aime aussi beaucoup chanter même si encore une fois j’y manque un peu de pratique ces dernières années. C’est l’occasion de renouer avec ce plaisir, en espérant que Wendy y goûtera elle aussi.

Cette passion de la musique me ramène à ma jeunesse. Dans l’objectif un peu banal de parfaire mon éducation, mes parents ont insisté pour que je prenne des cours divers destinés à faire de moi un futur jeune homme accompli. Si j’ai suivi avec docilité leurs conseils, ils n’ont jamais eu à me convaincre pour mes leçons de piano. Je les adorais simplement, malgré la rigidité de certains professeurs. Je trouvais dans cet exercice quelque chose de rassurant; il y un ordre dans la musique, une mathématique prévisible qui m’a toujours plu. C’était aussi un rare endroit où je parvenais à m’exprimer pleinement, à faire sortir toutes ces émotions que je taisais pour plaire à mes parents. Aujourd’hui, je conserve encore cette passion en moi. Que ce soit à l’écoute ou à l’expressif, il me semble être incapable de me passer de ce média. En faisant courir mes doigts sur les touches, j’ai un sourire : jouer fait partie de ces aptitudes qu’on n’oublie pas, comme le vélo. La musique qui résonne dans l’instrument fascine toujours autant la petite Hymne, qui réalise tout à coup que moi aussi je suis doté du même don qu’elle. Dans mon cas, c’est le résultat d’un dur labeur. Pour elle la musique est aussi naturelle que l’air qu’elle respire.

M’acheter un piano pour mon anniversaire ? Elle a complètement perdu la tête. Mon appartement est petit, en toute sincérité j’ai aucune idée où je pourrais le mettre. Puis c’est beaucoup trop comme présent et elle le sait. Je lui offre une œillade sévère en guise d’avertissement. Qu’elle ne s’avise pas à gaspiller ses sous ainsi sur moi.

«N’importe quoi. Si tu veux me faire plaisir à mon anniversaire, sois là simplement, ça me suffira amplement.»

Je n’aime pas beaucoup recevoir des présents, particulièrement lorsque je les juge démesurés versus mon véritable mérite. Ce genre de choses ne se mesure pas je suppose, sauf quand on est moi et qu’on cherche à tout quantifier. Dans tous les cas, ce que j’ai dit est vrai : je me suis soucié trop longtemps des biens matériels. Je préfère largement sa compagnie à n’importe quel objet.

Pour le moment, nous avons une tâche qui nous incombe, trouver une bonne chanson pour Wendy. Quelque chose de doux et romantique hein ? Il me vient quelques idées en tête, de vieux classiques principalement. Mais j’ai crainte que certains d’entre eux ne soient trop énergiques pour ce que décrit Fairya. Puis j’ai le sentiment que la Toudoudou apprécierait davantage une musique un peu plus moderne.

«Que diriez-vous d’Afterglow ? Je trouve difficilement une chanson plus douce que celle-là.»

Pour appuyer mes dires je me mets à en jouer les accords sur le piano. Je joue à l’oreille, car je n’ai jamais appris la chanson avant. Les accords sont simples, j’arrive donc rapidement à former la mélodie, habituellement sur la guitare.

«Stop the clocks, it's amazing
You should see the way the light dances off your head
A million colours of hazel, golden and red
Saturday morning is fading
The sun's reflected by the coffee in your hand
My eyes are caught in your gaze all over again»

J’entame, jetant un regard vers les trois autres pour savoir s’ils me suivront. La Korillon, aussitôt, se met à battre le rythme, ajoutant un aspect presque féérique à cette chanson accoustique. Son regard est rivé vers moi, rempli d’étoiles… En espérant que sa passion n’atteigne aussi Wendy !

La musique a toujours possédé un pouvoir particulier, du moins est-ce ce que j’ai pu constater à travers les années. La musique soulève les cœurs et les passions, et pose les bases de terrains d’entente insoupçonnés. Peut-être que je me montre un peu trop réservé tant qu’à mon amour pour cet art, c’est vrai que je pourrais partager davantage cette part plus vulnérable et vraie de moi. Les observateurs plus avertis remarqueront que je mets toujours beaucoup d’effort dans mon environnement sonore. Que ce soit à l’élevage ou dans ma vie personnelle d’ailleurs. Un coup d’œil chez moi et on le sait : sur les murs s’alignent des rangées d’albums, de vinyles et autres qui témoignent de mon attachement. Au centre, je fais toujours bien attention de choisir la bonne ambiance musicale pour les clients, pour recréer exactement l’émotion attendue. C’est aussi la même chose dans cette situation particulière. De toute évidence, Wendy n’est pas indifférente à Fairya. Il n’y a qu’à côtoyer quelque peu la jeune femme pour l’apprécier, elle est de ces êtres uniques et bons qu’on ne peut s’empêcher d’aimer. Mais pour la Toudoudou, un déclic est nécessaire, une ouverture, une étincelle. Peut-être que cette chanson le fera pour nous.

Je souris aussitôt l’éleveuse joint sa voix à la nôtre. Elle chante bien, bien que quelques tremblements indiquent un manque de pratique. Normal. Avec l’âge adulte et les responsabilités viennent souvent un délestage de certains passe-temps. La vie d’éleveur en est une de sacrifices et de dure labeur après tout. Je sens mon cœur enfler de fierté : mon amie ne l’est pas pour rien et je réalise jour après jour à quel point nous sommes semblables et partageons des points communs. En tout cas l’écouter est un plaisir. Un plaisir visiblement partagé par Wendy, puisque celle-ci s’approche à son tour en regardant sa dresseuse, visiblement étonnée. On dirait que sa curiosité est piqué, bingo ! La petite se hisse finalement sur le piano et nous formons bientôt un joyeux quatuor. Je jette une œillade à Hymne, constatant qu’elle rayonne tout simplement. Je ne pourrais être plus heureux que cet instant la comble, elle aussi.

Puis la chanson se termine. Fairya est émotive, je le vois sur ses traits. Je regarde ailleurs comme pour lui laisser le loisir de vivre ce moment. Wendy semble beaucoup moins réservée, même qu’elle me paraît heureuse et détendue. Cet exercice lui a plu. Beaucoup même. Je soupire de soulagement en lançant un petit clin d’œil à la Korillon. Elle n’a pas tout compris de ce qui s’est passé ici, mais cela ne l’empêche pas d’être très heureuse de ce moment.

«J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui l’a impressionnée. Tu chantes bien aussi. Pour ce qui est d’Hymne, elle ne manque certainement pas de talent.»

Ni d’enthousiasme, d’ailleurs. Je me redresse un peu sur le banc du piano, étirant mes bras par le fait même.

«Nous pouvons en jouer d’autres si vous voulez. Je pense que notre petite prestation a plu d’ailleurs…»

Un peu gêné, je regarde autour de nous : plusieurs personnes et Pokémon du parc se sont rassemblés autour de nous pour nous écouter jouer. Est-ce que cela va gêner mes partenaires ? Je peux sentir la timidité me gagner mais cela ne me découragera pas si jamais tout le monde veut continuer dans la chanson.