Anaïs se tait. Considérant l’intéressée, voilà une tendance hasardeuse qui, je dois le dire, ne manque pas de me plonger dans la perplexité. On trouve aisément chez la jeune fille une tendance inverse, elle ayant plutôt comme habitude d’être volubile voire envahissante au niveau verbal. Pourtant la voilà particulièrement taciturne, enfermée au cœur de pensées qui lui appartiennent. Respectueux de ses états d’âme songeurs, je n’ai pas osé l’interpeler à ce sujet. Je poursuis plutôt notre progression, tout aussi habité par mes réflexions. Notamment, je pense à Allégresse dont le tempérament ne cesse de m’étonner depuis sa capture. La jeune Lépidonille possède un goût du combat que j’ai rarement rencontré chez un Pokémon de si petite taille. Depuis son arrivée dans mon équipe, je tâche de répondre à son grand besoin d’exercice en la faisant combattre contre mes autres compagnons… et à ma grande surprise, elle l’emporte plus souvent qu’autrement ! Un vrai sac à surprises cette petite, tout autant qu’Anaïs je dois dire. C’est la rouquine qui a repris contact avec moi quelques jours après notre rencontre dans la Lumiclairière, m’ayant retrouvé par je ne sais quelle astuce sur les réseaux sociaux. Elle désirait me montrer les progrès de l’entraînement de sa Nidoran qu’elle a nommé Flora. Les deux semblent parfaitement s’entendre ce qui me rassure. J’aurais été bien triste d’avoir offert le rongeur à une destinée qui ne lui aurait pas convenu.

Pour le moment, Flora a rejoint sa balle. Seul le Feunnec d’Anaïs l’accompagne, et son silence semble aussi le rendre un peu nerveux. Peut-être devrais-je dire quelque chose ? De fil en aiguille, la jeune fille s’est en quelque sorte confiée à moi sur plusieurs sujets. Notamment le désintéressement de ses parents dans sa vie, hormis pour y mettre des barrières. L’adolescente provient du même genre de milieu que moi, un milieu certes confortable mais où les attentes sont nombreuses et trop souvent lourdes. J’ai fait de mon mieux pour la soutenir… je ne lui désire pas du tout le même parcours que j’ai pu subir moi-même. Il a fallu du temps pour moi de me trouver, d’accepter qui j’étais et même encore ce processus demeure inachevé. J’imagine qu’un lien s’est créé entre nous, basé sur nos points communs. Je n’aime pas beaucoup la voir ainsi. Je me suis décidé à l’accompagner dans les grottes Charbi pour m’assurer que rien ne lui arrive, mais il semblerait que les dangers de ce lieu ne la troublent pas outre mesure. Non, il y a autre chose.

Pour ma part, j’ai fait appel à Cadence et à Allégresse, puis à Hymne. Les deux s’entendent bien et surtout je suis rassuré par leur protection. En leur compagnie, je suis certain que rien ne nous arrivera. La Lépidonille a d’ailleurs élu domicile sur mon crâne, d’où elle a une vue du tunnel. Hymne nous suit distraitement, tintant régulièrement. Remarquant à son tour le trouble de l’adolescente, elle se rapproche en faisant un peu de musique. Anaïs sursaute à son approche et la chasse d’un mouvement de main.

«Tout va bien, Anaïs ?» je fais doucement.

«Ouais. C’est juste… je me suis disputée avec ma mère.» répond-elle d’une voix irritée.

Oh. Je ne me disputais jamais avec mes parents, j’étais trop sage il faut dire. Je n’osais jamais contrecarrer ses plans pour moi et encore moins élever la voix. Néanmoins Anaïs a un caractère bien différent du mien. Devrais-je tenter de la faire parler davantage ? On ne m’a jamais enseigné à interagir avec des adolescents il faut dire et depuis le temps j’ai perdu l’habitude. Avant d’être en mesure de répondre, nous sursautons tous cependant en entendant un bruit plus loin, dans l’obscurité du tunnel. Qu’est-ce qui a bien pu faire un bruit pareil ? Dans tous les cas, il a été suffisant pour effrayer Hymne. La Korillon s’est réfugiée sous mon bras en émettant un petit bruit de terreur.

«Qu’est-ce que c’était, Daniel ?»

«Euh…»

Oui, j’ai eu des réponses plus intelligentes.

