Aussi improbable que cela puisse paraître pour un endroit aussi étrange, depuis quelques semaines, les patrouilles dans les vieux quartiers étaient devenues une habitude. J’avais officiellement réussi à me faire à la purée de pois, à l’odeur nauséabonde, à l’équipement de protection, et même au peu de charme des Pokémon qui hantaient les lieux. Mais il y a une chose à laquelle je n’avais jamais eu le temps de m’habituer dans cette zone, c’est la pluie. Jusqu’ici j’avais échappé à ce calvaire que l’on décrivait comme une expérience vraiment éprouvante, digne de l’armée plus que de la police.
Le problème avec cette pluie, c’est que chaque goutte accumule au cours de sa chute des toxines en suspension dans l’air avant de frapper le sol couvert des résidus du brouillard nocif habituel, soulevant une tenace brume délétère. Ces deux effets rendent l’environnement encore plus dangereux et illisible que d’habitude, et ce jour-là, ils étaient plutôt marqués.

Bien sûr, pour une telle patrouille, je n’étais pas seul. J’étais accompagné de trois collègues et de deux Pokémon, dont Titan, mon Galekid qui commençait lui aussi à être coutumier des patrouilles dans cet environnement.
Le premier était celui qui commandait, le lieutenant Bridson. Un jeune officier de police, tout juste sorti de l’école, accompagné d’un Migalos, un Pokémon assez peu répandu dans la police mais plutôt utile pour explorer les ruines environnantes sans craindre les effets du poison ni les difficultés de ce type de terrain. Il s’agissait de ma première mission sous ses ordres, et même si je me méfiais d’habitude du manque d’expérience de ce genre de profils, lui semblait plutôt calme et à l’aise dans son rôle.
Le second était le brigadier Hill, un grade en dessous de moi, dix ans au-dessus. Il avait commencé tout en bas de l’échelle et avait acquis une expérience qui forçait mon respect.>/div>

La dernière personne qui nous accompagnait n’était pas vraiment de la police, il s’agissait du docteur Kaia Reed, le médecin qui devait accomplir notre réelle mission : avoir du personnel qualifié dans les environs pour réagir plus vite en cas d’urgence, voir secourir directement les personnes ou Pokémon qui pourraient se trouver en danger. Beaucoup pensent que ces missions constituent un pur gâchis de moyens, et c’était mon cas avant cette patrouille d’ailleurs, mais il s’agit de la procédure. Ce genre de vadrouille est mis en place durant chaque épisode de pluie, en raison du manque de visibilité occasionné, facilitant la désorientation, et surtout du surplus de protections demandé pour éviter toute intoxication. Puisque si en temps normal un masque avec un filtrage décent suffit à ne pas inhaler de toxines, il est nécessaire de porter une combinaison complète quand c’est un rideau d’eau souillée complet qui s’abat sur votre tête et veut votre mort.

Notre équipe avait pour cette fois un point de rendez-vous bien précis, un ancien chantier qui menaçait de s’effondrer depuis des années avait fini par voir l’un de ses murs s’écrouler, emportant le toît au passage et laissant toute une façade éventrée. Le docteur Reed elle-même avait demandé cette destination, elle craignait que des Pokémon capables de résister en temps normal grâce à l'abri procuré par le bâtiment ne se retrouvent sans défense face à la pluie.
Mais la première étape consistait à se rendre jusqu’au dit chantier, en suivant un itinéraire qui devait nous amener à contrôler différents points sensibles, comme des lieux habituellement squattés ou des habitats de Pokémon sensibles. En tout, il nous faudrait bien
deux heures pour nous rendre au bout de notre objectif, et plus d’une heure pour rentrer. Le tout avec nos combinaisons intégrales, et pire encore en devant s’orienter dans cet environnement rendu si sombre et opaque par la brume.