Si je n’ai pas tout de suite les réponses espérées par la jeune fille, je compte tout de même investiguer sur l’origine de ce bruit. Celui-ci avait quelque chose de terreux, de sauvage, de vivant. Pourtant, j’aurais juré que cela ressemblait à un éboulement de rochers. D’un œil prudent, je lève les yeux vers la paroi rocheuse qui recouvre nos têtes, inquiet à l’idée que celle-ci pourrait s’affaisser sur nous à n’importe quel moment. Puis je réalise que ces grottes sont reconnues pour ses habitants de type Roche, que ces derniers peuvent causer des soucis aux explorateurs de ces cavernes. Il vaut mieux faire attention je me dis alors, me gardant bien d’émettre un commentaire. Connaissant la rouquine, elle se précipiterait à la rencontre de ce mystérieux Pokémon (si ma théorie s’avère vraie évidemment). Je doute qu’à nos niveaux respectifs nous arriverions à éloigner un tel danger. Non vraiment, on est très bien ici. D’autant plus que ce bruit… plutôt que de perdre de l’intensité semble se rapprocher ! Anaïs se fige et recule, bientôt imitée de moi. Dans un geste protecteur, Cadence s’est placée devant nous, néanmoins nous réalisons bientôt ne craindre aucun danger, puisque ce n’est pas un monstre qui sort d’un étroit couloir, mais bien une jeune femme d’environ mon âge. Une jolie jeune femme qui profite de son entrée pour se vautrer lamentablement sur le sol.

Plutôt que d’en rire, je me précipite aussitôt vers elle, gonflé d’adrénaline et surtout inquiet pour son bien-être. Cette chute, bien que bénigne, n’a pas dû faire du bien. Je peux sentir la Lépidonille toujours juchée sur mon crâne se pencher vers l’étrangère avec curiosité, comme si elle regardait un drôle de spécimen. Pour ma part, je lui présente ma main pour l’aider à se redresser, vérifiant par le fait même qu’il ne lui est rien arrivé de trop grave. Au moins elle ne semble pas blessée, si on exclue les paroles loufoques qu’elle prononce ensuite et qui me tirent aussitôt rougeurs et confusion. Quoi ? Un peu abasourdi, je ne réponds rien, pas même quand elle s’adresse à Anaïs qui, en gloussant sans vergogne, s’amuse bien à mes dépens.

«Oh oui, il est très populaire Daniel, c’est un très bon parti.» mon dieu, la honte. «Par contre c’est pas mon frangin, c’est mon protecteur. Et il est encore disponible sur le marché.»

Je crois que je rêve. Oui, ce doit être ça.

«Anaïs, laisse la jeune femme tranquille, elle a fait une mauvaise chute.» oui parce que pour parler de charme dans mon cas, il faut s’être cogné la tête très fort. Était-ce son plan de dévier l’embarras de ce moment sur quelqu’un d’autre ? «Tant mieux si cet Onix ne vous embête plus, je crois que nous sommes en sécurité par ici. Vous n’avez rien ?»

C’est plus fort que moi, je suis toujours trop inquiet pour les autres. J’espère que l’inconnue ne m’en tiendra pas rigueur, ce n’est pas pour jouer les héros que je me comporte ainsi. Prendre soin des autres fait désormais partie de ma nature. Appelez ça «déformation professionnelle».

«Je suis Daniel et elle c’est Anaïs. Je suis son accompagnateur dans ces grottes, même si pour le coup c’est la première fois que je les visite moi aussi. Vous avez plus l’habitude, vous ?»

Maintenant que je m’autorise à vraiment la regarder, mes soupçons se confirment : elle est vraiment belle. Du genre qu’on oublie pas facilement, qui vous troublent un peu par leur présence. Mais en y regardant de plus près, j’ai cette sensation qui émerge, comme un déjà-vu. La question franchit mes lèvres avant que je ne puisse la retenir, sans réaliser qu’elle pourrait être interprétée autrement :

«On s’est déjà vu quelque part, non ?»