Cette brume qui était si épaisse, si différente de celle présente en temps normal. Là où les vapeurs habituelles compliquent simplement la respiration et ont une odeur forte et nauséabonde, le brouillard présent lors des périodes de pluie empêcherait un Noarfang de voir à cent mètres et donnerait de l’urticaire à un Crapustule. Et même si j'exagère pour le Crapustule, l’eau infectée a vraiment de quoi provoquer des réactions assez vives sur la peau de tout ce qui ne présente pas une résistance particulière au poison, comme peuvent en témoigner tous les Pokémon qui se retrouvent sans abris quand les première gouttes les surprennent. Et ce qui n’était pas une exagération, c’était l’épaisseur de cette brume, qui en nous barrant la vue nous plonge comme dans les abysses et nous enferme dans un voile sombre sans vue sur l’extérieur, comme un épais brouillard mais avec en plus cette teinte verdâtre digne d’une colorimétrie de film.

Derrière ce voile opaque, la ville me paraissait différente, plus angoissante. J’avais beau avoir passé l’âge d’avoir peur dans le noir, je me sentais oppressé par ce manque de visibilité, cette sensation d’être enfermé. J’entendais en plus des bruits autour de nous, des mouvements d’objets et de débris, mais surtout de longues plaintes glaçantes et régulières qui se démarquaient du battement de la pluie qui battait le sol. Le lieutenant s’en inquiéta le premier :
“Ça, je n’aime pas du tout, restez sur vos gardes. Il adoucit le ton pour commander à son Migalos, Ariane, tu te tiens prête, si quelque chose s’approche, tu le pièges dans une toile, avant de reprendre son ton ferme habituel pour s’adresser à moi, Everwade, Titan doit se tenir prêt aussi, je ne sais pas ce qui est en train de se payer notre tête, mais je ne veux pas qu’il puisse nous approcher.
- Bien mon lieutenant. Titan, tu as entendu le lieutenant, si quelque chose se montre, donne l’alerte et prépare toi à le maintenir à distance”

Le docteur Reed, visiblement habituée à fréquenter ce genre de lieu, nous éclaira sans attendre : “Lieutenant Bridson, entre les hurlements sinistres et les bruits venant des ruines, je pense qu’il n’y a pas de doute, nous sommes face à des Pokémon spectres, et plutôt  d’humeur joueuse. Dans cet endroit, je parierai même sur des Fantominus ou des Spectrum. Je suppose que vous savez ce que ça signifie" Le lieutenant répondit simplement avec une grimace et se rapprocha de son Migalos.
Au même moment, un cri provoqua le passage d’un autre frisson, de ma nuque jusqu’à chaque extrémité de mon corps. Je ne pouvais pas continuer sans demander plus de détail : “Docteur, qu’est-ce qui est si inquiétant avec ces Pokémon ?
Sentant mon angoisse, elle commença par me rassurer :
- Ne vous inquiétez pas, ce ne sont pas des Pokémon agressifs ou méchants, c’est juste que… Ils aiment taquiner les humains, et ils ont... des pouvoirs... qui peuvent être... dangereux..."

Le lieutenant ne laissa pas Kaia s’entortiller dans ses explications plus longtemps, sûrement devait-il juger qu’elle avait passé assez de temps à montrer à quel point il était difficile de trouver des mots rassurants dans cette histoire “Pour être franc, ces deux espèces là peuvent agir sur la mémoire et les émotions et provoquer des hallucinations ou des états de choc. Ils ne cherchent pas à blesser donc ils sont rarement dangereux, mais j’ai un peu peur que la météo ne les pousse à exagérer.". Je restais silencieux, comme un enfant à qui on venait de raconter une histoire de monstre, admiratif du brigadier Hill qui semblait ne pas prêter à tout ça et continuait tout simplement à observer calmement les alentours. Le docteur reprit, avec un ton un peu plus rassurant, sans être dénué d’une certaine inquiétude : “Oui, c’est ça, et normalement ces Pokémon s’attaquent assez peu à des groupes, encore moins escortés par des Pokémon”.