J’ai toujours été maladroit avec les blagues de flirt, d’aussi longtemps que je m’en souvienne. Majoritairement, je ne remarque même pas qu’on puisse glisser dans la conversation quelque intention plus qu’amicale; on m’a reproché souvent d’être complètement aveugle aux attentions de personnes intéressées. Ce n’est pas ma faute, j’ai tout simplement du mal à m’imaginer qu’on s’intéresse à moi de cette manière. J’ai l’air trop inoffensif et doux majoritairement pour être véritablement attirant malgré un physique que je dirais présentable. Cette jeune femme, est-elle sincère dans ses remarques ou est-ce simplement pour me charrier ? J’opte rapidement pour la deuxième option et m’en convaincs. Elle agit ainsi simplement pour alimenter mon embarras, c’est tout. Et ça fonctionne à merveille. Même si je le voulais, je ne parviens pas à réprimer mes rougeurs et ma timidité. Cette étrangère ne manque pas de charme, un charme qui ne me laisse pas indifférent et qui rend la réception de ces railleries d’autant plus difficiles. Pour le coup je décide de ne rien ajouter, de peur d’attirer d’autant plus de ces blagues sur moi. Feindre l’indifférence est un peu plus facile quand même que de se défendre adéquatement. Un tour au marché que je représente… Bon sang mais quoi encore ? Je fais mine de n’avoir rien entendu tandis que les deux filles échangent un regard complice.

Je suis d’ailleurs plutôt surpris en entendant le langage assez coloré de la blonde qui peste contre ses vêtements ruinés par la mauvaise chute. Il fut un temps où je portais un soin très particulier à mes vêtements moi aussi, ainsi je comprends le sentiment. Dans ma nouvelle fonction d’éleveur néanmoins, je n’ai plus trop le luxe de porter de jolis complets. Cette époque de ma vie est révolue. Je la laisse se remettre sur ses pieds, avec un sourire amusé. Solide hein ? Oui, je peux constater cela. Il se dégage une force de caractère assez intimidante chez elle. De toute évidence, elle est bien différente de moi, qui peine à s’assumer. Son compagnon, un Riolu, la boude non loin. Je rêve d’avoir un membre de cette espèce un jour, on m’en a dit que du bien.

«Je constate ça, oui.» je fais, amusé, à sa mention du fait qu’elle est solide. «Enchanté, Nolwenn. C’est un joli prénom, peu commun. Enfin, moins que Daniel on s’entend. C’est joli.»

Je me répète, je réalise, mais elle ne m’en tiendra peut-être pas rigueur. Sous l’effet de la nervosité, il m’arrive d’être encore moins éloquent qu’à mon habitude. Je souris à la proposition de l’étrangère. Avoir quelqu’un pour nous guider est une idée rassurante qui me plaît. J’hoche donc la tête pour signifier mon accord. Puis je ne suis pas mécontent d’apprendre à la connaître davantage. Ne le dites pas à Anaïs.

«Ça me semble une bonne idée, à trois nous avons moins de chances de nous perdre.»

Mes Pokémon ne semblent d’ailleurs pas trop indisposés par l’idée, c’est donc un rendez-vous ! Enfin, pas un rendez-vous comme ça… Vous avez compris. Bref.

«Daniel m’accompagne pour ma chasse aux Pokémon. Vous avez dit qu’il y a un Onix par là ? Imagine comme ce serait classe d’en avoir un Dan !»

«Sois réaliste, tu le mettrais où cet Onix ? Dans la maison de tes parents ?»

«Bah… J’sais pas, à ton élevage ça le ferait.»

Je soupire. Parfois, l’adolescente ne réalise pas ce qu’elle demande. Je reporte mon attention sur Nolwenn, qui finalement réfute mon hypothèse selon laquelle nous nous sommes déjà vus quelque part. Pourtant, je ne parviens pas à me débarrasser de cette sensation de familiarité. Est-ce simplement dans mon esprit ? Confus et frustré de ne pas avoir réussi à mettre le doigt dessus, je me promets d’y réfléchir encore, en temps et lieu. Pour le moment, il est temps de nous aventurer dans la grotte, pour de vrai. Je fais un signe exagéré du bras, en direction de l’ouverture.

«Après vous, chère.» je fais d’un ton humoristique.

Enfin, nous pénétrons dans les grottes. L’endroit me rend toujours aussi nerveux, mais j’essaie de ne rien laisser paraître devant Anaïs, qui aurait tôt fait de me charrier. Cadence ouvre la marche, son œil un peu sévère parcourant l’obscurité pour assurer notre sécurité. Pour me distraire, je fais la conversation à la jolie blonde.

«Vous avez mentionné des pierres pour une création… vous cherchez quoi exactement ? Peut-être que nous pourrions vous aider. C’est quel genre de création ?»

Je vois qu’Anaïs a tendu l’oreille, visiblement intéressée par les mots de l’étrangère.