Ces explications ne suffisaient pas vraiment à me rassurer, mais il fallait bien continuer à avancer, dans ces quartiers méconnaissables pour moi qui n’avait jamais vu les ruines sous  ce jour. Durant toute l’heure de marche qui nous restait pour parvenir à notre objectif, les “farces” ont continué, sans jamais voir l’ombre de leurs auteurs, nous pouvions entendre leur activité autour de nous. Souvent nous entendions des vitres se briser, parfois même de la ferraille se tordre ou les bâtiments perdre tantôt une brique, tantôt une tuile. Sans compter bien sûr les longues complaintes qu’il s’amusaient à produire pour hanter le bruit normalement si clair des gouttes qui tombent. Et même si après deux ou trois tours de ce genre je ne sursautais plus, il était clair que sans la compagnie de mon équipe, je n’aurais pas particulièrement tenu à continuer. Même le docteur Reed semblait faire preuve de plus de courage que moi et emboitait un pas bien moins hésitant que le mien.

Mais après cette interminable heure, nous y étions, l’objectif de notre mission. Un chantier boueux abandonné il y a des années de cela, il n’avait pas été sécurisé et ce qui devait se produire finit en effet par arriver. Tout un mur de la grande maison avait cédé, et avait emporté une partie du toit. Ainsi gisait devant nous le cadavre d’une propriété de trois étages, éventrée, laissant paraître un intérieur vide et austère, de grande pièces vides au murs jamais peints ou tapissés. Il était visible que l’effondrement était un événement récent, la façon dont les briques étaient entassées ne laissait pas de doute quant au fait qu’elles n’étaient pas agencées de façon stable.
Kaia tenta de nous expliquer ce qu’elle attendait de nous : “Cette maison s’est effondrée récemment, et je crains que des Pokémon qui auraient pu s’y abriter se retr...” mais fut interrompue par un fort cri fantomatique qui fit se retourner toute l’équipe.

Mais à nouveau, rien en vue à part la brume lourde et compacte. Le lieutenant demanda au docteur de reprendre pour briser notre silence “Oui... Donc je crains que des Pokémon qui pouvaient trouver refuge ici se retrouvent maintenant exposés à plus de vapeur qu’ils n’en supportent d’habitude”. Et en effet, l’intérieur du bâtiment était envahi de cette même vapeur qui rendait l’extérieur presque impraticable. Nous nous sommes alors séparés en deux groupes, je partais avec Kaia directement au dernier étage, qui était à ciel ouvert depuis la destruction du toit, et le lieutenant et le brigadier exploraient le rez-de-chaussé, principalement pour vérifier les moyens d’entrer et de sortir autres que le mur effondré.
Et si j’avais trouvé la marche en extérieur éprouvante, ce n’était rien en comparaison de la progression en intérieur, rendue difficile par la combinaison inconfortable imposée par la pluie nocive. En particulier quand il fallait monter trois escaliers pour atteindre un grenier presque enseveli.

Une fois en haut, les craintes du docteur se sont confirmées. Les trois quarts du toit étaient effondrés, et les débris jonchaient le sol. De l’autre côté de la grande pièce ouverte, un Pokémon était coincé, se maintenant difficilement à l’abri de la pluie sous l’une des rares parties encore couvertes. La créature était un Cocotine terrorisé, affaibli, et dans l’incapacité de passer sous la pluie dangereuse. J'ai pris la parole le premier, perdant une partie de mon professionnalisme devant la tristesse de la situation : “Je n’ai aucune idée de comment vous avez su, docteur, mais vous êtes l’ange gardien de ce pauvre petit gars…
- On a eu beaucoup de chance de le trouver à temps, mais on ne l’a pas encore sauvé, il faut s’y mettre. Vous voulez bien m’aider ?
- Vous avez raison… Mais on va le récupérer, vous allez voir, les Galekid ont une prédisposition pour ce genre de mission.“